par Florencia TORRES FREEMAN, 6/10/2009. Traduit par Esteban G. et édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original : La cámara en la selva
Est-ce qu’au XXIème siècle l’insurrection est un souvenir* du passé ? Les idéologies ont-elles disparu? Les révolutionnaires se sont-ils transformés en délinquants, en narcotrafiquants, en brigands, en terroristes ?
Les grands monopoles de la (dés)information insistent toujours avec le sempiternel message ancien, usé et unique : l’insurrection colombienne n'a pas d’idéologie, de formation culturelle ni de projet politique. Son cœur mercenaire bat au rythme frénétique et brumeux de la coca. L’ancien et ténébreux « or de Moscou » a été remplacé par les mallettes pleines de dollars et d’euros, provenant du trafic de drogues. Elle massacre les indigènes, viole les femmes, maltraite les jeunes. Sur les écrans de télévision le mouvement de la guérilla s'est transformé en un monstre beaucoup plus terrible que Satan, Lucifer, Belzébuth et les pires démons médiévaux.
Le vieux barbu Karl Marx commençait son célèbre Manifeste Communiste en affirmant : « Un spectre hante l'Europe : le spectre du communisme. Toutes les puissances de la vieille Europe se sont unies en une Sainte Alliance pour traquer ce spectre… Quel est le parti d'opposition qui n’a pas été accusé de communisme par ses adversaires au pouvoir ? ». Si l’on remplace « communisme » par FARC-EP (Forces Armées Révolutionnaires de la Colombie - Armée du Peuple), aujourd'hui le spectre continue à roder par ici. Quel mouvement social radical d'Amérique latine n'a t-il pas été stigmatisé et accusé de sympathiser avec les FARC ?
De nos jours, la CIA, le FBI, la DEA et d'autres organismes « démocratiques » vivent en accusant d’être un « collaborateur des FARC » quiconque tente, parait ou aspire à être un dissident radical.
L'œuvre Les sorcières de Salem d'Arthur Miller semble avoir été écrite hier. Le maccarthysme se promène hautain et provocateur. Dans quelque partie du monde que ce soit, toute dissidence sent la guérilla bolivarienne. Nous vivons un contrôle de la pensée qui ferait pâlir les prédictions les plus sombres des romans 1984, Le meilleur des mondes et Fahrenheit 451 ou les films Brazil, Matrix et jusqu'au plus récent Secteur 9.
Des plus grands journaux télévisés jusqu'aux fictions de Hollywood, en passant par les tonnes de papier maculées d'encre des supermarchés journalistiques, tous aujourd'hui visent une même cible. Même les principaux présidents d'Amérique latine doivent parler avec Uribe, le servile ventriloque local du grand maître impérial, et doivent se positionner par rapport à l'appui, au rejet ou à l'indifférence face aux FARC-EP. Ni l’UNASUR ni l'OEA n’ont échappé à ces débats.
Dans ce contexte mondial, où la guerre froide a culminé, ne permettant pas de faire baisser d’un seul degré la température de la guerre psychologique contre les rébellions armées contemporaines, que pensent réellement les FARC-EP ? Possèdent-elles un plan ? Ont-elles une idéologie ? Maintiennent-elles leurs dizaines de milliers de jeunes combattants par la force et par la menace ? Comment voient-elles le futur de l'Amérique latine ?
Le long métrage FARC-EP : L’insurrection du XXIème siècle tente de répondre à ces questions, en soumettant à la discussion, la propagande baroque et maccarthyste lancée depuis les USA. Pour cela l'équipe de cinéma « Glauber Rocha », constituée par des cameramen de divers pays d'Amérique latine et d'Europe, pénètre dans la jungle, parcourt les cordillères et les montagnes, en montrant de l'intérieur, comme jamais on n’a pu le voir, la vie quotidienne dans les camps des FARC-EP. Le documentaire, qui dure presque deux heures, comprend des interviews des principaux commandants guérilléros du secrétariat les FARC-EP et de nombreux témoignages de combattants de base, des paysans et des jeunes des zones urbaines du Parti Communiste Clandestin de Colombie (PCCC), ainsi que des séquences sur le rôle fondamental des femmes dans la lutte de la guérilla, des indigènes et des peuples originaires, le problème du narcotrafic, le para-militarisme, les prisonniers de guerre, les nouvelles bases militaires usaméricaines et la violation systématique des droits de l’homme appliquée par le terrorisme d'État dans la patrie du leader indépendantiste Simón Bolívar.
La structure formelle du documentaire est celle d’un immense collage*, où sont reconstituées en images depuis les massacres de l'entreprise bananière UNITED FRUIT en 1928 et l’assassinat du dirigeant populaire Eliécer Gaitán en avril 1948 jusqu’à la création des FARC-EP et la capture de militaires usaméricains dans la jungle colombienne, la récente affaire Ingrid Betancourt et les déclarations des principaux paramilitaires (alliés d'Uribe) qui admettent avoir reçu de l'argent des entreprises bananières pour assassiner des guérilléros et massacrer la population civile.
Dans cette mosaïque qui n’oublie rien ou presque rien, sont dépeints pour la première fois dans l'histoire (du moins à notre connaissance) les cours de formation politique, idéologique et militaire des combattants de base des FARC-EP ainsi que de leurs forces spéciales. Au milieu de la jungle, des rivières, des arbres immenses et des animaux apparaissent des bibliothèques, des groupes de lecture, des tableaux noirs et beaucoup, mais beaucoup de jeunes gens qui étudient. Celui qui assiste à la projection de ce film (jusqu'à présent projeté dans des circuits underground, sera-t-il projeté dans les grandes salles ?) ne pourra manquer de se souvenir des scènes de ces Passages de la guerre révolutionnaire raffinés et dépeints à une autre époque par l’exquise plume d'Ernesto Che Guevara, un des inspirateurs de l'idéologie des FARC-EP avec leur commandant légendaire et fondateur Manuel Marulanda Vélez, récemment décédé. Mais les scènes et les interviews que ce film dépeint n'appartiennent pas à ces regrettées et nostalgiques années soixante, tant louées qu’elles en ont été banalisées, mais…au XXIème siècle.
Comme à Cuba, au Nicaragua et au Salvador, comme en Algérie et surtout au Vietnam, aujourd'hui la Colombie vit une guerre civile de dimension continentale. Ce film montre ce que ne montrent jamais CNN et d'autres fabriques du pouvoir : le conflit armé du point de vue de la rébellion bolivarienne. Il ne passera pas inaperçu.
FICHE TECHNIQUE :
Scénario et direction/Script and Direction : Diego Rivera
Montage/Editing : Alejo Carpentier
Caméras/Cameras : Diego Rivera, Tina Modotti et César Vallejo
Photographie/Cinematography : Frida Kahlo
Production : Groupe de cinéma « Glauber Rocha »
Postproduction/Post-production : Julius Fucik et André Gunder Frank
Musique/Music : Chœurs et orchestres des FARC-EP/Songs of FARC-EP
Recherche Journalistique/Journalistic Research : Roque Dalton
Recherche historiographique/Historical Consultant : Ruy Mauro Marini
Remerciements/Thanks : Frida Kahlo, Ulrike Meinhof et Vladimir Maïiakovsky
112 minutes
Mini DV Cam, 2009
*: en français dans le texte original
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