samedi 24 octobre 2009

Précarité de la politique


par Loris CAMPETTI, Il Manifesto, 21/10/2009. Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Les astérisques renvoient aux notes du traducteur
Seul un crétin peut penser que le plus grand désir d'un travailleur qui travaille sur la chaîne de montage, métallo de niveau 3*, avec un salaire de merde pour un travail de merde, surexploité et aliénant, un ouvrier à qui on a enlevé jusqu’au droit de s’exprimer sur son propre contrat, soit le rêve de rester toute sa vie cloué à la chaîne.  Et peut-être même d’y clouer aussi son fils.
Et seul un crétin peut croire que si cet ouvrier s’agrippe à la chaîne, s’il grimpe sur le pont roulant ou sur le toit de l'usine  ou sur le Colisée, ou s’il occupe l’autoroute Rome-Naples, c’est parce que sans cette exploitation sauvage, il n’arrive pas à rêver, à aimer, ou même à faire des enfants.  
Le fait est que dans la culture libérale appliquée à notre pays, la seule mobilité connue – la seule flexibilité concédée – est celle qui va vers la sortie : sortie du travail quand tu ne sers plus et qu’on peut se passer de toi pour faire du profit.
  
  La protesta degli operai dell'Innse (dal sito Operai Contro)

Six ouvriers de l'usine Esab Saldatura de Mesero (Milan) sur leur toit de leur usine le 2 septembre 2009. Ils protestaient contre la décision de la maison-mère britannique  Charter International d'engager une "procédure de mobilité" contre les 85 travailleurs. En août 4 ouvriers de l'usine Innse de Milan avaient passé plusieurs nuits sur le pont roulant de l'usine pour tenter d'empêcher sa fermeture.


C’est que ce sont les travailleurs qui doivent payer la crise, il faut restructurer, délocaliser là où les salaires et les droits sont égaux à zéro. Et cela dans un pays, le nôtre, où la mobilité sociale, la recherche, la requalification n’existent pas. Et dire qu’en 68 et 69 certains avaient tenté de dire : formation permanente, moitié temps d’étude et moitié temps de travail, socialisation des tâches nocives, 150 heures* et toutes ces belles choses qui 40 ans plus tard font plisser les narines aux opposants à Berlusconi.
Voilà que maintenant Tremonti et Berlusconi découvrent les merveilles du poste de travail fixe.  Alors que ce sont eux qui, en bonne (mauvaise) compagnie, ont jeté aux orties non pas tant la culture du poste fixe que la sécurité du travail. Ils ont démantelé les droits, mettant en lambeaux les rapports de travail en instaurant une cinquantaine de différents contrats*, pour diviser et mieux frapper, avec l’espoir de renverser le conflit vertical capital-travail en conflit horizontal entre travailleurs ayant des charges et des droits divers. Ils y sont d’ailleurs arrivés, du moins en partie.
C’est un projet auquel tant de gens ont travaillé, peut-être avec moins de professionnalisme que la droite, aussi dans le centre-gauche, dans les syndicats. Pour ne pas parler de la Confindustria [Confédération patronale, NdT] ! C’est justement la quête d’une légitimation par les patrons qui a poussé les droites et bonne partie de l’opposition [de “gauche”, NdT] a faire endosser aux travailleurs la précarité, déguisée en flexibilité.  
On pourrait reprocher à Tremonti* et à Berlusconi de chercher à ressouder le consensus dans les “basses” couches du marché du travail, celles sur lesquelles ils ont en train de décharger le poids de la crise, tandis que les actions concrètes du gouvernement sauvent non pas les pauvres mais les fraudeurs fiscaux.
Ils ont tellement peur de l'invasion des aliens (lire immigrants) connus pour être «prolifiques», qu’ils veulent dégainer les racines catholiques et les saines familles italiques, aux enfants blancs joufflus et abondants que nos jeunes précaires, n’ayant aucune certitude quant à l’avenir, n’ont pas le courage de mettre au monde. Les princes de la dérégulation se déguisent en régulateurs.
On pourrait reprocher tant d’autres choses à Tremonti e Berlusconi. Au lieu de cela, nos démocrates [les ex-communistes, NdT] expliquent que la culture du poste fixe est vieille et qu’ils sont pour la nouveauté, que tous les pays qui comptent vont dans la direction opposée et que donc notre route est toute tracée. Alors, quand la présidente de la Confindustria Emma Marcegaglia se met en colère contre Tremonti et Berlusconi, on ne peut que faire front contre le gouvernement.
C’est un constat amer qu’il faut faire : en Italie, la droite fait aussi bien la droite que la gauche, serrant dans ses mains les deux sceptres, celui de la majorité et celui de l‘opposition, vu que cette dernière a abandonné le terrain. Ce qui fait qu’on ne peut s’empêcher de penser que si jamais Berlusconi ne parvenait pas au terme de son mandat et était contraint de quitter son poste fixe à palazzo Chigi* pour retourner dans sa villa, nous libérant de sa présence asphyxiante, le mérite n’en reviendrait pas à l’opposition, qui n’existe pas.
Les murs, même ceux d’Arcore*, peuvent finir par s’écrouler. Mais comme l’histoire nous l’a montré, ils peuvent aussi bien être abattus par la droite.
 Ndt
Le salaire des métallos de niveau 3 s’élève à 7,80 € brut de l’heure, soit un salaire mensuel net de 1100 €
150 heures
 : heures d’études réparties sur 3 ans, prises sur le temps de travail et rétribuées, introduites dans la convention collective des métallurgistes en avril 1973 et progressivement étendue à toutes les autres conventions collectives (que les Italiens appellent contrats).
Giulio Tremonti, ministre de l’Économie et des Finances du gouvernement Berlusconi
Palazzo Chigi : siège du gouvernement depuis 1961
Arcore : commune de la province de Monza et de la Brianza en Lombardie, est connue pour la fameuse villa, résidence personnelle de Silvio Berlusconi dont l'achat à des conditions très avantageuses, favorisé par son avocat Cesare Previti, n’est que l’un des nombreux scandales émaillant la carrière du Cavaliere.

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