samedi 24 octobre 2009

Les généraux de la guerre du gaz se préparent à la mère des batailles


Alors que le "Nord Stream" est désormais sur le point de surmonter les derniers obstacles bureaucratiques et techniques, voici que ressurgissent soudain en Europe et aux USA, les controverses, ou plutôt les tentatives explicites d'en arrêter l'exécution.
Le «Nord Stream», pour les non-spécialistes, est la grande opération lancée par Moscou pour contourner – en plaçant des tuyaux sur le fond de la mer Baltique de Vyborg à Greifswald - l'obstruction par l’Ukraine à l’afflux de son gaz vers les utilisateurs occidentaux. Il s’agit bien d’un obstacle : Moscou en a fait l’expérience durant les récents hivers, y compris les deux derniers, avec les deux “guerres du gaz” auxquelles elle a été contrainte par les manoeuvres du président  ukrainien Victor Ioutchchenko. “Contrainte, dit Poutine, très en colère, parce que ”nous ne voulons que vendre notre gaz, mais Kiev nous en empêche."
On ne sait pas combien ce contentieux a coûté à Gazprom jusqu'à présent. Son puissant PDG, Alexei Miller, ne l’a pas révélé. Ma is certains, à Moscou, ont fait les comptes : le bouchon ukrainien a fait perdre aux caisses russes, dans les 18 ans après la fin de l’URSS, de l’ordre de 50 milliards de dollars, entre gaz évaporé en chemin, gaz non payé et gaz obtenu à des prix très en-dessous de ceux du marché.
Tou cela doit être prs avec des pincettes, car l’Ukraine fournit des donénes tout autres.

Mais le fait demeure que Moscou n'avait pas d'alternative: les pipelines construits durant l'ère soviétique passaient sur le territoire soviétique, et sur celui des amis du Pacte de Varsovie. Une fois que le système s'est effondré ceux qui reçu du destin la rente de situation constituée par ces tuyauteries ont pu jouer la carte : ou tu payes plus, ou tu ne passes pas.  Autrement dit : soit tu me donnes une partie du produit à prix réduit soit tu ne passes pas. En tout cas, je me sers dans les tuyaux.  Et si tu protestes, je ferme les robinets et je t’ accuse face à l'Europe de vouloir nous faire du chantage pour des raisons politiques, de vouloir nous mettre tous à sec, dans le froid et dans la crise industrielle, de vouloir imposer ta sphère d'influence perdue par ta défaite dans la Guerre froide.
Tant qu’il s’agissait de pays amis, contrôlés ou contrôlables, Moscou a esquissé, improvisant des accords certes boîteux, mais qui tenaient. Passant quand même de crise en crise, une centaine en quinze ans, d’ étendue et de gravité variées, repeintes avec des couleurs politiques variantes, mais avec un dénominateur commun: payer moins.
Avec la Biélorussie de Loukachenko, par exemple, sauf pour quelques moments difficiles, ça a marché. Aussi parce que Loukachenko a eu de très mauvaises relations avec l'Occident et qu’à l'horizon demeurait l’hypothèse d’une réunification  Russie-Bélarus...
Mais avec l'Ukraine de Ioutchchenko (Ioulia Timochenko a changé d'alliances et il paraît que maintenant elle est avec Moscou), le discours est devenu intenable. La “révolution orange" a mis Kiev sous la protection de Washington et Bruxelles et sur la voie de l'adhésion à l'UE et de l'entrée dans l'OTAN. Donc sur une trajectoire de collision avec Moscou. Quel sens cela aurait-il pour Moscou de continuer à faire des cadeaux pour obtenir une amitié désormais impossible?
Et en Europe non plus tout le monde n’était pas disposé à subir le chantage  ukrainien. Trop explicite et aussi dangereux. Parce que Moscou n'a pas l'intention d'être perdante. Donc, si le gaz ne passe pas par l'Ukraine, alors c’est la la Russie qui ferme les robinet, à la source. Résultat :  non seulement Kiev ne reçoit rien et est laissé seule avec son chantage, mais l'Europe non plus ne reçoit rien. La Russie y perd, en termes de recettes, mais l'ensemble de l'Europe se retrouve privée du quart de l'énergie dont elle a besoin. Et demain sera encore pire, selon toutes les prévisions.

Avec une  perspective très réaliste : que Moscou trouve - en fait elle  l’a déjà trouvé - un acheteur assoifé d'énergie, et capable d'absorber tout le flux qui va maintenant à l'ouest. C'est la Chine. Et voilà que d'autres tuyaux se dirigent vers l'est. Il faudra quelques années, mais cela viendra inexorablement. La soif de la Chine est immense.

Travailleurs gaziers russes. Photo Wintershall AG pour nord-stream.com

Ainsi Poutine a trouvé des oreilles et des poches sensibles, vu que le "Nord Stream" coûte de plus de 10 milliards d'euros. En Allemagne avant tout. L'ancien chancelier Gerhard Schröder en tête, qui est devenu le PDG  du projet. Mais Merkel aussi a accroché, avec derrière elle l'industrie allemande. Et maintenant Sarkozy se précipite pour prendre place dans la queue.
Ajoutez à cela le "South Stream", comme alternative au "Nabucco", pour transporter le gaz sous la mer Noire, en Bulgarie, dans les Balkans, en  Grèce, en Italie (et ici, Poutine a trouvé un soutien enthousiaste de Berlusconi c'est-à-dire l’Eni, et encore, de Sarkozy, voilà que se profile une situation dans laquelle Moscou peut fournir son gaz (et celui qu’elle achètera aux anciennes républiques soeurs d'Asie centrale) aux Européens, sans avoir à passer par aucun filtre.
De toute évidence, cela signifiera une véritable révolution dans les relations entre la Russie et l'Europe.


Mais cela ne plait pas à Washington. Voilà pourquoi s’est élevée la voix du vieux Zbignew Brzezinski, ancien conseiller à la Sécurité nationale de Jimmy Carter: attention, Moscou veut "isoler l'Europe orientale de l'Europe occidentale." Et s’ensuit le chœur de protestations de tous les "malheureux" qui restent bouche sèche.

Urmas Paet, ministre estonien des Affaires étrangères, s'est plaint que les pays baltes seront «ignorés». En avril, 23 anciens chefs d'Etat et de gouvernement, dirigés par Vaclav Havel et Lech Walesa, dénoncent la tentative de Moscou de vouloir "rétablir des sphères d'influence». La thèse est unique : l'opération est une menace dirigée contre l'Europe de l'Est, qui serait soumise à «chantage» et resterait sans électricité.

Mais est-il vrai que Bruxelles ne pourrait pas redistribuer, selon des critères de marché, le gaz qui de toute façon arrivera en abondance de Moscou? On ne voit pas comment la Russie pourrait conditionner la distribution européenne de son gaz, une fois qu'il sera arrivé dans les terminaux du "Nord Stream" et du "South Stream".

Le ministre des Affaires étrangères polonais, Radosław Sikorski, compare même le "Nord Stream" au pacte  Molotov – Ribbentrop [= Hitler-Staline, NdT].

Ces gazoducs n’ont pas à voir le jour. À leur place, Washington et le chœur de ses alliés européens préfèrent le «Nabucco», qui a l'avantage d’évietr complètement  Moscou pour aller chercher les vendeurs au Turkménistan, au  Kazakhstan, en passant  évidemment par  la Géorgie et la Turquie. Une opération parfaite, si Poutine et Medvedev n’avaient pas déjà déjà fait leur contre-mouvement, et ils ont des alliés très puissants, sinon décisifs, en Europe.
Il arrivera à coup sûr un gros coup dans les mois à venir. Se Si Poutine, Berlusconi et Gerhard Schröder ont convenu de se voir à Saint-Pétersbourg en privé*, juste maintenant, c'est parce qu'ils se préparent à soutenir une offensive puissante.
*En français dans le texte


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