jeudi 30 octobre 2014

Burkina Faso : la France doit officiellement lâcher son vieil allié Blaise Compaoré

par Survie, 29/10/2014
Au Burkina Faso, Blaise Compaoré renoue avec la tradition de modifier la Constitution afin de rester au pouvoir. Les manifestations contre ce projet se multiplient, la tension monte et une répression est à craindre. La France, qui a soutenu le pouvoir du « beau Blaise » 27 ans durant, doit condamner publiquement ce coup d’état constitutionnel et cesser toute coopération policière et militaire avec le régime.
Arrivé au pouvoir par l’assassinat de Thomas Sankara en 1987, le très françafricain Blaise

Compaoré n’entend pas quitter son fauteuil de président-dictateur du Burkina Faso. Après des mois de faux suspens, il a levé le voile le 21 octobre dernier sur sa volonté de réviser la Constitution de 1991, pour que soit supprimée la limitation à deux mandats présidentiels. Il faut dire que le régime est expert en tripatouillage constitutionnel : la limitation du nombre de mandats avait ainsi été supprimée en 1997, pour être réintroduite en 2000, en même temps que l’abandon du septennat au profit du quinquennat, entré en vigueur en 2005. Compaoré trouve ainsi toujours une argutie juridique pour se présenter : en 1991 comme président du Front populaire du Burkina Faso ; en 1998 pour son second septennat ; en 2005 et en 2010 pour son premier puis son second quinquennat, qui arrivera à terme en 2015. D’où la nécessité pour lui, de faire voter ce 30 octobre par les 2/3 des députés burkinabè une loi de révision constitutionnelle puis, en cas d’échec, d’organiser un référendum tout aussi bidon que sa dernière élection présidentielle [1].

La première décennie de son pouvoir est marquée par une série d’assassinats politiques (dont le plus emblématique, celui du journaliste Norbert Zongo en 1998, dont les responsables n’ont toujours pas été inquiétés), et ses 27 ans de règne sont émaillés d’opérations de déstabilisation dans la région. Son clan a notamment soutenu activement les milices de Charles Taylor au Liberia et en Sierra Leone, participé à des trafics de diamants au profit du mouvement rebelle angolais UNITA, abrité plus récemment les « rebelles ivoiriens » emmenés par Guillaume Soro avant qu’ils ne déclenchent la guerre dans leur pays, et joué un rôle trouble vis à vis de certains groupes armés qui ont occupé le nord du Mali à partir de début 2012.
Mais, en pilier régional de la Françafrique, Blaise Compaoré a su redorer son image à l’international, y compris grâce à des alliées au sein du Parti socialiste telles que Ségolène Royal et Elisabeth Guigou [2]. Une relative liberté d’expression et un multipartisme de façade l’ont rendu prétendument fréquentable, tandis que ses soutiens au sein de la Grande Loge Nationale Française (GLNF), à laquelle il appartient, l’Association d’amitié France-Burkina de Guy Penne, ou son hagiographe, Jean Guion, ont redoublé d’efforts pour forger en France et à l’international l’image d’un homme de paix. Il a ainsi été choisi pour être le médiateur de crises politiques au Togo, en Guinée, et même en Côte d’Ivoire et au Mali où il a pourtant soutenu des belligérants. Et, sur fond de crise malienne, il a été reçu à l’Elysée dès le 18 septembre 2012 par un François Hollande déjà soucieux d’enterrer le changement.
Mais au Burkina Faso, les mouvements sociaux n’ont eu de cesse de se structurer et de se renforcer, pour s’opposer au pouvoir à vie auquel prétend Blaise Compaoré. En particulier, après les manifestations contre la vie chère en 2008, une explosion de colère populaire avait menacé le régime en 2011, amenant même Alain Juppé, alors ministre français des Affaires étrangères, à déclarer, en référence à la révolution tunisienne, que le régime burkinabè devrait « [tenir] compte de ce qui se passe ailleurs car les mêmes causes produisent les mêmes effets » [3].
Pure langue de bois, pendant que, à l’instar de ce que Michèle Alliot-Marie avait proposé pour sauver le pouvoir de Ben Ali en Tunisie, les autorités françaises ont poursuivi leur coopération pour le « maintien de l’ordre » avec Ouagadougou. On apprenait ainsi qu’en 2011, la France disposait toujours sur place de « 9 militaires de l’Armée de Terre, la plupart détachés auprès des Forces Armées Nationales », et octroyait une aide directe sur le volet militaire (dépenses d’équipement et d’infrastructure, formation des cadres) d’environ 1,2 million € par an, sous la houlette de la Direction de la Coopération de Sécurité et de Défense [4]. Une aide fournie sous l’habillage d’un maintien de l’ordre nécessaire au processus démocratique, mais en réalité indispensable au régime pour mater d’éventuels mouvements populaires. L’année dernière, l’hebdomadaire Jeune Afrique expliquait ainsi comment, du fait de tensions croissantes liées au projet de révision constitutionnelle, le gouvernement burkinabè, aidé par la France et les Etats-Unis, avait investi 15,2 millions d’euros « pour réorganiser et équiper la police » et qu’ « une unité de force spéciale [était] en cours de création avec le soutien du Raid français » [5].
Le régime avait vu juste : depuis le début de l’année, plusieurs manifestations ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes, jusqu’au mois de septembre. Depuis cette semaine, et l’officialisation de ce projet de tripatouillage constitutionnel, la contestation se cristallise, avec une première manifestation rassemblant le 28 octobre des centaines de milliers de burkinabè déterminés à s’y opposer, et la promesses d’actions de blocage et de désobéissance civile dans les prochains jours. La colère est sur le point d’exploser, et une répression violente est à craindre. Après avoir soutenu Blaise Compaoré dans son putsch de 1987 et durant ses 27 ans de règne, les autorités françaises, qui ont fait du Burkina Faso un des maillons de leur « lutte contre le terrorisme » au Sahel, en installant à Ouagadougou la principale base des forces spéciales et en intégrant le pays dans la zone d’intervention de l’opération « Barkhane », ont donc une responsabilité particulière dans ce qui va se passer dans les prochaines semaines.
L’association Survie exhorte donc le gouvernement français à dénoncer publiquement ce projet de révision constitutionnelle, sans équivoque [6], et à cesser toute coopération policière et militaire avec le régime, et appelle à rejoindre la manifestation unitaire organisée devant l’ambassade du Burkina Faso à Paris ce jeudi 30 octobre de 16h30 à 19h

Contact presse : Ophélie Latil 01 44 61 03 25 ophelie.latil[at]survie.org
Notes

[1] Les chiffres officiels faisaient état d’un score de 80 % des suffrages exprimés... mais avec seulement 1,5 millions de voix dans un pays qui compte 16 millions d’habitants.
[3] Audition d’Alain Juppé devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, à Paris le 4 mai 2011. Texte disponoble sur http://discours.vie-publique.fr/not...
[4] Voir le site de l’ambassade de France au Burkina Faso (http://www.ambafrance-bf.org/Panora... ). Le site du ministère de la Défense indique qu’en 2009, cette coopération s’était «  appuyée sur 12 coopérants militaires et un budget de 3 M€  » (http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/do... )
[6] Les déclarations alambiquées du porte-parole du Quai d’Orsay se référençant à la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance de l’Union Africaine, ne sauraient être considérées comme une condamnation (http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/v... ).

Burkina Faso: explosion populaire, soulèvement démocratique

Ouagadougou, 29 Septembre 2014 (Corresp.)-La manifestation du peuple burkinabé à Ouagadougou le 28 octobre 2014 a dégénéré en guérilla urbaine lorsque les manifestants ont quitté la Place de la Nation en direction du rond-point des Nations Unies avec le projet d'atteindre l'Assemblée Nationale pour l'occuper.

Après quelques minutes de sit-in et d'occupation pacifique par les manifestants au rond-point des Nations Unies, les forces de police ont lancé l'assaut et ont chargé les manifestants à coup de gaz lacrymogène et de camion à eau. Les pick-up des policiers se sont lancés aux trousses des manifestants, en tirant des grenades de gaz lacrymogène parfois à bout portant. On déplore des blessés, mais pas de morts. La manifestation aurait rassemblé des centaines de milliers de manifestants à Ouagadougou, près d'un million selon les organisateurs. Les partis d'opposition au CDP (parti au pouvoir) avaient lancé pour cette manifestation le mot d'ordre suivant : désobéissance civile, jusqu'à la chute du régime. Le Président du Faso Blaise Compaoré espère que le vote de jeudi 30 octobre à l'assemblée nationale lui permettra de changer l'article 37 de la Constitution sans passer par un référendum, et ainsi de se présenter à sa propre succession à l'élection présidentielle de 2015. 



http://www.tlaxcala-int.org/upload/galerie_video/390.flv




mardi 14 octobre 2014

Las ejecuciones de Tlatlaya: un falso positivo* a la mexicana Les exécutions de Tlatlaya : un faux positif à la mexicaine


De acuerdo con el análisis que el criminólogo José Luis Mejía Contreras hace del material fotográfico que aquí se muestra, la escena donde 22 personas perdieron la vida en un presunto enfrentamiento con militares en Tlatlaya (el 30 de junio), fue “totalmente manipulada”. Los cuerpos de 14 de los fallecidos fueron “sembrados” y “desaparecieron evidencias”. Las imágenes le permiten afirmar al especialista que los fallecidos fueron sometidos y posteriormente fueron asesinados con disparos realizados a menos de 30 centímetros de distancia.

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Más información
 


 

Le lundi 30 juin 2014, dans la localité de Tlatlaya, située dans l'État de Mexico (à ne pas confondre avec le District fédéral où se trouve la capitale, à 230 km de là), à la frontière avec l'État de Guerrero, un incident mystérieux impliquait des soldats du 102ème Bataillon d'Infanterie et des jeunes hommes présentés comme des criminels auteurs d'un enlèvement crapuleux de plusieurs femmes, qui se touvaient dans une boutique sans portes ni fenêtres. Bilan : 22 morts parmi les "criminels", aucune victime du côté des militaires. Les faits se sont passés entre 7 et 8 heures du matin, les services du procureur n'ont été avertis par l'armée qu'à 10 h 30 et les médias ne sont arrivés sur les lieux qu'à 16 h. quand les corps avaient déjà été empotés, ne pouvant voir que leurs 3 véhicules, chargés sur des camions et portant peu de traces du prétendu échange de tirs.

Le 26 septembre, l'agence d'images mvt de Mexico recevait une enveloppe, déposée anonymement, contenant 22 photos des victimes de la tuerie, prises avec un appareil à basse définition. Celles-ci ont été analysées par des criminologues, qui ont conclu que toutes les victimes avaient toutes été abattues de face, par des tirs à très faible distance (30 cm), qu'il n'y avait aucune douille de balle sur les lieux où était censée avoir eu lieu la fusillade, et que les corps avaient de toute évidence étaient "semés" sur la scène censée du crime.

Bref, une sinistre mise en scène. Désormais, au nom de la guerre contre le crime organisé, l'armée et les autres forces de "sécurité" mexicaines recourent à la méthode colombienne dite des "faux positifs", qui consiste à présenter des victimes d'exécutions extrajudiciaires, en particulier des jeunes des quartiers défavorisés, comme des guérilléros, en organisant des mises en scène après leur exécution. Une pratique qui, dans le cas du Mexique, a été condamnée par la délégation de l'Union européenne et l'organisation US Human Rights Watch.
Entretemps, un nombre indéterminé de membres du 102ème Bataillon ont été interpellés et quelques-uns inculpés. Ce n'est pas la première fois que ce bataillon, installé pour "lutter contre les narcos" par Enique Peña Nieto quand il était gouverneur de l'État de Mexico, est impliqué dans des exécutions extrajudiciaire. Les récentes intepellations ont déclenché un mouvement s'appelant "épouses de militaires", qui protestent contre le fait que ce sont toujours des militaires sans grade qui sont poursuivis pour ce genre de crimes et jamais les gradés qui ont donné les ordres.-FG

Pour voir les photos (âmes sensibles, s'abstenir), cliquer sur l'image

 

Thomas Sankara vit !


Commémorations à Ouagadougou, Bobo Dioulasso, Montpellier, Bayonne, Paris, Genève, Lausanne, Torino, Milano, London, Montréal, New York.
Programme : http://thomassankara.net/spip.php?article1668

dimanche 12 octobre 2014

12 de Octubre 12th October 12 Octobre 12 Ottobre


¡Ni día de la Raza, ni de la Hispanidad, ni del Encuentro entre dos mundos, ni de ninguna otra tontería soporífera, aquel fue el día del Inicio del genocidio y de la Resistencia que aún persiste, contra los Conquistadores de cualquier color!

Ni Journée de la Race, ni de l'Hispanité, ni de la Rencontre des deux mondes, ni d'aucun autre boniment soporifique, ce 12 octobre 1492 fut celui du début du génocide et de la Résistance qui continue, contre les Conquistadors de tout poil !

Not a Columbus' Day, nor a Day of the Race, nor of Hispanic Heritage, nor of the Encounter between two worlds, nor any other soporific idiocy: this was the opening day of genocide and of the resistance that still goes on against the Conquistadors, whatever their colour!

Né un giorno della Razza, né dell’Ispanità, né dell’Incontro tra due mondi, né di nessun’altra idiozia soporifera: quel 12 ottobre 1492 è stato il giorno dell’inizio del genocidio e della Resistenza che ancora  persiste, contro i conquistatori di ogni colore!
 Iván Lira

mardi 7 octobre 2014

Mexique-"Y el señor andaba bailando": la nuit d'Iguala

Español México – "Y el señor andaba bailando": la noche de Iguala

 par Fausto Giudice, 7/10/2014
Un maire mafieux, complice d'un gouverneur d'État mafieux, couvert par un Président mafieux, donne l'ordre à ses hommes de tuer puis va danser, pendant que les tueurs agissent dans la nuit, tuant, blessant, kidnappant des jeunes étudiants en lutte, mais aussi des passants, des footballeurs, des passagers de taxi, bref tout ce se trouve sur le parcours de leurs projectiles. Bilan provisoire de l'horreur qui vient d'ensanglanter la ville d'Iguala de la Independencia : 49 morts, 17 blessés, 22 policiers municipaux détenus, un maire en fuite, recherché par Interpol, et un pays tétanisé par ce nouvel épisode la chronique noire d'une plongée dans l'abîme. Retour sur les événements de la nuit d'Iguala.

D'abord un peu d'histoire et de géographie.

Les scènes se passent dans l'État du Guerrero, dans le sud du Mexique, nommé d'après Vicente Guerrero, le 2ème président éphémère (8 mois) du Mexique indépendant au destin tragique : venu au pouvoir par un coup d'État, il fut destitué par un autre coup d'État et capturé puis fusillé par un acte de traîtrise (une invitation à déjeuner) préfigurant un acte similaire qui provoquera la mort, presque un siècle plus tard, d'Emiliano Zapata. Le Guerrero, connu à l'étranger, pour son haut lieu de cauchemar climatisé touristique d'Acapulco –une Babylone du Pacifique – est à l'image du reste du Mexique : livré à la prédation sauvage de la part d'un conglomérat de groupes criminels –narco-gangs, partis politiques, policiers pourris, bureaucrates corrompus, entrepreneurs mafieux, élus par achat de votes - collaborant tous entre eux. Ce pauvre Mexique, "si loin de Dieu et si proche des USA", est aujourd'hui réduit à l'état d'une Colombie, où les frontières entre "politique" et "parapolitique" (terme colombien désignant les représentants parlementaires des groupes paramilitaires auxquels l'armée et la police sous-traitent le "sale travail") se sont effacées, connaît une très forte conflictualité sociale. Les conflits qu'il vit portent sur des thèmes universels : la terre, l'eau, l'éducation, la santé, bref la défense des communs contre la prédation qui, au nom du marché, détruit le cadre de vie et les conditions mêmes de survie de la population. Une des batailles les plus spectaculaires qui se livre depuis des années concerne l'éducation. Dans ce domaine comme dans d'autres (la structure agraire) les régimes qui se sont succédé au Mexique depuis 20 ans ont tous poursuivi le plan visant à démanteler les acquis de la Révolution mexicaine de 1910, autrement dit l'éducation libre et gratuite pour tous. 

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Une des structures les plus importantes issues de la Révolution sont les écoles normales rurales, qui forment les instituteurs ruraux, généralement eux-mêmes issus de milieux paysans et indiens (les Mexicains disent "indigènes"). Vivant en internat, les normaliens alternent formation théorique et pratique, passant la quatrième année de leur cursus comme instituteurs-stagiaires dans une école primaire rurale. Le gouvernement d'Enrique Peña Nieto veut tout simplement les liquider comme "résidu anachronique", arguant que, désormais, on n'en a plus besoin.
Cela entraînerait tout bonnement la disparition de l'école de base dans toutes les zones rurales abandonnées par l'État. Les normaliens font donc de la résistance depuis plusieurs années, payant un lourd tribut : 2200 d'entre eux ont été arrêtés depuis 2000.
http://normalesruralesenreexistencia.files.wordpress.com/2013/11/img_1933.jpg Les luttes des normaliens sont des luttes de survie, donc violentes. Les lieux et objets emblématiques de ces luttes sont les autobus, les péages d'autoroutes et les boîtes en fer blanc. Explications : les normaliens ont en permanence la fringale et le ventre vide, vu que le gouvernement leur coupe les vivres. Ils sont obligés de financer eux-mêmes leurs déplacements entre les écoles où ils sont internés, leur lieu d'origine et les localités où ils font leurs stages. Ils récupèrent donc des autobus privés ou publics, occupent – "libèrent" - des péages d'autoroutes, dont ils demandent aux préposés de dégager et démontent les caméras de surveillance et organisent des "coperachas", des collectes d'argent, parfois un peu trop insistantes, ce qui déclenche parfois des bagarres généralisées, par exemple avec les chauffeurs de taxis collectifs, de bus ou de camions qui s'insurgent contre ce "racket". Les malheureux chauffeurs ont des circonstances atténuantes: ils sont déjà soumis aux exigences de "mordida" (orig. morsure), le bakchich traditionnel prélevé sous tout prétexte par les policiers, et au racket des gangs criminels. Mais le plupart des gens sollicités acceptent sans problèmes de mettre un petit billet dans les boîtes de conserves tendues par les normaliens en lutte, qui pourraient être leurs enfants ou leurs petits frères.


Venons-en à Iguala de la Independencia. C'est une ville de 120 000 habitants, à mi-chemin de Mexico et d'Acapulco. Elle est entrée dans l'histoire puisque c'est là que fut signé et proclamé le Plan d'Iguala, déclaration d'indépendance du Mexique, fruit d'un accord entre Iturbide, le monarchiste qui se voulait empereur et Guerrero, le libéral, républicain et franc-maçon. Et c'est à Iguala, en ce même jour historique du 24 février 1821, que le tailleur et coiffeur José Magdaleno Ocampo inventa le drapeau mexicain. Jamais depuis la conquête espagnole Iguala n'avait si peu mérité son nom originel en langue nahuatl (la langue des Aztèques) de yohualcehuatl, qui signifie "là où la nuit apporte la sérénité".
Ce qu'a apporté la nuit du vendredi 26 au samedi 27 septembre 2014 à Iguala, a été tout le contraire de la sérénité. Dans l'après-midi, les normaliens en lutte de l'École normale rurale Raúl Isidro Burgos d' Ayotzinapa, à 126 km de là, étaient arrivés en ville pour collecter de l'argent afin de financer leur déplacement collectif vers la capitale, pour y participer à la grande manifestation prévue le jeudi 2 octobre, en commémoration du massacre de Tlatelolco. Le 2 octobre 1968, plusieurs centaines d'étudiants en lutte de la capitale avaient été massacrés par des snipers des escadrons de la mort sur la Place des Trois-Cultures. Ce traumatisme n'a jamais été guéri, le crime étant resté impuni à ce jour, 46 ans plus tard. Symbole de la criminalité du pouvoir en place, Tlateloco déclenche une prise de conscience qui conduit certains militants étudiants à rejoindre la voie de la lutte armée, dans laquelle divers militants se sont engagés durant les années 1960. Parmi eux Lucio Cabañas et Genaro Vázquez, étudiants de cette même école d'Ayotzinapa. Lucio fonda le Parti des Pauvres et tomba au combat le 2 décembre 1974, âgé de 36 ans. Genaro, plus âgé que lui (il avait 7 ans de plus) et avec une déjà longue expérience de lutte syndicale, passa à la lutte armée en 1968, après avoir été libéré de prison par ses camarades, créant l'Asociación Cívica Nacional Revolucionaria (ACNR). Il est mort le 2 février 1972 à Morelia, dans des circonstances restées mystérieuses à ce jour : il semble qu'il ait été laissé mourir par les militaires qui avaient découvert son identité suite à un accident de voiture dans lequel il avait été gravement blessé.

Cabañas et Vázquez sont considérés comme des héros, au même titre que Che Guevara ou Emiliano Zapata, par les normaliens en lutte d 'aujourd'hui Ce vendredi-là, les normaliens se retrouvent en plein Iguala face aux policiers municipaux accompagnés de tueurs du gang criminel Guerreros Unidos, sous les yeux de militaires et de policiers fédéraux complices, qui laisseront faire. Les tueurs attaquent et tirent. Les normaliens se dispersent, les tueurs les poursuivent. Bilan de la nuit : 6 morts, 17 blessés graves et une soixantaine de normaliens disparus, c'est-à-dire kidnappés par les escadrons de la mort. La réaction de toute la société mexicaine est un mélange d'indignation et de résignation rageuse. Tout le monde se met à enquêter : la "justice" – le procureur ordonne l'arrestation de 22 policiers municipaux -, les citoyens, les médias. Quelques jours plus tard une douzaine de kidnappés réapparaissent, vivants. On vient de retrouver les corps des 43 autres, brûlés, dans 6 fosses communes.

Les travailleurs de l'Ecole normale d'Ayotzinapa exigent :
-le châtiment des assassins de normaliens
-la destitution des fonctionnaires complices
Ayotzinapa unie jamais ne sera vaincue

Entretemps, les normaliens ont participé activement et en masse au grand rassemblement du 2 octobre sur le Zócalo de Mexico en commémoration de Tlatelolco.
Zócalo, 2 octobre. Photos Argelia Zacatzi Pérezmezcali
Les normaliens exigent de revoir en vie leurs camarades disparus
Por mi raza hablará el espíritu (« pour ma race parlera l'esprit »), la devise de l'Université nationale autonome du Mexique forgée par l'écrivain José Vasconcelos qui en fut le recteur de 1920 à 1921. La « race » fait référence à la « race cosmique » décrite par Vasconcelos, celle issue, en Amérique latine, du métissage de deux cultures (européenne et amérindienne). Elle n'a rien à voir avec le "concept" européen de "race"

Pour demain mercredi 8 octobre, est prévue au même endroit une grande manifestation contre la boucherie d'Iguala, qui s'ajoute à la longue liste qui va de Tlateloclo à Acteal, en passant par Aguas Blancas en 1995 et le massacre d'étudiants dit du Jour de Corpus Christi, le 10 juin 1971, effectué par le groupe clandestin des Halcones, les "faucons" formés par la CIA, crime pour lequel le président d'alors, Luis Echeverría Álvarez, inculpé en 2005, a bénéficié d'un non-lieu pour "absences de preuves" en 2009. Faudra-t-il attendre l'an 2048 pour que des poursuites soient engagées contre le président Enrique Peña Nieto, auquel les deux premiers responsables du massacre d'Iguala sont étroitement liés ?

Ces deux hommes sont :
-        le maire d'Iguala, actuellement "en fuite" et recherché par Interpol : après avoir donné l'ordre à ses sbires de tirer sur les normaliens, dans la soirée, il est allé danser. "Y el señor andaba bailando", commentait une présentarice de télévision. L'homme a le profil classique du "parapolitique" mexicain du XXIème siècle. José Luis Abarca Velázquez  a commencé comme marchands de sombreros sur les marchés, puis s'est retrouvé à la tête de grands supermarchés et d'autres entreprises lucratives. L'explication du mystère de son enrichissement est simple : c'est un blanchisseur d'argent du crime organisé. Avec cet argent, il a pu s'acheter un poste de maire après s'être acheté une place au PRD, le parti de la "Révolution démocratique", qui mérite ses guillemets car il n'est qu'un PRI bis, c'est-à-dire, une machine mafieuse de pouvoir (remarque en passant : les 2 partis sont membres de l'Internationale socialiste, lisez ceci si vous cherchez encore de bonnes raisons de vous foutre en colère. Mais bon, l'IS a quand même attendu le 17 janvier 2011 pour exclure le RCD du dictateur tunisien ben Ali, trois jours après chute et sa fuite, et le 31 janvier 2011 pour exclure le PND de Moubarak, 12 jours avant la chute de celui-ci). Le PRD a bien sûr exclu Abarca de ses rangs…il y a deux jours, ce qui fait rire jaune les Mexicains. Je vous mets sa photo, au cas où vous le croiseriez, Interpol vous donnera une récompense. Sa page existe toujours sur Facebook, où son dernier post, en date du 29 septembre, souhaite un bon dimanche à ses administrés. Vous pouvez écrire à Mark Zuckerberg pour lui demander de supprimer cette page, puisque c'est celle d'un criminel recherché par Interpol…
-        Le gouverneur du Guerrero, Ángel Aguirre Rivero, lui aussi, bien sûr "militant" du PRD et élu en 2011. Lui aussi lié aux Guerreros Unidos, le gang local de narcotueurs  et a pratiqué les retours d'ascenseur avec Abarca, ce qui est normal puisqu'ils mangeaient au même râtelier. Voici deux photos du bonhomme: la première, photoshopée, de sa campagne électorale de 2011 et la seconde, qui le montre sous son vrai visage. Notez l'impudence du candidat, qui a carrément utilisé comme message de sa campagne le subliminal "Unidos transformaremos Guerrrero" (Unis nous transformerons Guerrero), qui évoquait immédiatement ses narcocriminels d'amis, protecteurs et financeurs, les Guerreros Unidos.
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