par Klaus Fischer, junge Welt, 21/6/2014. Traduit par Michèle Mialane, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Quand les États se lient eux-mêmes les mains: Wilkileaks
éclaire des recoins sombres du lobbying. Des « traités » comme le TISA
consolident la mainmise du capital privé sur toute la planète.
En cachette on négocie les moyens de garantir à la noblesse d’argent
internationale des gains supplémentaires. Depuis longtemps des « chargés
de mission » négocient un ouvrage d’art visant à accélérer et à rendre
irréversible le nouveau partage du monde. À Genève, l’un des lieux
préférés de cette cupide espèce pour y faire entre soi d’agréables
retraites, les représentants d’une cinquantaine d’États se sont
rencontrés ces derniers mois. Dans le plus grand secret on a peaufiné
une sorte de nouveau partage du monde à l’aide d’un traité, désigné par
l’euphémisme de Trade in Services Agreement (Accord sur le Commerce des
Services, TISA/ACS). Jeudi 19 juin Michael Froman, le représentant US au
Commerce, a soulevé un coin du voile et brièvement déclaré que les
points fondamentaux étaient acquis, et que la septième ronde de
négociations allait s’ouvrir.
Genève, 28 avril 2014 : manifestation contre le TISA/ACS. Photo EPA/SALVATORE DI NOLFI
Officiellement il s’agit, comme le nom l’indique, de services. Ce
nom désigne un segment économique qui est de loin le plus important à
l’échelle mondiale. Il recouvre entre autres la banque et la finance,
les télécommunications et le commerce de la main-d’œuvre marchandisée,
ainsi que les tâches fondamentales d’approvisionnement indispensable et
de sécurité de la population, par exemple l’eau et l’électricité. Le but
de cet ouvrage n’est pas d’améliorer la vie des citoyens des pays
représentés - ni du « reste » du monde. Non : le TISA doit garantir
l’accès sans entrave aucune du capital privé à tous les marchés
mondiaux. Plus encore: cet accès, selon des informations publiées par
Wikileaks, ne doit plus pouvoir être annulé par une législation
ultérieure dans les pays concernés. Les fantômes gris de Genève semblent
en espérer une sorte de garantie éternelle pour l’économie du profit
privé.
Si cela vous paraît bizarre, jetez donc un coup d’œil sur la
réalité actuelle. Un exemple : La Cour Suprême des USA a estimé la
semaine dernière que la remise de dette décrétée en 2005 et 2010 par
l’Argentine pour cause de banqueroute lésait le « droit » des
investisseurs. Dans le cadre du défaut de paiement qui s’annonçait,
quelques fonds spéculatifs avaient acheté des emprunts d’État argentins à
bon marché. Ils refusèrent de participer à la remise de dette et
exigèrent le remboursement intégral de leur valeur nominale. Comme ces
obligations étaient en outre libellées en dollars US, c’étaient les
tribunaux US qui étaient compétents à ce sujet. La sentence de la Cour
Suprême oblige l’Argentine à payer, ce qui lui est impossible. Une autre
faillite est donc en vue.
À Berlin se déroule en ce moment un « Kulturkampf (« combat pour la civilisation », référence à Bismarck)»
de la même espèce : le sénateur chargé des finances a eu la bonne idée,
lorsqu’il a affermé le réseau de distribution du gaz, de ne
pas commettre la même erreur que jadis la coalition SPD/PDS lorsqu’elle a
« privatisé » le réseau d’eau potable (bénéfices garantis par le
contrat, etc.) C’est pourquoi Ulrich Nußbaum (sans étiquette) a inséré,
lors de l’appel d’offres pour ce projet d’infrastructures, une
clause interdisant une revente ultérieure. La surtaxe bénéficia à la
société « Berlin Énergie », propriété du land, et la GASAG en fut pour
ses frais. Autrefois, celle-ci était elle aussi propriété communale,
mais grâce à d’intenses tractations politiques elle appartient désormais
à Vattenfall, E.on et Gaz de France (firmes énergétiques respectivement
suédoise, euro-allemande et française), - donc à de puissantes firmes
privées. Elles n’acceptent pas cette décision. L’entreprise en position
d’infériorité porta plainte. C’est justement le Bundeskartellamt (Office fédéral de lute contre les cartels) qui vint en aide à la GASAG. Celui-ci blâma la clause précitée. Elle pourrait discriminer des « enchérisseurs » privés.
La loi est depuis longtemps du côté du capital privé. Elle ne se
laisse pas guider par les intérêts et les besoins (ou le pouvoir
d’achat) des citoyens lambda, mais est au service de la « libre
circulation des capitaux », le mot d’ordre fétiche qui régit toute l’UE.
Le plus souvent c’est la « concurrence libre et non faussée » qui
justifie cette attitude. Ce qui favoriserait aussi les consommateurs. Un
conte que précisément Vattenfall, E.on et Cie ont réfuté abondamment
depuis dix ans dans le cadre de la prétendue libéralisation du marché de
l’énergie : quatre « grands » se sont partagé le marché allemand, avec
pour conséquences moins de concurrence et des tarifs plus élevés.
La délégation australienne a obtenu à Genève que l’on poursuive
dans cette voie. Il ne suffit plus comme avant de dérouler le tapis
rouge devant les maîtres du monde, le TISA prévoit qu’il restera
désormais en place. Acheter une Caisse d’épargne ? Cela ne pose plus
aucun problème. Interdit de discriminer les fonds privés. Transférer des
données de Trifouilly-les-Oies à Londres ou à Fort Meade (QG de la NSA)? Pourquoi pas, c’est une affaire entièrement privée.
Quant aux gouvernements qui se lient les mains en élaborant de tels
accords, ils reçoivent un prix de consolation : ils sont autorisés à
surveiller de plus près les télécommunications. C’est qu’il y a des
terroristes partout! Quant à la protection des données des simples
citoyens, on ne semble pas y accorder grande importance dans les
négociations sur le TISA.
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