Dans le sud de la Tunisie, le taux de chômage atteint plus de 50 %, contre 17,6 % à l'échelle nationale.
par Julie Schneider, Le Point, 13/10/2012
Le bus s'arrête devant la délégation régionale du ministère de l'Éducation nationale à Tataouine, ville située aux portes du Sahara tunisien. Malgré les températures qui flirtent de bon matin avec les 35 degrés, une centaine de jeunes hommes et femmes se rassemblent dans la cour du bâtiment pour protester, ce 9 octobre, contre les résultats du concours de l'Éducation nationale. La mobilisation dans cette ville du sud encerclée de collines a commencé après la publication des chiffres du chômage par l'Institut national des statistiques : 51,7 % dans le gouvernorat (région) de Tataouine, contre 17,6 % à l'échelle nationale et 5,7 % à Monastir (côte). Depuis, des manifestations ont régulièrement lieu. Devant le siège du gouvernorat (sorte de préfecture), des chômeurs campent jour et nuit. Un chiffre "catastrophique", dénonce Ahmed, le coordinateur régional de l'Union des diplômés chômeurs. À 31 ans et avec une maîtrise en commerce international, il pointe au chômage depuis 8 ans.
Sit-in devant le bureau du gouverneur
"Nous ne pouvons absolument rien faire. Nous ne
sommes que des intermédiaires entre le ministère et ces jeunes", souffle
un responsable de cette délégation, souhaitant garder l'anonymat. Dans
la salle de réunion, le directeur régional reçoit ces chômeurs. Sur les 1
500 postes à pourvoir au niveau national dans l'enseignement
secondaire, seuls 11, sur les quelque 3 000 dossiers déposés à
Tataouine, ont été acceptés. Aucun quota régional n'est en vigueur. Et
les critères de sélection - l'âge et l'année d'obtention du diplôme -
favorisent les diplômés chômeurs de longue durée dans le pays. "Il y a
du travail et nous on est sans emploi !" se scandalise Halima, 29 ans,
une maîtrise d'anglais en poche depuis 7 ans et autant d'années au
chômage. Selon ce responsable, près de 300 professeurs manquent dans le
gouvernorat, alors que la rentrée a déjà eu lieu. "On lutte pour la
décentralisation, seul moyen pour nous de pouvoir gérer les problèmes",
ajoute-t-il.
"Priorité absolue"
Une
décentralisation de l'emploi et de la formation prônée également par Ali
Dhokkar, le responsable du Bureau de l'emploi - sorte de Pôle emploi
dépendant directement du ministère de l'Emploi - de Tataouine, le seul
de ce gouvernorat dont la superficie, largement dominée par le désert,
atteint près de 25 % du territoire tunisien. Dans le hall de cet
immeuble blanc aux volets bleu ciel, des jeunes consultent les quelques
offres d'emploi affichées sur des panneaux. "Nous avons reçu zéro offre
aujourd'hui, comme hier, ou avant-hier", énumère ce directeur régional
de la formation professionnelle et de l'emploi, qui recense 7 800
chômeurs, dont près de 4 000 diplômés de l'enseignement supérieur. "Je
n'arrive pas à en trouver parce qu'il n'y a pas d'entreprises",
lâche-t-il. "Qui viendrait s'implanter ici ? Il n'a pas d'autoroute, pas
de train, et le seul aéroport est militaire."
Une zone
industrielle de 18 hectares, avec des avantages alléchants, est en ce
moment en construction, selon Mourad Achour, le gouverneur (sorte de
préfet). Une petite vingtaine d'entreprises pourront s'implanter et
offrir d'ici un an un millier d'emplois. "Ce n'est pas assez", avoue
Mourad Achour, qui se rassure : "Tataouine est devenue une priorité
absolue" pour le gouvernement. Le Premier ministre devrait s'y rendre
"dans les jours qui viennent". "Cela ne va pas résoudre les problèmes,
mais des projets de développement vont peut-être se créer. Cela fait non
pas 23 ans, mais 50 ans que Tataouine est marginalisée. Les ministres
demandent du temps, mais les gens vivent dans des situations misérables
et ne peuvent plus attendre", souligne Jamila Jouini, membre du
mouvement Ennahda, qui a obtenu 3 des 4 sièges en lice dans ce
gouvernorat lors des élections du 23 octobre dernier. Sous Ben Ali, la
région aurait souffert de la présence d'islamistes du mouvement Ennahda,
alors violemment réprimé. Habib Bourguiba,
lui, aurait adopté une stratégie d'isolement du Sud tunisien, selon les
habitants, après la bataille qui a opposé les "youssefistes" - fidèles
de Salah Ben Youssef, opposant au père de l'indépendance - aux
"bourguibistes" à Jebel Egri, un mont de la région.
Mafia
Sur la route qui mène à Tataouine, des sociétés exploitent les minerais de la région : sulfate de sodium, gypse pour le plâtre... Elles seraient une dizaine dans la région. Sans compter la centaine d'entreprises pétrolières et de sous-traitants présents dans le désert. "Elles ne participent pas au développement de la région. Tous les jours, on voit les camions passer, et zéro développement ! Elles doivent faire quelque chose pour acheter la paix sociale", poursuit Ali Dhokkar. L'une des solutions prônées est l'ouverture d'annexes de ces entreprises dans la région. Les sièges sociaux sont implantés à Tunis ou sur les côtes du pays, à plusieurs centaines de kilomètres. "Les Tataouiniens n'y travaillent pas. Ils n'ont pas tous les qualifications nécessaires, mais même les postes sans qualification ne sont pas pour eux. La mafia des grandes sociétés tunisiennes a encore ses racines. Et sur le terrain, on constate qu'il n'y a pratiquement rien de nouveau. On donne quelques postes par-ci par-là pour calmer, mais rien d'important", observe Kamel Abdellatif, responsable du bureau de l'UGTT, ancien syndicat unique du pays qui demande notamment l'ouverture d'un centre de formation aux métiers de l'industrie pétrolière mais aussi des quotas d'emplois locaux dans les administrations publiques et les entreprises semi-étatiques "pour enterrer le fossé entre les régions".
"C'est toujours le même système. Ce sont toujours ceux de Tunis ou ceux qui ont de l'argent à glisser sous la table qui obtiennent un travail", crache Mongi. Ce jeune Tunisien vit à Remada, à 80 kilomètres de Tataouine, où se trouvent de nombreuses entreprises pétrolières. Les routes y sont régulièrement bloquées depuis fin mars. À ses côtés, Mohamed se retrouve au chômage à 47 ans après y avoir été employé comme agent de sécurité pendant deux ans. "Je suis obligé d'emprunter de l'argent pour vivre. J'ai 3 000 euros de dettes et pas d'emploi. Je fais comment maintenant ? Je vole ou je m'allume [m'immole, NDLR] comme [Mohamed] Bouazizi ?"
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