Le Parti communiste du Népal (maoïste) dirige désormais le gouvernement du pays de l’Himalaya. Cela n’a pas été un chemin facile. Il a mené pendant plus de 10 ans une guerre populaire révolutionnaire qui lui a permis de prendre le contrôle du 80 % du territoire, à l’exception de la vallée de Katmandou. C’est sur la base de cette réalité indéniable et des défaites militaires retentissantes qu’il a infligées à l’armée qu’il a accepté de signer un accord politique avec une alliance de sept partis qui a permis la réalisation d’une série de mobilisations populaires qui ont abouti à la déroute de la monarchie féodale qui avait gouverné le pays durant 240 ans.
Après cette déroute monarchique, un gouvernement provisoire a élaboré une constitution, également provisoire et, des élections ont finalement eu lieu, après deux reports dus aux atermoiements réitérés de l’Alliance de Sept Partis à mettre en œuvre certains aspects de l’accord en 22 points signé avec les maoïstes. Dans ces élections, le PCN(m) est le parti qui a obtenu le meilleur score avec 30 % des voix. Les partis réactionnaires et “modérés” ont subi un échec écrasant masqué seulement par l’adoption du système proportionnel qui leur a garanti un nombre suffisant de sièges pour obliger le PCN(m) à pactiser, allant même jusqu’à faire toutes les manoeuvres possibles pour l’écarter du nouveau gouvernement.
Cette situation, qui a duré quatre mois, a permis que le président de la nouvelle république du Népal – la première mesure après les élections a été l’abolition de la monarchie - soit un droitier du Congrès Népalais et que le vice-président soit un représentant du Forum des Droits du Peuple Madhesi (FDPM) - qui a fait le serment de prise de fonction en hindi et non en népalais, comme cela était prévu dans la Constitution provisoire. Le FDPM est une organisation d’origine hindouiste qui réclame une ample autonomie pour la zone la plus riche du pays, politiquement pro-monarchiste et partisane de maintenir les liens actuels avec l’Inde.
Non contents de ravir les postes principaux de l’État aux maoïstes, les partis réactionnaires et leurs alliés sociaux-démocrates du Parti communiste du Népal - Unification Marxiste-Léniniste (PCN-UML) ont réformé la constitution provisoire pour que le Premier ministre puisse être destitué par une majorité simple de l’assemblée et non par les deux tiers, comme cela avait été décidé avant la victoire électorale des maoïste. Cela faisait apparaître clairement comment ils entendent faire face à la volonté populaire quand elle leur est défavorable, et dans le même temps, les problèmes qu’aurait à affronter le PCN (m) s’il parvenait à diriger le gouvernement, ce qui a finalement été le cas.
Les alliances au Népal sont très fragiles et la devise pourrait être : “Tout pour le pouvoir”. Les alliés d’hier sont les ennemis d’aujourd’hui et les ennemis d’aujourd’hui pourront être alliés demain. Après avoir été battu dans l’élection pour les charges de président et de vice-président, le PCN (m) a décidé de ne pas prendre la tête du gouvernement, malgré son incontestable triomphe électoral et de se maintenir dans l’opposition. Deux semaines plus tard, il a changé de position et a accepté d’assumer la charge de Premier ministre et de former un gouvernement après avoir fait un pacte avec les sociaux-démocrates du PCN-UML – le nom de cette organisation ne doit pas induire en erreur, ils ont renoncé depuis de nombreuses années au marxisme- léninisme, et même à quelque type de marxisme que ce soit, ils collaboraient avec la monarchie dans sa période la plus dure, en arrivant à présider le gouvernement durant neuf mois, ils appuyaient à fond les actions de l’armée contre la guérilla maoïste et ont une position absolument conservatrice sur des thèmes cruciaux comme la réforme agraire. Leur force réside exclusivement dans les classes moyennes urbaine - avec le FDPM (qui reconnaît que le pari maoïste sur l’autodétermination l’intéresse) et les autres petits partis avec lesquels ils ont depuis toujours maintenu une alliance étroite. Selon l’accord, le PCN (m) comptera neuf ministres, le PCN-UML six, le FDPM quatre et les autres formations mineures comme le Parti Communiste du Népal-Unis, le Janamorcha Népal et le Sadbhawana chacun un.
Par conséquent, s’il est permis au PCN (m) de diriger le gouvernement sans contretemps au moins deux ans, le temps que la Constitution soit définitivement élaborée et que des nouvelles élections se tiennent, ce qui est en voie de se mettre en route au Népal n’est pas plus qu’une réforme, et pas une révolution, puisque des portefeuilles importants comme celui des Affaires Étrangères ou celui de l’Agriculture et des Coopératives restent aux mains des madhésistes alors que les sociaux-démocrates ont obtenu l’Intérieur et l’Industrie. Les maoïstes ont comme plats de résistance les ministères de la Défense, des Finances et du Travail.
La formation de la nouvelle armée
Qu’est-ce qui a conduit à ce retournement total des maoïstes? Fondamentalement, la crainte de ne pouvoir accomplir un des principaux objectifs du PCN (m): la formation d’une nouvelle armée avec l’incorporation dans ses rangs de la majeure partie des structures de l’Armée Populaire de Libération, son bras armé durant la guerre révolutionnaire. Depuis qu’en novembre 2006, a été signé l’accord avec l’alliance des sept partis, l’intégration de l’APL dans l’armée népalaise a été repoussée à plusieurs reprises, les ex-guérilleros, cantonnés dans des campements sous contrôle de l’ONU, se transformant pratiquement en mendiants. Les retards dans le paiement de soldes ont été fréquents (ils n’ont rien perçu depuis quatre mois), la situation sanitaire dans les campements est déplorable, l’électricité manque et des maladies apparaissent à cause des situations sanitaires et d’hygiène déplorables qui existent dans ces camps où ils sont regroupés. Ce qui est recherché avec ce type d’agissements, de la part de la réaction et de ses alliés sociaux-démocrates, c’est que les ex-guérilleros renoncent à intégrer la nouvelle armée, et qu’ils abandonnent les campements en partant chercher de quoi vivre. Selon L’ONU, 19.602 ex-guérilleros sont répartis en permanence dans sept camps (les autres 12.000 les ont quittés pour mener des activités politiques) et ils constituent le contingent qui devrait être incorporé à la nouvelle armée népalaise.
Le Congrès Népalais, le parti traditionnel de caciques, de propriétaires fonciers et de réactionnaires qui a gouverné le Népal depuis des temps immémoriaux, avait accepté dans un premier temps l’incorporation des ex-guérilleros, ainsi que le prévoyaient les accords de novembre 2006, mais après la victoire électorale maoïste, il a nuancé en disant que cette incorporation aurait lieu “un par un et après la réalisation d’épreuves physiques et écrites, comme tout autre candidat à l’armée”. C’est, jusqu’à présent, aussi la position officielle des généraux de l’armée. De plus, le CN a fait tout son possible pour que le portefeuille de la Défense ne revienne pas aux maoïstes et il a proposé que ce soient les sociaux-démocrates du PCN-UML qui le détiennent, proposition qui n’a pas été mal accueillie par ces partisans de la thèse de la viabilité (l’alliance avec la droite et les secteurs néolibéraux comme unique possibilité dans un monde globalisé) et qui sont considérés, et comment, comme une « gauche correcte », celle qui n’a pas de volonté révolutionnaire et qui s’intéresse seulement à rendre le système plus fonctionnel, dans le style du Chili de Bachelet ou du Brésil de Lula.
Le PCN (m) avait insisté sur le fait que seul un Ministère de Défense contrôlé par lui pourrait mettre en place le processus de formation de la nouvelle armée et il considérait ce point non seulement comme non négociable, mais comme un casus belli. Les esprits dans les campements sont très échauffés et seule une solution de cette affaire peut éviter une reprise du conflit. Tout le monde est conscient de cela, et c’est la raison pour laquelle il y a eu ces changements d’alliance surprenants et variables et la raison principale pour laquelle le PCN (m) a fait marche arrière et a accepté de diriger le gouvernement.
Le défi auquel il fait face n’est pas des moindres. Le Premier ministre a donné un délai de six mois pour que l’intégration soit terminée et cela a apaisé un peu les esprits dans les campements. Mais la méfiance des maoïstes envers l’armée est grande, puisqu’ils n’ont pas pu obtenir le châtiment ou la mise à la retraite des généraux les plus impliqués dans la répression monarchiste et dans les tueries durant la guerre populaire révolutionnaire. De plus, l’armée s’est même systématiquement opposée à discuter quelque réforme structurelle que ce soit pendant ces deux années de transition et c’est seulement maintenant, devant l’évidence, qu’elle s’accommode d’une sorte de négociation. En théorie, l’armée se tient tranquille et ne s’ingère pas dans le processus politique, mais en pratique elle continue d’être autonome, échappant à tout contrôle démocratique. De fait, l’une des instances créées après la signature de l’accord de paix, le Conseil de Sécurité nationale, n’existe que sur le papier, s’est réuni une seule fois en deux ans et ne s’est jamais réuni depuis les élections d’avril. Aussi bien les USA que l’Inde voient dans l’actuelle armée népalaise un appui solide pour éviter que les maoïstes prennent le contrôle du pays (1).De là l’importance de la proposition maoïste et la pression qu’ils exercent dans ce sens pour que leurs combattants s’incorporent dans le nouvelle armée.
Cette incorporation des ex-guérilleros impliquerait une réelle démocratisation de l’armée népalaise. Bien qu’ils aient dit qu’ils obéiraient aux ordres du gouvernement légitime, les chefs de l’armée résistent férocement à la perspective de perdre leurs privilèges, alléguant que l’incorporation des ex-guérilleros impliquerait “un endoctrinement politique”. Et ceci ils le disent sans rougir, alors que durant des décennies la principale mission de l’armée népalaise a été de défendre la monarchie. Il n’est donc pas étonnant qu’au Népal, et de manière spéciale à Katmandou, des rumeurs circulent, intéressées ou non, d’une rébellion imminente dans l’armée au cas où l’incorporation avait lieu sans que soit respectées les conditions qu’elle y mettait: un par un. Le général en chef l’a dit bien clairement : « le Premier ministre doit entendre que les tentatives de casser la chaîne de commandement ne seront pas tolérées et, que par conséquent, il y aura un affrontement lamentable » (2) Depuis le nouveau Ministère de Défense on lui a répondu que “la décision sur l’intégration n’appartient pas à l’armée, mais au gouvernement choisi par le peuple” (3).
Menace fictive ou réelle - il ne faut pas oublier que l’armée népalaise a été battue militairement par la guérilla, bien que ces trois dernières années elle ait pu se réapprovisionner et améliorer sa préparation grâce à l’aide apportée par les USA, la Grande-Bretagne et l’Inde - les symptômes ne sont pas bons et le PCN (m) peut accepter une solution intermédiaire, une partie de ses effectifs allant dans l’armée et le gros des troupes dans la police, dans un processus similaire à ce qui s’est passé au Salvador quand la guérilla de FMLN s’est incorporée seulement à la police et non à l’armée, bien qu’en échange ait été décidée une réduction des effectifs de cette dernière. Les maoïstes proposent que l’armée du Népal réduise ses effectifs de 90.000 hommes actuellement à 50.000.
Selon la constitution provisoire (article 145) c’est le Conseil de Sécurité Nationale qui contrôle “la mobilisation, le fonctionnement et l’utilisation” de l’Armée. Le CSN est présidé par le Premier ministre, et composé par le ministre de la Défense et trois autres ministres nommés par le Premier ministre. Il en est ainsi parce que dans la tradition du Népal, l’armée a toujours agi à son gré et en dépendant uniquement du Palais Royal. Le Ministère de la Défense a toujours eu un rôle purement décoratif.
Un exemple de ce que les relations sont tendues avec l’armée a été fourni à l’occasion de la prestation de serment du dirigeant suprême maoïste, Pushpa Kamal Dahal “Prachanda”, comme Premier ministre : l’escorte n’a pas été fournie par des effectifs de l’armée ou de la police, mais par les combattants de l’Armée Populaire de Libération. Une réponse des maoïstes aux mises en garde du chef de l’armée, sans doute.
Prachanda participe à la commémoration du 7ème anniversaire de la création de l'Armée population de libération le 24 Novembre 2007 à Chitwan. Photo AFP/Getty Images
Les maoïstes ont adopté une attitude modérée et consensuelle, conscients que l’establishment de Katmandou et les forces monarchiques feront tout qu’ils peuvent pour freiner la transition vers une démocratie stable, égalitaire, républicaine et laïque. Il en résulte que le PCN (m) parle d’amorcer un processus de réformes au Népal, et non une révolution.
Ce processus de réformes peut se voir dans l’accord imuulsé par les maoïstes et qui concerne des aspects comme le combat contre la corruption, le népotisme et le favoritisme dans les diverses sphères gouvernementales, phénomènes qui sont responsables de la désastreuse hausse des prix des aliments de base comme le riz (qui a augmenté de 13 ,5 % cette année), l’huile et le beurre de bufflonne (+ 18,8 %). À eux seuls ces produits absorbent 52% des dépenses habituelles des Népalais.
La tâche à laquelle s’attellent les maoïstes est énorme et le chemin n’est ni facile ni court. Néanmoins, au cœur du parti a surgi un certain débat sur ce qui dans l’organisation maoïste est appelé le “négociationisme”.
Le marxisme accepte la possibilité de parvenir à des compromis pour atteindre certains objectifs, mais il considère impossible de réussir la révolution avec trop de compromis et c’est ce qui fait débat aujourd’hui à l’intérieur du PCN (m). Les maoïstes ont dissous la plupart de leurs gouvernements locaux, qui ont fonctionné durant la période de la guérilla, ainsi que les tribunaux populaires. Les coopératives, les communes et les institutions sanitaires et éducatives sont maintenant plus faibles que durant la lutte de guérilla. Et par une dernière décision, qui était la clé pour atteindre l’accord qui leur a permis de prendre la tête du gouvernement, ils ont dissous la structure militaire qui encadrait leurs jeunes. Un secteur important du parti considère que ce sont là trop de concessions dans un laps de temps aussi court. La tâche du PCN (m) dans le nouveau gouvernement devra être de reprendre le cap ou sinon on pourra dire que la révolution est terminée au Népal. Mais il faudra attendre la suite des événements et voir la marge de manœuvre dont il pourra disposer. Il est évident que le test sera la nouvelle armée.
Prachanda lors de l'intronisation de la nouvelle Assemblée constituante le 27 Mai 2008 à Katmandou.
Les maoïstes indiens
Tout le processus népalais a été suivi de très près par les maoïstes indiens. Bien que leur lutte soit pratiquement inconnue en Occident, les maoïstes indiens connaissent une croissance politique et militaire constante et étendent leur influence dans divers États du pays. Ils sont actifs dans 14 des 28 États de l’Union Indienne (Chatisgarh, Jharkhand, Uttar Pradesh, Asma, Uttaranchal, Kerala, Tamil Nadu, Bengale Occidental, Gujarat, Andhra Pradesh, Madhya, Orissa, Maharashtra et Bihar), ce qui, en chiffres, signifie que dans 182 districts, sur les 602 que compte le pays, ce sont les maoïstes qui contrôlent la situation (4). Il faut noter qu’en avril dernier on considérait qu’ils étaient actifs dans 165 districts. Cela indique une progression imparable, qui a lieu non seulement dans les campagnes mais commence à se manifester dans les villes, en particulier dans les zones ouvrières et industrielles de Delhi, Mumbai, Pune et Jammu, où ils alternent les actions de propagande et les actions armées.
Photo Reuters Pictures
Les maoïstes indiens (naxalites) (5) appuient de manière prudente le PCN (m), bien qu’ils l’aient mis en garde de ne pas entrer au gouvernement et l’aient incité à poursuivre la lutte des classes au Népal sans la moindre conciliation avec l’oligarchie. Dans une résolution, le Comité Central du Parti communiste de l’Inde (maoïste) a salué le triomphe électoral des maoïstes népalais comme “un verdict contre la monarchie féodale, l’expansionnisme indien et l’impérialisme US”. Ils espèrent que le PCN (m) tiendra ses engagements de réviser les traités signés entre l’Inde et le Népal, dès 1950, tous favorables à l’Inde. Et ils ont salué comme un geste « courageux » le fait que le premier pays visité par le nouveau Premier ministre ait été la Chine et non l’Inde, comme cela se faisait traditionnellement, marquant ainsi moins de dépendance que les gouvernements antérieurs par rapport aux voisins indiens.
Notes
(1) Alberto Cruz, "2065, el comienzo del nuevo Nepal”
(2) The Katmandu Post, 12 août 2008 .
(3) The Himalayan Times, 28 août 2008.
(4) The Hindu, 23 août 2008.
(5) Lire F. Giudice, « Tonnerre de printemps » : Naxalbari, 25 mai 1967
Les maoïstes du Népal
Un essai photo de Jonas Bendiksen, Agence Magnum, Avril 2008
Prachanda en Europe !
Pushpa Kamal Dahl "Prachanda", Premier ministre du Népal, sera à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), le dimanche 21 Septembre 2008, pour préésenter le livre de Cornelia Schröder, "Revolution in Nepal - Eine neuve Welt ist möglich" (Révolution au Népal - Un nouveau monde est possible) et parler de la situation actuelle dans son pays.
Presseclub Frankfurt
Saalgasse 3060331 Frankfurt am Main
Dimanche 21 Septembre 2008, 18 h
Organisé par
UNF United Nepalese Front
INSOF Internationalist Nepalese Solidarity Forum Germany
Zambonverlag, Frankfurt
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