mardi 27 avril 2010

Grand Jeu-devinette

"Il aime la gloriole, le pompon, l’aigrette, la broderie, les paillettes, les grands mots, les grands titres, ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir. Il a pour lui désormais l’argent, l’agio, les banques, la bourse, le comptoir, le coffre-fort, et tous les hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y à enjamber que la honte"
Non, il ne s'agit pas de Quivouscroyez, mais de Napoléon III, alias Napoléon le Petit, décrit par Victor Hugo !

mardi 20 avril 2010

Hasbara ou Za'bara

par Salman ABU SITTA سلمان ابو ستة, Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
Pour maintenir une façade de code moral, vous ne tuez pas un ami, vous tuez un ennemi. Vous ne dérobez pas la maison d'un autre homme, vous récupérez votre propriété oubliée depuis longtemps. Ce sont les principes adoptés dans toutes les guerres et tous les conflits. C'est pourquoi la mission de l'agresseur a toujours été de décrire la cible à tuer, c'est-à-dire l'ennemi, comme une personne ou un groupe mauvais, méchant, méritant d'être vaincu, et s'il est tué, cela sera une fin naturelle pour son mauvais comportement. De même, la mission de l'occupant a été de prétendre qu'il n'est pas en train de voler quelqu'un d'autre mais simplement en train de récupérer son  bien, ce qu’il avait négligé de faire depuis des siècles.
Personne n’a autant perfectionné cet art de la tromperie, ou du double langage, que les agents sionistes. Comment expliquer autrement le succès d'un Hongrois comme Herzl, assis dans un café de Vienne, et professant qu’un État  des Juifs serait établi dans 50 ans dans un pays lointain, où il n'avait jamais vécu ? Son succès, presque uniquement en Europe à l'époque, s’est manifesté par le fait qu’il a réussi à convaincre les puissances coloniales des avantages qu’il y aurait à soutenir son projet colonial et à convaincre leurs peuples, les Européens, que cette conquête, - par le meurtre, le pillage et la mise d'un peuple dans le dénuement – était le fait d’une volonté divine, un miracle et une victoire pour la civilisation occidentale.
Nul n'a eu à créer créer autant de mythes et de mensonges dans ses efforts que les sionistes. La raison est simple: ils n’avaient pas de faits crédibles pour étayer leur cause, ils ont donc dû inventer des alternatives douteuses, en s'appuyant sur la disposition à les croire de gens crédules et de politiciens opportunistes.
Prenez le slogan: “La Palestine est une terre sans peuple”. C’était une terra nullius, disent-ils. Bien entendu, les sionistes savaient que des gens y vivaient et avaient construit plus de 1000 villes et villages, la plupart vieux de 2000 ans, selon Eusèbe l'évêque de Césarée (313 ap. JC) qui les a enregistrés. Pourtant, les sionistes ont fourni une carte à la Conférrence de paix de Versailles en 1919, montrant la Palestine comme ”une terre de pâturage pour les nomades”. Ils ont présenté cette carte aux puissances coloniales, en particulier les Britanniques et les Français. L'ironie, bien sûr, c'est que les Britanniques avaient conclu leur enquête volumineuse sur la Palestine, 40 ans plus tôt , en 10 volumes, énumérant 12 000 sites historiques, dont des villes et des villages, et les Français avaient conclu leur enquête, menée par le savant Victor Guérin, en 1863, qui a produit 8 volumes sur son voyage dans presque tous les villages palestiniens. Pourtant, ils ont choisi de croire les sionistes et de tromper leur public pour soutenir cette “noble et morale " conquête, dans les églises, les journaux et les débats publics.
Quel est donc le sens de terra nullius? Cela ne veut pas dire (pour eux) une terre vide. Cela veut dire que ceux qui y vivent n'ont pas d'importance, ils ne valent rien. C'est comme nettoyer les bois de broussailles sèches et d’ insectes.
Voici les paroles exactes de Herzl :
    "Si nous entrons dans une région où il y a des animaux sauvages auxquels les Juifs ne sont pas habitués - grands serpents etc - je vais utiliser les indigènes, avant de leur donner un emploi dans les pays de transit [lire: expulsion], pour l'extermination de ces animaux. "
Bien sûr, il n’a pas écrit cela dans son livre publié, mais seulement dans son journal alors inédit.
Balfour l'a dit:
    "... En Palestine, nous ne proposons même pas de passer par la formalité de la consultation des souhaits des habitants actuels du pays. Le sionisme [a] un impact plus profond que les désirs et les préjugés [pas les droits] des 700.000 Arabes qui habitent actuellement cette terre ancienne. "
Comment ce projet colonial en Palestine était-il emballé dans le  langage diplomatique? Dans la Déclaration Balfour, on appelle cela un “foyer national” pour les Juifs - pas un État visant à l'exclusion des habitants du pays - en Palestine, et non pas de Palestine. Quid de ces habitants? Bien sûr, il y a une référence à eux: "sans préjudice pour les communautés non-juives existant en Palestine”, 92% de la population. Voilà une idée d’après-coup vraiment civilisée.
Si votre maison et votre famille sont menacées par une flot importun d’ immigrants  (juifs européens),  et que vous vous levez pour le combattre, vous êtes appelé un “bandit”. Votre maison est détruite, vos reserves sont brûlées, votre fils et votre père sont tués ou emprisonnés. C'est ce que les Britanniques ont fait en 1939.
Dix ans plus tard, quand les sionistes ont dépeuplé 675 villes et villages palestiniens et commis plus de 70 massacres, pendant le nettoyage ethniques de la Nakba, certaines personnes naturellement tenté de rentrer chez elles, au moins pour secourir un vieux père, pour arroser le jardin ou pour nourrir les animaux laissés sur place. Personne ne croyait que l'exil durerait plus de quelques semaines. Ces rapatriés ont été tués par les Israéliens sur place. Des plaintes ont été déposées au Comité mixte d'armistice disant que les victimes étaient des "infiltrés", par les mêmes personnes qui s’étaient “infiltrées” en Palestine à peine  quelques années plus tôt.
Ainsi, la sagesse conventionnelle veut que ceux qui ont abordé les cotes de Palestine à bord d'un bateau de contrebandiers dans l'obscurité de la nuit ne sont pas des “infiltrés”, ils sont les maîtres de la terre, et les propriétaires réels de la maison qui ont été expulsés de leurs foyer et ont essayé de rentrer chez eux sont “les infiltrés”.
Vingt mille cinq cents jours plus tard, cette ruse est toujours appliquée. Au moment de la rédaction de ce texte, Israël a émis l'ordonnance militaire n ° 1650 (Deuxième amendement) en vertu de laquelle soixante-dix mille Palestiniens résidant en Cisjordanie et originaires d'autres parties de la Palestine sont susceptibles d'être déportés comme “infiltrés”. Par analogie, un Italien de Naples trouvé à Rome, sous l'occupation nazie durant la Seconde Guerre mondiale aurait été susceptible d’être expulsé vers l'Albanie comme “infiltré”. Il faut admettre que le crime de nettoyage ethnique, régulièrement qualifié par la machine de propagande israélienne de "transfert de population”, a atteint de nouveaux sommets de sophistication. Il est maintenant appelé« prévention de l'infiltration ».
 
La hasbara - هاسباراه-הסברה – n’est que de la Za'bara- زعبرة


On raconte souvent l’histoire d’ Ain Haoud, un charmant petit village au sud de Haïfa, aux belles maisons de pierre. Sa population a été expulsée, mais elle a réussi à rester en Israël. Ils ont construit des cabanes sur la colline opposée, en regardant tous les jours leurs maisons, aujourd'hui occupées par des artistes en provenance de Roumanie qui ont transformé le village en “colonie d’artistes”. Leurs terres et leurs maisons ont été confisquées en vertu de la Loi de 1950 sur la Propriété des Absents. Les "Absents", ce sont les réfugiés expulsés.
La logique est que l'État d'Israël prend la propriété de ceux qui sont «absents», parce qu'ils «abandonné» leurs biens, sans doute pour passer un exil doré sur la Côte d'Azur, et pas dans un camp de réfugiés. Il est donc du devoir d'un État "démocratique" de prendre soin de leurs biens (les utiliser, les louer) pour le compte exclusif de Juifs. Cette logique exclut le fait qu'ils sont absents parce qu'ils ont été expulsés. S’ils revenaient, ils seraient abattus comme “infiltrateurs”.
L'ironie n'a pas de fin. Si d’une manière ou de l’autre les habitants du village sont restés dans la zone conquise par Israël, ils doivent être recensés et recevoir des cartes d'identité. Par conséquent, ils sont “presents”. Mais leurs biens doivent être confisqués parce qu'ils sont “absents”. Par conséquent, ils ont reçu l'appellation d’“absents-présents", un veritable oxymore.
On ne finit jamais de s’étonner. Un de ces "absents-présents" d’Ain Haoud n’en pouvait plus. Alors, un jour, il se dirigea vers la colline d’en face et frappa à la porte de sa maison. Un artiste roumain lui ouvrit. Le propriétaire lui demanda qui il était :
    - Je suis Ephraim
    - D’ùù êtes-vous, Ephraïm?
    - D’ici, bien sûr, d’Ain Haoud. Pourquoi posez-vous cette question? Et vous êtes qui, vous ?
    - Je suis Abou Ahmed, de Roumanie.
Le nettoyage ethnique massif de la Palestine, qui a eu lieu en 1948/49, l'année de la  Nakba (Catastrophe), sans précédent dans l'histoire moderne, doit avoir dans le lexique sioniste un nom approprié qui cache sa laideur. Ils ont appelé cela "Guerre d'Indépendance», qui est précisément ce dans quoi les Palestiniens ont été engagés depuis la Déclaration Balfour de 1917, c’est-à-dire depuis la trahison des Alliés et leur  collusion avec les sionistes pour les priver de leur patrie. Ce terme sioniste a été adopté, par des immigrants juifs qui ont infiltré la Palestine, pour décrire le nettoyage ethnique des premiers habitants de la Palestine. Il a été largement accepté par l'Occident. Heureusement, maintenant des  fissures ont commencé à apparaître dans cet édifice de tromperie. Maintenant, il est contraire à la loi en Israël de parler de Nakba. Le monopole reste exclusivement à la tromperie.
La ligne verte est le terme souvent utilisé pour décrire la ligne qui sépare Israël et le Territoire palestinien occupé (TPO) de Cisjordanie et Gaza. Qu'est-ce que cette ligne? Pourquoi est-elle verte ? Son vrai nom est “ligne d'armistice de 1949”. Il s'agit de la ligne sur laquelle les forces israéliennes d’invasion se sont arrêtées en 1949, ayant conquis 78% de la Palestine. Ce fut un grand bond par rapport aux 5,5% de terres appartenant à des Juifs sous le Mandat (britannique) et plus de 24% par rapport à la répartition proposée par le plan de partition (de l’ONU). Israël a signé 4 accords d'armistice avec des pays arabes. L’ article 2 de ces accords inidque clairement que cette ligne ne confère ni ne dénie aucun droit à l'une des parties et n'a pas de valeur juridique. Aucune force militaire n’est autorisée à la franchir, d'où l'armistice. C’ est tout simplement une ligne de séparation entre la Palestine qui a été occupée en 1948 de celle occupée en 1967. Israël l’a franchie en 1967, en violation du droit international. Pour occulter le sens juridique de la ligne et de son franchissement, elle a été surnommée par Israël la Ligne verte, la couleur du crayon utilisé par les Israéliens sur leurs cartes. Ce dispositif simple consistant à renommer la ligne permet à Israël d’impliquer dans sa machine médiatique qu'il n'a violé aucun droit et n'a conquis aucun territoire. Ainsi, Netanyahou peut annoncer froidement dans des interviews à CNN que les Juifs devraient être capables de vivre n'importe où (en Palestine) sans crainte de contradiction. Maintenant, Israël a carrément supprimé cette ligne de ses cartes.
Comment voler un gâteau tout entier et le manger ? Vous devez d'abord voler la moitié d'un gâteau. En l'absence de dissuasion, vous volez l'autre moitié. Vous mangez tout le gâteau dans le cadre du «principe» que les deux moitiés doivent être «unifiées» (dans votre estomac).
Israël a occupé Jérusalem-Ouest en 1948 et  Jérusalem-Est en 1967. Israël a affirmé que la ville doit rester “unifiée” sous son contrôle. Le mantra de “l'unification” est destiné à dissimuler le fait que les deux actes sont non seulement illégaux au regard du droit international, mais que, chose surprenante, ils sont contraires aux lois fondatrices d'Israël.
La Déclaration d’ «'indépendance» d’Israël mentionne que sa légitimité internationale, si faible qu'elle soit, repose sur les recommandations du Plan de partition. Mais ce plan n’a jamais placé Jérusalem en Israël. Israël a occupé Jérusalem-Ouest, Lydda, Ramleh, la Galilée et des parties du sud en violation du Plan de partition. L'admisssion d’Israël à l'ONU était subordonnée à la condition qu’il se conforme au Plan de partition et à la résolution sur le retour des réfugiés. Il ne s’y est jamais conformé. Inutile de dire que l'occupation de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, est une violation claire de “l'inadmissibilité de la conquête militaire”. Pourtant, “l'unification de Jérusalem” est claironnée par Israël et l'AIPAC comme la justification pour construire n'importe où (pour les juifs seulement) "dans la capitale éternelle d'Israël, qui n'est pas une colonie".
De même, l'occupation de la Cisjordanie est étiquetée “libération de la Judée et la Samarie”. Le Mur de l'Apartheid, condamné par la Cour internationale de Justice, est nommé “clôture de sécurité”. Le redéploiement des forces d'occupation est décrit comme " retrait ".
Rien n'est plus trompeur que le retrait de la bande de Gaza. Israël contrôle ce territoire, son ciel, son sous-sol et ses alentours. La famine organisée à Gaza a été décrite par des responsables israéliens comme une “mise au régime de la population", un nouveau genre de mort lente conçue pour ne pas  faire les manchettes des journaux du monde.
Le vrai nom de cette tragédie est “crimes de guerre” et “genocide” au sens des articles 6 et 8 du Statut de Rome de 1998 créant la Cour pénale internationale. Ces deux articles décrivent exactement la situation à Gaza.
Les Palestiniens de Gaza se sont vu promettre de l'eau, de la nourriture, des soins médicaux et une levee (partielle?) du blocus  s’ils se pliaient aux conditions du Quartet: reconnaître les occupants israéliens et cesser la résistance contre eux. Blair n'a pas épargné un microphone pour y bêler que  4,5 milliards $ sont en attente pour la reconstruction de Gaza détruite, à la seule condition que les Palestiniens acceptent les conditions du Quartet.
Blair est un menteur patenté. Les médias l'ont cru ou ont fait semblant. Aucun responsable, aucun journaliste, aucun “expert” avisé ne lui dit qu'il ment. Un seul homme. Alvaro de Soto, le médiateur de l'ONU, dans son rapport de fin de mission, en mai 2007, dit au paragraphe 79, que le Quartet n'a jamais imposé aucune condition. Ce sont des conditions usaméricaines et de l'Union européenne en fonction de leur propre politique, utilisant les Nations unies et la Russie comme bouclier de leurs exigences.
Un nom familier sur les écrans de télévision est Sderot, la colonie israélienne, victime de projectiles lancés par des tubes de cuisine qui ont brisé une fenêtre et tué une personne en 8 ans. Le maire de Sderot exprime sa crainte perpétuelle de l'incroyablement bondée bande de Gaza, berceau du terrorisme, et est visité par des dignitaires de capitales européennes et du Congrès usaméricain.
Aucun de ces dignitaires ne sait, ou ne  souhaite déclarer que Sderot est une colonie construite sur les terres du village de Najd, dont la population vit expulsée à seulement deux kilomètres de là, dans un camp de réfugiés. Ils lancent leurs projectiles maison sur leurs propres terres, sur leurs occupants, dans un geste symbolique pour faire valoir leur droit à leurs maisons dans le territoire occupé.
Les dignitaires se lamentent sur les conditions de surpeuplement dans la bande de Gaza, la misère, la pauvreté et le désespoir. Ils hochent tristement la tête. Les plus courageux se rendent à Gaza en visite-éclair de deux heures, sans contact avec les vrais gens, blottis derrière des fonctionnaires de l’agence de secours de l'ONU, pour leur éviter d'être dévorés par les habitants affamés.
Un seul de ces visiteurs de marque a-t-il jamais demandé pourquoi la bande de Gaza est bondée et misérable? Elle  est bondée car c'est là que la population de 247 villages palestiniens, victimes du nettoyage ethnique en 1948, a été entassée dans une prison à ciel ouvert sur une superficie de 1 % de la Palestine. Ils sont entassés à une densité de 6000 personnes par kilomètre carré tandis que le maire de Sderot & Co.. se baladent sur des terres ayant une densité de 6 personnes par kilomètre carré.
Laissez-les retourner sur leur terre et vous n'aurez pas de surpeuplement, pas de la pauvreté et pas de “terrorisme”. Si l’idée ne vous plait pas, donnez-leur ce que les Israéliens ont : des F16 et des chars Merkava. Le “terrorisme” s'arrêtera et une jolie petite guerre pourra commencer.
Israël se donne la licence de détruire tout village et tuer ses habitants sous la rubrique ”opérations préventives”, parfois appelées “représailles”. Selon ce principe, vous êtes autorisé à penser que votre voisin a l'air méchant et qu'il pourrait un jour décider de vous tuer. Vous décidez donc de prendre des mesures pour le prendre par surprise et le tuer. Vous n'avez pas besoin de voir des tanks avancer. Vous n'avez besoin d’aucune preuve. Votre état d'esprit est suffisant, surtout si vous êtes un raciste. C'est l'explication donnée par Israël pour les massacres dans le camp de Bureij, à Qibya, Samou et une douzaine d'autres endroits. Cette politique est entrée dans la langue de la diplomatie internationale comme un mot respectable. On peut la voir s’étaler aux manchettes des journaux, même si elle est en violation flagrante de l'esprit et de la lettre de la Charte des Nations Unies.
À partir des exemples ci-dessus, il est clair que la manipulation des médias et la terminologie chargée sont l'armée secrète des sionistes. Ce genre d'armée ne peut pas être épinglé par Goldstone, Dugard ou Falk. Mais elle commet des crimes tout comme l’autre armée.
La Hasbara, la fabrication de l'image d’un Israël à la blancheur de lys, est un art raffiné. Ses outils ont été exposés récemment dans le manuel secret de Hasbara d’ Israel Project:
http://www.richardsilverstein.com/tikun_olam/2009/07/10/the-israel-projects-secret-hasbara-handbook-exposed/    
Pas besoin de déveloper plus. Mais pour ceux qui sont désireux de connaître les faits, et ils sont heureusement de plus en plus nombreux, pour ces braves gens du monde entier qui sont guidés par leur sens moral et pour les Palestiniens, bien sûr, les porteurs de la charge de vérités indicibles, pour tous ceux-là, la Hasbara israélienne est le mieux décrite par un mot arabe homophone : Za'bara, qui signifie: des mots sonores vide de sens et alambiqués.
 
Le monde sera un meilleur endroit, et la justice aura une chance de l'emporter, quand la Hasbara sera reconnue pour ce qu’elle est vraiment: une pure Za'bara. Lorsque la vérité resplendit, elle dissipe les nuages des mythes.



 Pour lire d'autres articles de cette Première guerre mondiale des mots, cliquez ici 
La Première guerre mondiale des mots est une initiative de Palestine Think Tank et Tlaxcala.

Les auteurs souhaitant y participer peuvent envoyer leurs contributions à 
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Source : Hasbara or Za’bara
Article original publié le 16/4/2010
Sur l’auteur

Tlaxcala
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samedi 17 avril 2010

Ma marche avec les camarades-Plongée au cœur de la guérilla indienne

Des Gandhiens armés de fusils ? L'écrivaine indienne a voulu en avoir le cœur  net
un reportage d'Arundhati ROY अरुणधती राय paru dans l'hebdomadaire indien Outlook India le 29/3/2010. Traduction du Secours Rouge (Belgique), éditée par Fausto Giudice. Suivi d'une interview de l'auteure.


En février 2010, de manière inopinée, Arundhati Roy a décidé de se rendre dans les circonscriptions interdites des forêts de Dandakaranya du centre de l’Inde, berceau d’un mélange de tribus, dont beaucoup de membres ont pris les armes contre les grandes sociétés minières, l’Etat et leurs diverses polices et milices. Elle a enregistré en détail la première ‘rencontre’ journalistique directe avec les guérilleros armés, leurs familles et camarades, avec lesquels elle a ratissé les forêts durant des semaines à ses propres risques et périls.
Cet essai a été publié le 29 mars 2010 dans le ‘Outlook Magazine’ de Delhi et traduit par les soins du Secours Rouge de Belgique. Toutes les notes de bas de page sont de la traductrice. Les notes entre crochets dans le corps du texte sont de l'éditeur de Tlaxcala.

Rendez-vous à Dantewada: Roy avec des combattants
La note sommaire tapée à la machine glissée sous ma porte dans une enveloppe scellée a confirmé mon rendez-vous avec la Plus Grande Menace pour la Sécurité Intérieure de l’Inde [1]. Cela faisait des mois que j’attendais d'avoir de leurs nouvelles.
Je devais me trouver au temple Ma Danteshwari de Dantewara, dans l’Etat du Chhattisgarh, à n’importe lequel des quatre moments donnés sur deux jours. C’était ainsi pour tenir compte du mauvais temps, des crevaisons, des blocus, des grèves du transport et de la pure malchance. La note disait : « L’écrivain devra avoir un appareil photo, un tilak (marque sur le front des Hindous) et une noix de coco. La personne à rencontrer aura une casquette, le magazine ‘Hindi Outlook’ et des bananes. Mot de passe : Namashkar Guruji ».
Namashkar Guruji. Je me demandais si elle attendrait un homme. Et si je devais me procurer une moustache.
Il y a beaucoup de façons de décrire Dantewara. C’est un oxymore. C’est une ville frontalière posée violemment au cœur de l’Inde. C’est l’épicentre d’une guerre. C’est une ville renversée, à l’envers.

Ombres rouges : célébrations, fusil Sten sur l'épaule,  du centenaire du soulèvement adivasi dans le Bastar
À Dantewara, la police porte des vêtements quelconques et les rebelles portent des uniformes. Le directeur de la prison est en prison. Les prisonniers sont libres (300 d’entre eux se sont échappés de la prison de la vieille ville il y a deux ans). Les femmes qui ont été violées se trouvent en garde à vue. Les violeurs font des discours au bazar.
En face de la rivière Indravati, dans la région contrôlée par les maoïstes se trouve l’endroit que la police appelle ‘Pakistan’ [2]. Là, les villages sont vides, mais la forêt est pleine de gens. Les enfants qui devraient être à l’école courent dans la nature. La guerre mortelle qui se déroule dans la jungle, est une guerre dont le gouvernement est à la fois fier et effrayé.
L’Opération Green Hunt a été à la fois proclamée et niée. P. Chidambaram, Ministre de l’Intérieur de l’Inde (et qui dirige cette guerre) dit qu’elle n’existe pas, que c’est une invention médiatique. Et cependant, des fonds considérables lui ont été attribués et des dizaines de milliers de policiers et paramilitaires sont mobilisées pour elle. Bien que le théâtre de la guerre soient les jungles du centre de l’Inde, elle aura des conséquences pour nous tous.
Si les fantômes sont les esprits persistants de quelqu’un, ou de quelque chose qui a cessé d’exister, alors peut-être que la nouvelle autoroute à quatre voies qui s’écrase dans la forêt est le contraire d’un fantôme. Peut-être que c’est le présage de ce qui doit encore arriver.
Les antagonistes dans la forêt sont différents et inégaux à presque tous les niveaux. D’un côté, il y a une force paramilitaire massive, armée avec l’argent, la puissance de feu, les médias et la démesure d’une superpuissance émergente.
De l’autre côté, il y a des villageois ordinaires armés d'armes traditionnelles, soutenus par la force de combat d’une guérilla maoïste superbement organisée et grandement motivée, avec une histoire extraordinaire et violente de rébellion armée. Les maoïstes et les paramilitaires sont de vieux adversaires qui ont combattu leurs vieux avatars respectifs plusieurs fois dans le passé : à Telegana dans les années 50, dans le Bengale occidental, le Bihar, à Srikakulam dans l’Andhra Pradesh à la fin des années 60 et dans les années 70, et puis encore dans l’Andhra Pradesh, le Bihar et le Maharashtra depuis les années 80 et tout le temps jusqu’à aujourd’hui.
Ils connaissaient bien les tactiques des uns et des autres, et ont étudié de près les manuels de combat des uns et des autres. A chaque fois, il a semblé que les maoïstes (ou leurs avatars précédents) n’avaient pas seulement été battus, mais littéralement, physiquement exterminés. Chaque fois, ils sont réapparus, plus organisés, plus déterminés et plus influents que jamais. Aujourd’hui une fois encore, l’insurrection s’est répandue à travers les forêts riches en minerais du Chhattisgarh, du Jharkhand, de l’Orissa et du Bengale occidental - patrie de millions de tribaux indiens, pays de rêve du monde de l’entreprise.
 
Il est plus facile pour la conscience libérale de croire que la guerre dans les forêts est une guerre entre le gouvernement et les maoïstes, qui qualifient les élections de comédie, le parlement de porcherie et qui ont ouvertement déclaré leur intention de renverser l’Etat indien. Il est commode d’oublier que les populations tribales du centre de l’Inde ont une histoire de résistance qui date de plusieurs siècles avant Mao (C’est bien sûr une banalité : si elles n’avaient pas cette histoire, elles n’existeraient plus !). Les Ho, les Oraon, les Kols, les Santhals, les Mundals et les Gonds se sont tous rebellés plusieurs fois, contre les Britanniques, les zamindars (percepteurs de l’impôt à l’époque des empereurs [3] et les usuriers.

Les habitants du villagede Kudur  protestent contre le barrage de Bodhghat : ‘Le Bastar n'apartient pas aux capitalistes, il est à nous ! ’
Les rébellions ont été cruellement écrasées, plusieurs milliers de personnes tuées, mais la population n’a jamais été conquise. Même après l’indépendance, les populations tribales ont été au cœur du premier soulèvement qui pourrait être qualifié de maoïste, dans le village de Naxalbari au Bengale occidental (où le mot naxalite - aujourd’hui utilisé de manière interchangeable avec ‘maoïste’ - trouve son origine). Depuis lors, les politiques naxalites ont été inextricablement mêlées aux soulèvements tribaux, ce qui en dit long sur les tribaux autant que sur les naxalites. L’héritage de cette révolte a laissé derrière lui une population furieuse qui a été délibérément isolée et marginalisée par le gouvernement indien. La Constitution indienne, fondement moral de la démocratie indienne, a été adoptée par le parlement en 1950. Cela a été un jour tragique pour les peuples tribaux. La Constitution a approuvé la politique coloniale et a fait du gouvernement le gardien des patries tribales. Du jour au lendemain, elle a transformé l’ensemble de la population tribale en squatters de leur propre terre. Elle les a privés de leurs droits traditionnels sur les produits forestiers, elle a criminalisé toute une manière de vivre.

En échange du droit de vote, elle les a spoliés de leur droit à la subsistance et à la dignité. Les ayant dépossédés et poussés dans une spirale descendante de l’indigence, par un tour de passe-passe cruel, le gouvernement a commencé à utiliser leur propre misère contre eux. A chaque fois qu’il a eu besoin de déplacer une vaste population - pour des barrages, des projets d’irrigation, des mines - il a parlé ‘d’adapter les tribaux àla tendance dominanteou de leur donner ‘les fruits du développement moderne’. La grande majorité des dizaines de millions de personnes déplacées (plus de 30 millions rien que pour les grands barrages), réfugiés du ‘progrès’ indien, sont des tribaux. Lorsque le gouvernement commence à parler de bien-être pour les tribaux, il est temps de s’inquiéter.

Le jour du Bhumkal: Face à face avec "la plus grande menace pour la sécurité de l'Inde "
L’expression de la préoccupation la plus récente est venue du Ministre de l’Intérieur qui dit qu’il ne souhaite pas une population tribale vivant dans un ‘musée des cultures’. Le bien-être des tribaux ne semblait pas être une telle priorité durant sa carrière d’avocat des sociétés, représentant les intérêts de plusieurs entreprise minières majeures. Cela pourrait être une idée pour mieux comprendre les fondements de sa nouvelle angoisse. Au cours de ces cinq dernières années environ, les gouvernements du Chhattisgarh, du Jharkhand, de l’Orissa et du Bengale occidental ont signé des centaines de MOU (Memorandum of Understanding - Protocole d'entente) avec des sociétés pour plusieurs milliards de dollars, tous secrets, pour des aciéries, des usines d’éponges de fer [4], des usines d’énergie, des raffineries d’aluminium, des barrages et des mines. Afin que ces MOU se transforme en argent, les tribaux doivent être déplacés.
Par conséquent, cette guerre.
Lorsqu’un pays qui s’appelle lui-même une démocratie déclare ouvertement la guerre au sein de ses propres frontières, à quoi ressemble cette guerre ? La résistance a-t-elle une chance quelconque ? Devrait-elle en avoir une ? Qui sont les maoïstes ? Sont-ils simplement des nihilistes violents fourguant une idéologie démodée aux populations tribales, les poussant à une insurrection sans espoir ? Quelles leçons ont-ils appris de leur expérience passée ? La lutte armée est-elle intrinsèquement non démocratique ? La Théorie du Sandwich - des tribaux ‘ordinaires’ coincés entre le feu de l’Etat et celui des maoïstes - est-elle une théorie exacte ? Les ‘maoïstes’ et les ‘tribaux’ sont-ils deux catégories totalement distinctes comme cela est affirmé ? Leurs intérêts convergent-ils ? Ont-ils appris quoi que ce soit l’un de l’autre ? Se sont-ils changés l’un l’autre ?
La veille de mon départ, ma mère a appelé, ele semblait fatiguée. « J’ai pensé » a-t-elle dit, avec un instinct maternel étrange, « que ce dont ce pays a besoin, c’est d’une révolution ».
Un article sur internet dit que le Mossad   israélien est en train de former 30 officiers de haut gradés  de la police indienne aux techniques des assassinats ciblés, pour décapiter l’organisation maoïste. Il y a une discussion dans la presse à propos du nouveau matériel qui a été acheté à Israël : détecteurs télémétriques à laser, équipement d’imagerie thermique et les drones si populaires grâce à l’armée américaine. Armes parfaites à utiliser contre les pauvres.
Le trajet de Raipur à Dantewara prend environ dix heures à travers des régions connues pour être ‘infestées de maoïstes’. Il n’y a pas de mots innocents. ‘Infester/infection’ suppose ‘maladie/parasites’. Les maladies doivent être soignées. Les parasites doivent être exterminés. Les maoïstes doivent être anéantis. De cette manière rampante et inoffensive, le langage du génocide est entré dans notre vocabulaire.
Pour protéger les autoroutes, les forces de sécurité ont ‘sécurisé’ une largeur de bande étroite de forêt de chaque côté. Plus loin à l’intérieur, il y a l’empire de ‘Dada log’. Les Frères. Les Camarades.
Dans la banlieue de Raipur, un énorme panneau d’affichage fait la publicité de l’hôpital du cancer de Vedanta (la compagnie pour laquelle notre Ministre de l’Intérieur à un jour travaillé). Dans l’Orissa, où elle extrait la bauxite, Vedanta finance une université. Par ces manières rampantes et inoffensives, les sociétés minières pénètrent nos imaginations : les Doux Géants qui se soucient vraiment de nous. Cela s’appelle la CSR, Corporate Social Responsibility (Responsabilité Sociale des Entreprises). Cela permet aux exploitations minières d’apparaître comme l’acteur légendaire et ancien Ministre en Chef, qui aimait jouer tous les rôles dans les films mythologiques telugu - les bons gars et les mauvais gars, tout en une fois, dans le même film. Cette CSR masque les réalités économiques scandaleuses qui sous-tendent le secteur minier en Inde. Par exemple, selon le récent Rapport du Lokayukta [Ombudsman, médiateur] pour Karnakata, pour chaque tonne de minerai de fer extrait par une compagnie privée, le gouvernement reçoit une royalty de 27 roupies et la compagnie minière s’en fait 5.000. Dans les secteurs de la bauxite et de l’aluminium, les chiffres sont encore pires. Nous parlons de vol à la lumière du jour à hauteur de milliards de dollars. Assez pour acheter des élections, des gouvernements, des juges, des journaux, des chaînes de télévision, des ONG et des agences d’aide. Qu’est-ce donc qu’un hôpital du cancer, par ci par là ?
Je ne me souviens pas avoir vu le nom de Vedanta sur la longue liste des MOU signées par le gouvernement du Chhattisgarh. Mais je suis assez tordue pour soupçonner que s’il y a un hôpital du cancer, il doit y avoir une montagne au sommet plat pleine de bauxite quelque part.
Nous dépassons Kanker, réputé pour sa Counter Terrorism & Jungle Warfare Training School (Ecole de formation au contre-terrorisme et à la guerre de jungle) dirigée par le général de brigade B K Ponwar, le Rumpelstiltskin [le Nain Tracassin (Rumpelstilzchen) du conte des Frères Grimm] de cette guerre, chargé de la mission de transformer des policiers corrompus et peu soignés (la paille) en commandos de la jungle (l'or). « Combattre la guérilla comme la guérilla », la devise de l’école de formation à la guerre, est peinte sur les rochers.
On apprend aux hommes à courir, à glisser, à monter et à descendre d’hélicoptères en vol, à monter à cheval (ça peut toujours servir), à manger des serpents et à vivre de la jungle. Le général de brigade est très fier de former des chiens de rue à combattre les ‘terroristes’. 800 policiers sont diplômés de l’école de formation à la guerre toutes les six semaines. Vingt écoles semblables sont planifiées à travers toute l’Inde. La force de police est graduellement transformée en armée. (Dans le Cachemire [5], c’est l’inverse : l’armée est transformée en force de police bouffie, bureaucratique). A l’envers. A l’endroit. Quoi qu’il en soit, l’Ennemi, c'est est le Peuple.
Il est tard. Jagdalpur dort, excepté les nombreux panneaux publiciatires pour Rahul Gandhi [6] demandant aux gens de rejoindre le Congrès de la Jeunesse. Il s’est rendu dans le Bastar deux fois ces derniers mois, mais n’a pas dit grand chose à propos de la guerre. Elle est probablement trop désordonnée pour que le Prince du Peuple s’en mêle à ce stade. Ses gestionnaires médiatiques doivent avoir décidé de la mettre en sourdine. Le fait que la Salwa Judum [7] - le groupe d’autodéfense épouvantable parrainé par le gouvernement, responsable de viols, d’assassinats, d’incendies de villages et d’expulsion de centaines de milliers de personnes de leurs maisons - est dirigé par Mahendra Karma, membre du Congrès, ne joue pas un grand rôle dans la publicité soigneusement orchestrée autour de Rahul Gandhi.

Je suis arrivée au temple Ma Danteshwari bien à l’heure pour mon rendez-vous (premier jour, première apparition). J’avais mon appareil photo, ma petite noix de coco et un tilak de poudre rouge sur mon front. Je me suis demandée si quelqu’un me regardait et rigolait. Quelques minutes plus tard, un jeune garçon m’a approchée. Il avait une casquette et un cartable d'écolier sur le dos. Du verni rouge ébréché sur les ongles de ses doigts. Pas de ‘Hindi Outlook’, pas de bananes. « Êtes-vous celle qui doit entrer ? » m’a-t-il demandé. Pas de Namashkar Guruji. Je ne savais pas quoi dire. Il a sorti une note trempée de sa poche et me l’a donnée. Elle disait « Outlook nahi mila » (N’ai pas pu trouver d’Outlook). « Et les bananes ? » « Je les ai mangées » m’a-t-il dit, « j’ai eu faim ».
Une vraie menace pour la sécurité.
Son cartable disait Charlie Brown - pas votre imbécile habituel [8]. Il a dit que son nom était Mangtu. J’ai rapidement appris que Dandakaranya, la forêt dans laquelle j’étais prête à entrer, était pleine de gens qui avaient de nombreux noms et des identités changeantes. Cette idée était comme un baume pour moi. Quel bonheur de ne pas être coincé avec soi-même, de devenir quelqu’un d’autre pour un moment.
Nous avons marché jusqu’à l’arrêt de bus, seulement à quelques minutes du temple. Il était déjà bondé. Les choses se sont passées très vite. Il y avait deux hommes sur des motos. Il n’y a pas eu de conversation - juste un regard de reconnaissance, un déplacement du poids du corps, la montée en régime des moteurs. Je n’avais aucune idée d’où nous allions. Nous avons dépassé la maison du commissaire de police, que j’ai reconnue de ma précédente visite. Le commissaire était un homme franc. « Vous voyez m’dame, pour parler franchement, ce problème ne peut pas être résolu par nous, policiers et militaires. Le problème avec ces tribaux, c’est qu’ils ne comprennent pas l’avidité. A moins qu’ils ne deviennent gourmands, il n’y a aucun espoir pour nous. J’ai dit à mon chef, enlevez la force, et à la place, mettez une TV dans chaque maison. Tout se règlera automatiquement ».
En un rien de temps, nous roulons hors de la ville. Pas de bouchons. Ça a été un long trajet, trois heures selon ma montre. Nous nous sommes arrêtés brutalement au milieu de nulle part, sur une route vide longée par la forêt des deux côtés. Mangtu est descendu. Moi aussi. Les motos sont parties et j’ai ramassé mon sac à dos pour suivre la petite menace pour la sécurité intérieure dans la forêt. C’était une journée magnifique. Le sol de la forêt était un tapis d’or.
Après un moment, nous avons émergé sur les rives blanches et sableuses d’une large rivière calme. Elle était manifestement alimentée par la mousson, et donc maintenant, c’était plus ou moins du sable plat, avec au centre un courant ne dépassant pas la cheville, facile à traverser. De l’autre côté se trouve le ‘Pakistan’. « Là-bas m’dame » m’avait dit le policier franc, « mes hommes tirent pour tuer ». Je me suis souvenue de ça comme nous commencions à traverser. Je nous ai vus dans le viseur d’un fusil d’un policier - minuscules silhouettes dans le paysage, faciles à abattre. Mais Mangtu semblait assez peu inquiet, et j’ai pris modèle sur lui.

Nous attendant sur l’autre rive, en T-shirt vert citron marqué Horlicks!  se trouvait Chandu, une autre menace pour la sécurité légèrement plus âgée. Peut-être 20 ans. Il avait un sourire mignon, un vélo, un bidon avec de l’eau bouillie et de nombreux paquets de biscuits au glucose pour moi, de la part du Parti. Nous avons repris notre souffle et recommencé à marcher de nouveau. Il s’est avéré que le vélo était un moyen pour brouiller les pistes. Le chemin était pratiquement entièrement non-cyclable. Nous avons escaladé des collines abruptes et descendu des chemins empierrés le long de corniches vraiment précaires. Lorsqu’il ne pouvait pas le pousser, Chandu soulevait le vélo et le transportait au-dessus de sa tête comme s’il ne pesait rien. J’ai commencé à m’interroger à propos de son air ahuri de garçon de village. J’ai découvert (beaucoup plus tard) qu’il pouvait manier n’importe quel type d’arme, « excepté le LMG [9] », m’a-t-il informé joyeusement.
Trois magnifiques hommes BIEN imbibés, avec des fleurs dans leurs turbans, ont marché avec nous durant environ une demi-heure, avant que nos chemins ne se séparent. Au coucher du soleil, leurs sacs en bandoulière ont commencé à chanter. Ils avaient des coqs dedans, qu’ils avaient apportés au marché mais n’avaient pas réussi à vendre.
Forêt de Dandkaranya
Chandu semble être capable de voir dans le noir. Je dois utiliser ma lampe électrique. Les grillons se mettent en marche, et bientôt il y a un orchestre, un dôme de son au-dessus de nous. Il me tarde de regarder le ciel nocturne, mais je n’ose pas. Je dois garder mes yeux au sol. Un pas à la fois. Concentrée.
J’entends des chiens. Mais je ne peux pas dire à quelle distance ils sont. Le terrain s’aplanit. Je vole un coup d’œil vers le ciel. Cela me met en extase. J’espère que nous allons nous arrêter bientôt. « Bientôt »? dit Chandu. Cela s’avère être un peu plus d’une heure. Je vois les silhouettes d’énormes arbres. Nous arrivons.
Le village semble spacieux, les maisons sont très éloignées les unes des autres. La maison dans laquelle nous entrons est magnifique. Il y a un feu, autour duquel quelques personnes sont assises. Plus de gens dehors, dans l’obscurité. Je ne peux pas dire combien. Je peux juste plus ou moins les discerner. Un murmure circule. Lal Salaam Kaamraid (Salutations rouges, Camarade). Lal Salaam, je dis. Je suis au-delà de la fatigue. La femme de LA maison m’appelle à l’intérieur et me donne du poulet au curry cuit dans des haricots verts et du riz rouge. Fabuleux. Son bébé est endormi à côté de moi, ses bracelets de cheville argentés brillent à la lumière du feu.

Après le dîner, j’ouvre la fermeture éclair de mon sac de couchage. C’est une intrusion étrange de son, cette grosse tirette. Quelqu’un allume la radio. Service de la BBC en hindi. L’Eglise anglicane a retiré ses fonds du projet Niyamgiri de Vedanta, invoquant la dégradation de l’environnement et les violations des droits de la tribu Dongria Kondh. Je peux entendre les clochettes du bétail reniflant, traînant, pétant. Tout va bien dans le monde. Mes yeux se ferment.
Nous sommes debout à 5 heures. Sur la route à 6. Après deux heures, nous traversons une nouvelle rivière. Nous marchons à travers de magnifiques villages. Chaque village a sa famille de tamariniers qui le surveille, comme une étreinte d’énormes dieux bienveillants. Doux tamarinier du Bastar. A 11 heures, le soleil est haut, et la marche moins amusante. Nous nous arrêtons dans un village pour déjeuner.

Beauté spartiate : marmites, fusils, jhillis... Tout dans ce village est propre et nécessaire
Chandu semble connaître les gens dans la maison. Une sublime jeune fille flirte avec lui. Il a l’air un peu timide, peut-être parce que je suis là. Le dîner est composé de papaye crue avec du masoor dal et du riz rouge. Et de la poudre de piment rouge. Nous allons attendre que le soleil perde un peu de son intensité avant de recommencer à marcher. Nous faisons une sieste dans le belvédère. Ce lieu est d'une beauté spartiate. Tout est propre et nécessaire. Pas de désordre. Une poule noire parade de haut en bas du petit mur de boue. Une grille de bambou stabilise les chevrons du toit de chaume et se double comme un casier de rangement. Il y a un balai d’herbe, deux tambours, un panier tissé rouge, un parapluie cassé et toute une pile de boîtes en carton ondulé aplaties et vides. Quelque chose me saute aux yeux. J’ai besoin de mes lunettes. Voici ce qui est imprimé sur le carton : Emulsion à Haute Energie Explosive Puissance Idéale 90  (Classe-2) SD CAT 22.
Nous recommençons à marcher vers deux heures. Dans le village où nous nous rendons, nous allons rencontrer une Didi (Soeur, Camarade) qui sait ce que sera la prochaine étape du voyage. Chandu ne le sait pas. Il y a aussi une économie de l’information. Personne n’est supposé tout savoir. Mais quand nous atteignons le village, Didi n’est pas là. Il n’y a aucune nouvelle d’elle. Pour la première fois, je vois un petit nuage d’inquiétude s’installer chez Chandu. Un très gros s’installe chez moi. Je ne sais pas quels sont les systèmes de communications, mais que faire s’ils ont mal tourné ? Nous sommes stationnés à l’extérieur d’un immeuble scolaire déserté, un peu en dehors du village. Pourquoi toutes les écoles de village du gouvernement sont-elles construites comme des forteresses en béton, avec des volets en fer aux fenêtres et des portes en accordéon coulissantes en fer ? Pourquoi pas comme les maisons du village, avec de la boue et de la chaume ? Parce qu’elles se dédoublent en casernes et en bunkers. « Dans les villages d'Abhujmad », dit Chandu ,« les écoles sont comme ça... » Il gratte le plan d’un immeuble avec une brindille dans la terre. Trois octogones attachés les uns aux autres comme les alvéoles d’une ruche. « Ainsi ils peuvent tirer dans toutes les directions ». Il dessine des flèches pour illustrer son propos, tel un graphique de cricket - la roue du chariot du batteur. Il n’y a aucun professeur dans aucune école, dit Chandu. Ils se sont tous enfuis. Où les avez-vous chassé ? Non, nous ne chassons que la police. Mais pourquoi les professeurs devraient-ils venir ici, dans la jungle, alors qu’ils reçoivent leurs salaires en restant assis à la maison ? Un bon point. Il m’informe que ceci est une ‘nouvelle région’. Le Parti n’y est entré que récemment.
Environ vingt jeunes personnes arrivent, filles et garçons. Adolescents ou au début de la vingtaine. Chandu explique que c’est la milice au niveau du village, le rang le plus bas de la hiérarchie militaire maoïste. Je n’avais jamais vu personne comme eux avant. Ils sont vêtus de saris et de lungis [10], certains en uniforme vert olive effiloché. Les garçons portent des bijoux, des coiffures. Certains ont aussi des couteaux, des haches, un arc et des  flèches.
Un garçon transporte un mortier grossier fabriqué à partir d’un lourd tuyau en acier galvanisé de trois pieds. Il est rempli de poudre à canon et de mitraille et prêt à être mis à feu. Cela fait un grand bruit, mais ne peut être utilisé qu’une seule fois. Tout de même, cela effraye la police, disent-ils en gloussant.
La guerre ne semble pas être la plus grande préoccupation dans leurs esprits. Peut-être parce que cette région est en dehors de l’espace vital de la Salwa Judum. Ils viennent juste de terminer une journée de travail, pour aider à construire une clôture autour de certaines maisons du village pour garder les chèvres hors des champs. Ils sont pleins d’amusement et de curiosité. Les filles sont en confiance et naturelles avec les garçons. J’ai un détecteur pour ce genre de chose, et je suis impressionnée. Leur job, dit Chandu, est de patrouiller et de protéger un groupe de quatre ou cinq villages et d’aider dans les champs, de nettoyer les puits ou de réparer les maisons - faire tout ce qui est nécessaire.
Toujours pas de Didi. Que faire ? Rien. Donner un coup de main pour découper et éplucher.
Après le souper, sans beaucoup de discussion, tout le monde se met en rang. Manifestement, nous bougeons. Tout se déplace avec nous, le riz, les légumes, les marmites et les casseroles. Nous quittons l’enceinte de l’école et marchons en file indienne dans la forêt. En moins d’une demi-heure, nous arrivons dans une clairière où nous allons dormir. Il n’y a absolument aucun bruit. En quelques minutes, tout le monde a déplié son drap en plastique bleu, l’omniprésent ‘jhilli’ sans lequel il n’y aurait pas de révolution. Chandu et Mangtu s’en partagent un et en étalent un pour moi. Ils me trouvent la meilleure place, près de la meilleure pierre grise. Chandu dit qu’il a envoyé un message à Didi. Si elle le reçoit, elle sera là dès le début de la matinée. Si elle le reçoit.
C’est la plus belle chambre dans laquelle j’ai dormi depuis longtemps. Ma suite privée dans un hôtel 1000 étoiles. Je suis encerclée par ces enfants étranges et magnifiques avec leur curieux arsenal. Ils sont à coup sûr tous maoïstes. Vont-ils tous mourir ? Est-ce que l’Ecole de formation à la guerre dans la jungle est pour eux ? Et les hélicoptères de combat, l’imagerie thermique et les télémètres laser ?
Pourquoi doivent-ils mourir ? Pour quoi ? Pour transformer tout ceci en une mine ? Je me souviens de ma visite aux mines de fer à ciel ouvert de Keonjhar, dans l’Orissa. Un jour, il y avait là une forêt. Et des enfants comme ceux-ci. Maintenant, la terre ressemble à une blessure rouge et froide. La poussière rouge emplit les narines et les poumons. L’eau est rouge, l’air est rouge, les gens sont rouges, leurs poumons et leurs cheveux sont rouges. Toute la journée et toute la nuit, les camions grondent à travers leur village, pare-choc contre pare-choc, des milliers et des milliers de camions, amenant le minerai de fer au port de Paradip d’où il partira vers la Chine. Là, il sera transformé en voitures, en fumée et en villes champignons. En un ‘taux de croissance’ laissant les économistes hors d’haleine. En armes pour faire la guerre.
Tout le monde est endormi, sauf les sentinelles qui prennent la relève toutes les heures et demi. Enfin, je peux regarder les étoiles. Quand j’étais enfant, grandissant sur les rives de la rivière Meenachal, je pensais que le son des grillons - qui commençait toujours au crépuscule - était le son des étoiles pétaradant, se préparant à briller. Je suis surprise à quel point j’adore être ici. Il n’y a nulle part ailleurs dans le monde où j’aimerais mieux être. Qui devrais-je être ce soir ? Kamraid Rahel, sous les étoiles ? Peut-être Didi viendra-t-elle demain ?
Ils arrivent en début d’après-midi. Je peux les voir de loin. Une quinzaine d’entre eux, tous en uniformes vert olive, courant vers nous. Même de loin, de la façon dont ils courent, je peux dire que ce sont de solides combattants. La Peoples Liberation Guerilla Army (PGLA - Guérilla Armée de Libération du Peuple). À laquelle est destinée l’imagerie thermique et les armes guidées par laser. Pour qui est l’Ecole de formation à la guerre de jungle.
Ils transportent des armes sérieuses, INSAS [11], SLR [12], deux d’entre eux ont des AK 47 [13]. Le dirigeant de la brigade est le Camarade Madhav qui est dans le Parti depuis qu’il a 9 ans. Il est de Warangal, Andhra Pradesh. Il est désolé et se confond en excuses. Il y a eu un manque de communication majeur, dit-il encore et encore, ce qui d’habitude n’arrive jamais. J’étais supposée être arrivée au camp principal dès la première nuit. Quelqu’un a laissé tomber le témoin dans le relais de la jungle. La descente de moto aurait du avoir lieu dans un endroit tout à fait différent. « Nous vous avons fait attendre, nous vous avons fait marcher tellement. Nous avons couru tout le chemin quand le message est arrivé que vous étiez ici ». J’ai dit que c’était OK, que j’étais venue en étant prête à attendre, à marcher et à écouter. Il veut partir immédiatement, parce que les gens du camp attendaient et se tracassaient.
C’est une marche de quelques heures jusqu’au camp. Il commence à faire noir quand nous arrivons. Il y a plusieurs niveaux de sentinelles et des cercles concentriques de patrouille. Il doit y avoir une centaine de camarades alignés en deux rangs. Tout le monde a une arme. Et un sourire. Ils commencent à chanter : Lal lal salaam, lal lal salaam, aane vaaley saathiyon ko lal lal salaam (Salutations rouges aux camarades qui sont arrivés). C’était chanté mélodieusement, comme s’il s’agissait d’une chanson populaire à propos d’une rivière et de la floraison de la forêt. Avec la chanson, le salut, la poignée de main et le poing fermé. Tout le monde salue tout le monde, murmurant lalslaam, mlalslaa mlalslaam... Hormis un grand jhilli bleu étalé par terre, sur environ 15 pieds carrés, il n’y a aucun signe de ‘camp’. Celui-ci a aussi un toit jhilli. C’est ma chambre pour la nuit. C’était soit pour me récompenser de mes jours de marche, soit pour me dorloter par avance vu ce qui nous attendait. Ou les deux. De toute manière, c’était la dernière fois de tout le voyage que j’allais avoir un toit au-dessus de ma tête.

Au cours du souper, j’ai rencontré la Camarade Narmada chargée du Krantikari Adivasi Mahila Sangathan (KAMS) dont la tête est mise à prix, la Camarade Saroja de la PLGA qui est aussi grande que son SLR, la Camarade Maase (ce qui signifie Fille Noire en Gondi) dont la tête est aussi mise à prix, le Camarade Roopi, assistant technique, le Camarade Raja qui est en charge de la Division [14] à travers lequel j’avais marché et le Camarade Venu (ou Murali ou Sonu ou Sushil ou tout ce que vous voulez l’appeler), clairement le plus âgé de tous. Peut-être du Comité Central, peut-être même du Bureau Politique. On ne me le dit pas, je ne le demande pas. Entre nous, nous parlons gondi, halbi, telugu, punjabi et malayalam. Seule Maase parle anglais (donc, nous communiquons tous en hindi !). La Camarade Maase est grande et tranquille et semble devoir nager à travers une couche de douleur pour entrer dans la conversation. Mais à la manière dont elle me prend dans ses bras, je peux dire que c’est une lectrice. Et qu’elle regrette de ne pas avoir de livres dans la jungle. Elle ne me racontera son histoire que plus tard. Quand elle sentira qu'elle peut me confier sa douleur.
De mauvaises nouvelles arrivent, à la mode de la jungle. Un messager, avec des ‘biscuits’. Des notes manuscrites sur des feuilles de papier, pliées et agrafées en petits carrés. Il y en a un sac entier. Comme des jetons. Des nouvelles de partout. La police a tué cinq personnes dans le village d’Ongnaar, quatre de la milice et un villageois ordinaire : Santhu Pottai (25 ans), Phoolo Vadde (22), Kande Potai (22), Ramoli Vadde (20), Salsai Kuram (22). Ils auraient pu être les enfants dans mon dortoir étoilé de la nuit dernière.
Puis les bonnes nouvelles arrivent. Un petit contingent de personnes avec un jeune homme grassouillet. Il est aussi en treillis, mais il flambant neuf. Tout le monde l’admire et en commente la coupe. Il semble timide et heureux. C’est un docteur qui est venu pour vivre et travailler avec les camarades dans la forêt. La dernière fois qu’un docteur a visité Dandakaranya, c’était il y a de nombreuses années.

Des membres d'une troupe artistique de la Chetna Natya Manch, la branche culturelle du parti, attendant en coulisses
À la radio, il y a des nouvelles de la réunion du Ministre de l’Intérieur avec les Ministres en chef des États affectés par ‘l’extrémisme de gauche’, pour discuter de la guerre. Les Ministres en chef du Jharkhand et du Bihar sont restés discrets et n’y ont pas assisté. Tout le monde, assis autour de la radio, rigole. Au moment des élections, disent-ils, tout au long de la campagne et puis peut-être un mois ou deux après la formation du gouvernement, les politiciens disent tous des choses comme « les naxalites sont nos enfants ». On peut régler sa montre sur le moment où ils changeront d’avis et montreront leurs crocs.
Je suis présentée à la Camarade Kamla. On me dit que je ne dois en aucun cas m’éloigner de cinq pieds de ma jhilli sans la réveiller. Tout le monde est désorienté dans le noir et pourrait sérieusement se perdre. (Je ne la réveille pas. Je dors comme une buche). Durant la matinée, Kamla me présente un paquet en polyéthylène jaune dont un coin est coupé. Un jour, il a été utilisé pour contenir de la Abis Gold Refined Soya Oil (huile de soja). Maintenant, c’était ma grande tasse pour aller au petit coin. Rien n’est gaspillé sur la route de la révolution. (Encore aujourd’hui, je pense à la Camarade Kamla tout le temps, chaque jour. Elle a 17 ans. Elle porte à la hanche un pistolet fait main. Et quel sourire. Mais si la police vient vers elle, elle la tuera. Elle pourrait la violer d’abord. Aucune question ne sera posée. Parce qu’elle est une Menace pour la Sécurité Intérieure). Après le petit-déjeuner, le Camarade Venu (Sushil, Sonu, Murali) m’attend, assis les jambes croisées sur le jhilli, avec son apprence de frêle instituteur de village. Je vais recevoir une leçon d’histoire. Ou plus précisément, une conférence sur l’histoire des trente dernières années dans la forêt de Dandakaranya, qui a abouti dans la guerre qui tourbillonne en elle aujourd’hui. Il ne fait aucun doute que c’est une version partisane. Mais quelle histoire ne l’est pas ? Dans tous les cas, l’histoire secrète doit être rendue publique pour être contestée, débattue au lieu que l’on mente simplement à son propos, comme cela se passe actuellement.
Le Camarade Venu a une attitude rassurante et calme, et une voix douce qui émergera, dans les jours à venir, dans un contexte qui me troublera complètement. Ce matin, il parle durant plusieurs heures, pratiquement de manière continue. Il est comme un petit gérant de magasin qui a un énorme trousseau de clés avec lesquelles il peut ouvrir un labyrinthe de casiers remplis d’histoires, de chansons et d’idées.
Le Camarade Venu était dans un des sept bataillons armés qui a traversé le Godavari depuis l’Andhra Pradesh et est entré dans la Forêt de Dandakaranya (DK) en juin 1980, il y a trente ans. Ils appartenaient au Peoples War Group (PWG - Groupe ‘Guerre Populaire’), une faction du Parti Communiste d’Inde - Marxiste-Léniniste (CPI-ML), les premiers naxalites. Le PWG a été officiellement proclamé parti distinct indépendant en avril cette année-là, sous Kondapalli Seetharamiah. Le PGW a décidé de construire une armée permanente, pour laquelle il aurait besoin d’une base. DK allait devenir cette base, et ces premiers bataillons y ont été envoyés pour reconnaître la région et pour commencer le processus de construction de zones de guérillas. Quant à savoir si les partis communistes devaient avoir une armée permanente et si oui ou non une ‘armée populaire’ est une contradiction dans les termes, c’est un vieux débat. La décision du PWG de construire une armée est venue de son expérience dans l’Andhra Pradesh, où sa campagne « La terre aux paysans » a conduit à un affrontement direct avec les propriétaires terriens et a abouti au type de répression policière à laquelle le Parti a trouvé impossible de résister sans sa propre force combattante entrainée.
En 2004, le PGW a fusionné avec d’autres factions CPI(ML), le Party Unity (PU - Unité du Parti) et le Maoist Communist Center (MCC - Centre Communiste Maoïste), qui fonctionne en grande partie en dehors du Bihar et du Jharkhand. Pour devenir ce qu’il est maintenant, le Parti Communiste d’Inde (Maoïste).
Dandakaranya est une part de ce que les Britanniques, à leur manière d’hommes blancs, ont appelé Gondwana, terre des Gonds. Aujourd’hui, les frontières des États de Madhya Pradesh, du Chhattisgarh, de l’Orissa, de l’Andhra Pradesh et du Maharashtra coupent à travers la forêt. Fractionner un peuple gênant en unités administratives distinctes est un vieux procédé.

Mais ces maoïstes et Gonds maoïstes ne font pas beaucoup attention à des choses comme les frontières d’États. Ils ont des cartes différentes dans leurs têtes, et comme d’autres créatures de la forêt, ils ont leurs propres chemins. Pour eux, les routes ne sont pas conçues pour qu’on marche dessus. Elles sont faites pour être traversées, ou comme c’est de plus en plus le cas, pour tendre des embuscades. Bien que les Gonds (divisés entre les tribus des Koyas et des Dorlas) soient de loin majoritaires, il y a de petites colonies d’autres communautés tribales aussi. Les communautés non-adivasis [15], de marchands et de colons vivent aux bords de la forêt, près des routes et des marchés.

Le PGW n’a pas été le premier à venir évangéliser le Dandakaranya. Baba Amte, le célèbre partisan de Gandhi a ouvert son ashram et sa léproserie à Warona en 1975. La mission Ramakrishna avait commencé à ouvrir des écoles de village dans les forêts éloignées d’Abhujmad. Dans le Bastar Nord, le Baba Bihari Das a commencé une campagne agressive pour 'ramener les tribaux dans le bercail hindou', ce qui impliquait une campagne pour dénigrer la culture tribale, provoquer la haine de soi et introduire le beau cadeau de l’hindouisme - la caste [16].
Les premiers convertis, les chefs de village et les gros propriétaires terriens - des gens comme Mahendra Karma, fondateur de la Salwa Judum - se sont vus conférer le statut de dwij, né deux fois, brahmanes [17]. (Bien sûr, c’était un peu une arnaque, parce que personne ne peut devenir brahmane. Si c’était possible, ne serions aujourd’hui devenuS une nation de brahmanes). Mais ce faux hindouisme est considéré comme assez bon pour la population tribale, juste comme les marques contrefaites de tout le reste - biscuits, savon, allumettes, huile - qui sont vendues sur les marchés villageois. Dans le cadre de la campagne d’hindouisation, les noms des villages ont été changés dans les registres fonciers, ce qui entraîne que la plupart d’entre eux ont deux noms aujourd’hui, les noms du peuple et les noms du gouvernement. Par exemple, le village d’Innar est devenu Chinnari. Sur les listes électorales, les noms tribaux ont été changés en noms hindous (Massa Karma est devenu Mahendra Karma). Ceux qui ne sont pas venus rejoindre le bercail hindou ont été déclarés ‘katwas’, autrement dit intouchables [Les ‘dalits’ ou ‘intouchables’ sont les membres de la caste la plus basse],  devenant plus tard la base de recrutement naturelle pour les maoïstes.
Le PGW a d’abord commencé à travailler dans le Bastar Sud et le Gadchiroli. Le Camarade Venu décrit ces premiers mois en détail : comment les villageois étaient suspicieux à leur égard, et ne les laissaient pas entrer dans leurs maisons. Personne ne leur aurait offert de la nourriture ou de l’eau. La police répandait des rumeurs qu’ils étaient des voleurs. Les femmes cachaient leurs bijoux dans les cendres de leur poêle à bois. Il y avait une répression terrible. En novembre 1980, à Gadchiroli, la police a ouvert le feu dans une réunion de village et a tué toute une escouade [de maoïstes]. Ça a été le premier ‘combat’ [18] meurtrier du DK. Ce fut un revers traumatisant et les camarades se sont retirés à travers le Godavari et sont retournés à Adilabad.
Mais en 1981, ils y sont revenus. Ils ont commencé à organiser les populations tribales pour exiger une augmentation du prix qu’on leur donnait pour les feuilles de tendu (qui sont utilisées pour fabriquer les beedis [19]). A l’époque, les commerçants payaient trois paises pour un fagot d’environ 50 feuilles. C’était un travail formidable d’organiser des gens qui n'étaient pas du tout familiers de ce type de politique, de les amener à se mettre en la grève.
Finalement, la grève a été un succès et le prix doublé, à six paises [20] le fagot. Mais le vrai succès pour le Parti était d’avoir été capable de prouver la valeur de l’unité et une nouvelle manière de conduire une négociation politique. Aujourd’hui, après plusieurs grèves et agitations, le prix d’un fagot de feuilles de tendu est d’une roupie. (Cela semble un peu improbable à ces tarifs, mais le chiffre d’affaire du business du tendu se compte en centaines de milliards de roupies) Chaque saison, le gouvernement glisse des offres et donne à des entrepreneurs la permission d’extraire un volume fixé de feuilles de tendu - habituellement entre 1500 et 5000 sacs standards connus sous le nom de manak boras. Chaque manak boras contient environ 1000 fagots. (Bien sûr, il n’y a aucune manière de s’assurer que les entrepreneurs n’extraient pas plus que ce qu’ils sont supposés). Au moment où le tendu entre sur le marché, il est vendu en kilos. L’arithmétique glissante et le système rusé de mesure qui converti les fagots en manak boras puis en kilos est contrôlé par les entrepreneurs, et laisse beaucoup de place aux pîres manipulations. L’estimation la plus prudente place leur profit par sac standard à environ 1.100 roupies. (Cela après avoir payé au Parti une commission de 120 roupies par sac) Mais par cette voie, un petit entrepreneur (1.500 sacs) fait environ 160.000 roupies par saison et un gros (5.000 sacs) jusqu’à 550.000 roupies.
Une évaluation plus réaliste serait plusieurs fois ce montant. Pendant ce temps, la Plus Grave Menace pour la Sécurité Intérieure fait juste assez pour rester en vie jusqu’à la saison suivante.

Une fête de masse : des troupes de danseurs de divers Janatana Sarkars se produisent lors du Jour du Bhumkal
Nous sommes interrompus par des rires et par la vue de Nilesh, un des jeunes camarades de la PLGA, marchant rapidement vers la zone de cuisine, se giflant lui-même. Quand il arrive plus près, je vois qu’il transporte un nid en feuilles de fourmis rouges en colère qui ont rampé partout sur lui et qui le mordent aux bras et au cou. Nilesh rigole aussi. « As-tu déjà mangé un chutney ? » me demande le Camarade Venu. Je connais bien les fourmis rouges, de mon enfance dans le Kerala, j’ai été mordue par elles, mais je n’en ai jamais mangé. (Le chutney s’avère être bon. Aigre. Beaucoup d’acide folique)
Nilesh est de Bijapur, qui est au cœur des opérations de la Salwa Judum. Le plus jeune frère de Nilesh a rejoint la Judum lors d’un de ses pillages et incendies fous et a été fait Special Police Officer (SPO - Officier de Police Spécial [21]). Il habite dans le camp de Basaguda avec sa mère. Son père a refusé d’y aller et est resté au village. En fait, c’est une querelle familiale sanglante.
Plus tard, quand j’ai eu l’occasion de lui parler, j’ai demandé à Nilesh pourquoi son frère avait fait ça. « Il était très jeune » a dit Nilesh, « Il a eu l’opportunité de se déchaîner, de blesser les gens et de brûler des maisons. Il est devenu fou, il a fait des choses terribles. Maintenant, il est coincé. Il ne pourra plus jamais rentrer au village. Il ne sera jamais pardonné. Il le sait ».
Nous retournons à la leçon d’histoire. La grande lutte suivante du Parti, dit le Camarade Venu, a été contre l'usine de pâte à papier Ballarpur Paper Mills. Le gouvernement aurait donné aux Thapars un contrat de 45 ans pour extraire 15000 tonnes de bambou à un taux extrêmement subventionné. (De la petite bière comparé à la bauxite, mais tout de même). Les tribaux étaient payés dix paises pour un fagot qui contenait vingt chaumes de bambou (je ne céderai pas à la tentation vulgaire de comparer cela aux profits que faisaient les Thapars).

Une longue agitation, une grève, suivie de négociations avec de responsables l'usine de pâte à papier en présence de la population, ont triplé le prix à trente paises le fagot. Pour les peuples tribaux, c’étaient des énormes réussites. D’autres partis politiques avaient fait des promesses, mais n’ont montré aucun signe qu'ils allaient les tenir. Les gens ont commencé à approcher le PWG, demandant s’ils pouvaient s’y joindre. Mais la politique du tendu, du bambou et d’autres produits forestiers était saisonnière. Le problème permanent, le vrai fléau dans la vie des gens était le plus grand propriétaire terrien de tous, le Département Forestier. Chaque matin, les représentants des services forestiers, jusqu'aux moindres sous-fifres, pouvaient apparaître dans les villages comme un cauchemar, empêchant les gens de labourer leurs champs, de ramasser le bois de chauffage, de cueillir les feuilles, de ramasser les fruits, de faire paître le bétail, de vivre. Ils amenaient des éléphants pour envahir les champs et répandaient des graines de babul pour détruire le sol sur leur passage.

Les gens étaient battus, arrêtés, humiliés, leurs récoltes détruites. Bien sûr, du point de vue du Département Forestier, ceux-ci étaient des gens illégaux engagés dans une activité anticonstitutionnelle et le Département ne faisait qu’appliquer le Règne de la Loi (Leur exploitation sexuelle des femmes était juste un avantage supplémentaire dans une mission difficile). Enhardi par la participation populaire dans ces luttes, le Parti a décidé d’affronter le Département Forestier. Il a encouragé les gens à reprendre la terre de la forêt et à la cultiver. Le Département Forestier s’est vengé en brûlant les nouveaux villages qui avaient surgi dans les zones forestières. En 1986, il a annoncé un Parc National à Bijapur, ce qui signifiait l’expulsion de 60 villages. Plus de la moitié d’entre eux avaient déjà été déplacés et la construction de l’infrastructure du Parc National avait commencé quand le Parti y est entré. Il a démoli la construction et a stoppé l’expulsion des villages restants. Il a empêché le Département Forestier d’entrer dans la zone. A quelques occasions, des fonctionnaires ont été capturés, attachés aux arbres et battus par les villageois. C’était une vengeance cathartique pour des générations d’exploitation. Finalement, le Département Forestier a fui. Entre 1986 et 2000, le Parti a redistribué trois mllions d'acres [= 1,2 millions ha.] de terre forestière. Aujourd’hui, dit le Camarade Venu, il n’y a aucun paysan sans terre dans le Dandakaranya.
Pour la génération actuelle de jeunes gens, le Département Forestier est un souvenir distant, la matière d' histoires que les mères racontent à leurs enfants, à propos d’un passé mythologique de servitude et d’humiliation. Pour la génération plus vieille, la libération du Département Forestier signifiait l’authentique liberté. Ils pouvaient la toucher, la sentir. Cela signifiait beaucoup plus que ce qu’a jamais signifié l’indépendance de l’Inde. Ils ont commencé à se rallier au Parti qui avait lutté avec eux. L’équipe de sept bataillons avait parcouru un long chemin. Son influence couvrait maintenant une étendue de 60.000 kilomètres carrés de forêt, des milliers de villages et des millions de personnes.
Mais le départ du Département Forestier a annoncé l’arrivé de la police. Elle a déclenché un cycle de carnage. Faux ‘combats’ mis en scène par la police, embuscades tendues par le PWG. Avec la redistribution de la terre sont arrivées d’autres responsabilités : irrigation, productivité agricole et le problème d’une population croissante défrichant arbitrairement la forêt. La décision a été prise de séparer le ‘travail de masse’ et le ‘travail militaire’.
Aujourd’hui, le Dandakaranya est administré par une structure complexe de Jantana Sarkars (gouvernements populaires). Les principes d’organisation venaient de la révolution chinoise et de la guerre du Vietnam. Chaque Jantana Sarkar est élu par un groupe de villages dont la population totale peut varier de 500 à 5000. Il a neuf départements : Krishi (agriculture), Kyapar-Udyog (commerce et industrie), Arthik (économie), Nyay (justice), Raksha (défense), Hospital (santé), Jan Sampak (relations publiques), School-Riti Rivaj (éducation et culture) et Jungle. Un groupe de Janatana Sarkars se trouve sous le Comité Régional. Trois Comités Régionaux forment une Division. Il y a dix Divisions dans le Dandakaranya.
« Nous avons un département Save the Jungle (Sauvons la Jungle) maintenant », dit le Camarade Venu. « Tu dois avoir lu le Rapport Gouvernemental qui que la superficie forestière a augmenté dans les régions naxales ? » Ironiquement, dit le Camarade Venu, les premières personnes à bénéficier de la campagne du Parti contre le Département Forestier ont été les Mukhiyas (chefs de village) - la brigade Dwij. Ils ont utilisé leur main-d’œuvre et leurs ressources pour saisir autant de terre qu’ils le pouvaient, tant que les conditions étaient bonnes. Mais alors, la population a commencé à aborder le Parti avec ses ‘contradictions internes’, comme le dit bizarrement le Camarade Venu. Le Parti a commencé à tourner son attention vers les questions d’équité, de classe et d’injustice au sein de la société tribale. Les grands propriétaires terriens ont senti les ennuis à l’horizon. Vu que l’influence du Parti s’étendait, ils avaient commencé à faiblir. De plus en plus, les gens amenaient leurs problèmes au Parti au lieu des Mukhiyas. Les vieilles formes d’exploitation ont commencé à être remises en cause. Le premier jour de pluie, les gens étaient traditionnellement censés labourer la terre des Mukhiyas au lieu de la leur. Cela s’est arrêté. Ils ne leur ont plus offert les premiers jours de ramassage de mahua ou d’autres produits forestiers. Manifestement, il fallait faire quelque chose .
Entre en scène Mahendra Karma, un des plus grands propriétaires terriens de la région et à ce moment, membre du Parti Communiste d’Inde (CPI) [22]. En 1990, il a rassemblé un groupe de Mukhiyas et de propriétaires terriens et a commencé une campagne appelée Jan Jagran Abhiyan (Public Awakening Campaign - Campagne Publique d'Éveil). Leur façon de ‘réveiller’ le ‘public’ était de former un parti de chasse d’environ 300 hommes pour passer la forêt au peigne fin, tuant les gens, brûlant les maisons et attentant à la pudeur des femmes. Le Gouvernement du Madhya Pradesh d’alors - l'État du Chhattisgarh n’avait pas encore été constitué- a fourni le soutien de la police. Dans le Maharashtra, quelque chose de similaire, appelé ‘Front Démocratique’ a commencé son assaut. La Guerre Populaire a répondu à tout cela dans son vrai style de Guerre Populaire, en tuant quelques-uns des propriétaires terriens les plus notables. En quelques mois, la Jan Jagran Abhiyan, la ‘terreur blanche’ - comme la déésigne le Camarade Venu - s’est effacée. En 1998, Mahendra Karma, qui avait alors rejoint le Parti du Congrès, a tenté de raviver la Jan Jagram Abhiyan. Cette fois, elle s’est éteinte encore plus vite qu’avant.

Une milice villageoise, force de base de la PLGA
Puis, durant l’été 2005, la chance l’a favorisé. En avril, le gouvernement BJP [23] du Chhattisgarh a signé deux MOU (dont les termes sont secrets). pour créer des aciéries intégrées. Un pour 70 milliards de roupies avec Essar Steel à Bailadila, et l’autre pour 100 milliards de roupies avec Tata Steel à Lohandiguda. Le même mois, le Premier Ministre Manmohan Singh a émis sa fameuse déclaration à propos des maoïstes comme la ‘Menace la Plus Grave pour la Sécurité Intérieure’ de l’Inde. (C’était une chose étrange à dire à ce moment-là, parce qu’en fait, c’était l’opposé qui était vrai. Le Gouvernement du Congrès de l’Andhra Pradesh venait juste de mettre les maoïstes sur la touche, de les décimer. Ils avaient perdu environ 1.600 de leurs cadres et étaient dans le plus complet désordre). La déclaration du Premier Ministre a fait monter en flèche la valeur des actions des sociétés minières. Elle a également envoyé un signal aux médias que les maoïstes était une proie facile pour quiconque choisissait de courir après eux. En juin 2005, Mahendra Karma a appelé à une réunion secrète de Mukhiyas dans le village de Kutroo et a fondé la Salwa Judum. Un charmant mélange de traditionalisme tribal et de sentimentalisme hinduou aux relents nazis.
Contrairement à la Jan Jagran Abhiyan, la Salwa Judum était une opération de nettoyage de terrain, destinée à déplacer les personnes de leurs villages vers des camps en bordure de route, où ils pouvaient être contrôlés policièrement. En termes militaires, cela s’appelle Hameaux Stratégiques. Cela a été conçu par le général Sir Harold Briggs en 1950 quand les Britanniques étaient en guerre contre les communistes en Malaisie. Le Plan Briggs est devenu très populaire dans l’armée indienne qui l’a utilisé dans le Nagaland, le Mizoram et le Telengana. Le Ministre en chef BJP du Chhattisgarh, Raman Singh a annoncé que, en ce qui concernait son gouvernement, les villageois qui n’avaient pas déménagé dans les camps seraient considérés comme maoïstes. Donc dans le Bastar, pour un villageois ordinaire, le simple fait de rester chez lui est devenu l’équivalent d'une dangereuse activité terroriste.
Avec une tasse en acier de thé noir, comme un plaisir spécial, quelqu’un me tend une paire d’écouteurs et allume un petit lecteur MP3. C’est un enregistrement rayé de M. Manhar, le commissaire de police de Bijapur d’alors, briefant un officier subalterne à la radio à propos des récompenses et des primes que les gouvernements de l’Etat et de l’Etat central offrent aux villages ‘jagrit’ (réveillés) et aux gens qui acceptent de déménager dans les camps. Et puis il donne les instructions claires : les villages qui refusent de ‘se rendre’ devront être brûlés et les journalistes qui veulent couvrir les naxalites devront être abattus à vue. (J’avais lu ça dans les journaux il y a longtemps. Quand l’histoire a été connue, comme punition – pour punir qui, ce n’est pas clair - le commissaire a été mutéà la Commission des Droits Humains de l’Etat).
Le premier village que la Salwa Judum a brûlé (le 18 juin 2005) était Ambeli. Entre juin et décembre 2005, elle a brûlé, tué, violé et pillé sur son chemin à travers des centaines de villages du Dantewara Sud. Le centre de ses opérations étaient les districts de Bijapur et de Bhairamgarh, près de Bailadila, où la nouvelle usine Essar Steel était en projet. Ce n’est pas une coïncidence, il y avait aussi des bastions maoïstes, où les Janatana Sarkars avaient fait beaucoup de travail, surtout pour construire des structures de collecte d’eau. Les Janatana Sarkars sont devenus la cible spéciale des attaques de la Salwa Judum. Des centaines de personnes ont été assassinées avec les manières les plus brutales. Environ 60.000 personnes ont déménagé dans les camps, certaines volontairement, d’autres sous la terreur. Parmi elles, environ 3 000 ont été nommés Special Police Officer (SPO) pour un salaire de 1.500 roupies.
Pour ces miettes dérisoires, des jeunes gens, comme le frère de Nilesh, se sont condamnés eux-mêmes à une réclusion à vie dans une enceinte de barbelés. Cruels comme ils l’ont été, ils pourraient finir par être les pires victimes de cette horrible guerre. Aucun jugement de la Cour Suprême ordonnant le démantèlement de la Salwa Judum ne pourra changer leur destin.
Les centaines de milliers de personnes restantes sont sorties de l’écran radar du gouvernement. (Mais pas les fonds de développement pour ces 644 villages. Qu’advient-il de cette petite mine d’or ?) Beaucoup d’entre eux ont fait leur chemin vers l’Andhra Pradesh et l’Orissa où ils migraient d’habitude pour travailler comme contractuels durant la saison de la cueillette du piment. Mais des dizaines de milliers ont fui dans la forêt, où ils vivent toujours, sans abri, revenant dans leurs champs et leurs maisons uniquement dans la journée.
Dans le sillage de la Salwa Judum, un essaim de commissariats et de camps sont apparus. L’idée était de fourni un tapis de sécurité pour une ‘réoccupation rampante’ du territoire contrôlé par les maoïstes. La supposition était que les maoïstes n’oseraient pas attaquer une si grande concentration de forces de sécurité. Les maoïstes pour leur part, ont réalisé que s’ils ne brisaient pas ce tapis de sécurité, cela reviendrait à abandonner le peuple dont ils avaient gagné la confiance et avec qui ils avaient vécu et travaillé durant 25 ans. Ils ont riposté par une série de contre-attaques au cœur du dispositif de sécurité.
Le 26 janvier 2006, la PLGA a attaqué un camp de police de Gangalaur et a tué sept personnes. Le 17 juillet 2006, le camp de Salwa Judum à Erabar a été attaqué, vingt personnes ont été tuées et 150 blessées. (On a pu lire à ce sujet : « Les maoïstes ont attaqué un camp d’assistance créé par le gouvernement de l'État pour fournir un abri aux villageois qui avaient fui leur village à cause de la terreur déchaînée par les naxalites ») Le 13 décembre, ils ont attaqué le camp ‘d’assistance’ de Basaguda et ont tué trois SPO et un agent de police. Le 15 mars 2007 est venue la plus audacieuse d’entre elles. 120 guérilleros de la PLGA ont attaqué la Rani Bodili Kanya Ashram, un foyer de filles qui avait été converti en caserne pour 80 policiers (et SPO) du Chhattisgarh alors que les filles y vivaient encore comme boucliers humains. La PLGA a pénétré dans l’enceinte, a barré l’annexe où vivaient les filles et a attaqué la caserne. 55 policiers et SPO ont été tués. Aucune des filles n’a été blessée. (Le commissaire de police franc de Dantewara m’avait montré sa présentation Power Point avec des photos horribles des brûlés, les corps éventrés des policiers au milieu des ruines du bâtiment scolaire explosé. Elles étaient si macabres qu'il était impossible de ne pas détourner le regard. Il a semblé content de ma réaction).
L’attaque de Rani Bodili a causé un tumulte dans le pays. Les organisations de défense des droits humains ont condamné les maoïstes, pas seulement pour leur violence, mais également pour être anti-éducation et pour attaquer des écoles. Mais dans le Dandakaranya, l’attaque de Rani Bodili est devenue une légende : des chansons, des poèmes et des pièces ont été écrites à son sujet.
La contre-offensive maoïste a brisé le tapis de sécurité et a donné un répit à la population. La police et la Salwa Judum se sont retirées dans leurs camps, desquels elles émergent maintenant - habituellement dans le milieu de la nuit - seulement par groupes de 300 ou 1 000 hommes pour mener des opérations de Bouclage et ratissage (Cordon and search) dans les villages. Graduellement, excepté les SPO et leurs familles, le reste des gens dans les camps de la Salwa Judum ont commencé à retourner dans leurs villages. Les maoïstes les ont accueillis et ont annoncé que même les SPO pouvaient revenir s’ils regrettaient sincèrement et publiquement leurs actions. Les jeunes gens ont commencé à affluer à la PLGA (La PLGA a été officiellement constituée en décembre 2000). Ces trente dernières années, ses brigades armées se sont très graduellement étendues en sections, les sections ont grandi en pelotons et les pelotons en compagnies. Mais après les ravages de la Salwa Judum, la PLGA a été rapidement capable de compter ses combattants en bataillons (600 combattants en moyenne).
La Salwa Judum n’avait pas simplement échoué, elle s’était méchamment tretournée contre ses créateurs.
Comme nous le savons maintenant, ce n’était pas juste une opération locale d’un petit truand. Sans tenir compte du double discours dans la presse, la Salwa Judum était une opération conjointe du gouvernement de l’Etat du Chhattisgarh et du Parti du Congrès qui était au pouvoir dans l’Etat central. Elle n’avait pas le droit d’échouer. Pas alors que tous ces MOU étaient en attente, comme des espoirs flétris sur le marché matrimonial. Le Gouvernement subissait une pression terrible pour présenter un nouveau plan. Il a sorti l’Opération Green Hunt. Les SPO de la Salwa Judum sont maintenant appelé Commandos Koya. Il a déployé la Chhattisgarh Armed Force (CAF - Force Armée du Chhattisgarh), la Central Reserve Police Force (CRPF), la Border Security Force (BSF - Force de Sécurité Frontalière), la Indo-Tibetan Border Police (ITBP - Police Frontalière Indo-Tibétaine), la Central Industrial Security Force (CISF - Force Centrale de Sécurité Industrielle), les Greyhounds, les Scorpions, les Cobras. Et une police affectueusement appelée WHAM - Winning Hearts and Arms (Gagner les Cœurs et les Esprits). Les guerres importantes sont souvent livrées dans des endroits improbables. Le capitalisme de libre marché a battu le communisme soviétique dans les montagnes lugubres d’Afghanistan. Ici, dans les forêts de Dantewara, une bataille fait fureur pour l’âme de l’Inde. Beaucoup de choses ont été dites à propos de l’aggravation de la crise dans la démocratie indienne et la complicité entre les grandes entreprises, les principaux partis politiques et le gratin de l'appareil sécuritaire. Si quelqu’un veut faire un rapide contrôle surprise, c'est à Dantewara qu'il doit aller.
Une ébauche de rapport sur les Relations Agraires de l’Etat et la Tâche Inachevée de la Réforme de la Terre (Volume 1) a dit que Tata Steel et Essar Steel étaient les premiers financeurs de la Salwa Judum. Vu que c’était un rapport du gouvernement, il a fait des vagues quand il a été dévoilé à la presse. (Ce fait a été par la suite exclu du rapport final. Etait-ce une erreur sincère, ou quelqu’un a-t-il reçu une gentille petite tape d'acier intégré sur l’épaule ?)
Le 12 octobre 2009, l’audience publique obligatoire pour l’aciérie Tata, sensée se tenir à Lohandigua où les habitants locaux auraient pu aller, a en fait eu lieu dans une petite salle au siège du Trésor public de Jagdalpur, éloigné de plusieurs miles et avec un cordon massif de sécurité. Un public de cinquante tribaux recrutés et rétribués a été amené dans un convoi escorté de jeeps du gouvernement. Après la réunion, le percepteur du district a félicité ‘le peuple de Lohandiguda’ pour sa coopération. Les journaux locaux ont rapporté le mensonge, même s’ils savaient à quoi s'en tenir (les publicités ont afflué). Malgré les objections des villageois, les acquisitions de terres pour le projet ont commencé.
Les maoïstes ne sont pas les seuls à chercher à renverser l’Etat indien. Il a déjà été renversé plusieurs fois, par le fondamentalisme hindou et le totalitarisme économique.
Lohandiguda, un trajet de cinq heures depuis Dantewara, n’a jamais été une région naxalite. Mais maintenant, elle l’est. La Camarade Joori qui était assise à côté de moi pendant que je mangeais le chutney aux fourmis, travaille dans la région. Elle a dit qu’ils avaient décidé d’y entrer après que des tags avait commencé à fleurir sur les murs des villages, disant Naxali Ao, Hamein Bachao (Naxalites, venez et sauvez-nous) ! Il y a quelques mois, Vimal Meshram, Président du panchayat (conseil municipal) du village était abattu au marché. « C’était un homme de Tata », dit Joori. « Il obligeait les gens à laisser tomber leur terre et à accepter la compensation. C’est bien qu’il ait été tué Nous avons aussi perdu un camarade. Ils l’ont abattu. T’veux un peu plus de chapoli ? » Elle a seulement vingt ans. « Nous ne laisserons pas Tata venir ici. Le peuple ne les veut pas. » Joori n’est pas de la PLGA. Elle est dans la Chetna Natya Manch, l’aile culturelle du Parti. Elle chante. Elle écrit des chansons. Elle vient de Abujhmad. (Elle est mariée avec le Camarade Madhav. Elle est tombée amoureuse de ses chants quand il a visité son village avec une troupe de la CNM.)
A ce stade, je sens que je devrais dire quelque chose. A propos de la futilité de la violence, à propos du caractère inacceptable des exécutions sommaires. Mais que devrais-je suggérer de faire ? Aller en justice ? Faire un dharna (sit-in) devant l'observatoire Jantar Mantar, à New Delhi ? Une manifestation ? Une de grève de la faim en chaîne ? Cela semble ridicule. On devrait demander aux organisateurs de la Nouvelle Politique Economique - qui trouvent si facile de dire « Il n’y a Pas d’Alternative » - de suggérer une Politique de Résistance alternative. Une qui soit spécifique, à ces gens spécifiques, dans cette forêt spécifique. Ici. Maintenant. Pour quel parti voteraient-ils ? Quelle institution démocratique de ce pays aborderaient-ils ? A quelle porte Narmada Bachaor Andolan [NBA- Mouvement Sauvons le Narmada, Coalition nationale contre les barrages sur le fleuve Narmada, créée en 1989 par Medha Patkar et Baba Amte, deux vétérans des luttes sociales indiennes] n’a-t-il pas frappé durant ces années et ces années où il a combattu contre les Grands Barrages de Narmada ?

Il fait noir. Il y a beaucoup d’activité dans le camp, mais je ne peux rien voir. Juste des points de lumière qui bougent. Il est difficile de dire si ce sont des étoiles, ou des lucioles, ou des maoïstes en mouvement. Le petit Mangtu apparaît, sorti de nulle part. Je découvre qu’il fait partie d’un groupe de dix enfants du premier lot de la Young Communist Mobile School (Ecole Mobile des Jeunes Communistes) à qui l’on apprend à lire et à écrire, et les principes de base du communisme. (« Endoctrinement des jeunes esprits ! » hurlent nos médias commerciaux. Les publicités à la TV qui lavent le cerveau des enfants avant même qu’ils ne puissent penser, n’étant pas vues comme une forme d’endoctrinement) Les jeunes communistes ne sont pas autorisés à porter des fusils ou des uniformes. Mais ils suivent les bataillons de la PGLA avec des étoiles dans les yeux, comme des groupies d’un groupe de rock.
Mangtu m’a adoptée avec un doux air de propriétaire. Il a rempli ma bouteille d’eau et dit que je devrais faire mon sac. Un coup de sifflet. La tente bleue en jhilli est démantelée et repliée en cinq minutes. Un autre coup de sifflet et toute la centaine de camarades se met en ligne. Cinq rangs. Le Camarade Raju est le Directeur des Opérations. Il y a un appel. Je suis dans la file aussi, criant mon numéro quand la Camarade Kamla, qui est en face de moi, me le souffle. (Nous comptons jusque vingt et puis recommençons à un, parce que les Gonds ne peuvent compter que jusque là. Vingt, c’est assez pour eux. Peut-être devrait-ce être assez pour nous aussi.) Chandu est en treillis maintenant et porte une mitraillette Sten. D’une voix grave, le Camarade Raju briefe le groupe. Tout est en Gondi, je n’y comprends rien, mais j’entends continuellement le mot RV. Plus tard, Raju me dit qu’il veut dire Rendez-vous. C’et maintenant un mont Gondi. « Nous faisons des points de RV de telle manière que si nous sommes sous le feu et que les gens doivent se disperser, ils savent où se regrouper ». Il lui est impossible de savoir le type de panique que cela provoque en moi. Pas parce que j’ai peur qu’on me tire dessus, mais parce que j’ai peur d’être perdue. Je suis une dyslexique directionnelle, capable de me perdre entre ma chambre et ma salle de bain. Que ferai-je dans 60.000 kilomètres carrés de forêt ? Qu'il pleue ou qu'il vente, je m’accrocherai au pallu [24] du Camarade Raju.

Avant que nous commencions à marcher, le Camarade Venu vient vers moi. « Okay Camarade. Je prends congé de toi ». Je suis décontenancée. Il a l’air d’un petit moustique avec un capuchon de laine et des sandales, entouré par ses gardes du corps, trois femmes, trois hommes. Lourdement armés. « Nous te sommes très reconnaissants camarade, d’avoir fait tout le chemin jusqu’ici » dit-il. Une fois encore, la poignée de main, le poing serré. « Lal Salaam, Camarade ». Il disparait dans la forêt, le Gardien des Clés. Et en un instant, c’est comme s’il n’avait jamais été là. Je me sens un peu dépossédée. Mais j’ai des heures d’enregistrement à écouter. Et comme les jours se transforment en semaines, je vais rencontrer beaucoup de gens pour remplir de couleurs et de détails la grille qu’il a dessinée pour moi. Nous commençons à marcher dans la direction opposée. Le Camarade Raju, sentant l’iodex à un mile à la ronde, dit avec un sourire joyeux  : « Mes genoux sont finis. Je ne peux marcher que si j’ai pris une poignée d’anti-douleurs ».
Le Camarade Raju parle parfaitement le hindi et a une façon pince-sans-rire de raconter les histoires les plus drôles. Il a travaillé comme avocat à Raipur durant 18 ans. Sa femme, Malti, et lui étaient membres du Parti et faisaient partie de son réseau dans la ville. A la fin de 2007, l’une des personnes clé du réseau de Raipur a été arrêtée, torturée et finalement transformée en informateur. Elle a été conduite à travers Raipur dans un véhicule de police fermé et a dû désigner ses anciens collègues. La Camarade Malti était l’une d’eux. Le 22 janvier 2008, elle a été arrêtée avec d’autres. L’accusation principale contre elle est qu’elle a envoyé des CD contenant des preuves vidéos des atrocités de la Salwa Judum à plusieurs membres du Parlement. Son affaire ne vient que rarement à l’audience parce que la police sait que son dossier est midon. Mais la nouvelle Chhattisgarh Special Public Security Act (CSPSA - Loi Spéciale de Sécurité Publique du Chhattisgarh) autorise la police à la garder en détention sans possibilité d emise en liberté sous caution durant plusieurs années. « Maintenant, le gouvernement a déployé plusieurs bataillons de la police du Chhattisgarh pour protéger les pauvres membres du Parlement de leur propre courrier », dit le Camarade Raju. Lui ne s’est pas fait arrêter parce qu’à ce moment là, il était à Dandakoranya, où il assistait à une réunion. Il y est resté depuis. Ses deux enfants en âge scolaire qui étaient restés seuls à la maison ont été abondamment interrogés par la police. Finalement, ils ont fait leurs bagages et sont partis vivre chez un oncle. Le Camarade Raju n’a reçu de leurs nouvelles pour la première fois qu'il y a quelques semaines. Qu’est-ce qui lui donne cette force, cette capacité à garder son humour acide ? Qu’est-ce qui les fait tous avancer, malgré tout ce qu’ils ont enduré ? Leur confiance et leur espoir - et l’amour - pour le Parti. Je rencontre cela encore et encore, enraciné dans l'histoire personnelle des gens.
Nous avançons maintenant en une seule file. Moi et une centaine d’insurgés ‘d'une violence insensée’ et sanguinaires. J’ai regardé le camp avant que nous ne le quittions. Il n’y a aucun signe que pratiquement cent personnes ont campé ici, excepté quelques cendres à l'emplacement des feux. Cette armée est incroyable. En ce qui concerne la consommation, elle est plus gandhienne que tout Gandhien, et a une empreinte carbone plus légère que n’importe quel évangéliste du changement climatique. Mais pour l’instant, elle a même une approche ‘gandhienne’ du sabotage ; avant qu’un véhicule de police ne soit brûlé, par exemple, il est déshabillé et chaque partie est cannibalisée. Le volant est redressé et transformé en bharmaar, la garniture intérieure en rexine est enlevée et utilisée pour faire des cartouchières, la batterie pour la charge d’énergie solaire. (Les nouvelles instructions du haut commandement sont que les véhicules capturés doivent être enterrés et non brûlés. De cette manière, ils peuvent être ressuscités quand on en a besoin). Je me demande si je devrais écrire une pièce de théâtre - Gandhi, prends ton fusil. Ou serais-je lynchée ?
Nous marchons dans le noir et dans un silence de mort. Je suis la seule à utiliser une lampe électrique, pointée vers le bas et donc tout ce que je peux voir dans son cercle de lumière, ce sont les talons nus de la Camarade Kamla dans ses sandales noires éraflées, me montrant exactement où je dois mettre mes pieds. Elle transporte dix fois plus de poids que moi. Son sac à dos, un fusil, un énorme sac de provisions sur sa tête, un des grands plats de cuisine et deux sacs en bandoulière remplis de légumes. Le sac sur sa tête est parfaitement équilibré et elle peut descendre des pentes et des chemins de pierres glissants sans même le toucher. Elle est un miracle. Cela s’avère être une longue marche. Je suis reconnaissante pour la leçon d’histoire parce qu’en plus de tout le reste, elle a donné du repos à mes pieds durant toute une journée. (C’est la plus belle chose que de marcher dans la forêt pendant la nuit. Et je vais le faire nuit après nuit).
Nous nous rendons à une célébration pour le centenaire de la rébellion du Bhumkal en 1910 durant laquelle les Koyas se sont soulevés contre les Britanniques. Bhumkal signifie tremblement de terre. Le Camarde Raju dit que les gens marcherons pendant des jours ensemble pour venir à la célébration. La forêt doit être remplie de gens en mouvement. Il y a des célébrations dans toutes les divisions du DK. Nous sommes privilégiés parce que le Camarade Leng, le Maître de Cérémonie, marche avec nous. En Gondi, Leng signifie ‘la voix’.
Le Camarade Leng est un grand homme d’âge moyen originaire de l’Andhra Pradesh, un collègue du chanteur-poète légendaire et bien aimé Gadar, qui a fondé l’organisation culturelle radicale Jan Natya Manch (JNM) en 1972. Finalement, JNM est devenu une partie officielle de la PWG et dans l’Andhra Pradesh pouvait attirer des foules de dizaine de milliers de personnes. Le Camarade Leng l'a rejoint en 1977 et est devenu un chanteur célèbre. Il a vécu dans l'Andhra durant la pire répression, l’ère des assassinats au cours de 'combats' dans lesquels des amis mouraient pratiquement chaque jour. Il a lui-même été ramassé une nuit dans son lit d’hôpital, par une femme commissaire de police se faisant passer pour un médecin. Il a été amené dans la forêt à l’extérieur de Warangal pour être ‘combattu’. Mais par chance pour lui, dit le Camarade Leng, Gadar a appris la nouvelle et s’est arrangé pour donner l’alarme. Lorsque la PWG a décidé de commencer une organisation culturelle dans le DK en 1998, le Camarade Leng a été envoyé pour diriger le Chetana Natya Manch. Et il est ici maintenant, marchant avec moi, vêtu d’une chemise vert olive, et pour une raison quelconque, d’un pyjama mauve avec des lapins roses dessus. « Il y a 10.000 membres dans le CNM maintenant », m’a-t-il dit. « Nous avons 500 chansons, en hindi, en gondi, en chhattisgarhi et en halbi. Nous avons imprimé un livre avec 140 de nos chansons. Tout le monde en écrit ».
La première fois que je lui ai parlé, il semblait très sérieux, très tenace. Mais quelques jours plus tard, assis autour du feu, toujours dansson pyjama, il nous parle d’un réalisateur important et à succès de de films en télougou (un ami à lui), qui joue toujours un naxalite dans ses propres films. « Je lui ai demandé », a dit le Camarade Leng dans son hindi teinté d’un agréable accent télougou : « Pourquoi penses-tu que les naxalites sont toujours comme ça ? » - et il a mime adroitement un homme accroupi, trottant, à l'air traqué, émergeant de la forêt avec un AK-47 et nous a fait hurler de rire.
Je ne suis pas sûre de savoir si je me réjouis des célébrations du Bhumkal. Je crains de voir des danses traditionnelles tribales teintées de propagande maoïste, des discours enthousiastes et rhétoriques et une assistance docile aux yeux vitreux. Nous arrivons sur le terrain assez tard dans la soirée. Un monument provisoire, un échafaudage de bambou enveloppé d’un drap rouge, a été érigé. Au sommet, au-dessus du marteau et de la faucille du Parti maoïste, se trouvent l’arc et la flèche de la Janatana Sarkar, enveloppés d’une feuille argentée. La hiérarchie appropriée. La scène est énorme, également provisoire, sur un échafaudage robuste recouvert par un épais plâtrage de boue séchée. Il y a déjà de petits feux dispersés sur le terrain, les gens ont commencé à arriver et se cuisinent leur repas du soir. Ce ne sont que des silhouettes dans le noir. Nous faisons notre chemin à travers eux, (lalsalaam, lalsalaam, lalsalaam) et continuons durant environ 15 minutes avant d'entrer à nouveau dans la forêt.
Sur notre nouveau terrain de campement, nous devons encore former les rangs. Un nouvel appel. Et puis les instructions pour les positions des sentinelles et les ‘arcs de tir’ - décisions de qui couvrira quelle zone dans l’éventualité d’une attaque policière. Des points de RV sont à nouveau fixés.

La Camarade Kamla, 17 ans, fusil à l'épaule. Un sourire éclatant, un vrai miracle.
Un détachement est arrivé en avance et a déjà préparé le souper. Pour le dessert, Kamla m’apporte une goyave sauvage qu’elle a cueilli pendant la marche et a gardé pour moi.
Dès l’aube, on sent que de plus en plus de gens se rassemblent pour la célébration du jour. Un brouhaha d’excitation qui monte. Des gens qui ne se sont pas vus depuis longtemps se retrouvent. On peut entendre le son des micros qui sont testés. Les drapeaux, les bannières, les affiches, les guirlandes se montent. Une affiche avec les photos des cinq personnes qui ont été tuées à Ongnaar le jour où nous sommes arrivés est apparue.
Je bois le thé avec les Camarades Narmada, Maase et Rupi. La Camarade Narmada parle des nombreuses années durant lesquelles elle a travaillé à Gadchiroli avant de devenir la dirigeante du Krantikari Adivasi Mahila Sanghatha (KAMS) du DK. Rupi et Maase ont été des militantes urbaines dans l’Andhra Pradesh et me racontent les longues années de lutte des femmes au sein du Parti, pas seulement pour leurs droits mais également pour que le Parti se rende compte que l’égalité entre les hommes et les femmes est centrale dans le rêve d’une société juste. Nous parlons des années 70 et des histoires des femmes au sein du mouvement naxalite qui étaient désillusionnées par les camarades masculins qui se croyaient grands révolutionnaires mais étaient entravés par le même vieux patriarcat, le même vieux chauvinisme. Maas dit que les choses ont beaucoup changé depuis lors, bien qu’ils aient encore un long chemin à faire. (Le Comité Central du Parti et le Bureau Politique ne comptent toujours pas de femmes).

Aux alentours de midi, un autre contingent de la PLGA arrive. Celui-ci est dirigé par un homme grand, souple, avec un air gamin. Ce camarade a deux noms - Sukhdev et Gudsa Usendi - dont aucun n’est le sien. Sukhdev est le nom d’un camarade très aimé qui est tombé martyr. (Dans cette guerre, seuls les morts sont assez en sécurité pour utiliser leurs vrais noms) Comme pour Gudsa Usendi, beaucoup de camarades ont été Gudsa Usendi à un moment ou à un autre. (Il y a quelques mois, c’était la Camarade Raju). Gudsa Usendi est le nom du porte-parole du Parti pour le Dandakaranya. Ainsi même si Sukhdev passe le reste du voyage avec moi, je n’ai aucune idée de comment je pourrais le retrouver. Cependant, je reconnaîtrais son rire n’importe où. Il dit qu’il est venu dans le DK en 1988, quand la PWG a décidé d’envoyer un tiers de ses forces du Telengana Nord vers le DK. Il est joliment habillé, en ‘civil’ (Gondi pour ‘vêtements civils’) opposé à ‘l’habit’ (‘uniforme’ maoïste) et pourrait se faire passer pour un jeune cadre. Je lui demande pourquoi il ne porte pas d’uniforme. Il dit qu’il a voyagé et qu’il revient juste des Keshkal Gats près de Kanker. Il y a des rapports sur un gisement de bauxite - trois millions de tonnes - sur lesquels une compagnie appelée Vedanta à un œil.
Bingo, dix sur dix pour mon instinct.
Sukhdev dit qu’il est allé là pour prendre la température du peuple. Pour voir s’il était préparé à se battre. « Ils veulent des brigades maintenant. Et des fusils ». Il penche la tête en arrière et se tord de rire. « Je leur ai dit que ce n’était pas si facile ». Grâce à ses brins perdus de conversation et la facilité avec laquelle il porte son AK-47, je peux dire qu’il est aussi très haut placé dans la PLGA.
La poste de la jungle arrive. Il y a un biscuit pour moi ! C’est de la part du Camarade Venu. Sur un minuscule morceau de papier, plié et replié, il a écrit les paroles d’une chanson qu’il avait promis de m’envoyer. La Camarade Narmada sourit quand elle les lit. Elle connait cette histoire. Elle renvoie aux années 80, au moment où les gens ont commencé à faire confiance au Parti et à venir vers lui avec leurs problèmes - leurs ‘contradictions intimes’ comme les qualifie le Camarade Venu. Les femmes ont été parmi les premières à venir. Un soir, une vieille femme assise près du feu, s’est levée et a chanté une chanson pour le dada log. C’était une Maadiya, une tribu dans laquelle les femmes avaient coutume d’enlever leur chemisier et de rester seins nus après leur mariage.
Jumper polo intor Dada, Dakoniley
Taane tasom intor Dada, Dakoniley
Bata papam kitom Dada, Dakoniley
duniya kadile maata Dada, Dakoniley
Ils disent que nous ne pouvons pas garder nos chemisiers, dada, Dakoniley
Ils nous les font enlever, Dada,
De quelle manière avons-nous pêché, Dada,
Le monde change n’est-ce pas, Dada,
Aatum hatteke Dada, Dakoniley
Aada nanga dantom Dada, Dakoniley
Id pisval manni Dada, Dakoniley
Mava koyaturku vehat Dada, Dakoniley
Mais quand nous allons au marché Dada,
Nous devons y aller à moitié nues Dada,
Nous ne voulons pas cette vie Dada,
Dites cela à nos ancêtres Dada,
Ceci a été la première question féminine sur laquelle le Parti a décidé de faire campagne. Cela devait se faire délicatement, avec des instruments chirurgicaux. En 1986, il a mis en place le Adivasi Mahila Sanghathana (AMS) qui a évolué vers le Krantikari Adivasi Mahila Sanghatan (KAMS) et a aujourd’hui 90.000 membres enregistrés. Cela pourrait bien être la plus grande organisation de femmes du pays. (D’ailleurs, ils sont tous maoïstes, tous les 90.000. Seront-ils ‘ratissés’ ? Et qu’en est-il des 10.000 membres du CNM ? Eux aussi ?) Les campagnes du KAMS contre les traditions adivasis du mariage forcé et de l’enlèvement. Contre la coutume de faire vivre les femmes réglées en dehors du village dans une hutte dans la forêt. Contre la bigamie et la violence domestique. Il n’a pas gagné toutes ses batailles, mais quelles féministes les ont toutes gagnées ? Par exemple, encore aujourd’hui dans le Dandakaranya, les femmes ne sont pas autorisées à semer les graines. Dans les réunions du Parti, les hommes reconnaissent que c’est injuste et que cela devrait être supprimé. Mais dans la pratique, ils ne l’autorisent simplement pas. Donc le Parti a décidé que les femmes allaient semer les graines sur les terres communes, qui appartiennent à la Janatana Sarkar. Sur cette terre, elles sèment les graines, cultivent les légumes et construisent les barrages de retenue. Une demi-victoire, pas une entière.
Au fur et à mesure que la répression policière augmentait dans le Bastar, les femmes du KAMS sont devenues une force formidable et se rassemblent par centaines, parfois par milliers pour faire physiquement face à la police. Le simple fait que le KAMS existe a changé radicalement les attitudes traditionnelles et a diminué beaucoup des formes traditionnelles de discrimination contre les femmes. Pour de nombreuses jeunes femmes, rejoindre le Parti, en particulier la PLGA, est devenu une manière d’échapper à la suffocation de leur propre société. La Camarade Sushila, une ancienne membre de la direction du KAMS parle de la rage de la Salwa Judum contre les femmes KAMS. Elle dit qu’un de leurs slogans était Hum Do Bibi layenge ! Layenge ! (Nous voulons avoir deux femmes ! Nous le voulons !) Un grand nombre de viols et de mutilations sexuelles bestiales étaient dirigés contre les membres des KAMS. Beaucoup de jeunes femmes qui ont été témoins de cette sauvagerie ont alors rejoint la PLGA et maintenant, les femmes constituent 45% de ses cadres. La Camarade Narmada envoie chercher certaines d’entre elles, qui nous rejoignent un moment plus tard.
La Camarade Rinki a les cheveux très courts. Un bob-cut [coupe au carré] comme ils disent en gondi. C’est courageux de sa part, parce qu’ici, ‘bob-cut’ signifie ‘maoïste’. Pour la police, c’est plus qu’assez comme preuve pour justifier une exécution sommaire. Le village de la Camarade Rinki, Korma, a été attaqué par le Bataillon Naga et la Salwa Judum en 2005. A ce moment là, Rinki faisait partie de la milice du village. Tout comme ses amies Lukki et Sukki, qui étaient également membres du KAMS. Après avoir brûlé le village, le Bataillon Naga a arrêté Lukki et Sukki et un autre fille, les ont violées collectivement et les ont tuées. « Ils les ont violées sur l’herbe », dit Rinki, « mais quand ça a été fini, il ne restait plus d’herbe ». C’était il y a des années maintenant, le Bataillon Naga est parti, mais la police vient toujours. « Ils viennent dès qu’ils ont besoin de femmes, ou de poulets ».

Campement maoïste : de leur passage, il ne restera que la cendre des feux de cuisine
Ajitha a aussi un bob-cut. La Judum est venue à Korseel, son village, et a tué trois personnes en les noyant. Ajitha était avec la milice et a suivi la Judum à distance jusqu’à un endroit proche du village appelé Paral Nar Todak. Elle les a regardés violer six femmes et tirer dans la gorge d’un homme.
La Camarade Laxmi, qui est une fille magnifique avec une longue tresse, me raconte qu’elle a regardé la Judum brûler trente maisons dans son village Jojar. « Nous n’avions pas d’armes alors », dit-elle, « nous ne pouvions rien faire d'autre que regarder ». Elle a rejoint la PLGA juste après. Laxmi était une des 150 guérilleros qui ont marché à travers la jungle durant trois mois et demi en 2008, de Nayagarh dans l’Orissa, pour faire une descente dans un arsenal de la police où ils ont saisi 1.200 fusils et 2 millions de cartouches.
La Camarade Sumitra a rejoint la PLGA en 2004, avant que la Salwa Judum ne commence à tout saccager. Elle dit qu’elle l’a rejointe parce qu’elle voulait s’enfuir de sa maison. « Les femmes sont contrôlées dans tous les sens », me dit-elle. « Dans notre village, les filles n’étaient pas autorisées à grimper aux arbres et si elles le faisaient, elles devaient payer une amende de 500 roupies ou d’une poule. Si un homme frappe une femme et qu’elle le frappe en retour, elle doit donner une chèvre au village. Les hommes s’en vont ensemble dans les collines durant des mois pour chasser. Les femmes ne sont pas autorisées à s’y rendre, la meilleure partie de la viande est pour les hommes. Les femmes ne peuvent pas manger d’œufs ». Une bonne raison pour rejoindre une armée de guérilla ?

Sumitra raconte l’histoire de deux de ses amies, Telam Parvati et Kamla qui travaillaient avec le KAMS. Telam Parvati venait du village de Polekaya dans le Bastar Sud. Comme tout le monde là, elle a aussi regardé la Salwa Judum brûler son village. Elle a alors rejoint la PLGA et est allée travailler dans les Keshkal Ghats. En 2009, elle et Kamla venaient juste de terminer d’organiser les célébrations de la journée des femmes du 8 mars dans la région. Elles étaient ensemble dans une petite hutte juste à l’extérieur d’un village appelé Vadgo. Durant la nuit, la police a encerclé la hutte et a commencé à tirer. Kamla a risposté mais a été tuée. Parvati s’est échappée, mais a été retrouvée et tuée le jour suivant. C’est ce qui est arrivé l’an dernier lors de la Journée des Femmes. Et voici un reportage d’un journal national à propos de la Journée des Femmes cette année.
Les rebelles du Bastar se battent pour les droits des femmesSahar Khan, Mail Today, Raipur, 7 mars 2010Le gouvernement peut bien avoir sorti le grand jeu pour combattre la menace maoïste dans le pays. Mais une section de rebelles du Chhattisgarh a des questions plus urgentes à régler que leur propre survie. Avec l'imminence de la Journée Internationale des Femmes, les maoïstes de la région du Bastar ont appelé à une semaine de ‘célébrations’ pour plaider en faveur des droits des femmes. Des affiches ont également été apposées à Bijapur, dans le district de Bastar. L’appel de ces champions autoproclamés des droits des femmes a ébahi la police. L’inspecteur général (IG) du Bastar T.J. Longkumer a dit : « Je n’ai jamais vu un tel appel venant des naxalites, qui ne croient qu’à la violence et au carnage.»

Et puis le reportage poursuit :
« Je pense que les maoïstes essayent de riposter à notre Jan Jagran Abhiyaan (campagne de sensibilisation de masse) très réussie. Nous avons commencé la campagne en cours avec l’objectif de gagner un soutien populaire pour l’Opération Green Hunt, qui a été lancée par la police pour éradiquer les extrémistes d’extrême-gauche », a dit l’IG.
Ce cocktail de méchanceté et d’ignorance n’est pas inhabituel. Gudsa Usendi, chroniqueur de l'actualité du Parti en sait plus là-dessus que la plupart des gens. Son petit ordinateur et son enregistreur MP3 sont remplis de déclarations de presse, de démentis, de corrections, de littérature du Parti, de listes des morts, de clips vidéos et audio et de matériel vidéo. « La pire chose, quand vous êtes un Gudsa Usendi », dit-il « est d’émettre des mises au point qui ne sont jamais publiées. Nous pourrions sortir un épais livre de nos mises au point non publiées, à propos des mensonges qu’ils disent sur nous ». Il parle sans trace d’indignation, en fait avec un certain amusement.
« Quelle est l’accusation la plus ridicule que vous ayez eu à démentir ? »
Il réfléchit. « En 2007, nous avons dû sortir une déclaration disant « Nahi bhai, humney gai ko hathode say nahin mara » (Non frère, nous n’avons pas tué les vaches à coups de marteau ). En 2007, le gouvernement de Raman Singh a annoncé un Gai Yojana (plan vache), une promesse électorale, une vache pour chaque Adivasi. Un jour, les chaînes de télévision et les journaux ont rapporté que les naxalites avaient attaqué un troupeau de vaches et les avaient matraquées à mort - avec des marteaux - parce qu’ils étaient anti-hindous, anti-BJP. On peut imaginer ce qui est arrivé. Nous avons publié un démenti. Presque personne ne l’a reproduit. Plus tard, il s’est avéré que l’homme qui avait reçu les vaches pour les distribuer était une crapule. Il les a vendues et a dit que nous lui avions tendu une embuscade et tué les vaches ».
Et la plus grave ?
« Oh, il y en a des douzaines. Ils mènent une campagne après tout. Quand la Salwa Judum a débuté, le premier jour, ils ont attaqué un village appelé Ambeli, l’ont brûlé et puis l’ensemble d’entre eux, les SPO, le Bataillon Naga, la police, a bougé vers Kotrapal... vous devez avoir entendu parler de Kotrapal ? C’est un célèbre village qui a été brûlé 22 fois pour avoir refusé de capituler. Quand la Judum a atteint Kotrapal, notre milice l’attendait. Ils avaient préparé une embuscade. Deux SPO sont morts. La milice en a capturé sept, le reste s’est enfui. Le lendemain, les journaux ont rapporté que les naxalites avaient massacré de pauvres Adivasis. Certains ont dit que nous en avions tué des centaines. Même un magazine honorable tel que Frontline a dit que nous avions tué 18 adivasis innocents. Même K. Balagopal, le militant pour les droits humains, qui est habituellement méticuleux à propos des faits, a dit cela. Nous avons envoyé une mise au point. Personne ne l’a publiée. Plus tard, dans son livre, Balagopal a reconnu son erreur ... Mais qui l’a noté ? »

Portraits de martyrs exposés lors du Jour du  Bhumkal
J’ai demandé ce qui était arrivé aux sept personnes qui avaient été capturées.
« Le Comité Régional a convoqué un Jan Adalat (Tribunal Populaire), 4.000 personnes y ont assisté. Ils ont écouté toute l’histoire. Deux des SPO ont été condamnés à mort. Cinq ont été avertis mais pas punis. Le peuple a décidé. Même pour les indicateurs - ce qui est en train de devenir actuellement un problème énorme - les gens ont écouté l’affaire, les histoires et les confessions et ont dit « Iska hum risk nahin le sakte » (Nous ne sommes pas prêts à prendre le risque de faire confiance à cette personne) ou « Iska risk hum lenge » (Nous sommes prêts à prendre le risque de faire confiance à cette personne). La presse parle toujours des informateurs qui sont tués. Jamais des nombreux autres que nous laissons partir. Donc, tout le monde pense que c’est une procédure sanguinaire durant laquelle tout le monde est toujours tué. Il ne s'agit pas de vengeance, il en va de notre survie et de la sauvegarde de vies futures. Bien sûr, il y a des problèmes, nous avons fait des erreurs terribles, nous avons même tué les mauvaises personnes dans nos embuscades, pensant que c’était des policiers, mais ce n’est pas la façon dont c’est raconté dans les médias ».
Les redoutables ‘Tribunaux Populaires’. Comment pouvons-nous les accepter ? Ou approuver cette forme de justice sommaire ?
D’autre part, quid des faux ‘combats’ mis en scène et autres - la pire forme de justice sommaire - qui rapportent aux policiers et aux soldats des médailles de bravoure, des récompenses pécuniaires et des promotions de la part du gouvernement indien ? Plus ils tuent, et plus ils sont récompensés. Ils sont appelés ‘Cœurs Vaillants’, ‘spécialistes des affrontements’. Nous sommes appelés ‘anti-nationaux’, ceux d’entre nous qui osent les remettre en cause. Qu’en est-il de la Cour Suprême qui a admis avec impudence ne pas avoir assez de preuves pour condamner Mohammed Afzal (accusé dans l’attaque du Parlement en décembre 2001) à mort, mais l’a fait quand même, parce que ‘la conscience collective de la société ne sera satisfaite que si la peine capitale est infligée au coupable’.
Au moins dans le procès du Jan Adalat de Kotrapal  le collectif était physiquement présent pour prendre sa propre décision. Elle n’a pas été prise par des juges qui avaient perdu tout contact avec la vie ordinaire il y a très longtemps, censés parler au nom d’un collectif absent.

Je me demande ce qu'aurait du faire la population de Kotrapal ? Aller chercher  la police ?
Le son des tambours est devenu vraiment fort. C’est l’heure du Bhumkal. Nous marchons vers le terrain. Je peux difficilement en croire mes yeux. Il y a une mer de gens, la plupart sauvages et beaux, vêtus des façons les plus fantaisistes et magnifiques. Les hommes semblent avoir fait beaucoup plus pris soin d' eux-même que les femmes. Ils ont des coiffures à plumes et des tatouages peints sur leur visage. Beaucoup ont les yeux maquillés et les visages poudrés en blanc. Il y a beaucoup de miliciens, de filles en saris aux couleurs à couper le souffle avec des fusils accrochés négligemment à l'épaule. Il y a des vieux, des enfants et des arcs de guirlandes rouges à travers le ciel.
Le soleil est haut et vif. Le Camarade Leng parle. Ainsi que plusieurs dirigeants des diverses Janatana Srakars. La Camarade Niti, une femme extraordinaire qui est au Parti depuis 1997, est une telle menace pour la nation, qu’en janvier 2007, plus de 700 policiers ont encerclé le village d’Innar parce qu’ils avaient entendu qu’elle était là. La Camarade Niti est considérée comme tellement dangereuse, et est chassée avec un tel désespoir, pas parce qu’elle a mené de nombreuses embuscades (ce qu’elle a fait), mais parce qu’elle est une femme adivasi aimée par les gens dans le village et est une réelle inspiration pour les jeunes. Elle parle avec son AK à l’épaule. (C’est un fusil qui a une histoire. Le fusil de pratiquement chacun a une histoire : à qui il a été saisi, comment, et par qui).
Une troupe CNM présente une pièce à propos du soulèvement du Bhumkal. Les méchants colonialistes blancs portent des chapeaux et des cheveux de paille dorée, et tyrannisent et frappent les adivasis comme plâtre - entraînant un délice sans fin dans le public. Une autre troupe venant du Gangalaur Sud présente un spectacle appelé Nitir Judum Pito (Histoire de la Chasse Sanguinaire). Joori traduit pour moi. C’est l’histoire de deux vieilles personnes qui s’en vont à la recherche du village de leur fille. Alors qu’ils marchent à travers la forêt, ils se perdent parce que tout est brûlé et méconnaissable. La Salwa Judum a même brûlé les tambours et les instruments de musique. Il n’y a pas de cendres parce qu’il a plu. Ils ne peuvent pas trouver leur fille. Dans son chagrin, le vieux couple commence à chanter, et les entendant, la voix de leur fille venant des ruines leur chante en retour : le bruit de notre village a été réduit au silence, chante-t-elle. Il n’y a plus de bruit de battage  du riz, plus de rires. Plus d’oiseaux, plus de chèvres qui bêlent. La corde tendue de notre bonheur a été cassée net. Son père chante en retour : Ma fille magnifique, ne pleure pas aujourd’hui. Tous ceux qui naissent doivent mourir. Ces arbres autour de nous tomberont, les fleurs fleuriront et se flétriront, un jour ce monde vieillira. Mais pour qui mourons-nous ? Un jour, nos pillards apprendront, un jour la Vérité l’emportera, mais notre peuple ne t’oubliera jamais, pour des milliers d’années.
Quelques discours supplémentaires. Puis les tambours et les danses commencent. Chaque Janatana Sarkar a sa propre troupe. Chaque troupe a préparé sa propre danse. Elles arrivent une par une, avec d’énormes tambours et elles dansent des histoires sauvages. Le seul personnage que toutes les troupes ont en commun est Bad Mining Man [e Méchant Entrepreneur Minier], avec un casque et des lunettes noires, qui fume habituellement une cigarette. Mais il n’y a rien de rigide ou de mécanique dans leurs danses. Tandis qu'elles dansent, la poussière s’élève. Le son des tambours devient assourdissant. Petit à petit, la foule commence à se balancer. Et puis elle se met à danser. Ils dansent en petite lignes de six ou sept, les hommes séparés des femmes, avec leur bras autour de la taille l’un de l’autre. Des milliers de gens. C'est pour cela qu'ils sont venus. Pour ça. On prend la joie très au sérieux ici, dans la forêt de Dandakaranya. Les gens marcheront des kilomètres, durant des jours ensemble pour fêter et chanter, pour mettre des plumes dans leurs turbans et des fleurs dans leurs cheveux, pour se serrer l’un l’autre dans les bras et boire la mahua [25] et danser toute la nuit. Personne ne chante ou ne danse tout seul. Ceci, plus que tout le reste, est le signe du défi qu'ils lancent à une civilisation qui cherche à les anéantir. Je ne peux pas croire que tout ceci se déroule sous le nez de la police. En plein milieu de l’Opération Green Hunt.
D’abord, les camarades de la PLGA regardent les danseurs, se tenant sur les côtés, avec leurs fusils. Mais ensuite, un par un, comme des canards qui ne peuvent pas supporter de rester sur le bord et regarder les autres canards nager, ils entrent à leur tour dans la danse. Bientôt, il y a des lignes de danseurs vert olive, tourbillonnant avec toutes les autres couleurs. Et puis, alors que des sœurs et des frères, des parents et des enfants et des amis, qui ne se sont pas rencontrés depuis des mois, parfois des années, se rencontrent les, les lignes se brisent et se reforment et le vert olive s'éparpille parmi les saris tourbillonnants et les fleurs, les tambours et les turbans. C’est sûrement une Armée Populaire. Pour l’instant, du moins. Et ce que le Président Mao a dit à propos des guérilleros qui sont le poisson, et la population l’eau dans laquelle ils nagent est, à ce moment, littéralement vrai.
Le Président Mao. Il est ici aussi. Un peu solitaire peut-être, mais présent. Il y a une photo de lui, sur un écran en toile rouge. Marx aussi. Et Charu Mazumdar, le fondateur et le théoricien en chef du mouvement naxalite. Sa rhétorique acerbe fétichise la violence, le sang et le martyre, et emploie souvent un langage tellement dru qu’il est presque génocidaire. Debout ici, le jour du Bhumkal, je ne peux m’empêcher de penser que son analyse, si vitale pour la structure de cette révolution, est si éloignée de son émotion et de sa texture. Quand il a dit que seule ‘une campagne d’anéantissement’ pourrait produire ‘l'homme nouveau qui défiera la mort et sera libre de toute pensée d’intérêt personnel’ - aurait-il pu imaginer que ce peuple ancien, dansant dans la nuit, serait celui sur les épaules duquel reposeraient ses rêves ?
Cela rend un mauvais service à tout ce qui se déroule ici que la seule chose qui semble aller vers le monde extérieur est la rhétorique rigide et inflexible des idéologues d’un parti qui a évolué par rapport à son histoire problématique. Quand Charu Mazumdar a dit cette phrase célèbre « Le Président de la Chine est notre Président et le chemin de la Chine est notre chemin », il était prêt à l’étendre juqu’au point où les naxalites sont restés silencieux pendant que le général Yahya Khan a commis un génocide dans l’est du Pakistan (Bengladesh) parce qu’à ce moment, la Chine était un allié du Pakistan.
Il y avait le silence aussi sur le Khmers Rouges et leurs champs de la mort au Cambodge. Il y avait eu le silence sur les excès énormes des révolutions chinoise et russe. Silence sur le Tibet. Au sein du mouvement naxalite aussi, il y a eu des excès violents et nombre de choses qu’ils ont faites sont impossible à défendre. Mais on peut comparer tout ce qu’ils ont fait avec les réalisations sordides du Congrès et du BJP au Punjab, au Cachemire, à Delhi, à Mumbai, dans le Gujarat,... Et cependant, malgré ces contradictions terrifiantes, Charu Mazumdar était un visionnaire dans beaucoup de ce qu’il a dit et écrit. Le parti qu’il a créé (et ses nombreux groupes dissidents) a gardé présent et réel le rêve de la Révolution en Inde. Imaginez une société sans ce rêve. Rien que pour ça, nous ne pouvons pas le juger trop sévèrement. Particulièrement pas pendant que nous nous emmaillotons nous-mêmes dans l’hypocrisie pieuse de Gandhi à propos de la supériorité de la ‘manière non violente’ et sa notion de curatelle (trusteeship). « L’homme riche gardera la possession de sa richesse, dont il utilisera ce dont il a nécessairement besoin pour ses besoins personnels et agira en tant que fiduciaire pour que le reste soit utilisé pour le bien de la société ». Comme il est étrange cependant, que les tsars contemporains de l’establishment indien - l’Etat qui a écrasé les naxalites si impitoyablement - doivent maintenant dire ce que Charu Mazumdar a dit il y a si longtemps : le chemin de la Chine est notre chemin.
A l’envers, la tête en bas.

Les damnés: Villageois de la zone qui sera submergée par la barrage prévu à  Bodhghat
Le chemin de la Chine a changé. La Chine est devenue une puissance impériale maintenant, pratiquant la prédation des ressources d’autres pays et d’autres peuples. Mais le Parti a toujours raisons, simplement, le Parti a changé d’avis.
Quand le Parti est un prétendant (comme il l’est maintenant dans le Dandakaranya) courtisant la population, attentif à chacun de ses besoins, alors il est sincèrement un Parti Populaire, son armée authentiquement une Armée Populaire. Mais après la Révolution, cette histoire d’amour peut si facilement se transformer en mariage amer. L’Armée Populaire peut se retourner contre le peuple si facilement . Aujourd’hui, dans le Dandakaranya, le Parti veut que la bauxite reste dans les montagnes. Demain, changera-t-il d’avis ? Mais pouvons-nous, devons-nous laisser les inquiétudes à propos du futur nous immobiliser pour le présent ?
Les danses continueront toute la nuit. Je retourne en marchant au camp. Maase est là, réveillée. Nous discutons tard dans la nuit. Je lui donne mon exemplaire des  Vers du Capitaine de Neruda (Je l’avais emporté, juste au cas où). Elle demande encore et encore : « Que pensent-ils de nous à l’extérieur ? Que disent les étudiants ? Raconte-moi le mouvement des femmes, quelles sont les grandes questions maintenant ? » Elle me pose des questions sur moi, mes écrits. J’essaye et lui donner un compte-rendu honnête de mon chaos. Puis, elle commence à me parler d’elle, de comment elle a rejoint le Parti. Elle me raconte que son partenaire a été tué en mai dernier, dans un faux combat. Il a été arrêté à Nashik et emmené à Warangal pour être tué. « Ils doivent l’avoir sérieusement torturé ». Elle était en route pour aller le retrouver quand elle a entendu qu’il avait été arrêté. Elle est restée dans la forêt depuis lors. Après un long silence, elle me raconte qu’elle a été mariée une fois avant, il y a des années. « Il a aussi été tué dans un combat », dit-elle et ajoute vette précision à briser le cœur : « mais dans un vrai ».
Je suis couchée éveillée sur mon jhilli, pensant à la tristesse prolongée de Maase, écoutant les tambours et les sons de la joie prolongée sur le terrain et réfléchissant l’idée de Charu Mazumdar de guerre prolongée, précepte central du Parti maoïste. C’est ce qui fait que les gens pensent que l’offre d’entrer dans des ‘dialogues de paix’ des maoïstes est un canular, une ruse pour obtenir un répit pour se regrouper, se ré-armer et retourner mener la guerre prolongée ? Qu’est-ce que la guerre prolongée ? Est-ce une chose terrible en soi, ou dépend-elle de la nature de la guerre ? Qu’en serait-il des gens ici dans le Dandakaranya s’ils n’avaient pas mené leur guerre prolongée ces trente dernières années, où en seraient-ils maintenant ?
Et les maoïstes sont-ils les seuls à croire à la guerre prolongée ? Pratiquement dès le moment où l’Inde est devenue une nation souveraine, elle s’est transformée en puissance coloniale, annexant des territoires, menant la guerre. Elle n’a jamais hésité à faire usage des interventions militaires pour aborder les problèmes politiques - Cachemire, Hyderabad, Goa, Nagaland, Manipur, Telengana, Assam, Punjab, le soulèvement naxalite au Bengale occidental, Bihar, Andhra Pradesh et maintenant à travers les régions tribales de l’Inde centrale. Des dizaines de milliers de personnes ont été tuées impunément, des centaines de milliers torturées. Tout ceci derrière le masque bienveillant de la démocratie. Contre qui ces guerres sont-elles menées ? Contre les musulmans, les chrétiens, les sikhs, les communistes, les dalits, les tribaux et plus que tout contre les pauvres qui osent interroger leur sort au lieu d’accepter les miettes qui leur sont lancées. Il est difficile de ne pas voir l’Etat indien comme étant essentiellement un Etat hindou de caste supérieure (sans tenir compte de quel parti est au pouvoir) qui entretient une hostilité réfléchie vis-à-vis de ‘l’autre’. Quelqu’un qui, sur un véritable mode colonial, envoie les Nagas et les Mizos pour se battre dans le Chhattisgarh, les Sikhs dans le Cachemire, les Cachemiris dans l’Orissa, les Tamils dans l’Assam, etc. Si cela n’est pas la guerre prolongée, qu’est-ce donc ?
Pensées déplaisantes durant une nuit étoilée magnifique. Sukhdev se sourit à lui-même, son visage éclairé par son écran d’ordinateur. C’est un bourreau de travail. Je lui demande ce qu'il ya de drôle. « J’étais en train de penser aux journalistes qui étaient venus l’an dernier aux célébrations de Bhumkal. Ils sont venus un jour ou deux. L’un d’eux a posé avec mon AK, s’est fait photographier et puis est reparti et nous a appelé Machines à Tuer ou quelque chose comme ça ».

Les danses ne se sont pas arrêtées et il fait jour. Les lignes continuent encore, des centaines de jeunes gens dansent encore. « Ils ne s’arrêteront pas », dit le Camarade Raju, « pas avant que nous commencions à plier bagages ».
Sur le terrain, je cours vers le Camarade Docteur. Il a fait fonctionner un petit camp médical au bord de la piste de danse. J'ai envie d'embrasser ses grosses joues. Pourquoi ne peut-il pas être au moins trente personnes au lieu d’une ? Pourquoi ne peut-il pas être un millier de personnes ? Je lui demande à quoi elle ressemble, la santé du Dandakaranya. Sa réponse me glace le sang. La plupart des gens qu’il a vu, dit-il, y compris ceux de la PLGA, ont un taux d’hémoglobine entre 5 et 6 (alors que le taux standard des femmes indiennes est de 11). Il y a la tuberculose, causée par plus de deux années d’anémie chronique. Les jeunes enfants souffrent d’une malnutrition protéino-énergétique au stade deux, appelée en termes médicaux Kwashiorkor (Je l’ai cherché plus tard. C’est un mot dérivé du langage Ga de la région côtière du Ghana et qui signifie ‘la maladie que l’enfant attrape quand le nouveau bébé arrive’. En fait, le précédent bébé ne reçoit plus le lait maternel, et il n’y a pas assez  d'aliments pour assurer sa nutrition). C’est une épidémie ici, comme au Biafra, dit le Camarade Docteur. « J’ai travaillé dans des villages avant, mais je n’ai jamais rien vu de tel ».
A côté de cela, il y a la malaria, l’ostéoporose, le ver solitaire, de graves infections de l’oreille et des dents et l’aménorrhée précoce - ce qui arrive quand la malnutrition durant la puberté entraîne la disparition du cycle menstruel de la femme, ou fait qu’il ne se déclenche pas du tout. « Il n’y a aucune clinique dans cette forêt, excepté une ou deux à Gadchiroli. Aucun médecin. Aucun médicament ».
Il part maintenant, avec sa petite équipe, pour un trek de huit jours jusqu’à Abhujmad. Il est en ‘habit’ aussi, le Camarade médecin. Donc, s’ils le trouvent, ils le tueront.
Le Camarade Raju dit qu’il n’est pas sûr de continuer à camper ici. Nous devons bouger. Quitter Bhumkal implique beaucoup d’adieux étalés dans le temps.
Lal lal salaam, Lal lal salaam.
Jaane waley Sathiyon ko Lal Lal Salaam

(Salut Rouge aux camarades sur le départ)
Phir milenge, Phir milenge
Dandakaranya jungle mein phir milenge
(Nous nous reverrons, un jour, dans la jungle de Dandakaranya )
La cérémonie d’arrivée et de départ ne sont jamais prises à la légère, parce que tout le monde sait que quand on dit « nous nous reverrons encore », on veut en fait dire « nous pourrions ne jamais nous revoir ». La Camarade Narmada, la Camarade Maase et la Camarade Roopi prennent des chemins séparés. Les reverrai-je jamais ?
Donc une fois de plus, nous marchons. Il fait plus chaud chaque jour. Kamla cueille le premier fruit de tendu pour moi. Il a un goût de chikoo [sapotille, gomme naturelle]. Je suis devenue mordue du tamarin. Cette fois, nous campons près d’un ruisseau. Les femmes et les hommes se lavent tour à tour en équipes. Durant la soirée, la Camarade Raju reçoit un paquet entier de ‘biscuits’. Nouvelles :
  • 60 personnes arrêtées dans la Division de Manpur à la fin de janvier 2010 n’ont toujours pas comparu au Tribunal.
  • D’énormes contingents de police sont arrivés dans le Bastar Sud. Des attaques au hasard ont lieu.
  • Le 8 novembre 2009, dans le village de Kachlaram, Bijapur Jila, Dirko Madka (60 ans) et Kovasi Suklu (68) ont été tués.
  • Le 24 novembre, Madavi Baman (15) a été tué dans le village de Pangodi.



  • Le 3 décembre, Madavi Budram de Korenjad également tué.



  • Le 11 décembre, village de Gumiapal, Division de Darba, 7 personnes tuées (noms encore à venir).
  • Le 15 décembre, village de Kotrapal, Veko Sombar et Madavi Matti (tous les deux des KAMS) tués.
  • Le 30 décembre, village de Vechapal, Poonem Pandu et Poonem Motu (père et fils) tués.
  • En janvier 2010 (date inconnue), Chef de la Janatana Sarkar du village de Kaika, Gangalaur tué.



  • Le 9 janvier, 4 personnes tuées dans le village de Surpangooden, Région de Jagargonda.



  • Le 10 janvier, 3 personnes tuées dans le village de Pullem Pulladi (pas encore de noms).
  • Le 25 janvier, 7 personnes tuées dans le village de Takilod, Région d’Indrivadi.
  • Le 10 février (Jour du Bhumkal) Kumli violée et tuée dans le village de Dumnaar, Abhujmad. Elle venait d’un village appelé Paiver.
  • 2.000 hommes de troupe de la Indo-Tibetan Border Patrol (ITBP - Patrouille Frontalière Indo-Tibétaine) sont campés dans les forêts de Rajnandgaan.
  • 5.000 hommes supplémentaires de la BSF sont arrivés à Kanker.
Et puis :
  • Quota PLGA rempli
Quelques journaux anciens sont également arrivés. Il y a beaucoup de presse à propos des naxalites. Un titre perçant résume parfaitement le climat politique : Khadedo, Maaro, Samarpan Karao (Eliminer, Tuer, les faire capituler). En dessous de ça : Varta ke liye loktantra ka dwar khula hai (La porte de la démocratie est toujours ouverte aux discussions). Un deuxième dit que les maoïstes font pousser du cannabis pour se faire de l’argent. L’éditorial du troisième dit que la région dans laquelle nous avons campé et marché est totalement sous contrôle policier.
Les jeunes communistes prennent les extraits pour s’entraîner à lire. Ils marchent autour du camp en lisant très haut les articles anti-maoïstes avec des voix de présentateurs radio.

Nouveau jour. Nouveau lieu. Nous sommes stationnés aux alentours du village d’Usir, sous d’énormes arbres mahua. Le mahua vient juste de commencer à fleurir et laisse tomber ses pâles fleurs vertes comme des bijoux sur le sol de la forêt. L’air est baigné de son odeur légèrement capiteuse. Nous attendons les enfants de l’école de Bhatpal qui a été fermée après le ‘combat’ d’Ongaar. Elle a été transformée en camp de police. Les enfants ont été renvoyés chez eux. Ceci est aussi vrai pour les écoles de Nelwad, Moojmetta, Edka, Vedomakot et Dhanora.
Les enfants de l’école de Bhatpal ne se montrent pas.

La Bob-Cut Brigade: Dans le Bastar, les femmes avec une coupe au carré peuevent être tuées
La Camarade Niti (la plus recherchée) et le Camarade Vinod nous mènent dans une longue marche pour voir les séries de structures pour récolter l’eau et les étangs d’irrigation qui ont été construits par la Janatana Sarkar locale. La Camarade Niti parle de l’éventail des problèmes agricoles qu’ils doivent gérer. Seuls 2% de la terre sont irrigués. A Abhujmad, le labour était impensable jusqu’à il y a 10 ans. D'autre part, à Gadricholi, les graines hybrides et les pesticides chimiques font tout doucement leur chemin. Vinod : « Nous avons besoin de gens qui connaissent les graines, les pesticides organiques, la permaculture. Avec un peu d’aide, nous pourrions faire beaucoup ».
Le Camarade Ramu est le fermier en charge de la région de la Janatana Sarkar. Il nous montre fièrement les champs, où ils cultivent le riz, l’aubergine, le gongura [variété d'oseille], l’oignon, le chou-rave. Puis avec la même fierté, un étang d’irrigation énorme, mais totalement sec. Qu’est-ce que c’est ? « Celui-ci n’a même pas d’eau durant la saison des pluies. Il est creusé au mauvais endroit », dit-il, un sourire enveloppant son visage, « ce n’est pas le nôtre, il a été creusé par la Looti Sarkar » (Le Gouvernement qui Pille). Il y a deux systèmes de gouvernement parallèles ici, Janatana Sarkar et Looti Sarkar. Je pense à ce que le Camarade Venu m’a dit : Ils veulent nous écraser, pas seulement à cause des minerais, mais parce que nous proposons un modèle alternatif au monde.
Cette idée de Gram Swaraj [autoadministration gandhienne] avec un fusil n’est pas encore une alternative. Il y a trop de famine, trop de maladie ici. Mais elle a certainement créé les possibilités pour une alternative. Pas pour le monde entier, pas pour l’Alaska, ou New Delhi, ou même peut-être pour l’ensemble du Chhattisgarh, mais pour lui-même. Pour Dandakaranya. C’est le secret le mieux gardé du monde. Elle a posé les fondations pour une alternative à sa propre extermination. Elle a défié l’histoire. Contre toute attente, elle a forgé un projet pour sa propre survie. Elle a besoin d’aide et d’imagination, elle a besoin de docteurs, de profs, de fermiers. Elle n’a pas besoin de guerre.
Mais si la guerre est tout ce qu’elle reçoit, elle combattra en retour.
Durant les quelques jours qui suivent, je rencontre des femmes qui travaillent avec les KAMS, divers dirigeants de Janatana Sarkars, des membres du Dandakaranya Adivasi Kisan Mazdoor Sangathan DAKMS, les familles de personnes qui ont été tuées et simplement des gens ordinaires qui essayent de faire face à la vie en ces temps terrifiants.
J’ai rencontré trois sœurs, Sukhiyari, Sukdai et Sukkali, pas jeunes, peut-être dans la quarantaine, du district de Narainpur. Elles sont dans le KAMS depuis douze ans. Les villageois dépendent d’elles pour s’arranger avec la police. « La police vient en groupes de 200 ou 300. Ils volent tout, les bijoux, les poulets, les cochons, les casseroles et les poêles, les arcs et les flèches », dit Sukkali « ils ne laisseraient même pas un couteau ». Sa maison à Innar a été brûlée deux fois, une fois par le Bataillon Naga et une fois par le CRPF. Sukhiary a été arrêtée et emprisonnée à Jagdalpur durant sept mois.
« Un jour, ils ont emmené l’ensemble du village, en disant que les hommes étaient des naxalites ». Sukhiari a suivi avec toutes les femmes et les enfants. Ils ont cerné le commissariat et ont refusé de partir jusqu’à ce que les hommes soient libérés. « A chaque fois qu’ils emmènent quelqu’un », dit Sukdai, « il faut y aller immédiatement et le reprendre. Avant qu’ils n’écrivent un quelconque rapport. Une fois qu’ils écrivent dans leur livre, cela devient très difficile ».
Sukhiari qui, enfant, a été enlevée et mariée de force à un homme plus âgé (elle s’est enfuie et est allée vivre avec sa sœur), organise maintenant des rassemblements de masse, parle à des meetings. Les hommes dépendent d’elle pour leur protection. Je lui ai demandé ce que le Parti signifie pour elle. « Naxalvaad ka matlab humaara Parivaar (Naxalvaad signifie notre famille). Quand nous entendons parler d’une attaque, c’est comme si c’était notre famille qui avait été blessée », dit Sukhiari.
Je lui ai demandé si elle savait qui est Mao. Elle a souri timidement. « C’était un dirigeant. Nous travaillons pour sa vision ».
J’ai rencontré la Camarade Somari Gawdi. Vingt ans, et elle a déjà purgé une peine de deux ans de prison à Jagdalpur.
Elle était dans le village d’Innar le 8 janvier 2007, le jour où 740 policiers ont disposé un cordon autour du village parce qu’ils avaient l’information que la Camarade Niti s’y trouvait. (Elle y était, mais l’avait quitté au moment où ils sont arrivés). Mais la milice du village, dont Somari était membre, était toujours là. La police a ouvert le feu à l’aube. Ils ont tué deux garçons, Suklal Gawdi et Kachroo Gota. Puis, ils en ont attrapé trois autres, deux garçons, Dusri Salam et Ranai, et Somari. Dusri et Ranai ont été attachés et abattus. Somari a été battue jusqu’à deux doigts de la mort. La police s'est procuré un tracteur avec une remorque et y a chargé les corps morts. Ils ont fait asseoir Somari avec les corps et l'ont emmenée à Narayanpur.
J’ai rencontré Chamri, la mère du Camarade Dilip qui a été abattu le 6 juillet 2009. Elle dit qu’après l’avoir tué, la police a attaché le corps de son fils à un piquet, comme un animal, et l’ont transporté avec eux. (Ils doivent présenter les corps pour recevoir leurs récompenses en argent, avant que quelqu’un d’autre viennent revendiquer l'assassinat). Chamri a couru derrière eux toute la route jusqu’au commissariat. Au moment où ils l’ont atteint, il n’y avait plus une bribe de vêtements sur le corps. Sur le chemin, dit Chamri, ils ont laissé le corps le long de la route pendant qu’ils s’arrêtaient dans un dhaba [gargote debord de  route] pour prendre le thé et des biscuits (pour lesquels ils n’ont pas payé). Imaginez cette mère un instant, suivant le cadavre de son fils à travers la forêt, s’arrêtant à distance pour attendre que ses meurtriers aient fini de prendre le thé. Ils ne l’ont pas laissée récupérer le corps de son fils afin qu’elle puisse lui donner des funérailles convenables. Ils l’ont seulement laissée jeter une poignée de terre dans le trou dans lequel ils avaient enterré les autres personnes qu’ils avaient tuées ce jour-là. Chamri dit qu’elle veut une vengeance. Badla ku badla. Sang pour sang.
J’ai rencontré les membres élus de la Janatana Sarkar de Marskola, qui administre six villages. Ils ont décrit une descente de police : Ils viennent la nuit, 300, 400, parfois 1.000 d’entre eux. Ils disposent un cordon autour d’un village et guettent. A l’aube, ils attrapent les premières personnes qui sortent pour aller aux champs et les utilisent comme boucliers humains pour entrer dans le village, pour qu’elles leur montrent où sont les pièges. ‘Booby traps’ [objets piègés] est devenu un mot gondi. Tout le monde sourit chaque fois qu'il est prononcé. La forêt est pleine de pièges, de vrais et de faux. Même la PLGA doit être guidée dans les villages). Une fois que la police entre dans le village, ils pillent, volent et brûlent les maisons. Ils viennent avec des chiens. Les chiens attrapent ceux qui tentent de s’enfuir. Ils poursuivent les poulets et les cochons et la police les tue et les emmène dans des sacs. Les SPO viennent avec la police. Ce sont eux qui savent où les gens cachent leur argent et leurs bijoux. Ils attrapent les gens et les emmènent. Ils leur arrachent de l’argent avant de les libérer. Ils transportent toujours quelques ‘habits’ naxals en plus avec eux, dans le cas où ils trouvent quelqu’un à tuer. Ils reçoivent plus d’argent pour tuer les naxals, donc ils en fabriquent. Les villageois sont trop effrayés pour rester à la maison.

Sur leur 31: des garçons adivasis en tenues traditionnelles pour le Jour du Bhumkal

Dans cette forêt apparemment tranquille, la vie semble maintenant complètement militarisée. Les gens connaissent des mots tels que Bouclage et ratissage, Fusillade, Progression, Retraite, Abattre, Action ! Pour faire leurs récoltes, ils ont besoin que la PLGA fasse une patrouille de sentinelles. Aller au marché est une opération militaire. Les marchés sont remplis de mukhbirs (informateurs) que la police a attirés depuis leur village avec de l’argent (1.500 roupies par mois). On me dit qu’il y a une mukhbir mohallah - colonie d’informateurs - à Narayannpur où se trouvent au moins 4000 mukhbirs. Les hommes ne peuvent plus aller au marché. Les femmes y vont, mais elles sont surveillées de près. Si elles achètent régulièrement un petit extra, la police les accuse de l’acheter pour les naxals. Les pharmaciens ont des instructions pour ne pas laisser les gens acheter des médicaments excepté en très petites quantités. Les rations à bas prix du Public Distribution System (PDS - Système de Distribution Publique), le sucre, le riz, le kérosène sont entreposés dans ou près des commissariats, rendant impossible leur achat pour la plupart des gens.

 Selon l’article 2 de la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide: le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
    (a) Meurtre de membres du groupe;
    (b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
    (c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditionsd'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
    (d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
    (e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
Toutes les marches semblent avoir eu raison de moi. Je suis fatiguée. Kamla me trouve une casserole d’eau chaude. Je me lave derrière un arbre dans le noir. Mais je ne peux pas manger le souper et je me traîne dans mon sac pour dormir. Le Camarade Raju annonce que nous devons bouger.
Ceci arrive fréquemment bien sûr, mais ce soir, c’est difficile. Nous campions dans un champ ouvert. Nous avions entendu des bombardements au loin. Nous sommes 104. Une fois encore, une file indienne à travers la nuit. L’odeur de quelque chose comme de la lavande. Il devait être 11 heures passées quand nous sommes arrivés à l’endroit où nous allions passer la nuit. Un affleurement de pierres. Formation. Appel. Quelqu’un allume la radio. La BBC dit qu’il y a eu une attaque sur un camp des Eastern Frontier Rifles [corps de police paramilitaire du Bengale occidental, constitué de Gorkhas, Jharuas et autres membres de groupes ethniques appartenant à des sous-castes] à Lalgarh dans le Bengale occidental. 60 maoïstes sur des motos. 14 policiers tués. 10 disparus. Armes saisies. Il y a un murmure de plaisir dans les rangs. Le dirigeant maoïste Kishenji est interviewé. Quand cesserez-vous cette violence et viendrez-vous pour discuter ? Quand l’Opération Green Hunt sera annulée. N’importe quand. Dites à Chidambaram que nous discuterons. Question suivante : il fait noir maintenant, vous avez posé des mines terrestres, des renforts ont été appelés, les attaquerez-vous aussi ? Kishenji : Oui bien sûr, sinon le peuple me battra. Il y a des rires dans les rangs. Sukhdev le clarificateur dit, « Ils disent toujours mines terrestres. Nous n’utilisons pas de mines terrestres. Nous utilisons des IED [26] ».
Une autre suite luxueuse dans un hôtel 1000 étoiles. Je me sens malade. Il commence à pleuvoir. Il y a de petits gloussements. Kamla me lance un jhilli. Qu’ai-je besoin de plus ? Tous les autres s’enroulent dans leurs jhillis.
Le lendemain matin, le décompte des morts 0 Lalgarh est monté à 21, 10 disparus. Le Camarade Raju est prévenant ce matin. Nous ne bougeons pas avant le soir.
Une nuit, les gens sont amassés comme des papillons de nuit autour d’un point de lumière. C’est le petit ordinateur du Camarade Sukhdev, alimenté par un panneau solaire, et ils regardent Mother India [27], les silhouettes des canons de leurs fusils se détachant sur le fond du ciel. Kamla ne semble pas intéressée. Je lui demande si elle aime les films. « Nhai didi. Sirf ambush video » (Non didi. Uniquement des vidéos d’embuscades). Plus tard, je demande au Camarade Sukhdev ce qu’il en est des vidéos d’embuscades. Sans un clignement de paupière, il m’en montre une. Elle commence par des vues du Dandakaranya, rivières, cascades, gros plan d’une branche d’arbre nue, le cri d’un oiseau. Puis soudainement, un camarade qui bidouile les fils d’un IED, le cachant avec des feuilles sèches. Un cortège de motos explose. Il y a des corps mutilés et des motos qui brûlent. Les armes sont saisies. Trois policiers, sous le choc, ont été ligotés.
Qui filme ? Qui dirige les opérations ? Qui rassure les policiers capturés, qu’ils seront relâchés s’ils se rendent ? (Ils ont été libérés, j'en ai eu confirmation plus tard).
Je connais cette douce voix rassurante. C’est le Camarade Venu. « C’est l’embuscade de Kudur », dit le Camarade Sukhdev. Il a également l’archive vidéo de villages brûlés, les témoignages de témoins visuels et de parents des morts. Sur le mur roussi d’une maison brûlée, il est écrit ‘Nagaaa ! Né pour Tuer !’ Il y a des séquences du petit garçon dont les doigts ont été coupés pour inaugurer le chapitre Bastar de l’Opération Green Hunt. (Il y a même une interview télé de moi. Mon bureau. Mes livres. Etrange)
Durant la nuit, à la radio, il y a des nouvelles d’une autre attaque naxale. Celle-ci à Jamui, Bihar. Elles disent que 125 maoïstes ont attaqué un village et tué dix personnes appartenant à la tribu Kora en représailles d’information donnée à la police ayant entraîné la mort de six maoïstes. Bien sûr, nous savons que le reportage peut être vrai, ou pas. Mais si c’est vrai, celle-ci est impardonnable. Les Camarade Raju et Sukhdev ont l’air nettement mal à l’aise.
Les nouvelles qui sont venues du Jharkhand et du Bihar sont inquiétantes. L’horrible décapitation du policier Francis Induvar reste fraîche dans tous les esprits [28]. C’est un rappel de la facilité avec laquelle la discipline de la lutte armée peut se dissoudre en actes grossiers de violence criminalisée ou en laides guerres d’identités entre les castes, les communautés et les groupes religieux. En institutionnalisant l’injustice comme il le fait, l’Etat indien a transformé ce pays en une poudrière de troubles massifs. Le gouvernement se trompe complètement s’il pense qu’en effectuant des ‘assassinats ciblés’ pour ‘décapiter’ le CPI(Maoïste), il arrêtera la violence. Au contraire, la violence se répandra et s’intensifiera, et le gouvernement n’aura personne à qui parler.
Durant les derniers jours de mon séjour, nous serpentons à travers la luxuriante et magnifique vallée d’Indravati. Comme nous marchons le long d’un flanc de colline, nous voyons une autre file de gens marchant dans la même direction, mais de l’autre côté de la rivière. On me dit qu’ils sont en route pour la réunion anti-barrage du village de Kudur. Ce ne sont pas de clandestins et ils ne sont pas armés.  Un rassemblement local pour la vallée. J’ai sauté dans une barque et les ai rejoints.

Le barrage de Bodhghat submergera la totalité de la région dans laquelle nous avons marché durant des jours. Toute cette forêt, toute cette histoire, toutes ces histoires. Plus de cent villages. Est-ce donc ça le plan ? De noyer les gens comme des rats, afin que l’aciérie intégrée à Lohandiguda et la mine de bauxite et la raffinerie d’aluminium des Keshkal Ghats puissent avoir la rivière ?
A la réunion, des gens qui sont venus de loin, disent la même chose que ce que nous entendons depuis des années. Nous nous noierons, mais nous ne bougerons pas ! Ils sont ravis que quelqu’un de Delhi soit avec eux. Je leur dit que Delhi est une ville cruelle qui ne les connaît pas et ne s’intéresse pas à eux.
Juste quelques semaines avant de venir à Dandakaranya, j’avais visité le Gujarat. Le barrage Sardar Sarovar est plus ou moins achevé maintenant. Et pratiquement chaque chose que le Narmade Bachao Andolan (NBA) avait prédit s’est produit. Les gens qui ont été déplacés n’ont pas été réinsérés, mais cela va sans dire. Les canaux n’ont pas été construits. Il n’y a pas d’argent. Donc l’eau de Narmada est détournée vers le lit vide de la Sabarmadi (sur laquelle on a fait un barrage il y a longtemps). Une grande partie de l’eau est lampée par les villes et la grande industrie. Les effets en aval - l’entrée d’eau salée dans un estuaire sans rivière - deviennent impossibles à atténuer.

Longue Marche : maoïstes en déplacement dans le Bastar, comme toujorurs en file...indienne !
Il fut un temps où croire que les grands barrages étaient ‘les temples de l’Inde Moderne’ était peu judicieux, mais peut-être compréhensible. Mais aujourd’hui, après tout ce qui s’est passé, et alors que nous savons tout ce que nous faisons, il doit être dit que les grands barrages sont un crime contre l’humanité.
Le barrage de Bodhghat a été mis au frigo en 1984 après la protestation de la population locale. Qui l’arrêtera maintenant ? Qui empêchera que la première pierre soit posée ? Qui arrêtera le vol de l’Indrivati ? Quelqu’un doit le faire.
Pour la dernière nuit, nous avons campé au pied de la colline escarpée que nous allions escalader durant la matinée, pour émerger sur la route où une moto me prendrait. La forêt à même changé depuis que j’y suis entrée. Les chiraunjis [Buchanania lanzan, un arbre toujours vert pouvant atteindre 15 mètres, dont on exploite l'écorce, les racines, les feuilles, les fruits et la sève],  les kapokiers et les manguiers ont commencé à fleurir.
Les villageois de Kudur envoient une énorme casserole de poisson fraîchement pêché au camp. Et une liste pour moi, de 71 variétés de fruits, de légumes, de légumes secs et d’insectes qu’ils prennent dans la forêt et cultivent dans leurs champs, ainsi que leurs prix sur le marché. C’est juste une liste. Mais c’est aussi une carte de leur monde.
La poste de la jungle arrive. Deux ‘biscuits’ pour moi. Un poème et une fleur séchée de la Camarade Narmada. Une très jolie lettre de Maase. (Qui est-elle ? Le saurai-je jamais ?)
Le Camarade Sukhdev demande s’il peut télécharger la musique de mon Ipod sur son ordinateur. Nous écoutons un enregistrement de Iqbal Bano chantant ‘Hum Dekheige’ (Nous assisterons à la journée) de Faiz Ahmed Faiz au célèbre concert de Lahore au sommet de la répression durant les années Zia-ul-Haq.
Jab ahl-e-safa-Mardud-e-haram,
Masnad pe bithaiye jayenge
Quand les hérétiques et les honnis
Seront assis en haut
Sab taaj uchhale jayenge
Sab takht giraye jayenge
Toutes les couronnes seront arrachées
Tous les trônes renversés
Hum Dekhenge
50.000 personnes du public dans ce Pakistan-là commencent un chant de défi : Inqilab Zindabad ! Inqilab Zindabad ! Toutes ces années plus tard, ce chant retenti dans cette forêt. Étrange, les alliances qui se font.

Le Ministre de l’Intérieur a émis des menaces voilées à ceux qui ‘offrent par erreur un soutien intellectuel et matériel aux maoïstes’. Est-ce que partager l'écoute d'Iqbal Bano remplit ces conditions ?
A l’aube, je dis au revoir aux Camarades Madhav et Joori, au jeune Mangtu et aux autres. Le Camarade Chandu est parti pour organiser les motos et viendra avec moi jusqu’à la route principale. Le Camarade Raju ne vient pas (L’escalade serait un enfer pour ses genoux). La Camarade Niti (la Plus Recherchée), les Camarades Sukhdev, Kamla et cinq autres m’emmèneront en haut de la colline. Comme nous commençons à marcher, Niti et Sukhdev détachent avec désinvolture, mais simultanément, les crans de sûreté de leurs AK. C’est la première fois que je les ai vu faire ça. Nous approchons de la ‘frontière’. « Tu sais quoi faire si nous nous retrouvons sous le feu ? ». Sukhdev demande ça avec désinvolture, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. « Oui » dis-je, « déclarer immédiatement une grève de la faim illimitée».

Il s’est assis sur une pierre et a rigolé.

Nous avons escaladé durant environ une heure. Juste en-dessous de la route, nous nous sommes assis dans une alcôve pierreuse, complètement dissimulées, comme un groupe embusqué, guettant le son des motos. Quand elles arrivent, l’adieu doit être rapide. Lal Salaam Camarades.
Quand j’ai regardé en arrière, ils étaient toujours là. Agitant la main. Un petit attroupement. Des gens qui vivent avec leurs rêves, alors que le reste du monde vit avec ses cauchemars. Chaque nuit, je pense à ce voyage. Ce ciel nocturne, ces chemins forestiers. Je vois les talons de la Camarade Kamala dans ses sandales éraflées, éclairés par la lumière de ma lampe électrique. Je sais qu’elle doit être en mouvement. Marchant, pas seulement pour elle-même, mais pour garder l’espoir en vie pour nous tous.

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Plainte du 12 avril 2010 contre Arundhati Roy
Le 12 avril 2010, un ’citoyen ordinaire’ dépose plainte contre Arundhati Roy suite à la publication de son texte Walking With The Comrades. Celui-ci est paru dans l’édition du 29 mars 2010 du magazine hebdomadaire Outlook. Dans le courant du mois de février, l’écrivaine a eu l’occasion de passer plusieurs jours dans la forêt du Dandakaranya en compagnie des guérilleros maoïstes. Elle a donc franchi la ’frontière’ interdite pour vivre à l’intérieur et témoigner de ce qui se passe de l’autre côté de la ligne de front de l’Opération Green Hunt actuellement menée par le gouvernement indien pour éradiquer ceux qu’il qualifie de ’plus grande menace pour la sécurité intérieure du pays’. Dans son compte-rendu, Roy évoque son voyage, les mesures de précautions quant à sa venue, ses rencontres avec les combattants, de nombreuses femmes souvent très jeunes.

Elle raconte également une grande fête traditionnelle populaire à laquelle elle a pu assister. Mais elle pointe aussi les conditions de vie déplorables des villageois de ces endroits reculés, l’absence totale d’infrastructures de soin, d’écoles, et l’état de santé extrêmement mauvais de l’ensemble des personnes qu’elle a rencontré. Comme elle le dit, son objectif était de rapporter des informations à propos d’une situation qui est peut être qualifiée d’état d’urgence. Sachant qu’aucune nouvelle ne filtre dans les médias bourgeois, elle affirme qu’il est crucial pour la population indienne, notamment dans les villes, de savoir ce qui se déroule de l’autre côté, et ce afin de prendre des décisions en connaissance de cause. Mais pour le plaignant Viswajit Mitra, ce texte n’est qu’une glorification du mouvement maoïste. En outre, il affirme que Roy cherche à dénigrer le système établi de l’Etat, y compris son système judiciaire. Et de la citer ’au moins, là, le collectif est présent pour prendre une décision. Elle n’est pas prise par des juges qui ont perdu tout contact avec la vie ordinaire’.

Sa plainte a été déposée en vertu de la CSPSA de 2005 (Loi Spéciale de Sécurité Publique du Chhattisgarh) qui interdit toute aide ou contribution à une organisation terroriste. Or pour lui, le texte peut être interprété comme visant à créer un soutien envers les maoïstes. Cette loi, en vertu de llaquelle plusieurs militants ont déjà été condamnés et emprisonnés, est critiquée depuis son adoption. Elle l’est pour sa large définition de ce qui peut être qualifié d’activité illégale ainsi que pour les sanctions strictes qu’elle applique à ceux qu’elle condamne. Un avocat de la Cour Suprême parle de la CSPSA en ces termes : "Le langage approximatif et large utilisé pour définir et criminaliser le soutien à une organisation terroriste peut et a été mal employé par le passé. En vertu de la Loi, même un avocat représentant un maoïste au tribunal ou un médecin ayant soigné un maoïste blessé peut être poursuivi".

Pour avoir rendu public le témoignage de ce qu’elle a vu et vécu dans les forêts retirées et isolées du Dandakaranya, Arundhati Roy se voit donc tomber sous l’application de cette loi vivement critiquée mais toujours d’application. Elle risque jusqu’à deux ans de prison.
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L’affaire ’Binayak Sen’
Binayak Sen est un pédiatre et un spécialiste de la santé publique de renom. Il est connu pour oeuvrer à l’extension des soins de santé aux populations les plus pauvres, surveillant la santé et l’état nutritionnel des habitants du Chhattisgarh. Enfin, il milite pour la défense des droits humains des tribaux et des autres démunis indiens. Sen est le vice-président national de la PUCL (People’s Union for Civil Liberties) basée dans l’état du Chhattisgarh et secrétaire général de son unité de l’État. En sa qualité de membre de la PUCL, il a aidé à organiser de nombreuses missions d’enquête sur les violations des droits humains. Il a pris part à des recherches qui ont attiré l’attention sur de graves violations de droits humains, y compris le meurtre de personnes désarmées et de civils innocents par la Salwa Judum.

Sen a été noté pour sa défense des méthodes pacifiques. Peu avant son arrestation, il disait  :

" Ces dernières années, nous constatons partout en Inde - et donc dans l’État du Chhattisgarh également - un programme concerté pour enlever à la population la plus pauvre de la nation indienne son accès aux ressources essentielles des biens communs et aux ressources naturelles y compris la terre et l’eau... La campagne appelée Salwa Judum dans le Chhattisgarh est une partie de ce processus dans lequel des centaines de villages ont été dépeuplés de la population qui y vivait et des centaines de personnes - hommes et femmes - ont été tuées. Des milices armées gouvernementales ont été déployées et les gens qui ont protesté contre de tels mouvements et ont essayé de montrer au monde la réalité de ces campagnes - des travailleurs pour les droits humains comme moi - ont également été visés par des actions d’État contre eux. Au moment présent, les travailleurs de la PUCL de la section du Chhattisgarh, dont je suis le secrétaire général, sont particulièrement devenus la cible de cette action d’État ; et moi, comme plusieurs de mes collègues, suis visé par l’État du Chhattisgarh sous forme d’action punitive et d’emprisonnement illégal. Et toutes ces mesures sont prises principalement en application de la CSPSA’.
Le 14 mai 2007, Binayak Sen a été arrêté en vertu de la CSPSA dans la ville de Bilaspur dans le Chhattisgarh. Les autorités l’accusaient d’agir en qualité de coursier entre le dirigeant maoïste emprisonné Narayan Sanyal et l’homme d’affaire Piyush Gutia, également accusé d’entretenir des liens avec les maoïstes. Dès son arrestation, les réactions ont été multiples et une campagne internationale a été mise en place pour exiger sa libération immédiate.
Affiche pour la 
libération de Binayak Sen
Affiche de la campagne internationale pour la libération de Binayak Sen
Un communiqué de presse émanant de personnalités importantes est publié le 16 mai : ’Les fausses ’rencontres’, les viols, les incendies de villages et le déplacement des adivasis (tribaux autochtones) par dizaine de milliers et la perte conséquente de leurs moyens de subsistance ont été rapporté abondamment dans plusieurs enquêtes indépendantes. L’arrestation de Sen est clairement une tentative pour intimider la PUCL et d’autres voix démocratiques qui se sont prononcées contre les violations des droits humains dans l’État’. Dès son incarcération, son avocat demande qu’il soit libéré sous caution. A chaque fois qu’il en a introduit la demande, celle-ci a été refusée et la garde à vue de Sen a été prolongée. Début juin, après avoir saisi et analysé le contenu de son ordinateur, la police affirme détenir des preuves compromettantes contre Sen et le 3 août, il est inculpé en vertu de la CSPSA.

Le 10 décembre, devant plusieurs juges, le militant affirme qu’il a été arrêté sur des accusations fabriquées de prétendus liens avec les naxalites, affirmant qu’il n’était qu’un militant de la PUCL et qu’il n’était d’aucune manière en liaison avec les maoïstes. Mais chacun de ses arguments est contré par les juges qui déclarent que le fait d’appartenir à la PUCL ne signifie pas qu’il est a l’abri. Le gouvernement d’État du Chhattisgarh doit alors statuer sur le sort de Sen et abonde dans le sens du tribunal affirmant qu’il est évident qu’aucune affaire n’aurait été ouverte s’il n’y avait pas de preuve de son implication avec les maoïstes. Sen reste donc en prison et ce jusqu’au 25 mai 2009, jour où il est finalement libéré sous caution par la Cour Suprême au vu de la détérioration de son état de santé.
Binayak Sen
Qu’étaient ces preuves contre Binayak Sen, à cause desquelles il a passé deux années en prison, en grande partie à l’isolement ? Une carte postale datée du 3 juin 2006 destinée à Sen de la part du dirigeant maoïste Sri Narayan Sanyal emprisonné à Raipur, mentionnant son état de santé et son affaire, ornée du cachet de la prison ; une brochure jaune en hindi ’A propos de l’unité entre le CPI (Guerre Populaire) et le Centre Communiste Maoïste’ ; une lettre écrite par Madanlal Banjare (membre du CPI-maoïste) depuis sa prison et adressée au Camarade Binayak Sen ; un article photocopié en anglais intitulé ’Mouvement naxal, mouvements tribaux et des femmes’ ; une note écrite à la main photocopiée de quatre pages sur ’comment construire un front anti-impérialiste américain’ ; un article de huit pages intitulé ’La mondialisation et le secteur des services en Inde’. Aujourd’hui, Binayak Sen n’est donc plus en prison, mais libéré sous caution, il n’est toujours pas entièrement libre.
En avril 2009, Arundhati Roy avait fait une déclaration publique afin de dénoncer l’emprisonnement du Dr Binayak Sen, et pour exiger sa libération.
Lire la déclaration d’Arundhati Roy sur l’affaire Sen - format pdf
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[1] Allusion à la déclaration du Premier Ministre Manmohan Singh, désignant l’insurrection maoïste comme ‘la plus grande menace’ que connaissait l’Inde
[2] Le Pakistan et l’Inde, sont en guerre depuis l'accession à l'indépendance de l'Empire britannique des Indes et sa partition en 1947
[3] Les empereurs moghols, dont le dernier est détrôné par les colonialistes britanniques en 1858. Ceux-ci transformèrent la classe des zamindars en propriétaires terriens (aux dépens des communautés indigènes qui possédaient collectivement la terre) qui ont servi d’intermédiaires pour l’exploitation coloniale)
[4] Matériau créé à partir de minerai de fer par un processus de réduction grâce à l’usage d’un gaz émis par le charbon
[5] Le Cachemire est le théâtre d’une lutte armée pour l'indépendance, et sous la loi martiale
[6] Fils de Rajiv et Sonia Gandhi, petit-fils d’Indira Gandhi (ex-Premier ministre) et arrière-petit-fils de Jawaharlal Nehru (ex-Premier ministre), il est secrétaire général du Parti du Congrès depuis mars 2008
[7] ‘Chasse de Purification’, milice anti-guérilla, armée par les pouvoirs publics mais financée par les grands propriétaires et les enterprises minières, connue pour ses exactions
[8] Allusion à un politicien indien
[9] Mitrailleuse légère suédoise (généralement munie d’un bipied)
[10] Vêtement masculin : pièce de tissu que les hommes ceignent autour de la taille
[11] Fusil d’assaut nouvelle génération en service dans l’armée indienne depuis les années 80
[12] Fusil d’assaut indien de la génération précédente (copie du FAL belge)
[13] C’est-à-dire des kalashnikovs
[14] La Division est une niveau de l’organisation politique des zones libérées (voir plus loin)
[15] Les adivasis sont les ‘peuples tribaux’
[16] Il existe quatre castes principales. Les castes sont héréditaires et la violence des castes dominantes contre les castes inférieures fait partie de la domination. Il n’est pas possible pour un ’brahmane’, un membre de la couche supérieure, de boire dans le même verre qu’un membre de certaines castes inférieures ; même le regard d’un inférieur peut ’salir’ un repas et il faudra le purifier
[17] C’est-à-dire membre de la caste la plus haute
[18] En anglais : ‘encounters’ (‘rencontres’). Il s’agit d’exécutions déguisées en combats que nous traduirons par ‘combat’ (entre guillemets)
[19] Les beedis sont de petit cigarillos indiens contenant un peu de tabac roulé dans une feuille de tendu (ou temburini)
[20] Le paise est le centième de roupie
[21]  Auxiliaire de police
[22] Il s’agit du Parti ‘communiste’ légaliste et réformiste, représenté au parlement
[23] Le Bharatiya Janata Party (BJP ; Parti du Peuple Indien) est l’un des principaux partis politiques en Inde, de tendance chauviniste hindouiste
[24] Partie du sari qui couvre la poitrine et retombe dans le dos
[25] Boisson très appréciée à base de fleur de mahua
[26] IED : improvised explosive device,  engin explosif improvisé. il s’agit d’une bombe artisanale, posée le long d’une route. L’explosion de la charge principale (explosif artisanal ou empilement d’obus) est provoquée par une petite charge d’explosif déclenchée électriquement, à distance, au passage d’un véhicule
[27] Classique du cinéma indien réalisé par Mehboob Khan en 1957 et nommé pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère
Les guerres d’Obama, l’Inde et pourquoi la démocratie est « la plus grande arnaque du monde »       
Interview d’Arundhati Roy par Amy Goodman sur Democracy Now !, 22/3/2010
Nous avons parlé avec la célèbre écrivaine et activiste  indienne Arundhati Roy du président Obama, des guerres en Irak et en Afghanistan,  de l’Inde et du Cachemire et  de bien d’autres sujets. Roy a parlé également  de son voyage au coeur de l’Inde centrale pour informer sur l’insurrection maoïste.

 TRANSCRIPTION BRUTE
 ANJALI KAMAT : Nous passerons le reste de l’heure avec la célèbre  femme de lettres et militante indienne Arundhati Roy à discuter sur la face cachée de l’Inde, un pays qui s’enorgueillit d’être connu comme la plus grande démocratie du monde.

 Ce mois-ci, quand Forbes a publié sa liste annuelle de multimillionnaires du monde, la presse indienne a expliqué  avec une certaine délectation  que deux de ses compatriotes étaient désormais sur la liste enviée des dix individus les plus riches du monde.

 Pendant ce temps, des milliers de paramilitaires et des policiers indiens livrent une guerre contre certains de ses plus pauvres habitants qui vivent au fin fond de ce qu’on appelle la ceinture tribale du pays. Selon des responsables  indiens, plus d’un tiers du pays, surtout les territoires forestiers riches en minerais, est partiellement ou totalement sous le contrôle des rebelles maoïstes, également  connus comme naxalites. Le Premier ministre de l’Inde a désigné les maoïstes comme la   « plus grave menace pour la sécurité interne. » Selon des chiffres officiels, près de 6.000 personnes  sont mortes dans les sept dernières années de combats, dont plus de la moitié étaient des civils. La nouvelle offensive paramilitaire du gouvernement contre les maoïstes a pris le nom d’Opération Chasse Verte.

 Bien, au début de ce mois, le leader de l’insurrection maoïste, Koteswar Rao, alias Kishenji, a invité la romancière lauréate du Prix Booker, Arundhati Roy, à servir de médiatrice dans des pourparlers  de paix avec le gouvernement. Peu après, le Secrétaire à l’Intérieur de l’Inde, G.K. Pillai, a critiqué Roy et d’autres qui ont qualifié publiquement, la violence étatique contre les maoïstes de « génocidaire ».
G.K. PILLAI : « Si les maoïstes sont des assassins, s’il vous plaît appelez-les des assassins. Pourquoi est-ce que si les maoïstes assassinent dans  le Midnapore Occidental durant l’année passée de juin à décembre  159 civils innocents, on ne voit aucune critique de ce fait ? SI c’était le gouvernement qui avait fait ça, beaucoup de gens auraient parlé alors de  génocide. Pourquoi ne s’agit-il pas de génocide quand ce sont les maoïstes? »
AMY GOODMAN : Bien, Arundhati Roy a récemment eu une rencontre exceptionnelle avec les guérillas armées dans les forêts de l’Inde centrale. Elle a passé quelques semaines à voyager avec les insurgés au cœur du territoire maoïste de l’Inde et a écrit au sujet sur leur lutte un essai de 20.000 mots publié ce week-end dans le magazine indien Outlook intitulé  » Walking with the Comrades »  (Ma marche  avec les camarades).

 Maintenant , l’auteur et militante de renommée internationale  pour  la justice mondiale nous a rejoint à New York. Elle a gagné le Prix pour la Liberté Culturelle de la Fondation Lannan en 2002, et elle est l’auteur d’une série de livres, y compris un roman lauréat du Prix Booker Le Dieu des petites choses. Son plus récent recueil d’essais, publié par Haymarket, est Field Notes on Democracy : Listening to Grasshoppers (Notes de terrain sur la démocratie : à l’écoute des sauterelles)

 Arundhati Roy, bienvenue à Democracy Now!

 ARUNDHATI ROY: Merci, Amy.

 AMY GOODMAN:  Avant de parler du  très intéressant voyage que vous avez fait, vous arrivez ici pour  le septième anniversaire de l’invasion de l’Irak par les USA. Vous avez été extrêmement franche sur la guerre dès le début, jusqu’à ce jour. Je me souviens de vous avoir vue dans l’Église Riverside avec le grand Howard Zinn, en train de faire un discours contre la guerre. Qu’est-ce que vous pensez maintenant, sept ans après ? Et comment cela a-t-il touché votre continent, comment cela affecte-t-il l’Inde ?

 ARUNDHATI ROY : Bien, je pense,   vous savez, le plus triste est que quand il y a eu les élections aux USA, tout était centré sur la rhétorique du changement dans lequel on pouvait croire, et même les plus cyniques d’entre nous, quand nous avons vu Obama gagner les élections  nous nous sommes sentis émus, les plus heureux  étaient, en particulier les gens qui avaient vécu le mouvement pour les droits civiques etc. En réalité ce qui s’est passé c’est qu’il est  arrivé  et il étendu la guerre. Il a gagné le Prix Nobel de la Paix et a mis à profit cette opportunité pour justifier la guerre. Ça a été comme si les larmes de bonheur des Noirs voyant un homme noir parvenir au pouvoir avaient été copiées-collées sur les yeux de l’élite mondiale qui le regardait en train de justifier la guerre. 

 Et là d’où je viens, c’est presque comme – on pense qu’il ne comprend pas même ce qu’il fait, le gouvernement usaméricain. Ils ne comprennent pas le type de terrain dans lequel ils se meuvent. Quand on dit des choses comme « nous devons éliminer les talibans: » qu’est-ce que ça veut dire ? Les talibans ne sont pas une quantité déterminée de personnes. Les talibans sont une idéologie qui a surgi d’une histoire qui a été créée dans tous les cas par les USA.

 L’Irak, la guerre continue. De toute évidence, l’Afghanistan se soulève et se révolte. Ça s’est étendu au Pakistan, et du Pakistan au Cachemire et en Inde. De telle sorte que nous voyions cette superpuissance, en quelque sorte, enlisée dans le sable mouvant d’une incapacité conceptuelle de compréhension de ce qu’elle fait, comment sortir ou comment rester. Ça va faire plonger ce pays [les USA] et je pense que c’est une vraie  pitié que, d’une certaine manière, au moins George Bush était presque obscène dans sa stupidité à ce sujet, tandis que maintenant tout est rideaux de  fumée et jeux de miroirs, et les gens trouvent qu’il est plus difficile de déchiffrer ce qui arrive. Mais, en fait, la guerre s’est étendue.

 ANJALI KAMAT : Et Arundhati: comment expliqueriez-vous le rôle de l’Inde dans l’expansion de la guerre en  Afghanistan et au Pakistan ? Il y a un climat de très bonnes relations entre l’Inde et les USA.

 ARUNDHATI ROY : Bon, le rôle de l’Inde – le rôle de l’Inde est  pour le moment d’essayer de se  positionner, comme on le  dit tout le temps, comme l’allié naturel d’Israël et des USA. Et l’Inde s’efforce d’acquérir une position d’influence en Afghanistan.   Et personnellement je crois que le gouvernement usaméricain  verrait d’un bon œil des troupes indiennes en Afghanistan. Cela ne peut pas se faire ouvertement parce que simplement ce serait l’explosion, c’est pourquoi on use de toutes espèces de manières  dans le but de créer une sphère d’influence dans ce pays. De sorte que le gouvernement indien est profondément impliqué dans le Grand jeu et  le résultat ce sont les attaques dans le Cachemire et à Mumbai, pas directement en relation avec l’Afghanistan   mais  ce type de manœuvres prend son sens  dans tout un contexte.

 AMY GOODMAN : Pour un public usaméricain, et peut-être pour un public qui  n’est pas de la région, pourriez-vous nous parler d’une région à  laquelle vous vous intéressez beaucoup,  et qui est le Cachemire. La majorité des gens en entendant ce mot pensent à un pull. C’est ce qu’ils pensent quand ils entendent le mot « Cachemire. »

 ARUNDHATI ROY :  Bien,  mm – hm.

 AMY GOODMAN : Il faudrait même commencer par nous dire de quoi il s’agit, même le situer  géographiquement pour nous.

 ARUNDHATI ROY : Bien, le Cachemire, comme on dit en Inde, c’est la partie  du boulot qui n’a pas été fini dans la partition  entre l’Inde et du Pakistan. Comme d’habitude, c’est un cadeau du  colonialisme britannique. Ils nous ont jeté le problème quand ils sont partis – je veux dire, quand ils se sont retirés. Le Cachemire était un royaume indépendant avec une majorité musulmane gouvernée par un roi hindou. Et quand est intervenue la partition en 1947, presque un millions de personnes ont perdu la vie,  parce que cette ligne qui a été tracée entre l’Inde et le Pakistan passait par des villages et elle passait par des communautés, et tandis que les Hindous fuyaient le Pakistan et les Musulmans fuyaient  l’Inde, il y a eu des massacres des deux côtés.

 Et  à cette époque là, d’une manière surprenante, le Cachemire était pacifique. Mais alors, quand toutes les principautés indépendantes en Inde et au Pakistan ont été sollicitées pour choisir de rejoindre soit l’Inde soit le Pakistan, au Cachemire le roi était indécis, et cette indécision a amené des soldats et des combattants non -officiels pakistanais à entrer dans le pays. Et le roi a fui vers Jammu, et ensuite il a rallié l’Inde. Mais il y avait déjà un mouvement pour la démocratie en Cachemire. En tout cas, c’est l’histoire.
Mais par la suite,  il y a toujours eu une lutte pour l’indépendance ou l’autodétermination, qui en 1989 s’est convertie en insurrection armée que l’Inde a réprimée par des moyens militaires. Et aujourd’hui, la manière la plus simple d’expliquer l’escalade de ce qui arrive est que les USA. ont 165.000 soldats en Irak, mais le gouvernement indien a, lui, 700.000 soldats dans la vallée du Cachemire- je veux dire au Cachemire, des forces de sécurité qui font  une occupation militaire. C’est donc une occupation militaire.

[Chanson]
AMY GOODMAN: Vous reconnaissez cette chanson, Anjali ?

 ANJALI KAMAT: Oui, “Hum Dekhen Ge” par Iqbal Bano. Arundhati Roy, dans votre dernier article dans Outlook, « Walking with the Comrades », vous terminez en parlant de cette chanson, qi a accompagné le soulèvement de tant de gens au Pakistan, et vous la placez dans un contexte totalement différent.  Commencez par nous  parler de ce qui se passe   dans les forêts de l’Inde. Qu’est-ce que c’est que cette guerre que  L’Inde livre  contre les plus pauvres, des gens appelés les tribaux, des indigènes, les adivasis ? Qui sont les maoïstes? Qu’est-ce qui arrive là ? Et comment êtes-vous arrivée à cet endroit  ?

 ARUNDHATI ROY : Bien, cela dure depuis pas mal de  temps, mais fondamentalement il y a un lien. Si l’on considère l’Afghanistan, le Waziristân, les États du Nord-est de l’Inde et toute cette ceinture minérale qui va du Bengale Occidental à Chhattisgarh en passant par le Jharkhand et l’Orissa, ce que l’on appelle le Couloir rouge en Inde, il est intéressant que toute l’affaire soit une insurrection tribale. En  Afghanistan, évidemment, cela a pris la forme d’une insurrection islamiste radicale. Et ici c’est une insurrection radicale de  gauche. Mais l’attaque est la même. C’est une attaque des entreprises contre ces gens-là  La résistance a pris différentes formes.

 Mais en Inde, c’est connu comme le corridor rouge, si on regarde une carte de l’Inde, les zones tribales, les forêts, les minerais et les maoïstes sont tous empilés les uns sur les autres. De sorte  que, dans les cinq dernières années, les gouvernements de ces divers États ont signé des MOU (Protocoles d’entente) avec des sociétés minières pour des  milliards de dollars.

 ANJALI KAMAT : MOU, Memorandums of Understanding,  Protocoles d’entente.

 ARUNDHATI ROY : les Memorandums of Understanding, De telle manière que comme nous le disions c’est autant un corridor MOUiste qu’ un corridor maoïste. Vous savez ? Et il est intéressant  que plusieurs de ces MOU ont été signés en 2005. Alors que, ça a été justement  quand ce gouvernement du Congrès est arrivé au pouvoir, et le Premier ministre, Manmohan Singh, a annoncé que les maoïstes constituent en Inde « la plus grande menace pour la sécurité intérieure. » Et c’était bizarre qu’il dise cela à l’époque, parce qu’en réalité les maoïstes avaient été décimés dans l’État d’Andhra Pradesh.  Je pense qu’ils en avaient tué environ 1.600. Mais aussitôt que cela a été dit les actions des compagnies minières sont montées en flèche, parce que c’était évidemment un signal indiquant que le gouvernement était disposé à faire quelque chose à ce sujet, et alors a commencé cette attaque contre eux qui a abouti à  l’Opération Chasse Verte, qui consiste à  envoyer des dizaines de milliers de paramilitaires dans  ces zones tribales.

 Mais avant l’Opération Chasse Verte, ils ont essayé une autre chose qui a consisté à armer  une espèce de milice tribale appuyée par la police dans un État comme Chhattisgarh, dans lequel j’ai récemment voyagé, qui entrait simplement dans la forêt. Cette milice a brûlé un village après l’autre, environ 640 villages ont été, plus ou moins, vidés. Et le plan était de créer ce qu’on appelle des villages stratégiques, ce que les Usaméricains avaient tenté au Vietnam, et qui d’abord avait été imaginé par les Britanniques en Malaisie, où il s’agissait d’obliger les gens à rentrer dans des campements  policiers le long des routes pour pouvoir les contrôler la population, et les villages sont vidés pour que les forêts soient ouvertes à la pénétration des entreprises.

 Et ce qui s’est passé dans cette zone, dans le Chhattisgarh, c’est que sur environ 350.000 personnes,  à peu près 50.000 sont allées dans les campements. Certaines y ont été forcées, d’autres y sont allées volontairement. Et le reste a simplement disparu du radar gouvernemental. Beaucoup sont partis dans d’autres États pour travailler comme migrants, mais beaucoup d’ autres ont continué de se cacher dans les forêts, incapables de revenir dans leurs foyers, mais sans être disposés à partir. Mais le fait est que les maoïstes ont été dans toute cette région depuis trente ans, en travaillant avec les gens, etc. Donc la résistance a commencé bien avant l’apparition des entreprises minières. Elle l’a précédée depuis beaucoup, beaucoup de temps. De telle sorte qu’elle est très enracinée. Et l’Opération Chasse Verte a été annoncée parce que cette milice, appelée la Salwa Judum , a échoué, donc maintenant ils augmentent la mise, parce que ces MOU sont en attente . Et les entreprises minières ne sont pas habituées à ce qu’on les fasse attendre. Vous savez, il y a beaucoup d’argent qui attend.

 Et ce que je veux dire est que nous ne sommes pas en train d’utiliser ce terme de  "guerre génocidaire" à la légère ou d’une manière rhétorique. Mais j’ai voyagé dans cette zone, et ce que j’ai vu ce sont les gens les plus pauvres de ce pays,  qui sont hors de portée de l’État. Il n’y a pas d’hôpitaux. Il n’y a pas de cliniques. Il n’y a pas d’éducation. Il n’y a rien, vous savez ? Et maintenant il y a une espèce d’état de siège dans lequel les gens ne peuvent pas sortir de leurs villages pour aller acheter quelque chose au marché, parce que les marchés sont pleins d’informateurs qui les dénoncent : cette  personne est avec la résistance, etc.. Il n’y a pas de médecins. Il n’y a pas d’aide médicale. Les gens souffrent d’une faim extrême, de dénutrition. De sorte qu’il ne s’agit pas seulement de tuer. Ce n’est pas seulement le fait que l’on va  là-bas et   que l’on incendie et qu’on tue, mais  c’est une population très vulnérable qui est assiégée, on l’isole de ses ressources et on l’expose à une menace cruelle. Et nous sommes dans une démocratie, vous savez : comment est-ce qu’on nettoie le terrain pour des grandes entreprises dans une démocratie ? On ne peut pas aller assassiner les gens, mais on peut créer une situation dans laquelle ils ont le choix entre s’en aller et crever de faim.
 ANJALI KAMAT: Dans votre article, vous décrivez les gens avec lesquels vous voyagiez, des  guérilleros armés, comme des Gandhiens avec des fusils. Pouvez-vous nous dire ce que vous entendez par là et ce que vous pensez de la violence perpétrée par les maoïstes ? 

 ARUNDHATI ROY: Bien, vous savez  il  y a un débat très intense en Inde à ce propos, y compris dans la gauche dominante et les intellectuels progressistes qui éprouvent beaucoup, beaucoup de suspicion à l’encontre des maoïstes.  Et tout le monde devrait être suspicieux à l’égard des maoïstes parce que ceux-ci ont – ils ont eu – un  passé très trouble et il y a beaucoup de choses que disent leurs idéologues qui vous font froid dans le dos.

 Mais quand j’ai été là-bas, je dois dire que j’ai été impressionnée par ce que j’ai vu, parce que je pense que dans les trente dernières années il y a quelque chose qui a radicalement changé chez eux. Et l’important est qu’en  Inde les gens essayent de faire la différence. Ils disent que les maoïstes existent, et tout de suite après que les tribaux existent. En réalité, les maoïstes sont les tribaux, et les tribaux eux-mêmes ont une histoire de résistance et de révolte qui précède Mao de plusieurs siècles. Et pour cela, je pense qu’il s’agit seulement d’un nom, d’une certaine manière. Seulement un nom. Et cependant, sans cette organisation les tribaux n’auraient pas pu organiser une telle force de résistance. Bref,  c’est compliqué.

 Mais quand j’y ai été j’ai vécu avec eux et j’ai marché avec eux beaucoup de temps, et c’est une armée qui est plus  gandhienne que n’importe quel Gandhien et laisse une empreinte carbone plus légère que n’importe quel évangéliste du changement climatique. Et comme je l’ai dit, y compris ses techniques de sabotage sont gandhiennes. Vous savez, ils ne gaspillent rien. Ils vivent de rien. Et pour le monde extérieur – d’abord,  les médias n’ont cessé de mentir  sur eux depuis longtemps. Plusieurs des incidents violents rapportés par la presse ne sont pas arrivés, j’ai pu l’établir. Et quand ils ont eu lieu, pour plusieurs d’entre eux, il y avait une raison à cela.
 Et ce que je  voulais réellement demander  aux gens était, quand il est question d’une résistance non violente – moi même j’ai parlé de cela. Moi-même j’ai dit que les femmes seront les victimes d’une lutte armée. Et quand j’ai été là-bas, j’ai découvert que c’était le contraire qui était vrai. J’ai découvert que 50 % des combattants  armés sont des femmes. Et pour une grande part  la raison par laquelle elles se sont ralliées  a été  que pendant trente ans les maoïstes ont travaillé avec les femmes. L’organisation des femmes a 90.000 membres, ce qui en fait probablement la plus grande organisation  féministe en Inde, et toutes ces 90.000 femmes sont sûrement maoïstes, et le gouvernement s’est octroyé le droit de tirer à vue sur chacune d’entre elles. On peut donc se demander: vont-ils faire feu sur ces 90.000 femmes ?

 AMY GOODMAN : Arundhati Roy, le leader des maoïstes vous  a demandé d’être la négociatrice, la médiatrice entre eux et le gouvernement indien. Quelle est votre réponse ?

 ARUNDHATI ROY : Je ne serais pas une bonne médiatrice. cela ne fait pas de partie de mes capacités. Je pense que quelqu’un devrait le faire, mais je ne pense pas que cela doive être moi, parce que je n’ai pas la moindre idée de comment arriver à le faire: qui le sait ? Et voilà  je ne pense pas que nous devons nous mêler des choses dont nous ignorons tout. Et j’ai affirmé cela avec force. Je ne sais pas pourquoi ils ont mentionné mon nom, mais je pense qu’il y a des gens en Inde qui ont ces capacités et qui pourraient le faire, parce que c’est  très, très urgent, il faut que cette Opération  Chasse Verte soit annulée. C’est très, très urgent, et ce serait une sottise que quelqu’un comme moi s’attelle à cela, parce que je pense que je suis trop impatiente. Je suis trop non-conformiste. Je n’ai pas les compétences requises.

AMY GOODMAN : Je voudrais dire, en revenant au Cachemire que quand le sénateur Obama était candidat à la présidence, dans une interview, a parlé du Cachemire comme d’une sorte de poudrière, il a dit que nous avons à résoudre la situation entre l’Inde et le Pakistan à propos du  Cachemire pour que le Pakistan puisse se concentrer sur les combattants. Pouvez-vous nous parler de cette poudrière et nous dire qu’on devrait y faire à votre avis ?

 ARUNDHATI ROY : Bon, je pense que malheureusement, l’affaire du Cachemire a pour base le fait que l’Inde et le Pakistan agissent comme si le Cachemire était un problème. Mais en réalité, pour les deux gouvernements, le Cachemire est une solution. Le Cachemire est l’endroit où ils font leurs sales coups. Ils ne veulent pas résoudre la question parce que dès qu’ils ont un problème interne, ils peuvent toujours tirer ce lapin du chapeau. De sorte que je suis convaincue que ces deux pays ne vont pas  résoudre le problème.

 Et ce qui se passe  aboutit à ce qu’il y ait là une population qui a subi des misères indicibles depuis  tant d’années, et, une fois de plus, il se diffuse tant de mensonges à ce propos. Les médias indiens sont simplement – la falsification sur tout ce qui a trait au Cachemire est incroyable.  Comme il y a deux ans – : ou bien était-ce l’année passée ? Il y a deux ans il y a eu une insurrection massive au Cachemire. J’étais sur place. Je n’ai jamais vu rien de semblable. Il y avait des millions de personnes dans la rue tout le temps. Et …

 AMY GOODMAN : et pourquoi se soulevaient-ils ?

 ARUNDHATI ROY : Ils se soulevaient pour l’indépendance. Vous savez, ils se soulevaient pour l’indépendance. Et alors, ce soulèvement a été –vous savez, quand ils se sont soulevés avec des armes, c’était une erreur. Quand ils se sont soulevés sans armes, c’était aussi une erreur.

 Et la manière dans laquelle on les a neutralisé a été grâce à une élection. On a appelé à une élection et ça a été vraiment impressionnant, il y a eu une immense participation à cette élection. Et tous – nous avons beaucoup d’experts électoraux en Inde, ils passent leur  temps à analyser les tendances à la  télévision et tout ça, mais personne n’a dit que tous les dirigeants de la résistance avaient été arrêtés. Personne n’a demandé : qu’est-ce ça signifie d’avoir des élections quand il y a 700.000 soldats qui les supervisent tous les cinq mètres, pendant tout le temps, pendant toute l’année ? Ils n’ont pas  eu à pousser les gens vers les urnes avec la pointe d’une baïonnette. Personne n’a parlé du fait qu’il y avait un couvre-feu dans chaque circonscription. Personne ne s’est demandé ce que ça signifie pour les gens qui sont sous ce type d’occupation. Le fait qu’ils ont besoin de quelqu’un vers qui se tourner quand quelqu’un disparaît – ou qu’ils ont besoin d’un représentant. 

 De telle sorte que  maintenant, encore une fois, la violence a recommencé. C’est une espèce de cycle permanent duquel est absent tout sens de moralité, évidemment en fonction des intérêts de leur géopolitique. Et, il est clair qu’il est très à la mode de dire qu’il n’y a pas de moralité dans la diplomatie internationale mais subitement, quand cela a à voir avec les tueries commises par des maoïstes, on assiste à un déferlement de considérations morales. Vous savez, les gens utilisent ça quand ça les arrange.

ANJALI KAMAT : Et Arundhati, en Inde et aux USA., à mesure que ces guerres s’étendent, à mesure que les occupations militaires, comme vous l’avez souligné, s’étendent  au Cachemire, en Irak, en Afghanistan : quel est votre message aux militants antiguerre, aux militants pour la paix de par le monde, ici et en Inde ? Que doivent faire les gens, à votre avis ?

 ARUNDHATI ROY : Voyez, je pense que je veux seulement ajouter une chose : c’est qu’ au Cachemire, comme je l’ai dit , il y a 700.000 soldats qui ont été transformés en force de police administrative. En Inde, où ils ne veulent pas ouvertement déclarer la guerre contre les adivasis, il y a une police paramilitaire qui a été entraînée  pour être une armée. De sorte que la police se convertit en armée. L’armée se convertit en police. Mais pour imposer ce taux de croissance, tout le pays se  convertit fondamentalement en État policier.

 Et je veux dire seulement une chose sur la démocratie. Vous savez, en Inde, les élections coûtent plus que les élections aux USA. Beaucoup plus. Dans ce pauvre pays elles coûtent beaucoup plus. Les plus d’enthousiastes sont les entreprises. Les membres du parlement dans leur  majorité sont millionnaires. Si on regarde les statistiques, en réalité cette grande majorité repose sur 10 % des voix. La BBC a réalisé une campagne dans laquelle ils avaient les affiches d’un billet de 500 dollars qui se convertissait en un billet indien de 500 roupies, avec Benjamin Franklin d’un côté et Gandhi de l’autre. Et il disait : “Kya India ka vote bachayega duniya ka note?” ce qui veut dire : « Le vote indien sauvera-t-il le marché ? », vous savez? Les électeurs se convertissent en consommateurs. Ce qui est en train de se passer est une espèce d’escroquerie.

Donc le premier message que j’aurais pour les militants de la paix est – en tout cas, je ne sais pas  le sens de tout cela. Que signifie « la paix » ? Vous savez, il est  possible que nous n’ayons pas besoin de paix dans cette société injuste, parce que c’est une manière d’accepter l’injustice. De sorte que ce dont on a besoin soit gens qui sont disposés à résister, pas  seulement durant un week-end,  pas  de paix mais pas non plus de week-end. Dans des pays comme l’Inde, peut-on dire maintenant seulement : « Bon, nous manifesterons samedi et peut-être qu’ ils arrêteront la guerre en Irak. » Mais dans des pays comme l’Inde, les gens paient réellement de leurs  vies, de leur liberté, de tout. Je veux dire, maintenant c’est une résistance qui a des conséquences. Il ne peut pas s’agir – cela ne peut pas être quelque chose qui n’a pas de conséquences. Il est possible qu’il n’y en ait pas, mais il faut comprendre que, pour changer quelque chose, il faut prendre quelques risques  Il faut sortir et risquer ses rêves, parce que les choses en sont arrivées à un point très mauvais.

 AMY GOODMAN : Arundhati Roy, nous voulons vous  remercier beaucoup d’avoir été avec nous. Son dernier livre s’appelle Field Notes on Democracy: Listening to Grasshoppers. J’espère être avec vous et avec Noam Chomsky à Cambridge dans une semaine.

Source : Arundhati Roy on Obama’s Wars, India and Why Democracy Is “The Biggest Scam in the World”

Traduction de Danielle Bleitrach révisée par Fausto Giudice
 


Source :  Walking With The Comrades
Article original publié le 29/3/2010

Source de cette traduction : http://www.secoursrouge.org/Arundhati-Roy

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