L'importance géopolitique de ce régime a obligé la droite de tout
acabit à tenter de créer un climat de défaite pour le candidat Hugo
Chávez : ils se sont ridiculisés, mais ce n’est pas ce qui les gêne. En
revanche ce qui les empêche de dormir, c’est que la principale réserve
pétrolière du monde ne soit pas aux mains des multinationales mais dans
celles d’un peuple souverain, que les richesses du pays soient investies
dans les dépenses sociales au moment où ce qui prévaut à notre époque,
c’est que ce soit la main invisible des marchés qui offre les services
élémentaires aux citoyens. Cette fameuse richesse et ce mauvais exemple
empêchent les « maîtres » du monde de dormir.
Les résultats de la gestion bolivarienne sont irréfutables. Son
système électoral, en avance et efficient, fait envie à plus d’un pays
du premier monde, et il semble difficile de le changer : les moyens de
communication proches du capital ne voient là que dictature,
caudillisme et populisme, sur la base d’arguties fallacieuses.
Cependant, au nom de la défense de la révolution bolivarienne au
Venezuela, il est nécessaire d’en examiner quelques aspects, qui
pourraient, si on les négligeait, faire échouer un projet aussi
important.
Sur un mur du Venezuela : "Révolution sans corruption"
La révolution : la part de réalité et la part d'utopie
Le régime politique bolivarien a joué le rôle qui est celui de
l’Etat quand il faut garantir les droits humains de ses citoyens par le
biais de la dépense publique. Cela, dans l’actualité et en Amérique
Latine (Notre Amérique) on l’avait oublié car le néolibéralisme a
transformé ces obligations de l’État en un commerce.
En même temps, on a élevé l’organisation politique à un haut niveau
politique, ce qui se traduit par une participation sans précédent de
ceux qui n’étaient considérés que comme des statistiques et, le plus
souvent comme un instrument pratique quand il s’agissait de légitimer
électoralement les bourreaux.
Cet interventionnisme de l’État dans toutes les sphères de la
société, ajouté à l’organisation politique des plus défavorisés, donne
l’impression d’un changement révolutionnaire, mais au sens strict, comme
l’histoire le définit, ce n’est pas une révolution : « …la révolution
est considérée avant tout, comme une transformation radicale des
structures sociales et économiques, ou comme l’ascension au
pouvoir d’une nouvelle classe sociale. »[i]
La révolution pourrait se comprendre comme un parcours, ou mieux
encore comme un objectif, c’est dans ce sens que l'excellent programme
de Chávez l’envisage: "Ne nous leurrons pas : la formation
socioéconomique qui prévaut encore au Vénézuela est de caractère
capitaliste et rentier." (p. 2)
C’est à dire que la bourgeoisie vénézuélienne est toujours au
pouvoir. Elle a bien perdu le contrôle des principaux organes de
direction de l’État, instrument clé pour se maintenir en tant que
classe, mais dans les autres sphères de la vie sociale et politique elle
continue à montrer sa capacité à défendre ses intérêts comme groupe
social.
Avec la patience, qu’elle a dû acquérir de force, elle est entrain
de ronger les bases de l’État bolivarien par le biais de la corruption,
entre autres.
"Quand il volent l'Etat, c'est toi qu'ils volent"
La corruption : appropriation privée des biens publics
Il est clair qu'une une nouvelle conception de la dépense sociale
s’est mise en place au Venezuela, que cela a induit une augmentation
considérable du niveau de vie des citoyens, mais les rapports quotidiens
entre le citoyen et l’administration publique se sont-ils modifiés pour
autant ?
Quelle est l’ampleur, ne serait-ce qu’approximative de la
corruption? Existe-t-il des données officielles? Il est certain que du
temps de la droite, cette conduite avait les coudées franches, mais
cela ne peut être une référence pour nous.
Le problème c’est qu’avec la corruption, on est en plein paradoxe :
pendant que l’État socialise des entreprises stratégiques, un réseau
important d’individus s’empare du patrimoine public. Ce qui se donne
d’une main, se reprend de l’autre. Ceci implique un mode de
fonctionnement bourgeois dans l’État : ces mêmes fonctionnaires «
bolivariens » n’hésiteront pas à se vendre au plus offrant en temps de
crise. Ils deviendront eux-mêmes la preuve irréfutable de l’inefficacité
de l’État et le meilleur argument pour privatiser. Peu leur importera :
les goûts pour la consommation n’ont pas d’idéologie, sauf celle de
l’argent.
Ce qui est dangereux, c’est que la corruption partage une zone
grise avec la délinquance. Et là on s’aventure sur un terrain encore
plus délicat.
L’insécurité
: appropriation ou atteinte presque toujours violentes de biens
juridiques à des fins lucratives ou de jouissance individuelle
Par bien juridique, on entend un élément essentiel à la vie sociale et individuelle protégé par le jus puniendi (droit
pénal).Ce sont la vie et l’intégrité physique, la liberté, l’immunité
et la liberté sexuelle, l’intimité, la propriété, l’honneur, etc…
Comment peut-on comprendre que des avancées si indiscutables dans
la réduction de la pauvreté et l’augmentation du niveau de vie n’aient
pu empêcher l’augmentation de la délinquance au Venezuela?
Les chiffres sont accablants. On a compté 7960 homicides en 2OO1,
13.080 en 2010 et 19.336 en 2011. « En faisant le calcul exclusivement à
partir des données incomplètes du registre officiel, on a un taux de 60
victimes pour 100.000 habitants. Il convient de rappeler que selon les
noirmes des organismes des Nations Unies, à partir d’un taux supérieur à
10 homicides pour 100.000 habitants, on parle d’épidémie, par
conséquent nous pouvons conclure que le Venezuela connaît une épidémie
très grave d’homicides »[ii].
Sans parler des vols, larcins, extorsions, délits contre la liberté
sexuelle, etc…Mais où sont les corps et forces de sécurité de l’Etat ?
Nous nous souvenons tous des agents de la Police Métropolitaine de
Caracas couverts par des véhicules anti-émeutes tirant sur le peuple
lors du coup d’État de 2002 et appuyant les putschistes.
Au milieu des délinquants, des policiers corrompus, en plus de la
connivence de plus d’un fonctionnaire vénal, pour la plus grande joie et
avec le bénédiction de la bourgeoisie, le peuple vénézuélien voit son
projet de vie s’évaporer entre le guichet d’une administration et les
rues de sa ville.
"Si tu voles, tu ne gouvernes pas : pas une once de corruption aux postes de commande. Signé : Diorection générale du peuple" - Affiche des Indignés d'Espagne, Madrid, avril 2013
Le temps de l'ordre révolutionnaire est venu
Si l’on compare le programme de Chávez à celui de Capriles, la
différence est stupéfiante. Le premier est organisé, cohérent : une
proposition de nation, un plan complet de développement alternatif. En
revanche, celui de Capriles, une série de concepts et de phrases creuses
qui promettent des objectifs qui ont déjà été atteints au cours du
processus bolivarien, mais avec une vertu : quand il s’agit de parler de
sécurité, le message en est simple et efficace - « Nous nous engageons
avec toi. Nous prenons l’engagement que toi et les tiens vous vous
sentirez tranquilles et en sécurité. Sans peurs, sans craintes, sans
angoisses. Tolérance Zéro pour la violence, le crime et l’impunité ».
(p. 22)
Beaucoup de Vénézuéliens honorables en ont assez de la délinquance
et de la corruption. Ils réclament une main de fer : Quel que soit la
couleur idéologique de l’Etat au pouvoir. La bourgeoisie criera au loup,
car aujourd’hui ils arrêtent les gosses dans la rue, demain ils iront
les chercher, eux qui sont une classe sociale qui aime être en marge de
la loi.
Les résultats électoraux sont le reflet de cette situation et il y a
de quoi s’inquiéter. Lors des élections présidentielles de 2006, les
votes anti-Chávez ont totalisé 4.321.072 et ceux pour Chávez 7.309.080.
En 2012, 8.135.192 ont voté pour Chávez et 6.498.776 pour Capriles.[iii]
Les Bolivariens ont progressé de 800.000 voix mais la droite a
augmenté de plus de deux millions. Il faut mener une réflexion en
profondeur. Il est temps que le pouvoir populaire se montre dans les
bureaux et dans les quartiers. Il faut en finir avec ce pouvoir
parallèle composé par la bourgeoisie, les délinquants et les corrompus,
ou alors ce sont eux qui vont en finir avec ce qui reste de révolution,
et leur main ne tremblera pas au moment de défendre « leurs penchants
pour la consommation ».
Un État de droite présidé par Álvaro Uribe, allié aux secteurs du
narcotrafic, porté aux nues par l’oligarchie, avec l’assentiment des USA
et par le biais du terrorisme d’Etat a fait miroiter l’illusion de la
sécurité aux yeux des colombiens : pendant un certain temps, on
n’attaquait pas les gens dans les villes et ils n’étaient pas séquestrés
sur les routes quand ils allaient se promener. Cela a duré le temps que
les inégalités sociales aberrantes l’ont rendu possible, mais cela lui
a suffi, entre autres, pour gouverner pendant huit ans (2002-2010). Il y
encore des gens du peuple qui en ont la nostalgie...
Simón Bolívar a donné l’exemple: « Décret du 18 mars 1824 faisant
état des récompenses aux dénonciateurs de contrebande. Art 3. Tout
employé des Douanes, des contributions, de la Capitainerie des ports ou
secteur des finances publiques qui participerait à des fraudes commises à
son encontre, qu’il intervienne comme acteur principal, ou qu’il ait
connaissance de la fraude et ne la dénonce pas, se verra soumis à la
peine capitale qui sera appliquée de façon irrévocable. » [iv]
La décision est entre les mains du peuple vénézuélien, mais plus
particulièrement de ses dirigeants, de ses organisations politiques et
sociales, de ses institutions. Ou bien, ils livrent la douloureuse
bataille maintenant que les conditions sont favorables, ou ils remettent
à plus tard la décision, sous des prétextes éclectiques venant
probablement de ceux qui touchent des profits conséquents : ils
prendront le risque dans l’avenir d’une terrible confrontation, allez
savoir dans quelles conditions.
Notes
[i] Guerra, François-Xavier,
Modernité et Indépendances. Essais sur les révolutions hispaniques.
Éditions Fondo de Cultura Económica et Mapfre. México, 1992. pg. 12