samedi 31 octobre 2009

Les causes de la pauvreté mondiale


par Vicenç NAVARRO. Traduit par Gérard Jugant, édité par Fausto Giudice
Le 17 octobre on a célébré la Journée internationale pour l'élimination de la pauvreté (voir aussi http://www.oct17.org/fr), qui a été l’occasion d’un nombre élevé de conférences sur la pauvreté. Pendant quelques jours ce fut un sujet visible dans les moyens de communication les plus importants du monde, bien qu’en Espagne cette visibilité ait été limitée. Dans les pays développés on a mis une fois de plus l’accent sur la nécessité d’ “aider” les pays pauvres, notamment par l’envoi d’aliments et de fonds. On a aussi mis l’’accent, dans divers forums internationaux, sur la nécessité de transférer connaissances et nouvelles technologies des pays riches aux pauvres pour augmenter la productivité de leurs secteurs agricoles, les plus importants dans leurs économies.
Cet intérêt médiatique pour le thème de la pauvreté se répète année après année à la même date. Et pendant ce temps, huit millions d’enfants meurent chaque année de malnutrition (un toutes les deux secondes), l’équivalent des morts que causeraient 43 bombes atomiques comme celle lancée sur Hiroshima, des bombes qui explosent chaque année sans produire aucun bruit. En réalité ce nombre de morts fait partie de la réalité qui nous entoure de telle manière qu’ils n’apparaissent même pas ni à la première ni même à la dernière page des journaux les plus importants du monde.


Ares, Cuba
Ce qui rend cette situation  moralement intolérable est que du point de vue scientifique nous savons comment résoudre tant le problème de la pauvreté que de ses conséquences, dont la faim est la plus dramatique. Et le paradoxe de la situation est que la pauvreté n’est pas due au manque de ressources. En réalité, la planète a suffisamment de terre fertile pour alimenter deux fois la population existant aujourd’hui (FAO 2008). Dans les pays économiquement développés, les États vont même jusqu’à subventionner les agriculteurs pour qu’ils ne produisent pas plus d’aliments. Mais ce qui est encore plus intolérable est qu’on appelle ces pays pauvres, alors qu’ils ne le sont pas. Les pays ainsi appelés ont des populations de manière prédominante pauvres, mais eux-mêmes en soi ne le sont pas.
Pourquoi donc la pauvreté se produit-elle et se reproduit-elle? Si nous analysons le pays le plus pauvre du monde (la liste de candidats à une telle distinction est longue), nous verrons que les racines de la pauvreté sont faciles à voir, si on veut les voir. Le quotidien The New York Times, un journal d’orientation libérale, qui publie de temps à autre quelques informations qui ne cadrent pas avec cette sensibilité, a publié un rapport sur la pauvreté au Bangladesh, un des pays que l’on peut identifier comme les plus pauvres (24-1-05).

Ce rapport était écrit par un groupe d’économistes qui avait visité ce pays. Parmi leurs nombreuses observations ressortaient les suivantes: “Les racines du problème de la pauvreté au Bangladesh sont dans l’énorme concentration de la terre (le principal moyen de production dans une économie agricole) dans ce pays. Seulement 16% de la population rurale contrôle les deux tiers de toute la terre cultivable, tandis que 60% de la population possède seulement un acre (4 000 m2, NdT). D’autre part, le rapport ajoutait que “l’introduction des nouvelles technologies-comme des nouveaux fertilisants-accentuait encore plus la polarisation dans la propriété de la terre, car seuls les grands propriétaires peuvent avoir accès au crédit et à d’autres facteurs nécessaires pour pouvoir exploiter et utiliser les nouvelles technologies”.

Ben Heine, Tlaxcala
Quant à l’ “aide” qui provient de l’extérieur, le rapport signalait “que les responsables chargés de l’aide aux nécessiteux au Bangladesh reconnaissent eux-mêmes (dans des conversations privées) que seule une fraction minuscule des millions de tonnes d’aliments qui arrive dans le pays, comme partie de l’aide extérieure, finissent dans les mains des familles affamées qui en ont besoin. Les aliments de l’extérieur sont canalisés par le gouvernement, qui les vend aux militaires, à la police, aux classes moyennes des villes...”. Le rapport concluait que “l’énorme potentiel productif de terres énormément fertiles est tel que le Bangladesh pourrait alimenter une population bien supérieure à l’actuelle”.
Mais les produits alimentaires qui sont produits ne sont pas consommés, dans leur majeure partie, au Bangladesh, car la majorité de la population n’a pas un pouvoir d’achat suffisant. Au lieu de cela, ils sont exportés, surtout dans les pays de niveau de revenu plus élevé, ce qui contribue à reproduire ainsi une économie basée, non sur la consommation et la demande internes, mais sur la consommation externe et les exportations. Il semblerait que le plus logique serait de créer une telle demande interne, en redistribuant les ressources (dont la terre) pour permettre le développement du pouvoir d’achat de la grande majorité de la population.
Seulement voilà, la structure de pouvoir, monopolisée par les grands agriculteurs, s’oppose à de tels changements dans la redistribution. Comme le soulignait bien le rapport cité “le parlement de ce qui est prétendument un système politique démocratique (le Bangladesh figure dans la classification établie par le Département d’Etat des USA, comme une démocratie) est contrôlé par les grands agriculteurs. 75% des membres du Parlement possèdent de grandes superficies de terres, et il ya là peu de possibilités de changement”. Le système économique et politique soutenu en partie par l’armée et en partie par des systèmes d’information et de persuasion (avec des connexions à des groupes médiatiques étrangers), a de maigres possibilités de changement. La Constitution du pays, écrite par cette structure de pouvoir, inscrit par écrit l’impossibilité d'engendrer un tel changement. D’où la présentation de la défense de cette structure de pouvoir comme une défense de la démocratie.
Ce sont là les causes de la pauvreté, de la faim et de la malnutrition dans le monde. Et quand la population “pauvre” se mobilise pour changer cette situation, on l’accuse de violer l’ordre démocratique. Le cas du Honduras est le plus récent mais je doute qu’il soit le dernier. Ce sont là les causes de la pauvreté dans le monde, qui rarement apparaissent dans les médias de persuasion.


"Ne nous donnez pas d'argent...Apprenez-nous à devenir riches". Juan Ramón Mora, Málaga



Source : Público-Las causas de la pobreza mundial
 
Article original publié le 29/10/2009

Sur l’auteur

Gérard Jugant et Fausto Giudice sont membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur, le traducteur, le réviseur et la source.

URL de cet article sur Tlaxcala : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=9152&lg=fr



vendredi 30 octobre 2009

Jean-Pierre Filiu : Les neufs vies d’Al-Qaïda



par Aziz Enhaili, tolerance, 28/10/2009
Jean-Pierre Filiu est arabisant et professeur associé à Sciences Po, où il enseigne au sein de la Chaire Moyen-Orient Méditerranée. Il était à l’automne 2008 professeur invité à l’Université Georgetown (Washington). Il a notamment publié chez Fayard «Mitterrand et la Palestine (2005)» et «Les frontières du jihad (2006)». Son «Apocalypse dans l’Islam» a obtenu en 2008 le Grand prix des Rendez-vous de l’histoire de Blois. Son dernier livre, «Les neuf vies d’Al-Qaïda» (Fayard, 2009) tombe à point nommé au moment même où tout le monde se pose des questions à propos du devenir de ce réseau des nomades du jihad global. Pour en savoir un peu plus sur Al-Qaïda, nous avons réalisé l'entrevue qui suit avec ce spécialiste reconnu de l’islamisme et du monde arabe. Entrevue réalisée par Aziz Enhaili pour Tolerance.ca ®.


Aziz Enhaili : Dans votre récent livre, vous avez parlé de «Neuf vies» d’Al-Qaïda. Pouvez-vous nous dire ce que vous voulez dire par cela? Et par la même occasion retracer pour nous les étapes de l’histoire de ce réseau nomade du jihad global ?

Jean-Pierre Filiu : Je m’efforce dans ce livre, fruit de plusieurs années de recherche, de décrire de la manière la plus précise et la plus complète possible l’histoire de cet extraordinaire mouvement qu’est Al-Qaïda. Fondé dans la clandestinité au Pakistan en août 1988, il n’est apparu au grand public qu’avec la tragédie du 11-Septembre 2001. Mais il avait déjà derrière lui un parcours complexe, heurté et méconnu, jalonné d’exils, de complots… et de trahisons. Al-Qaïda me paraît aujourd’hui au bout d’un cycle et sa direction, avec Ben Laden et son adjoint Zawahiri, est d’ailleurs revenue s’installer dans ces zones tribales pakistanaises qui ont vu naître l’organisation. Je décompose l’histoire d’Al-Qaïda en neuf périodes, que je qualifie de « vies », car cette organisation a témoigné d’une très forte capacité à se régénérer après les crises et les défaites. Les quatre premières vies d’Al-Qaïda se succèdent jusqu’à l’apogée du 11-Septembre et l’organisation de Ben Laden a ensuite connu «l’Effondrement du sanctuaire», «la Campagne d’Arabie», «le Sang de l’Irak» et «le Califat des ombres». Al-Qaïda est entrée depuis 2007 dans sa neuvième vie, celle de la «Fuite en avant», qui pourrait être la dernière. Mais rien n’est joué.

Aziz Enhaili : À quels facteurs imputez-vous la montée en puissance d’Al-Qaïda ?

Jean-Pierre Filiu : Les trois atouts majeurs d’Al-Qaïda sont le caractère simple et percutant de son message, la structure souple et fluide de ses réseaux et le recours systématique aux nouvelles technologies, au premier rang desquelles Internet. L’organisation émet aujourd’hui en ligne un document original tous les deux ou trois jours, entretenant ainsi l’illusion de son omniprésence planétaire. Al-Qaïda a aussi pu profiter des choix stratégiques de ses adversaires pourtant déclarés. La «guerre globale contre la terreur» (déclenchée par l’administration de George W. Bush au lendemain du 11-Septembre) a ainsi gonflé l’importance de l’organisation de Ben Laden, qui a pu se présenter comme le démiurge d’une violence planétaire. Enfin, l’invasion américaine de l’Irak (mars 2003) a permis à Al-Qaïda, jusqu’alors absente de ce pays, d’y prendre pied et d’installer une nouvelle base au cœur du Moyen-Orient.

Aziz Enhaili : Pensez-vous qu’Al-Qaïda est effectivement entrée dans une phase de déclin irréversible? Si c’est le cas à quels facteurs imputez-vous un tel développement d’importance? Sinon, quel est son état réel actuel ?

Jean-Pierre Filiu : Il faut se garder de toute prédiction hasardeuse, mais je décris point par point dans mon livre comment les trois atouts principaux d’Al-Qaïda (ceux qui ont porté sa montée en puissance) sont en train de devenir les trois faiblesses majeures de l’organisation : la propagande agressive d’Al-Qaïda est désormais rejetée comme déviante, voire contraire à l’Islam, y compris dans les milieux militants; les réseaux légers et mobiles ont certes prouvé leur résilience, mais ils se sont montrés incapables de s’implanter durablement sur un territoire donné; enfin, le décalage entre le cyberjihad virtuel et la réalité des conflits en cours est de plus en plus perceptible, même chez les plus radicaux. C’est surtout le rejet d’Al-Qaïda par les sociétés musulmanes qui affecte le devenir de l’organisation, forte aujourd’hui de mille à deux mille membres. Soit environ un Musulman sur un million! A cela s’ajoute le fait que l’écrasante majorité des victimes d’Al-Qaïda sont des Musulmans tués dans des pays musulmans.

Aziz Enhaili : Dans l’état actuel de la guerre en Afghanistan, pensez-vous qu’il est judicieux (ou contreproductif) pour les forces de la coalition internationale de dissocier des insurgés «talibans» «récupérables» des combattants d’Al-Qaïda à combattre jusqu’au dernier? Pensez-vous également que la stratégie antiterroriste (de certains à Washington) serait mieux adaptée au combat du réseau terroriste que la stratégie anti-insurrectionnelle du général Stanley McCrystal ?

Jean-Pierre Filiu : Les sources américaines évaluent à moins d’une centaine le nombre de militants d’Al-Qaïda sur le territoire afghan. Ce n’est pas là, mais bel et bien au Pakistan que l’organisation joue son destin. La distinction porte donc moins entre talibans «modérés» ou «radicaux», deux concepts assez contestables et mouvants, qu’entre talibans afghans et pakistanais. Les talibans pakistanais sont en effet engagés dans une guerre révolutionnaire et impitoyable contre la République islamique d’Islamabad et c’est cette guerre-là qui représente le front principal pour Al-Qaïda. Une fois de plus, l’organisation de Ben Laden, malgré tous ses discours anti-occidentaux, a choisi de combattre des Musulmans dans un pays musulman.



Aziz Enhaili : Pensez-vous que la notion d’exclusion d’Al-Qaïda de toute emprise sur un territoire musulman accélérerait son déclin? Dans l’hypothèse de l’ouverture d’un nouveau front (pour cause éventuellement d’une guerre contre un pays musulman), Al-Qaïda ne trouverait pas là un facteur puissant de renaissance?



Jean-Pierre Filiu : Depuis 2001, Al-Qaida a été incapable de développer un contrôle durable sur un territoire transformé dès lors en ce que j’appelle un «Jihadistan». La seule expérience remonte au régime taliban et elle s’est effondrée après le 11-Septembre. La tentative d’établir un «Jihadistan» en Irak a été rejetée par la guérilla locale qui, quoique jihadiste, arabe et sunnite, a fini par se retourner contre Al-Qaïda. Aujourd’hui, l’organisation de Ben Laden appelle publiquement de ses vœux une guerre entre l’Amérique «croisée» et l’Iran «hérétique», qui affaiblirait selon elle ses deux ennemis. Dans les perspectives d’avenir que je trace dans la dernière partie de mes «Neuf vies», la crise internationale (avec intervention occidentale dans un pays musulman) représente en effet le scénario optimal pour Al-Qaïda. C’est d’ailleurs pourquoi Ben Laden avait tout misé sur l’élection de John McCain et a été tant déstabilisé par la victoire de Barack Obama.

L'auteur

Aziz Enhaili est contributeur au volet «Moyen-Orient» du LEAP/E 2020 (Laboratoire Européen d'Anticipation Politique/Europe 2020), un Think Tank européen leader dans le domaine de la prospective internationale. Il est également contributeur au Global Research in International Affairs (GLORIA) Center. Il est notamment co-auteur de quatre ouvrages collectifs, dont deux dirigés par Barry Rubin: Political Islam (Londres: Routledge, 2006) & A Guide to Islamist Movements (New York, M.E. Sharpe, à venir en novembre 2009). Il est chroniqueur des affaires moyen-orientales au webzine canadien http://www.tolerance.ca/.

jeudi 29 octobre 2009

Qu’il y ait des riches, n’est-ce pas un droit des pauvres?



par Santiago Alba Rico Traduit par  Gérard Jugant, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala 

J’ai eu l’occasion d’écrire que dans le monde il existe seulement trois classes de biens: universels, généraux et collectifs.
Les biens universels sont ceux qui nous suffisent pour qu’il y ait un exemplaire ou un exemple pour que nous nous sentions universellement tranquilles. Ce sont les choses qui sont là, et qu’il n’y a pas lieu de prendre avec la main ou posséder de manière individuelle : il y a le soleil et il y a la lune, il y a les étoiles, il y a la mer, il y a un Machupichu et un Everest, il y a un Taj Mahal et une Chapelle Sixtine, un Che Guevara et un Saint François, il y a Garcia Lorca et José Marti et Garcia Marquez et Silvio Rodriguez et Cintio Vitier.
Les biens généraux sont ceux, en revanche, qu’il n’est pas nécessaire de généraliser pour que l’humanité soit complète. Il ne suffit pas qu’il ait du pain dans le palais du prince ou qu’il y ait une maison dans le jardin du comte; ce sont les choses qui doivent être ici, que tous nous devons prendre avec la main ou dont nous devons bénéficier personnellement : nous avons de la nourriture, un logement, de l’eau, des médicaments et si nous ne les avons pas c’est parce que quelque chose ne marche pas bien dans ce monde. Ce n’est pas une injustice qu’il y ait un soleil unique ou un unique Guernica de Picasso, mais s’en est une qu’il n’y a pas suffisamment de pain pour tous.
Enfin, les biens collectifs sont ceux dont nous devons bénéficier des avantages tous à égalité, mais qui ne peuvent se généraliser sans mettre en péril l’existence des biens généraux et des biens universels. Ce sont les biens, en définitive, qu’il est nécessaire de partager. Ce sont, par exemple, les moyens de production, qui ne peuvent se privatiser sans que cela laisse des millions d’êtres humains sans biens généraux (pain, logement, santé). Et il y a aussi certains objets de consommation, dont la généralisation mettrait en péril le bien universel par excellence, source et garantie de tous les autres biens: la Terre même. Nous devons tous avoir du pain et un logement, mais si nous avions tous, par exemple, une automobile, la survie de l’espèce serait impossible. Le moteur à explosion, par conséquent, n’est pas un bien général dont chacun de nous peut avoir un exemplaire, mais un bien collectif dont l’usage doit être partagé et rationalisé.
Tout au long de l’histoire, diverses classes sociales se sont approprié les biens généraux et les biens collectifs, et en cela le capitalisme ne se distingue pas des sociétés antérieures. Plus inquiétant est ce que le capitalisme a fait, ou est en train de faire, avec les biens universels. Je ne me réfère pas seulement à la colonisation de l’espace, à la privatisation des ondes, des graines et des couleurs ou à la disparition d’espèces, de montagnes et de forêts. Je me réfère, surtout, à la dévalorisation mentale dont ont souffert les “universels” sous la corrosion anthropologique du marché. Il est normal de se complaire dans la vision des étoiles; il est normal de se complaire dans le doux balancement de la neige; il est normal de se complaire dans la lecture du Canto General de Neruda. Ou non ?
En 1895, Cecil Rhodes, impérialiste anglais, entrepreneur et fondateur de la compagnie De Beers (propriétaire de 60% des diamants du monde), contemplait enragé les astres de sa fenêtre, “si clairs et si distants”, si loin de cet appétit impérial qui “voulait et ne pouvait se les annexer”.
À une plus petite échelle, un présentateur de la télévision espagnole déplorait en 2005 qu’il ne fallait pas payer pour contempler la neige qui couvrait les champs et les villes d’Espagne, si blanche et si belle, dégradée dans son prestige par le fait de s’offrir de manière indifférenciée au regard de tous à égalité. Et à une plus petite échelle encore, j’ai connu un poète qui ne pouvait lire les vers de Neruda sans être rendu furieux : “J’aurais dû les écrire moi!”. C’est une chose d’enfants de vouloir la lune et de mères corruptrices de la promettre. Le capitalisme est un infantilisme destructeur. Il isole l’acte puéril d’un enfant mal éduqué et le généralise, le normalise, le récompense socialement. Ce qui est là, ce que nous ne pouvons prendre avec les mains, ce qui est pour cela même à tous, nous appauvrit, nous attriste et ne vaut rien.

"Le Père Noël donne plus aux enfants riches qu'aux enfants pauvres"



Que reste t-il des biens universels? Restent les riches. Les riches sont à tous. Ce qui nous plaît le plus dans le capitalisme n’est pas qu’il produise des voitures, des avions, des hôtels et des machines : c’est qu’il produise des riches. Les orgies babylonesques de Berlusconi, les pensions millionnaires des banquiers espagnols au milieu de la crise, le luxe vulgaire des politiciens corrompus de Valence et Madrid, ne sont pas des taches ou des péchés du capitalisme: c’est pure publicité. La liste des hommes les plus riches du monde élaborée par la revue Forbes n’est rien d’autre qu’une barbare ostentation propagandiste qui génère beaucoup plus d’adhésion au système que l’inégal accès aux marchandises bon marché et banales. Il y a quelque chose d’étonnant que les femmes latino-américaines, interrogées sur leur “mari idéal”, se l’imaginent usaméricain, blond, aux yeux clairs, grand, chirurgien ou entrepreneur, et bien sûr, millionnaire. Ou que dans la nouvelle Chine le père auquel rêvent les jeunes mères soit Bill Gates. Ou que dans la liste des dix personnages les plus admirés par les hommes usaméricains il n’y a pas un seul écrivain ou scientifique, presque tous sont des dirigeants ou propriétaires d’entreprises et tous immensément riches. Ou que la revue au plus fort tirage d’Espagne-avec presque 700.000 exemplaires-soit Hola. Ou que les plus fameux feuilletons de la télévision, suivis par des millions de téléspectateurs, consistent en traités d’anthropologie des classes supérieures (ses habitudes, ses problèmes, ses plaisirs).
Si les pauvres ne peuvent partager la richesse, ils peuvent au moins partager leurs riches. S’ils ne peuvent consommer la richesse, ils peuvent consommer les vies des riches. Bill Gates, Carlos Slim, Warren Buffet, Amancio Ortega sont la lune et le Machupichu et le Taj Mahal du capitalisme. Ils sont le soleil et la neige et le Canto General du marché globalisé. Il se peut qu’ils soient les responsables de ce que le monde va mal, mais ils sont aussi les artisans de ce miracle que nous soyons très contents et que tout nous paraisse bien pendant que nous nous effondrons.
Qui veut l’égalité? L’inégalité, n’est-ce pas un droit des pauvres? Qu’il y ait des millionnaires, n’est-ce pas un droit des mileuristas(1) et des chômeurs? Ne devons-nous pas défendre, armes à la main, notre droit à ce que d’autres soient riches? Ne devons-nous pas leur être reconnaissants pour leurs gaspillages? Ne devons-nous pas au moins voter pour eux?
Cela est le modèle que tentent d’imposer les USA et l’Europe au reste du monde. Non le droit qu’il y ait des étoiles et le Machupichu et les chutes d’Iguaçu et la 9e Symphonie de Beethoven mais qu’il y ait des riches; non le droit au pain, à la maison et aux chaussures mais savoir qui sont et comment vivent les millionnaires.
Révolution? Le pain et la lune.
(Sachant que “pain”, dans le dictionnaire socialiste, veut dire aussi lait, vêtements, maison, hôpitaux et transports publics et “lune” veut aussi dire mer, musique, vérités et souveraineté politique).
(1)  En Espagne, les mileuristas sont des jeunes diplômés qui travaillent pour moins de 1000 euros par mois. (NdT)

mercredi 28 octobre 2009

Aigre victoire pour le Frente Amplio, défaite amère pour les Uruguayens


Dimanche 25 octobre, Le Frente Amplio n’a pas obtenu la majorité absolue et son candidat, Pepe Mujica, devra affronter un deuxième  tour
par Sergio LABAYEN, Gara, 27/10/2009. Traduit par Esteban G.. et édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original : Agria victoria para el Frente Amplio, amarga derrota para los uruguayos


MONTEVIDEO-. Jusqu’à huit heures du soir une ambiance optimiste régnait au siège de la campagne électorale du Frente Amplio. Les premières estimations présageaient une majorité absolue à la coalition et la Loi de Caducité était donnée comme annulée. Cependant, peu de temps après quelques dirigeants ont commencé à grimacer montrant à l’évidence que quelque chose allait mal. Aux portes de l'hôtel, sur une grande esplanade de Montevideo envahie de gens, de drapeaux et de liesse, les larmes ont soudain commencé à couler lorsque les radios ont annoncé l’estimation d'une défaite probable du référendum pour l'annulation de la Loi de Caducité.
La nouvelle déclaration de presse de Mujica et d'Astori venait rajouter un nouveau coup à ceux qui comptaient rééditer la majorité absolue. Là, le candidat a insisté sur l’idée : la société exige du Frente Amplio « un effort de plus », un mois de plus de bataille politique avec « une base de départ très optimiste ». « Je suis enchanté de ce résultat, parce que je suis un homme de combat et jamais personne ne m’a fait de cadeau », a dit Mujica, mais la mise en scène n'était pas, loin de là, celle d'une victoire.
À partir de là, les estimations assénaient au fur et à mesure des coups successifs aux milliers de militants et sympathisants du Frente Amplio qui attendaient dans la rue, avec les bouteilles non débouchées : dans aucune des deux chambres le Frente n'obtenait la majorité, les blancs et rouges le dépassaient en voix, le vote extérieur soutenait le plébiscite avec à peine 35%…
« Tous debout ! »
Les leaders du Frente Amplio se sont empressés de sortir au balcon pour essayer de ranimer la ferveur des gens. Les visages de ceux d'en haut [au balcon] et de ceux d’en bas parlaient d’eux-mêmes, mais tous se sont unis dans un « tous debout ! » collectif qui fit de nouveau se relever les drapeaux et les esprits, en mettant l’accent sur le petit pourcentage qui les sépare de la majorité pour le second retour.
Mujica et Astori se sont symboliquement enveloppés de drapeaux uruguayens et ils ont souligné que dorénavant il ne s’agissait plus d’une querelle entre partis, mais d’un combat entre deux modèles de pays. De cette façon, la direction du FA a donné une touche plus centriste et plus conciliatrice à son discours, en réitérant sa proposition en accord avec l'opposition sur quatre secteurs stratégiques pour le pays (éducation, sécurité, énergie et environnement).

À quelques centaines de mètres de là, au siège du Parti National on pouvait respirer une atmosphère bien différente. Les blancs ont moins d’appuis, on s’attendait à cela, mais l’évidence d'un second tour avait avivé la fête parmi sa base, surtout lorsque Pedro Bordaberry, du Parti Colorado (les « rouges »), avait avancé qu'il soutiendrait Lacalle (candidat des « blancs »).
Les deux partis coordonneront des « actions immédiates » cette semaine même, en essayant de rentabiliser la défaite psychologique du Front et de rendre possible une alternative à Pepe Mujica. Entretemps, les plus grandes ovations des fans de Lacalle ont retenti lorsque sur l'écran géant de son siège de campagne sont apparues des images de l'affiche qu’un militant exhibait : « Je ne veux pas un président assassin ».
Avec un tel détail, il se respirait une atmosphère étrange cette nuit de dimanche dans les rues de Montevideo. Au fil des heures, les deux moitiés du pays s’affrontaient inhabituellement dans un pays si politiquement correct. Des cris étaient échangés d’une voiture à une autre, d’un trottoir à l’autre, tandis qu’on agitait des drapeaux, des critiques fusaient : «  Mujica assassin !  », bramaient certains. «  Fachos, voleurs !  », répliquaient les autres.
Ces expressions de confrontation seront bien sur anecdotiques et la classe politique saura les reconduire vers le savoir faire* oriental (= uruguayen) classique, mais elles dénotent l’arrivée d’un choc de trains entre deux Uruguay possibles après le 29 novembre. Ce sont deux alternatives de pays pas très différentes sur le fond, mais très antagoniques sur les formes, au point d’en arriver à se repousser dans une société où les blessures de la dictature ne se sont pas complètement cicatrisées.

Pepe Mujica dans sa ferme lundi
Un coup contre la mémoire
Le coup a été rude pour le mouvement populaire, qui s’était donné beaucoup de mal dans la campagne pour l'annulation de la Loi de Caducité. Dans le local de la Fédération des Étudiants c’était la désolation, et les critiques contre le FA ne manquaient pas, pour ne pas avoir mis plus de lui-même dans la campagne pour l’abrogation de la loi. Les sentiments étaient tellement contradictoires que certains partisans du Front montraient leur enthousiasme pour la victoire électorale, tandis que d'autres pleuraient et réclamaient du respect - ou un peu de deuil - devant la défaite du référendum.
Tous les chiffres connus au cours de cette nuit correspondaient aux sondages sortis des urnes, qui d’ordinaire s’accordent tellement avec les résultats finaux que leurs projections sont données avec assez de certitude.
Ainsi, les Uruguayens se sont couchés en pensant que les votes pour le « oui » tournaient autour de 47%, mais le lundi matin un coup cruel de plus s'est rajouté à la défaite du bulletin rose. Vers midi, le ministre de la Cour Électorale a donné les chiffres du scrutin officiel et a annoncé, avec surprise, que la Loi de Caducité avait été annulée. Les textes ont immédiatement commencé à circuler et le paysage électoral qui s’ouvrait était bien différent de celui de la nuit précédente. En fait, il s'agissait d'une énorme erreur, puisque les chiffres correspondaient à ceux de la capitale et ont été démentis dans la demi-heure suivante. Le résultat réel était bien différent, et à la grande surprise très mauvais pour la défense des droits humains : à peine 42.7% de soutiens pour l’arrêt de l'impunité.

El Pepe participant à une course cycliste
« J’ai honte »
Quelques réactions sont radicales : « J’ai honte de vivre dans un pays de cocus et sans mémoire », proclame une carte rose de l'Uruguay qui a commencé à circuler sur internet. Le fait est que, vingt ans après le premier référendum pour l’abrogation de la loi, on a obtenu moins de soutien qu'à cette époque, lorsqu’on disait que la décision du peuple avait été conditionnée par ce que la dictature venait de faire et par la peur qui subsistait encore. Et aujourd’hui, que la menace militaire ne paraît plus être un problème, avec la dipsarition d’une grande partie de ces électeurs qui sont morts, remplacés par de nouvelles générations, après cinq ans de gouvernement du Frente Amplio qui présupposent un changement culturel et idéologique dans le pays, le « oui » n’est même pas parvenu à égaler ces résultats. La question « que s’est-il passé ? », résonne dans tous les coins du pays.
La nouvelle a rapidement circulé jusqu'aux pays voisins, où il existe également des mouvements actifs pour les droits humains. De fait, l'annulation de la Loi de Caducité était importante non seulement pour la nécessité de juger les bourreaux uruguayens, mais aussi comme une mesure préventive face aux futures tentations dictatoriales des chefs militaires partout dans le continent. Les putschistes du Honduras, ou ceux qui essayent de déstabiliser les processus vénézuélien et bolivien, peuvent interpréter le message qu'ils ont reçu hier comme signifiant davantage d'impunité pour leurs méfaits.

Gueule de bois référendaire
La défaite pour la fin de l'impunité doit encore être digérée et ses effets sont encore insoupçonnés, mais en principe elle ne contribue pas à la course de Pepe Mujica à la Présidence. Beaucoup de militants sociaux sont déçus par la tiédeur du Frente Amplio face à la Loi de Caducité. D'abord, parce qu'ils auraient pu abroger la loi et ils ne l'ont pas fait, de telle sorte que le mouvement populaire avait dû pousser à la tenue du référendum. Et maintenant, durant la campagne électorale, parce que le soutien formel du FA à la campagne pour le Oui a varié selon chacun de ses courants internes, et a été plus ou moins fort selon la dérive politique générale.
En réalité, il paraît logique qu'une victoire du « oui » pourrait être vue par Mujica comme une énorme patate chaude pour son mandat. Comment modérer le travail du gouvernement si lui, ancien otage de la dictature, doit « mettre en taule » ses geôliers ? Comment va t-il obtenir les accords d'État qu’il veut signer avec l'opposition si les vieilles tensions entre Tupamaros (MLN) et « milicos » (militaires) se ravivent ?
Ainsi, les contradictions étaient vives dans chacune des hypothèses, mais le coup porté par le faible soutien social à ce référendum pourrait rouvrir des blessures dans la gauche. Pour l'instant, le candidat de l’Assemblée Populaire [Raúl Rodriguez, lui aussi ancien Tupamaro, qui n’a recueilli que 0,67% des voix, NdE] a annoncé qu’il votera nul au second tour, une option qui s’entend parmi quelques militants des quartiers.
La défaite du second référendum – sur le vote postal pour les émigrés – qui a été encore plus importante, 35% de oui seulement – dessert aussi le FA. On estime que 2,5% de ses soutiens viennent de l'extérieur, principalement de Buenos Aires, beaucoup s’en rappelleront deux fois au moment de revenir voter au second tour, d’autant plus que le pays vient de tourner le dos à la possibilité pour les Uruguayens vivant à l’étranger d’être intégrés normalement dans les processus électoraux.

Résultats finaux
Selon les résultats annoncés hier, le Frente Amplio a finalement obtenu 47,49% ; le Parti National, 28,54% ; le Parti Colorado, 16,67% ; le Parti Indépendant, 2,44%, et l'Assemblée Populaire, 0,67%.
Quant à la composition des chambres, au Sénat il y a un match nul qui sera résolu par ballotage  en novembre. À la Chambre de députés le FA obtiendrait 50 sièges et le reste des partis les 49 autres, mais un siège est encore en suspens, qui sera celui qui fera pencher la balance d'un côté ou d’un autre. Ces résultats sont encore provisoires, puisque 32.000 bulletins restent à dépouiller (dans lesquels un certain type d'irrégularité a été détecté) et ce seront ceux-là qui définiront si le Frente Amplio aura la majorité ou pas au parlement.
En définitive, Pepe Mujica est encore le favori pour parvenir à la Présidence, mais aujourd'hui ce sera plus difficile qu'hier. La seule donnée comparative, remonte 10 ans en arrière, elle indique que les blancs et rouges avaient uni leurs votes et avaient mis en échec le Frente Amplio au second tour. Mais la société uruguayenne a changé depuis. Jusqu'à quel point ?



Pepe Mujica a mis un costume (mais sans cravate) pour la première fois de sa vie lors de sa visite à  Lula en août. Ci-dessous, le candidat lors d'un essyage au  Studio Mutto de Montevideo en juillet 2009.



mardi 27 octobre 2009

Vers un nouveau coup d’État en Amérique centrale ?

par Carlos TENA, 22/10/2009. Traduit par Salah Ahmine, révisé par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original: ¿Nuevo golpe en Centroamérica?

Il est extrêmement surprenant de voir, qu’alors qu’à peu de kilomètres de Managua, au Honduras, se maintient une dictature comme celle de Micheletti, la grande majorité des mas médias nicaraguayens (propriété d’une poignée de familles millionnaires) s’attaque depuis des années au gouvernement constitutionnel de Daniel Ortega. Les manipulations féroces et périodiques de la réalité orchestrées dans la presse écrite, radiophonique et télévisuelle, qui rappellent les campagnes subies par le président du Venezuela, Hugo Chávez, avant et après le Carmonazo [tentative de coup d’État d’avril 2002, NdE], n’ont pas cessé au Nicaragua depuis que Daniel Ortega a assumé la présidence en 2006, ou plus exactement le 10 janvier 2007.
Les disqualifications continues et les insultes de la part du complexe médiatique (à la seule exception de Radio Primerísima et Radio Ya), se sont accélérées dans le fond et dans la forme ces derniers jours, quand la Cour Suprême de Justice s’est prononcée sur la validité des arguments du leader sandiniste pour pouvoir se présenter aux prochaines élections. N’oublions pas que le président hondurien Zelaya a été renversé violemment par l’armée et ses adversaires politiques, qui ont justifié ce putsch par une prétention similaire, il y a seulement quelques semaines (28 Juin 2009), de la part du président constitutionnel.
Cet élément oblige les analystes à déduire, sans aucune crainte de se tromper, que l’Amérique Latine se trouve face à des coups d’États anti-démocratiques soft, moins sanglants que ceux qui ravagèrent le continent depuis le début du 20ème siècle jusque la moitié des années 80, dirigés et orchestrés, comme d’habitude, par le patronat le plus ultra-libéral (pour lequel les moyens de diffusion massive sont indispensables), et pouvant aujourd’hui compter sur la compréhension  des businessmen du secteur, comme le multimillionnaire mexicain Carlos Slim (ami intime de Monsieur X, autrement dit Felipe Gonzàlez), son collègue espagnol Juan Luis Cebrián, des intellectuels d’extrême-droite comme l’Hispano-anglo-péruvien Mario Vargas Llosa ou des Premiers ministres experts en prostituées de luxe, comme l’Italien Silvio Berlusconi.

Carlos Slim et Felipe González
Cette situation est la conséquence directe de la douceur avec laquelle la Maison Blanche traite le dictateur hondurien, qui se dégage facilement du double discours qu’utilisent le président Barak Obama et son éclatante Secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, ou de la tiédeur de l’OEA elle-même face à ce genre de rébellions militaires, dans lesquelles il y a juste à déplorer la mort de peu de citoyens (des provocateurs violents, selon El País), qui criaient dans les rues du Honduras pour le retour de la démocratie, mais loin des milliers d’arrestations et d’assassinats en masse subies durant des décennies par les populations du continent, commis avec la totale bénédiction des différents gouvernements US et de leurs armées, dont la participation et l’assistance militaire (torture inclue) se palpent encore dans des pays comme le Salvador, le Chili, le Paraguay, la Colombie, le Pérou, le Panamá, le Guatemala et d’autres.
Il paraît que Micheletti est bien vu à Washington, au FBI, à la CIA, au siège de PRISA et jusqu’au Vatican (épicentres d’influence sociale variable mais notoire), avec toutes les nuances qu’on peut présupposer. Et le plus curieux est que, quand on découvre les liens entre les putschistes et la délinquance commune, on fait ressortir au grand jour l’asile politique aux USA en leur faveur, comme dans le cas de l’ex-maire de Maracaibo Manuel Rosales, au Venezuela, directement impliqué dans une tentative d’assassinat contre Chávez, ou Luis Posada Carriles, responsable de l’explosion en plein vol d’un avion de Cubana de Aviación qui coûta la vie à 76 personnes, et qui aujourd’hui se promène tranquillement en Floride ; ou encore celui de Patricia Poleo, journaliste d’une chaîne de télévision à Caracas, accusée de l’assassinat du procureur Danilo Anderson.
J’espère que dans le cas des directeurs de journaux aussi connus au Nicaragua que ceux du Nuevo Diario ou de La Prensa, Danilo Aguirre et Jaime Chamorro, qui, respectivement, ont été ou sont en jugement et condamnés pour injures, ou escroquerie de millions, il ne se passera pas quelque chose du même genre. Aujourd’hui, couverts par leurs collègues de la soi-disant presse indépendante, ils clament leur innocence, tout en développant leur stratégie de harcèlement et de démolition médiatique du président Daniel Ortega, téléphonant à leurs associés espagnols, mexicains, chiliens, argentins ou français, pour qu’ils leur donnent un coup de main dans la stratégie de harcèlement et démolition de l’ennemi socialiste, si possible sans effusion de sang innocent. Les unes de ces gazettes brillent de titres répétant le mantra du dictateur Ortega, avec la même allégresse que leurs collègues espagnols appelant José María Aznar président.
 
Danilo Aguirre et Jaime Chamorro
Ils oublient, semble-t-il, qu’un vrai satrape aurait fermé d’un trait de plume ces journaux, radios et stations de télévision, qui continuent à égrener leur chapelet d’insultes et de défis, atteignant le sommet de la paranoïa médiatique quand, comme cette semaine, l’objectif n’est plus Ortega lui-même, mais les magistrats qui composent la Cour Suprême de Justice du pays.
Il n’est pas hasardeux d’affirmer que les deux dirigeants de journaux (Nuevo Diario et La Prensa) sont en train de chauffer la population, ou au moins de créer un dangereux bouillon de culture, pour rendre crédible et inévitable un putsch à la Micheletti, comptant bien sûr sur la bénédiction obligée et l’assentiment de l’église catholique nicaraguayenne (comme au Honduras), mais non sur celle de l’armée, à la différence de ses collègues honduriens, même si elle est bien loin de l’exemple des militaires vénézuéliens, boliviens, équatoriens ou cubains, dont la défense de la volonté populaire est admirable, si nous la comparons avec d’autres forces armées, y compris en Europe. Ces mots d’un chauffeur de taxi de Managua au signataire de ces lignes sont dans une certaine mesure tranquillisants : «Ici, ce qu’on a pu faire avec Zelaya ne peut pas se passer avec Ortega. Nous serions des milliers de citoyens, de camarades femmes, de travailleurs qui en plus possédons une bonne formation militaire, à descendre dans la rue pour défendre la démocratie, pour bloquer, comme à Caracas, un possible coup d ‘Etat ».
Qui a intérêt à ce que se répète l’histoire récente ? Les médias néolibéraux, l’OEA elle-même, la Maison Blanche ou la Communauté Européenne seront-ils disposés à condamner un nouveau coup d’État en Amérique Centrale, aussi peu sanglant soit-il, en brandissant un inexistant respect pour la légalité internationale, l’accomplissement des normes propres de leurs organisations respectives pour ce qui à trait à la défense de la démocratie, sachant que, dans le cas de l’OEA, jamais elle n’osa expulser de son sein des régimes génocides comme ceux qui massacrèrent l’Uruguay, le Brésil, l’Argentine, le Chili, le Paraguay, le Guatemala, le Salvador, etc. et qu’en plein 21ème siècle, elle ne sert qu’à organiser et parrainer des conversations entre les parties en conflit ? Est-il possible de croire en toute confiance que l’on puisse arriver à un accord entre partisans d’une dictature et démocrates convaincus, sans que ces derniers subissent une spectaculaire défaite ?
Peut-être que oui. L’Espagne l’a démontré en 1977, et on a vu ou ça l’a menée.

Madrid, 25 octobre 1977: signature des Pactes de la Moncloa pour la transition à la démocratie constitutionnelle. De g. à dr. Enrique Tierno Galván, Santiago Carrillo, José Maria Triginer, Joan Reventós, Felipe González, Juan Ajuriaguerra, Adolfo Suárez, Manuel Fraga Iribarne, Leopoldo Cavo Sotelo et Miguel Roca


lundi 26 octobre 2009

Facebook appartient-il à la CIA ?

par Ernesto CARMONA. Traduit par Karen Bellemans et révisé par Olivier Vilain pour Investig’Action

Original : Noticias Censuradas XXIII: Facebook ¿es de la CIA?
Italiano : Facebook appartiene alla CIA?

Les grands médias ont célébré Mark Zuckerberg comme l'enfant prodige qui, à l'âge de 23 ans, s'est transformé en milliardaire multimillionnaire grâce au succès de Facebook, mais ils n’ont pas prêté attention à “ l’investissement de capital -risque ” de plus de 40 millions de dollars effectué par la CIA pour développer le réseau social.

Quand le délire spéculatif de Wall Street a fait croire aux imprudents que la valeur de Facebook monterait à 15 millions de dollars, en 2008 Zuckerberg est devenu le milliardaire “ qui s’est fait tout seul ” le plus jeune de l’histoire du “ ranking ” de la revue Forbes, avec 1500 millions de dollars. DESILUSTRATION

A ce moment, le capital à -risque investi par la CIA paraissait avoir obtenu de bons rendements, mais la “ valeur ” de Facebook s’est ajustée à sa valeur réelle en 2009 et Zuckerberg disparut de la liste Forbes.

La bulle Facebook a gonflé quand William Gates, le patron de Microsoft, acquit en octobre 2007 une participation de 1.6% pour 240 millions de dollars. Cette opération mena à spéculer que si 1% de Facebook coûtait 150 millions de dollars, alors la valeur de 100% monterait à 15 milliards de dollars, mais le subterfuge finit par se dégonfler. La question de fond est que Facebook existe grâce à un investissement de capitaux à risque de la CIA.

En 2009, les grands médias n’ont pas lésiné sur la “ propagande informative ” pour rendre hommage à Zuckerberg comme paradigme du jeune entrepreneur-vainqueur, mais la diffusion réitérée de cette “ nouvelle ” n’a pas réussi à ce que la revue Forbes le maintienne dans la version 2009 de sa liste (1). L’enfant prodige disparut de la liste, malgré l’intensive campagne de CNN et de la grande presse mondiale qui reflète les intérêts de Wall Street. La liste Forbes est comme l’Oscar des grandes affaires et gonfle ou dégonfle la valeur des actions.

La CIA a investi dans Facebook bien avant qu’il ne devienne l’un des réseaux sociaux les plus populaires d’Internet, selon une enquête du journaliste britannique Tom Hodgkinson publiée en 2008 dans le journal britannique The Guardian (3) et commentée par quelques médias indépendants de langue anglaise, mais sans aucune répercussion dans la grande presse.

La propagande corporative a transformé le portail social en un synonyme de succès, popularité et même de bonnes affaires. Facebook se présente comme un inoffensif site web de réseaux sociaux qui facilite les relations interpersonnelles. Sa popularité a fait spéculer que ses approximativement 70 millions d’utilisateurs augmenteraient en une paire d’années à 200 millions dans le monde entier, parce que dans ses meilleures semaines il est arrivé à recevoir jusqu’à deux millions de nouveaux utilisateurs. Cependant, Facebook ne convainc pas tout le monde.

Critiques et détracteurs

“ Celui qui n’est pas sur Facebook n’est dans rien ou il est hors du système ”, disent certains. C’est comme avoir une nouvelle image mais sans contenu, pour se donner de l’importance dans le méga-supermarché qu’est devenu Internet, comme substitut des anciennes places publiques, disent d’autres. Les plus pragmatiques affirment que c’est un outil pour des retrouvailles avec d’anciens compagnons d’enfance ou de jeunesse perdus dans les mouvements de la vie.

Ses défenseurs de gauche affirment qu’il sert à promouvoir des luttes contre la globalisation et à coordonner des campagnes contre des activités telles que les réunions du G8.

Le journaliste espagnol Pascual Serrano a décrit comment il fut utilisé par le gouvernement de Colombie pour coordonner la journée mondiale contre les FARC qui en 2008 marqua le commencement de l’offensive propagandiste contre la guérilla et qui continue encore. Et il est très évident que Facebook a été instrumentalisé par la CIA. Pour Walter Goobar, de MiradasAlSur.com, “ c’est en réalité une expérience de manipulation globale : [...] c’est un outil sophistiqué financé par l’Agence Centrale d’Intelligence, CIA, qui non seulement l’utilise pour le recrutement d’agents et la compilation d’informations de long en large de la planète, mais aussi pour monter des opérations sous couvert ”.

En gros, Facebook est un outil de communication qui permet de contacter et d’archiver des adresses et autres données de la famille et d’amis. C’est une mine d’informations sur les amitiés de ses utilisateurs pour des entités comme le ministère de Sécurité de la Patrie, des USA, et, en général, pour l’ensemble des appareils de sécurité de l’État, attelées avec pareil enthousiasme à “ l’ennemi ” interne comme externe depuis l’ère Bush.

Des millions d'utilisateurs offrent des informations sur leur identité, des photographies et des listes de leurs objets de consommation préférés. Un message venant d'un ami invite à s'inscrire et à participer à Facebook. Les données personnelles, souvent capturées par toute sorte d'escrocs et clôneurs de cartes bancaires, vont aussi atterrir dans les disques durs des appareils de sécurité des USA. Le système Beacon de Facebook fait des suivis des utilisateurs et associés, incluant ceux qui ne se sont jamais inscrits ou ceux qui ont désactivés leur enregistrement. Facebook s'avère être plus pratique et rapide que les InfraGard (2), qui sont 23.000 micro communautés ou “ cellules ” de petits commerçants-informateurs organisées par le FBI afin de connaître les profils psycho-politiques de sa clientèle.

Depuis décembre 2006, la CIA utilise Facebook pour recruter de nouveaux agents. D'autres organismes gouvernementaux doivent soumettre le recrutement et les engagements à des régulations fédérales, mais la CIA a acquis plus de liberté d’action que jamais sous le gouvernement Bush, même pour torturer sans sauver les apparences. “ Ce n'est pas nécessaire d'obtenir un quelconque permis pour pouvoir nous inclure dans le réseau social ” a dit la CIA.

Capital-risque CIA

Le journaliste britannique Tom Hodgkinson a lancé un très fondé signal d'alerte sur la propriété CIA de Facebook, dans l'article documenté “ With friends like these... ” publié dans le journal londonien The Guardian le 14 janvier 2008 (3). Il a dit qu'après le 11 septembre 2001, l'enthousiasme pour la haute technologie a redoublé. Enthousiasme qui tenait déjà les appareils de sécurité de l’Etat USA depuis qu'ils avaient créé, deux ans auparavant, le fond de capitaux “ In-Q-Tel ”, pour des opportunités d'investissements à risque dans les hautes technologies.

Pour le journaliste Hodgkinson, les liens de Facebook avec la CIA passent par Jim Breyer, un des trois associés clés qui a investi dans ce réseau social 12,7 millions de dollars en avril 2005, associé aussi au fond de capital Accel Partners, membre des directions des géants comme Wal-Mart et Marvel Entertainment et en plus ex-président de National Venture Capital Association (NVCA), caractérisée dans l'investissement sur des jeunes talents.

“ Le plus récent tour de financement de Facebook fut conduite par une compagnie financière appelée Greylock Venture Capital, qui a mis 27,5 millions de dollars ” a écrit Hodgkinson. “ Un des plus grands associés de Greylock s'appelle Howard Cox, qui est un autre ex-président de NVCA qui est aussi dans le conseil de direction de In-Q-Tel ”.

“ Et In-Q-Tel c'est quoi ? ” se demande Hodgkinson, “ Bon, croyez-le ou pas (et vérifiez sur son site web) c'est un fond de capital à risque de la CIA ”. Crée en 1999, sa mission est “ d'identifier et de s'associer à des sociétés qui sont en train de développer de nouvelles technologies pour aider à apporter des solutions à l'Agence Centrale d'Investigation ”.
La page web de In-Q-Tel (4) recommandée par Hodgkinson est très explicite: “ En 1998, le Directeur d'Intelligence Central (DCI) identifia la technologie comme une propriété stratégique supérieure, directement connectée aux progrès de l'Agence dans les futures technologies pour améliorer ses missions de base, de compilation et d’analyse. Les dirigeants de la Direction de Science et Technologie ont élaboré un plan radical pour créer une nouvelle entreprise qui aiderait à accroître l'accès de l'Agence à l'innovation du secteur privé ”. Même en ajoutant de l'eau cela ne pourrait être plus clair, dit Hodgkinson.

Notes

(1) Rapport Forbes 2009 : http://www.forbes.com/lists/2009/10/billionaires-2009-richest-people_The-Worlds-Billionaires_CountryOfCitizen_18.html.
(2)
http://www.infragard.net/
(3) http://www.guardian.co.uk/technology/2008/jan/14/facebook
(4) http://www.iqt.org/about-iqt/history.html

dimanche 25 octobre 2009

Uruguay : José Mujica, un présidentiable sans cravate

par Prensa Latina, 23/10/2009 Traduit par Fausto Giudice


Montevideo, 23 octobre (Prensa Latina) - Un graffiti dessiné sur un mur de Montevideo, capitale de l’Uruaguay déclare: "Alerte Uruguay : un président sans cravate arrive", allusion à José Mujica, candidat du Front Large (Frente Amplio, FA), actuellement au pouvoir, à la présidence.
Âgé de 75 ans, Mujica a été l'un des fondateurs du Mouvement de libération nationale (MLN) Tupamaros, qui a fonctionné en Uruguay dans les années 1960-1970.
Pour cette activité il a été capturé, a passé 14 ans en détention dans diverses unités militaires et a fait partie du groupe de leaders du MLN connu comme «les otages», parmi lesquels se trouvait le fondateur et dirigeant de la guérilla, Raúl Sendic.
Après le retour à la démocratie en Uruguay, il est libéré en 1985, ayant bénéficié d'une amnistie pour les prisonniers politiques.
Après plusieurs années d'ouverture démocratique, il crée avec d'autres membres du MLN, le Mouvement de Participation Populaire (MPP) au sein du Frente Amplio.
Aux élections de 2004 il  a été le député élu avec le plus grand nombre de voix, démissionnant de son poste après avoir été nommé Ministre de l'Elevage, de l'Agriculture et de la Pêche en mars 2005.
Il abandonne ce portefeuille le 3 mars 2008 et retourne à son siège au Sénat.
El Congreso Extraordinario del FA en diciembre de 2008 lo proclamó como el candidato oficial de la coalición de izquierda para presentarse a las elecciones internas de 2009. Le Congrès extraordinaire du FA en décembre 2008 le proclame candidat officiel de la coalition de gauche aux élections internes de 2009.
Il y a été élu candidat de cette organisation à la présidence à l’élection qui a lieu ce dimanche 25 octobre.
Surnommé par ses proches comme par ses adversaires "El Pepe", il est marié à Lucía  la sénatrice Topolansky sénateur et n'a pas d'enfants.
Un langage bon enfant, ouvert, dépourvu de rhétorique, émaillé de nombreux termes et expressions populaires avec souvent des phrases  imprévisibles, ce sont là des traits qui provoquent l’extase des uns et le rejet des autres.
Lorsqu'il eut à définir la façon dont il allait entrer dans la course électorale de cette année, Mujica a déclaré que "la démocratie commence par l'oreille, en écoutant tout le monde."
Le candidat pris la parole à la cérémonie de clôture de la campagne du FA, tenue mercredi dernier dans la capitale, avenue du 18 juillet.
 « Nous sommes à quelques heures de démontrer que le Frente Amplio est la force politique centrale dans ce pays et c’est juste car il a le plus grand appui des masses en Uruguay », a-t-il dit.
Et dans une autre partie de son discours et avec son phrasé de masse typique il a souligné: «L’élection, ce n’est pas El Pepe ou la formule (présidentielle) qui vont la gagner, mais c’est vous, c’est le Front (Large) ».
Bien que le FA conserve la plus forte préférence des électeurs, les derniers sondages lui attribuent  46 pour cent des intentions de vote, pas assez pour l’emporter au premier tour, même si les sondés donnent Mujica gagnant au final.



La méritocratie républicaine ou l'art de monter sans coucher : l’exemple de Jean S.

par IAY, 24/10/2009
Ce samedi 10 octobre dans l’émission « On n'est pas couché » sur France 2, Laurent Ruquier recevait Jean-Pierre Mocky, un réalisateur, acteur, producteur, écrivain etc. du septième art, de la télé et du théâtre français.
Dans son dernier livre qui vient de sortir,  Jean-Pierre Mocky, Pensées Répliques et Anecdotes, Jean-Pierre décrit l’art de fonctionnement des actrices pour monter aux sommets :
« Si on connaissait le passé de la plupart de nos grandes actrices actuelles, y compris les jeunes, on serait surpris d'apprendre qu'elles ont plus travaillé allongées que debout ».
« Dans notre métier de torturés, il y a beaucoup de putes et de filles ingérables. J'appelle "putes" les actrices qui sont prêtes à tout pour y arriver. Elles couchent avec tout le monde et n'importe qui dans l'espoir de gravir un échelon ou de trouver un rôle. D'autres, les ingérables, sont calculatrices, elles ne baisent qu'utile. Elles cherchent le mec qui pourra vraiment les aider et se donnent à lui. Conclusion, presque toutes les actrices appartiennent à l'une ou l'autre catégorie ».
Jean-Pierre a dit des choses encore plus explicites mais c’est déjà suffisant pour comprendre que dans son secteur d’activité, la méritocratie c’est l’art de monter en couchant.
Ce fut un coup au moral pour moi qui croyais que dans notre République, la méritocratie était une valeur fondamentale qui s’appliquait partout, et que pour réussir, seuls comptaient le talent, les capacités et le travail ? Suis-je naïf ou quoi ?
Puis je me suis dit que le monde du cinéma était peut-être hors catégorie, mais qu’ailleurs, c’était la vraie méritocratie qui s’appliquait. Il suffit d’avoir du potentiel, de croire en soi et de travailler dur et on grimpera toutes les échelles de la République.
Et voilà que cette histoire d’Amine avec Monsieur Hortefeux me traverse l’esprit. Vous vous souvenez d’Amine, ce jeune militant UMP issu de l’immigration comme on dit, d’origine arabe pour être explicite, mais bien intégré car il boit de la bière et il mange du cochon. Monsieur Hortefeux, ministre de l’Intérieur de notre pays et précédemment ministre de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale de notre douce France, a déclaré en croisant Amine lors de l’université d’été de l’UMP ce mois de septembre : « Il en faut toujours un. Quand il y en a un,  ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes ».
Amine, fier de son origine arabe, n’a pas supporté l’insulte et a tout de suite déchiré sa carte UMP, donnant une leçon de morale à monsieur le ministre devant tout le monde ? Mais non, bien sûr que non, car Amine, lui, est un jeune militant ambitieux et il veut réussir en politique. Il a même immédiatement diffusé une vidéo pour démentir les mauvaises langues, soutenir Monsieur Hortefeux, l’ami du Président, et dire qu’il s’agissait d’un échange « entre amis » (sic !) et qu’il n’y avait aucune injure.
 Cliquer sur l’image pour écouter Amine

Monsieur Hortefeux a essayé de corriger sa bévue en déclarant qu’il visait les Auvergnats. Mais personne ne semblait l’avoir cru, car au fond, personne ne voyait ce que ces Auvergnats avaient fait de mal. À moins qu’ils ne soient des descendants des Sarrasins qui sont peut-être passés par là ?
Bref cette histoire m’a porté un autre coup au moral. Est-ce que cela veut dire que même en politique dans notre République, une grande démocratie et pays des droits de l’Homme, on ne peut monter sans coucher ?
Le doute commence à m’envahir !
Et voilà que les médias commencent à parler de cette autre histoire qui m’a enfin remonté le moral. Vous savez c’est l’histoire de cet autre jeune, il s’appelle Jean je pense, issu de l’immigration et qui vient lui aussi de la banlieue.
Jean est un brave monsieur-tout-le-monde, il n’appartient pas aux grands corps de l’état, il n’a pas fait Polytechnique, il n’a pas fait l’ENA, son papa non plus d’ailleurs. Mais cela n’a fait que lui donner plus de courage et de volonté pour réussir et grimper les échelles malgré toutes les embuches qui se sont dressées devant lui. Avec son bac+2 en droit et confiant de son potentiel, il s’est battu pour se faire élire comme conseiller général dans l’un des départements français et le voilà en route, avec sa jeunesse et son dynamisme, pour se faire élire à la tête d’un grand organisme public, là aussi malgré toute la résistance de la vieille garde en voie de déclin.
 
Jean S., un modèle à suivre

Quelle belle histoire de la méritocratie dans notre République. Quelle leçon grandiose que notre République donne à toutes ces grandes démocraties du monde, mais surtout quel message d’espoir que cela donne à tous les jeunes, notamment ceux issus de l’immigration et des banlieues, pour leur dire de croire en eux-mêmes et en leur chance et de ne jamais baisser les bras. Jean l’a fait, et eux aussi, ils peuvent le faire.
Alors, un dernier conseil à tous les jeunes en classe de terminale alors que l’heure du choix de leurs filières d’études supérieures s’approche. Ayez de l’ambition, et visez la voie royale. Optez pour une licence en droit et évitez de longues études inutiles et destinées aux plus paresseux. Vous pouvez vous arrêter à bac+2, lancez-vous dans la vie active et votre chemin est tout tracé. Faites-vous élire comme conseiller de quelque chose ou comme député de votre coin et vous pouvez ensuite postuler pour diriger nos organismes publics, voire nos grandes entreprises comme France Télécom, car c’est l’heure de renouveler les générations.

Jeunes gens, vous allez pouvoir monter en haut et vous n’avez pas besoin de coucher. C’est votre chance. Saisissez-là. Soyez des Jean, ne soyez pas des Amine !
Me voilà enfin rassuré pour l’avenir de mes enfants, et je vais pouvoir dormir sur mes deux oreilles.
C’est ça, le « French Dream » !


samedi 24 octobre 2009

Les généraux de la guerre du gaz se préparent à la mère des batailles


Alors que le "Nord Stream" est désormais sur le point de surmonter les derniers obstacles bureaucratiques et techniques, voici que ressurgissent soudain en Europe et aux USA, les controverses, ou plutôt les tentatives explicites d'en arrêter l'exécution.
Le «Nord Stream», pour les non-spécialistes, est la grande opération lancée par Moscou pour contourner – en plaçant des tuyaux sur le fond de la mer Baltique de Vyborg à Greifswald - l'obstruction par l’Ukraine à l’afflux de son gaz vers les utilisateurs occidentaux. Il s’agit bien d’un obstacle : Moscou en a fait l’expérience durant les récents hivers, y compris les deux derniers, avec les deux “guerres du gaz” auxquelles elle a été contrainte par les manoeuvres du président  ukrainien Victor Ioutchchenko. “Contrainte, dit Poutine, très en colère, parce que ”nous ne voulons que vendre notre gaz, mais Kiev nous en empêche."
On ne sait pas combien ce contentieux a coûté à Gazprom jusqu'à présent. Son puissant PDG, Alexei Miller, ne l’a pas révélé. Ma is certains, à Moscou, ont fait les comptes : le bouchon ukrainien a fait perdre aux caisses russes, dans les 18 ans après la fin de l’URSS, de l’ordre de 50 milliards de dollars, entre gaz évaporé en chemin, gaz non payé et gaz obtenu à des prix très en-dessous de ceux du marché.
Tou cela doit être prs avec des pincettes, car l’Ukraine fournit des donénes tout autres.

Mais le fait demeure que Moscou n'avait pas d'alternative: les pipelines construits durant l'ère soviétique passaient sur le territoire soviétique, et sur celui des amis du Pacte de Varsovie. Une fois que le système s'est effondré ceux qui reçu du destin la rente de situation constituée par ces tuyauteries ont pu jouer la carte : ou tu payes plus, ou tu ne passes pas.  Autrement dit : soit tu me donnes une partie du produit à prix réduit soit tu ne passes pas. En tout cas, je me sers dans les tuyaux.  Et si tu protestes, je ferme les robinets et je t’ accuse face à l'Europe de vouloir nous faire du chantage pour des raisons politiques, de vouloir nous mettre tous à sec, dans le froid et dans la crise industrielle, de vouloir imposer ta sphère d'influence perdue par ta défaite dans la Guerre froide.
Tant qu’il s’agissait de pays amis, contrôlés ou contrôlables, Moscou a esquissé, improvisant des accords certes boîteux, mais qui tenaient. Passant quand même de crise en crise, une centaine en quinze ans, d’ étendue et de gravité variées, repeintes avec des couleurs politiques variantes, mais avec un dénominateur commun: payer moins.
Avec la Biélorussie de Loukachenko, par exemple, sauf pour quelques moments difficiles, ça a marché. Aussi parce que Loukachenko a eu de très mauvaises relations avec l'Occident et qu’à l'horizon demeurait l’hypothèse d’une réunification  Russie-Bélarus...
Mais avec l'Ukraine de Ioutchchenko (Ioulia Timochenko a changé d'alliances et il paraît que maintenant elle est avec Moscou), le discours est devenu intenable. La “révolution orange" a mis Kiev sous la protection de Washington et Bruxelles et sur la voie de l'adhésion à l'UE et de l'entrée dans l'OTAN. Donc sur une trajectoire de collision avec Moscou. Quel sens cela aurait-il pour Moscou de continuer à faire des cadeaux pour obtenir une amitié désormais impossible?
Et en Europe non plus tout le monde n’était pas disposé à subir le chantage  ukrainien. Trop explicite et aussi dangereux. Parce que Moscou n'a pas l'intention d'être perdante. Donc, si le gaz ne passe pas par l'Ukraine, alors c’est la la Russie qui ferme les robinet, à la source. Résultat :  non seulement Kiev ne reçoit rien et est laissé seule avec son chantage, mais l'Europe non plus ne reçoit rien. La Russie y perd, en termes de recettes, mais l'ensemble de l'Europe se retrouve privée du quart de l'énergie dont elle a besoin. Et demain sera encore pire, selon toutes les prévisions.

Avec une  perspective très réaliste : que Moscou trouve - en fait elle  l’a déjà trouvé - un acheteur assoifé d'énergie, et capable d'absorber tout le flux qui va maintenant à l'ouest. C'est la Chine. Et voilà que d'autres tuyaux se dirigent vers l'est. Il faudra quelques années, mais cela viendra inexorablement. La soif de la Chine est immense.

Travailleurs gaziers russes. Photo Wintershall AG pour nord-stream.com

Ainsi Poutine a trouvé des oreilles et des poches sensibles, vu que le "Nord Stream" coûte de plus de 10 milliards d'euros. En Allemagne avant tout. L'ancien chancelier Gerhard Schröder en tête, qui est devenu le PDG  du projet. Mais Merkel aussi a accroché, avec derrière elle l'industrie allemande. Et maintenant Sarkozy se précipite pour prendre place dans la queue.
Ajoutez à cela le "South Stream", comme alternative au "Nabucco", pour transporter le gaz sous la mer Noire, en Bulgarie, dans les Balkans, en  Grèce, en Italie (et ici, Poutine a trouvé un soutien enthousiaste de Berlusconi c'est-à-dire l’Eni, et encore, de Sarkozy, voilà que se profile une situation dans laquelle Moscou peut fournir son gaz (et celui qu’elle achètera aux anciennes républiques soeurs d'Asie centrale) aux Européens, sans avoir à passer par aucun filtre.
De toute évidence, cela signifiera une véritable révolution dans les relations entre la Russie et l'Europe.


Mais cela ne plait pas à Washington. Voilà pourquoi s’est élevée la voix du vieux Zbignew Brzezinski, ancien conseiller à la Sécurité nationale de Jimmy Carter: attention, Moscou veut "isoler l'Europe orientale de l'Europe occidentale." Et s’ensuit le chœur de protestations de tous les "malheureux" qui restent bouche sèche.

Urmas Paet, ministre estonien des Affaires étrangères, s'est plaint que les pays baltes seront «ignorés». En avril, 23 anciens chefs d'Etat et de gouvernement, dirigés par Vaclav Havel et Lech Walesa, dénoncent la tentative de Moscou de vouloir "rétablir des sphères d'influence». La thèse est unique : l'opération est une menace dirigée contre l'Europe de l'Est, qui serait soumise à «chantage» et resterait sans électricité.

Mais est-il vrai que Bruxelles ne pourrait pas redistribuer, selon des critères de marché, le gaz qui de toute façon arrivera en abondance de Moscou? On ne voit pas comment la Russie pourrait conditionner la distribution européenne de son gaz, une fois qu'il sera arrivé dans les terminaux du "Nord Stream" et du "South Stream".

Le ministre des Affaires étrangères polonais, Radosław Sikorski, compare même le "Nord Stream" au pacte  Molotov – Ribbentrop [= Hitler-Staline, NdT].

Ces gazoducs n’ont pas à voir le jour. À leur place, Washington et le chœur de ses alliés européens préfèrent le «Nabucco», qui a l'avantage d’évietr complètement  Moscou pour aller chercher les vendeurs au Turkménistan, au  Kazakhstan, en passant  évidemment par  la Géorgie et la Turquie. Une opération parfaite, si Poutine et Medvedev n’avaient pas déjà déjà fait leur contre-mouvement, et ils ont des alliés très puissants, sinon décisifs, en Europe.
Il arrivera à coup sûr un gros coup dans les mois à venir. Se Si Poutine, Berlusconi et Gerhard Schröder ont convenu de se voir à Saint-Pétersbourg en privé*, juste maintenant, c'est parce qu'ils se préparent à soutenir une offensive puissante.
*En français dans le texte


Précarité de la politique


par Loris CAMPETTI, Il Manifesto, 21/10/2009. Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Les astérisques renvoient aux notes du traducteur
Seul un crétin peut penser que le plus grand désir d'un travailleur qui travaille sur la chaîne de montage, métallo de niveau 3*, avec un salaire de merde pour un travail de merde, surexploité et aliénant, un ouvrier à qui on a enlevé jusqu’au droit de s’exprimer sur son propre contrat, soit le rêve de rester toute sa vie cloué à la chaîne.  Et peut-être même d’y clouer aussi son fils.
Et seul un crétin peut croire que si cet ouvrier s’agrippe à la chaîne, s’il grimpe sur le pont roulant ou sur le toit de l'usine  ou sur le Colisée, ou s’il occupe l’autoroute Rome-Naples, c’est parce que sans cette exploitation sauvage, il n’arrive pas à rêver, à aimer, ou même à faire des enfants.  
Le fait est que dans la culture libérale appliquée à notre pays, la seule mobilité connue – la seule flexibilité concédée – est celle qui va vers la sortie : sortie du travail quand tu ne sers plus et qu’on peut se passer de toi pour faire du profit.
  
  La protesta degli operai dell'Innse (dal sito Operai Contro)

Six ouvriers de l'usine Esab Saldatura de Mesero (Milan) sur leur toit de leur usine le 2 septembre 2009. Ils protestaient contre la décision de la maison-mère britannique  Charter International d'engager une "procédure de mobilité" contre les 85 travailleurs. En août 4 ouvriers de l'usine Innse de Milan avaient passé plusieurs nuits sur le pont roulant de l'usine pour tenter d'empêcher sa fermeture.


C’est que ce sont les travailleurs qui doivent payer la crise, il faut restructurer, délocaliser là où les salaires et les droits sont égaux à zéro. Et cela dans un pays, le nôtre, où la mobilité sociale, la recherche, la requalification n’existent pas. Et dire qu’en 68 et 69 certains avaient tenté de dire : formation permanente, moitié temps d’étude et moitié temps de travail, socialisation des tâches nocives, 150 heures* et toutes ces belles choses qui 40 ans plus tard font plisser les narines aux opposants à Berlusconi.
Voilà que maintenant Tremonti et Berlusconi découvrent les merveilles du poste de travail fixe.  Alors que ce sont eux qui, en bonne (mauvaise) compagnie, ont jeté aux orties non pas tant la culture du poste fixe que la sécurité du travail. Ils ont démantelé les droits, mettant en lambeaux les rapports de travail en instaurant une cinquantaine de différents contrats*, pour diviser et mieux frapper, avec l’espoir de renverser le conflit vertical capital-travail en conflit horizontal entre travailleurs ayant des charges et des droits divers. Ils y sont d’ailleurs arrivés, du moins en partie.
C’est un projet auquel tant de gens ont travaillé, peut-être avec moins de professionnalisme que la droite, aussi dans le centre-gauche, dans les syndicats. Pour ne pas parler de la Confindustria [Confédération patronale, NdT] ! C’est justement la quête d’une légitimation par les patrons qui a poussé les droites et bonne partie de l’opposition [de “gauche”, NdT] a faire endosser aux travailleurs la précarité, déguisée en flexibilité.  
On pourrait reprocher à Tremonti* et à Berlusconi de chercher à ressouder le consensus dans les “basses” couches du marché du travail, celles sur lesquelles ils ont en train de décharger le poids de la crise, tandis que les actions concrètes du gouvernement sauvent non pas les pauvres mais les fraudeurs fiscaux.
Ils ont tellement peur de l'invasion des aliens (lire immigrants) connus pour être «prolifiques», qu’ils veulent dégainer les racines catholiques et les saines familles italiques, aux enfants blancs joufflus et abondants que nos jeunes précaires, n’ayant aucune certitude quant à l’avenir, n’ont pas le courage de mettre au monde. Les princes de la dérégulation se déguisent en régulateurs.
On pourrait reprocher tant d’autres choses à Tremonti e Berlusconi. Au lieu de cela, nos démocrates [les ex-communistes, NdT] expliquent que la culture du poste fixe est vieille et qu’ils sont pour la nouveauté, que tous les pays qui comptent vont dans la direction opposée et que donc notre route est toute tracée. Alors, quand la présidente de la Confindustria Emma Marcegaglia se met en colère contre Tremonti et Berlusconi, on ne peut que faire front contre le gouvernement.
C’est un constat amer qu’il faut faire : en Italie, la droite fait aussi bien la droite que la gauche, serrant dans ses mains les deux sceptres, celui de la majorité et celui de l‘opposition, vu que cette dernière a abandonné le terrain. Ce qui fait qu’on ne peut s’empêcher de penser que si jamais Berlusconi ne parvenait pas au terme de son mandat et était contraint de quitter son poste fixe à palazzo Chigi* pour retourner dans sa villa, nous libérant de sa présence asphyxiante, le mérite n’en reviendrait pas à l’opposition, qui n’existe pas.
Les murs, même ceux d’Arcore*, peuvent finir par s’écrouler. Mais comme l’histoire nous l’a montré, ils peuvent aussi bien être abattus par la droite.
 Ndt
Le salaire des métallos de niveau 3 s’élève à 7,80 € brut de l’heure, soit un salaire mensuel net de 1100 €
150 heures
 : heures d’études réparties sur 3 ans, prises sur le temps de travail et rétribuées, introduites dans la convention collective des métallurgistes en avril 1973 et progressivement étendue à toutes les autres conventions collectives (que les Italiens appellent contrats).
Giulio Tremonti, ministre de l’Économie et des Finances du gouvernement Berlusconi
Palazzo Chigi : siège du gouvernement depuis 1961
Arcore : commune de la province de Monza et de la Brianza en Lombardie, est connue pour la fameuse villa, résidence personnelle de Silvio Berlusconi dont l'achat à des conditions très avantageuses, favorisé par son avocat Cesare Previti, n’est que l’un des nombreux scandales émaillant la carrière du Cavaliere.