vendredi 6 avril 2012

Forum Social Mondial 2013 : La Tunisie terre d’accueil de dizaines de milliers d’acteurs sociaux du monde entier

par Olfa Riahi, 1/4/2012
Vendredi 31 mars 2012. Au cœur de la capitale tunisienne, les locaux fraîchement aménagés de RAID Attac Cadtm Tunisie accueillent une petite trentaine de personnes. Elles sont venues du Bénin, du Congo Brazzaville, du Burkina, de la Côte d’Ivoire, du Maroc, de la Guinée, d’Allemagne, de Finlande, du Portugal, de France, de Norvège et d’Espagne. L’ambiance bon enfant trahit l’humanisme des occupants de la salle mais la décontraction générale ne laisse presque rien transparaître de l’importance de l’enjeu qui les rassemblent aujourd’hui. Pourtant, l’enjeu est de taille car il s’agit de poser officiellement les premiers jalons de la 10ème édition du Forum Social Mondial qui se tiendra en Tunisie au printemps 2013, la date exacte n’étant pas encore fixée.

Le Forum Social Mondial, qui se veut être une alternative sociale au Forum Économique Mondial organisé chaque année à Davos, en Suisse, a vu le jour en 2001 à Porto Alegre au Brésil. Depuis, le FMS s’est promené à travers plusieurs contrées du globe. Bombay – Inde, en 2004 où se sont rassemblés quelques 80 000 participants de 132 pays différents. Caracas – Venezuela, Bamako – Mali, Karachi – Pakistan, en 2006 pour l’édition polycentrique du FMS qui a enregistré la participation de plus de 100 000 personnes. La dernière édition (2011) s’étant tenue à Dakar – Sénégal, avait été marquée par la présence de plusieurs personnalités du monde dont les présidents bolivien Evo Morales, vénézuélien Hugo Chavez, de l’Union africaine Jean Ping ou encore Martine Aubry (parti socialiste français) et Olivier Besancenot (NPA).

Dans la salle où se tient en ce vendredi printanier, dans l’ignorance quasi-totale de la presse locale, cette rencontre entre membres du réseau Globattac et plusieurs acteurs sociaux tunisiens (UGTT, Amnesty International Tunisie, ATFD, etc), il n’y a pas de chef. Jeunes et moins jeunes discutent, échangent et partagent dans une horizontalité impressionnante. Fathi Chamkhi, porte-parole de RAID Attac Cadtm Tunisie et hôte de la rencontre, joue le rôle de modérateur. Ses petits jeunes se sont reconvertis en interprètes, bénévoles, avec une fluidité et une aisance qui n’a rien à envier aux plus grands du métier.

Répondre au double défi de la mondialisation tout en humanisant les relations

Christophe Aguitton, militant et syndicaliste français, responsable des activités internationales d’ATTAC-France, chercheur à Orange Labs – département Recherche & Développement de France Télécom –, co-animateur du séminaire “Internet, communication et société” à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et co-fondateur de « La Cantine » – premier espace de travail collaboratif en réseau de Paris (pour ne citer que l’essentiel), est incontournablement le participant vedette de la rencontre. Ayant assisté à toutes les éditions du Forum Social Mondial, c’est à lui que revient tout naturellement l’intervention d’ouverture du débat. Pour lui, il est essentiel de « comprendre le nouveau contexte créé par la mondialisation» et de mettre en exergue « la dimension politique du FSM ». La mondialisation aurait eu deux effets directs sur les populations. D’une part, l’abolition des frontières, la perméabilité accrue aux institutions internationales (ONU, FMI, etc.) et la difficulté croissante à laquelle est confrontée la société civile quand il s’agit de répondre à cet environnement internationalisé. De l’autre, l’avènement de nouvelles formes sociales comme à titre d’exemple les groupements de chômeurs diplômés. Le FSM, ajoute Christophe, doit « répondre à ce double défi : permettre aux PME, aux syndicats paysans, aux travailleurs et autres groupes sociaux de travailler à l’international et rencontrer les nouvelles formes sociales. ». Le militant syndicaliste français tient plus que tout à mettre l’accent sur l’organisation horizontale du Forum en soulignant « l’absence totale de hiérarchisation des relations construites essentiellement sur un lien groupe social à groupe social. ». Pour lui, organiser la 10ème édition du FSM en Tunisie a tout d’abord une « portée émotionnelle liée au soulèvement tunisien » mais servira au-delà de la reconnaissance à pousser à la « poursuite du processus révolutionnaire » d’où la dimension politique de l’évènement.

Une Tunisie encore à la recherche d’alternative

Pour Khaled Nouicer, universitaire tunisien et membre de la direction nationale du syndicat de l’enseignement supérieur, le Forum Social Mondial devrait, pour réussir, aider la Tunisie post-révolutionnaire à faire émerger une alternative au système actuel. Pour le militant syndicaliste, « la révolution tunisienne n’est qu’à son début car même si la tête du système a été abolie, l’alternative est loin d’être établie et la menace d’un retour de la corruption et de l’oppression en relation avec l’ancien système plane toujours ». Khaled, en syndicaliste qui se respecte, déplore la marginalisation des objectifs premiers et authentiques de la Révolution Tunisienne et tient le nouveau gouvernement pour principal responsable de cette constatation. Il rappelle les luttes passées et présentes de la syndicale ouvrière : travail décent, problématique de sous-traitance, endettement mais souligne aussi le piétinement du droit à la libre circulation des personnes qui constitue selon lui l’une des plus grandes injustices entraînées par la mondialisation et commises à l’encontre des populations du Sud.


Profiter de la localisation géographique de la Tunisie

Hugo Braum, journaliste et coordinateur d’Attac Allemagne, humble et jovial s’est investi d’une mission : convaincre les militants allemands de participer à la prochaine édition du FSM qui se tiendra en Tunisie. Pour Hugo, depuis le soulèvement arabe, l’intérêt de ses compatriotes pour la Tunisie s’est nettement accru, donnant naissance à une très forte pulsion solidaire. Il rappelle, non sans fierté, les manifestations de soutien aux peuples tunisien et égyptien organisées en Allemagne il y a un peu plus d’une année. Selon le journaliste allemand, la Tunisie, de part sa localisation géographique et sa proximité de l’Europe, revêt un caractère très attractif pour les participants européens. « Je ne vous ramènerai pas une poignée d’intellectuels mais voudrais voir venir chez vous un nombre conséquent de travailleurs et paysans engagés » souligne Hugo en rigolant avant de rappeler qu’établir un dispositif performant de traduction est essentiel à la réussite du FSM.

La femme et l’Afrique au cœur des thématiques sociales

Wassila, féministe et militante de l’Association Tunisienne des Femmes démocrates, insiste sur la nécessité d’intégrer au programme du FSM des thématiques tournées autour de la Femme et souligne les risques auxquelles est confrontée cette dernière aujourd’hui, à l’échelle locale mais aussi à l’échelle mondiale avant de se rappeler avec beaucoup d’amertume mais sans tout de même cacher son soulagement combien il était difficile à l’époque Ben Ali d’organiser ce genre de rencontres. Un sentiment que partage entièrement le marocain Mimoun Rahmani, membre d’Attac Maroc et du comité pour l’annulation de la dette du tiers monde qui insiste sur l’impossibilité sous la dictature d’organiser ce genre d’évènements. Mimoun met l’accent sur le continent africain qui reste « le plus touché par les méfaits de la mondialisation ». Selon lui, l’échec du FSM en Tunisie serait un échec maghrébin et africain. Pour éviter cet échec, « il faudrait impliquer un nombre important de jeunes engagés et bénévoles mais aussi choisir le lieu où se tiendra le forum avec le plus grand soin » ajoute-t-il.

Élans solidaires et responsabilisation

« Et si on parlait un peu de ce qui se passe entre deux forums ? » s’exclame Annie Pourre, militante française du droit au logement. « On ne démarre jamais de zéro en organisant un Forum et il est à chaque fois plus facile de s’organiser grâce aux expériences et richesses accumulées lors des éditions passées » rajoute-t-elle avec charisme et assurance. Annie souligne l’importance des solidarités entre les différents mouvements sociaux et parle de renforcer les liens humains encore et toujours. Elle décrit les différents types de logements ayant accueilli les participants des éditions précédentes et parle de la dynamique solidaire qui anime chaque forum avant de s’exclamer à nouveau « Mais que ça ne ressemble pas à un camp de réfugiés comme c’était le cas à Dakar ! ». Une exclamation qui ne manquera pas de faire rire l’assistance.

Le Forum Social Mondial, nécessaire mais pas suffisant

S’opposer à l’ordre néo-libéral caractérisant le contexte mondialisé actuel et s’ouvrir à tous les courants idéologiques dans le but d’établir des projets alternatifs constituent les principes les plus importants du FSM qu’a tenu à rappeler le finlandais Markko Juutinen. « Comment apporter le changement dans un monde où 99% des populations se font exploiter par les 1% au commande ? » s’interroge le jeune, révolutionnaire dans l’âme, avec sérieux et rigueur. « Le FSM n’est pas la solution en soi mais est nécessaire à rassembler tous les groupes sociaux qui partagent un ennemi commun. Le néo-libéralisme est l’ennemi du marxisme, des PME, des militants environnementaux, de l’économie réelle et il faudrait construire un front commun autour d’un nombre de principes communs pour enclencher un mouvement global. Sinon, comment ferions-nous pour stopper la machine ? »

Au dire de Fathi Chamkhi, il s’agit là d’une question difficile que se posent depuis plus d’une décennie la majorité des participants à la rencontre d’aujourd’hui, car loin du romantisme, des théories et des slogans, l’alternative pratique et pragmatique a du mal à se forger un chemin. Cependant, et comme le souligne Annie Pourre, le FSM est l’occasion de réaliser des petites victoires en rapport avec la solidarité internationale et reste un lieu de rencontre et d’échange sans égal où l’exploité, qui connait parfaitement sa situation, formule et propose ses propres solutions.

Le challenge est donc lancé et le prochain printemps tunisien s’annonce haut en couleurs. Commence ainsi la course effrénée, logistique et organisationnelle, pour la préparation d’un événement d’envergure planétaire qui serait probablement de nature à « raviver le souffle révolutionnaire du peuple tunisien, souffle que l’on voit aujourd’hui s’estomper sous la pression de forces locales et étrangères » comme a tenu à le souligner Mohamed Jaziri, membre fondateur de l’Association pour la Citoyenneté.

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