Le vendredi 2 mai a eu lieu un incident qui a fait 1 mort - José Luis López Solís dit "Galeano" - et 13 blessés dans la communauté de La Realidad
au Chiapas, entre bases d'appui de l’EZLN et membres d’organisations
paysannes liées aux partis politiques de pouvoir. Face à cette
agression, le Conseil de Bon Gouvernement de la communauté zapatiste
avait demandé que le commandement de l’EZLN vienne sur place. Voici le
communiqué de l’EZLN:
8 mai 2014
Aux compañeros et compañeras de la Sexta :
Compas :
En fait le communiqué était prêt. Succinct, précis, clair, comme doivent l’être les communiqués. Mais…
mmh… peut-être plus tard.
Parce que maintenant commence la réunion avec les camarades bases d'appui de La Realidad.
Nous les écoutons.
Le ton et le sentiment de leur voix nous sont connus depuis longtemps déjà : la douleur et la rage.
Je comprends alors qu’un communiqué ne reflètera pas ça.
Ou pas dans toutes ses dimensions.
Bien sûr, une lettre non plus, mais au moins à travers ces mots puis-je essayer, même si ce n’est qu’un pâle reflet.
Parce que…
Ce furent la douleur et la rage qui nous firent défier tout et tout le monde il y a 20 ans.
Et ce sont la douleur et la rage qui
aujourd’hui nous font enfiler une nouvelle fois nos bottes, revêtir
l’uniforme, mettre le pistolet à la ceinture et nous couvrir le visage.
Et maintenant me coiffer de la vieille casquette usée avec les 3 étoiles à cinq branches
Ce sont la douleur et la rage qui ont mené nos pas jusqu’à La Realidad.
Il y a quelques instants, après que
nous avions expliqué que nous étions venus pour répondre à la demande du
Conseil de Bon Gouvernement, un camarade base d'appui, prof du cours
« La Liberté selon les Zapatistes » nous a dit, plus ou moins en ces
termes :
« C’est comme on te dit, camarade
sous-commandant, regarde si nous n’étions pas zapatistes depuis le temps
nous aurions tiré vengeance et il y aurait eu un massacre, parce que
nous avons beaucoup de colère pour ce qu’ils ont fait au camarade
Galeano. Mais bon, nous sommes zapatistes et il ne s’agit pas de
vengeance mais de rendre la justice. Nous attendons donc ce que tu vas
nous dire et nous ferons ainsi. »
En l’écoutant j’ai senti de la jalousie et de la peine.
Jaloux de celles et ceux qui ont eu le
privilège d’avoir des hommes et des femmes, tel Galeano et tel celui
qui parle maintenant, comme maîtres et maîtresses. Des milliers d’hommes
et de femmes du monde entier ont eu ce privilège.
Peiné pour celles et ceux qui n’aurons plus Galeano comme professeur.
Le camarade Sous-commandant Insurgé
Moisés a du prendre une décision difficile. Sa décision est sans appel
et, si vous me demandez mon avis (ce que personne n’a fait), sans
objections. Il a décidé de suspendre pour un temps indéfini la réunion
et l’échange avec les peuples originaires et leurs organisations au sein
du Congrès National Indigène. Et il a décidé de suspendre également
l’hommage que nous préparions pour notre compagnon disparu Don Luis
Villoro Toranzo, ainsi que de suspendre notre participation au Séminaire
« Éthique face à la Spoliation » qu’organisent des compas artistes et
intellectuels du Mexique et du monde.
Qu’est-ce qui l’a mené à prendre cette
décision ? Et bien, les premiers résultats de l’enquête, ainsi que les
informations qui nous parviennent, ne laissent pas place au doute :
1.- Il s’agit d’une agression planifiée
à l’avance, organisée militairement et menée à terme par traîtrise,
avec préméditation et avec l’avantage. Et c’est une agression qui
s’inscrit dans le climat créé et encouragé d'en haut.
2.- Sont impliquées les directions de
la soi-disant CIOAC-Historique*, du Parti Vert Écologiste (nom sous
lequel le PRI gouverne au Chiapas), le Parti d’Action National et le
Parti Révolutionnaire Institutionnel.
3.- Au minimum est impliqué le
gouvernement de l’État du Chiapas. Reste à déterminer le degré
d’implication du gouvernement fédéral.
Une femme des contras en est venue à dire que ça avait été planifié et que le plan était de « niquer » Galeano.
En résumé : il ne s’agit pas d’un
problème de communauté, où les bandes s’affrontent, sur un coup de sang.
Il s’agit de quelque chose de planifié : d’abord la provocation avec
la destruction de l’école et de la clinique, sachant que nos
camaradesn’avaient pas d’armes à feu et qu’ils iraient défendre ce
qu’humblement ils ont construits par leurs efforts ; puis les positions
que prirent les agresseurs, prévoyant le chemin qu’ils suivraient
depuis le caracol jusqu’à l’école ; enfin le tir croisé sur nos
camarades.
Au cours de cette embuscade nos camarades ont été blessés par armes à feu.
Ce qui est arrivé avec le camarade
Galeano est bouleversant : il n’est pas tombé dans l’embuscade, ils
l’ont encerclé à 15 ou 20 paramilitaires (oui, ils le sont, leurs
tactiques sont paramilitaires) ; le compagnon Galeano les a défiés à un
combat d’homme à homme, sans armes à feu ; ils l’ont bastonné et lui il
sautait d’un côté à l’autre évitant les coups et désarmant ses
agresseurs.
Voyant qu’ils n’y arriveraient pas
comme ça avec lui, ils lui ont tiré dessus et une balle dans la jambe
l’a mis à terre. Après cela vint la barbarie : ils lui sont montés
dessus, l’ont frappé et lui ont donné des coups de machette. Une autre
balle dans la poitrine en fit un moribond. Ils ont continué à le
frapper. Et en voyant qu’il respirait toujours, un lâche lui a tiré dans
la tête.
Il a été touché à bout portant a trois
reprises. Et les 3 fois, alors qu’il était encerclé, désarmé et loin de
se rendre. Son corps a été traîné par ses assassins sur quelques 80m et
ils l’ont balancé là.
Le camarade Galeano est resté seul. Son
corps jeté au milieu de ce qui avant avait été le territoire des
campeurs, hommes et femmes du monde entier qui arrivaient au « camp de
la paix » à La Realidad. Et les compañeras, femmes zapatistes de La
Realidad sont celles qui ont bravé la peur et ont été lever le corps.
Oui, il y a une photo du compa Galeano.
L’image montre toutes les blessures et alimente la douleur et la rage,
bien que les récits entendus n’aient besoin d’aucun renfort. Je
comprends évidemment que cette photo puisse heurter la susceptibilité
de la royauté espagnoliste, et il vaut donc mieux mettre la photo d’une
scène montée avec effronterie, avec quelques blessés, et que les
reporters, mobilisés par le gouvernement chiapanèque, commencent à
vendre le mensonge d’une confrontation. « Qui paye, ordonne ». Parce
qu’il y a des classes, mon brave. La monarchie espagnole est une chose,
et s’en est une autre que ces « putains » d’indiens rebelles qui
t’envoient au ranch d’AMLO simplement parce qu’ici, à quelques pas, ils
veillent le corps encore plein de sang du camaradeGaleano.
La CIOAC-Historique, sa rivale la
CIOAC-Indépendante et autres organisations “paysannes” comme l' ORCAO,
ORUGA, URPA et d’autres, vivent en provoquant ces confrontations. Ils
savent que provoquer des problèmes dans les communautés où nous sommes
présents fait plaisir aux gouvernements. Et ils ont l’habitude d’être
récompensés par des projets, et de grosses liasses de billets pour les
dirigeants, des torts qu’ils nous font.
Dans la bouche d’un fonctionnaire du
gouvernement de Manuel Velasco : « nous préférons que les zapatistes
soient occupés à des problèmes créés artificiellement, plutôt qu’ils
organisent des activités auxquelles viennent des « güeros »
(littéralement « blond », mais s’entend comme « blanc »,
« visage-pâle », ndt) de partout. C’est ce qu’il a dit :
« visage-pâle ». Oui, c’est comique que s’exprime ainsi le laquais d’un
« visage-pâle ».
Chaque fois que les leader de ces
organisations « paysannes » voient baisser leurs subventions pour les
bringues qu’ils s’octroient, ils organisent un incident et vont voir le
gouvernement du Chiapas afin qu’il les paye pour « se calmer ».
Ce « modus vivendi » de dirigeants qui
ne savent même pas faire la différence entre « sable » et « gravier », a
débuté avec l’oublié du PRI « croquettes » Albores, a repris avec le
lopezobradoriste Juan Sabines, et se poursuit avec le soi-disant
écologiste vert Manuel « le visage-pâle » Velasco.
Attendez un peu…
Un compa parle maintenant. Il pleure,
oui. Mais nous savons que ces larmes sont de rage. Avec des mots
entrecoupés de sanglots, il dit ce que tous ressentent, ce que nous
ressentons : nous ne voulons pas la vengeance, nous voulons la justice.
Un autre interrompt : « camarade
sous-commandant insurgé, n’interprétez pas mal nos larmes, elles ne sont
pas de tristesse, mais de révolte ».
Arrive alors un rapport d’une réunion
des dirigeants de la CIOAC-Historique. Les dirigeants disent,
textuellement : « avec l’EZLN on ne peut pas négocier avec de l’argent.
Mais une fois que seront détenus tous ceux qui sont dans le journal,
qu’on aura enfermé certains 4 ou 5 ans, et après que le problème se
sera calmé, il sera possible de négocier leur libération avec le
gouvernement ». Un autre ajoute : « Ou on peut dire qu’il y a eu un
mort chez nous, et que ça fait match nul, un mort de chaque côté et que
les zapatistes doivent se calmer. On invente qu’untel est mort ou on
le tue nous-même et le problème est réglé. »
Bref, la lettre s’allonge et je ne sais
pas si vous pouvez sentir ce que nous, nous ressentons. De toute
manière le Sous-commandant Insurgé Moisés m’a chargé de vous prévenir
que…
Attendez…
Maintenant ils parlent au sein de l’assemblée zapatiste de La Realidad.
Nous sommes sortis pour qu’ils
s’accordent entre eux sur la réponse à donner à la question que nous
leur avons posée : « Le commandement de l’EZLN est poursuivi par les
gouvernements, vous le savez bien, vous qui étiez là lors de la
trahison de 1995. Alors, voulez-vous que nous restions ici pour suivre
le problème et obtenir justice ou préférez-vous que nous allions
ailleurs ? Parce que vous tous pouvez désormais subir la persécution
directe des gouvernements, de leurs policiers et leurs militaires. »
On écoute maintenant un jeune. Une
quinzaine d’année. On me dit que c’est le fils de Galeano. Je m'approche
et oui, malgré son jeune âge, c’est un Galeano en puissance. Il dit
qu’on reste, qu’ils nous font confiance pour la justice et pour
retrouver ceux qui ont assassiné son papa. Et qu’ils sont prêts à
n’importe quoi. Les voix en ce sens se multiplient. Les camarades
parlent. Les compañeras parlent quand les enfants cessent leurs
larmes : ce sont elles qui ont reconnecté l’eau, malgré les menaces des
paramilitaires. « Elles sont courageuses », dit un homme, vétéran de
guerre.
Que nous restions, voilà l’accord.
Le Sous-commandant Insurgé Moisés remet un soutien économique à la veuve.
L’assemblée se disperse. Malgré tout on
peut voir que le pas de chacun est ferme une fois encore, et qu’il y a
dans leurs regards une autre lumière.
Où en étais-je ? Ah, oui. Le
Sous-commandant Insurgé Moisés m’a chargé de vous prévenir que les
activités publiques de mai et juin sont suspendues pour un temps
indéfini, ainsi que les cours de « la liberté selon les zapatistes ».
Bon voilà, donc c’est vu pour les annulations et le reste.
Attendez…
On nous informe maintenant qu’en haut
ils commencent à encourager ce qu'on appelle le « modèle d’Acteal » : «
ça é été un conflit intracommunautaire pour un banc de sable ». Mmh… ça
continue donc, la militarisation, le cri hystérique de la presse
domestiquée, les simulations, les mensonges, la persécution. Ce n’est
pas pour rien qu’on retrouve le vieux Chuayffet (gouverneur du Chiapas
au moment de la tuerie d’Acteal, ndt), avec des élèves appliqués au sein
du gouvernement du Chiapas et des organisations « paysannes ».
Nous savons ce qui va suivre.
Quant à moi ce que je veux c’est profiter de ces lignes pour vous demander :
Nous, ce sont la douleur et la rage qui nous ont amenés jusqu’ici. Si vous pouvez les sentir vous aussi, où vous mènent-elles ?
Parce que nous, nous sommes ici, dans la réalité. Là où nous avons toujours été.
Et vous ?
Allez. Salut et indignation.
Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain,
Sous-commandant Insurgé Marcos,
Mexique, Mai 2014. Dans la vingtième année du début de la guerre contre l'oubli.
P.S.- L’enquête est menée par le Sous-commandant Insurgé Moisés. Il vous informera des résultats, ou lui à travers moi.
Autre P.S.- Si vous me demandez de
résumer notre travail en cours en quelques mots, je dirais : nos efforts
sont pour la paix, leurs efforts sont pour la guerre.
*
La CIOAC-Historique est issue de la scission de la Centrale
Indépendante des Ouvriers Agricoles y Paysans. Le courant
« historique » est lié au Parti de la Révolution Démocratique (gauche),
et le courant démocratique est lié à l’ex-parti unique revenu au
Pouvoir, le Parti Révolutionnaire Institutionnel (centre-gauche).