dimanche 28 octobre 2012

VENEZUELA-Corruption et insécurité: des défis stratégiques pour la Révolution Bolivarienne

par  Jaime Jiménez , 11/10/2012. Traduit par  Pascale Cognet, édité par  Fausto Giudice, Tlaxcala 
Le 7 octobre 2012, les gens honorables et progressistes de la planète ont poussé un soupir de soulagement: Chávez a gagné les élections au Venezuela. Joie et  jubilation pour beaucoup d’entre nous, Latino-Américains, que sa victoire touche directement.
L'importance géopolitique de ce régime a obligé la droite de tout acabit à tenter de créer un climat de défaite pour le candidat Hugo Chávez : ils se sont ridiculisés, mais ce n’est pas ce qui les gêne. En revanche ce qui les empêche de dormir, c’est que la principale réserve pétrolière du monde ne soit pas aux mains des multinationales mais dans celles d’un peuple souverain, que les richesses du pays soient investies dans les dépenses sociales au moment où ce qui prévaut à notre époque, c’est que ce soit la main invisible des marchés qui offre les services élémentaires aux citoyens. Cette fameuse richesse et ce mauvais exemple empêchent les « maîtres » du monde de dormir.
 
Les résultats de la gestion bolivarienne sont irréfutables. Son système électoral, en avance et efficient, fait envie à plus d’un pays du premier monde, et il semble difficile de le changer : les moyens de communication proches du capital  ne voient là que dictature, caudillisme et populisme, sur la base d’arguties fallacieuses.
 
Cependant, au nom de la défense de la révolution bolivarienne au Venezuela, il est nécessaire d’en examiner quelques aspects, qui pourraient, si on les négligeait, faire échouer un projet aussi important.
Sur un mur du Venezuela : "Révolution sans corruption"
La révolution : la part de réalité et la part d'utopie
Le régime politique bolivarien a joué le rôle qui est celui de l’Etat quand il faut garantir les droits humains de ses citoyens par le biais de la dépense publique. Cela, dans l’actualité et en Amérique Latine (Notre Amérique) on l’avait oublié car le néolibéralisme a transformé  ces obligations de l’État en un commerce.
 
En même temps, on a élevé l’organisation politique à un haut niveau politique, ce qui se traduit par une participation sans précédent de ceux qui n’étaient considérés que comme des statistiques et, le plus souvent comme un instrument pratique quand il s’agissait de légitimer électoralement les bourreaux.
 
Cet interventionnisme de l’État dans toutes les sphères de la société, ajouté à l’organisation politique des plus défavorisés, donne l’impression d’un changement révolutionnaire, mais au sens strict, comme l’histoire le définit, ce n’est pas une révolution : « …la révolution est considérée avant tout, comme une transformation radicale des structures sociales et économiques, ou comme l’ascension au pouvoir d’une nouvelle classe sociale. »[i]
 
La révolution pourrait se comprendre comme un parcours, ou mieux encore comme un objectif, c’est dans ce sens que l'excellent programme de Chávez l’envisage: "Ne nous leurrons pas : la formation socioéconomique qui prévaut encore au Vénézuela est de caractère capitaliste et rentier." (p. 2)
 
C’est à dire que la bourgeoisie vénézuélienne est toujours au pouvoir. Elle a bien perdu le contrôle des principaux organes de direction de l’État, instrument clé pour se maintenir en tant que classe, mais dans les autres sphères de la vie sociale et politique elle continue à montrer sa capacité à défendre ses intérêts comme groupe social.
 
Avec la patience, qu’elle a dû acquérir de force, elle est entrain de ronger les bases de l’État bolivarien par le biais de la corruption, entre autres.
 
"Quand il volent l'Etat, c'est toi qu'ils volent"
La corruption : appropriation privée des biens publics
Il est clair qu'une une nouvelle conception de la dépense sociale s’est mise en place au Venezuela, que cela a induit une augmentation considérable du niveau de vie des citoyens, mais les rapports quotidiens entre le citoyen et l’administration publique se sont-ils modifiés pour autant ?
Quelle est l’ampleur, ne serait-ce qu’approximative de la corruption? Existe-t-il des données officielles? Il est certain que du temps de la droite, cette conduite  avait les coudées franches, mais cela ne peut être une référence pour nous.
 
Le problème c’est qu’avec la corruption, on est en plein paradoxe : pendant que l’État socialise des entreprises stratégiques, un réseau important d’individus s’empare du patrimoine public. Ce qui se donne d’une main, se reprend de l’autre. Ceci implique un mode de fonctionnement bourgeois dans l’État : ces mêmes fonctionnaires «  bolivariens » n’hésiteront pas à se vendre au plus offrant en temps de crise. Ils deviendront eux-mêmes la preuve irréfutable de l’inefficacité de l’État et le meilleur argument pour privatiser. Peu leur importera : les goûts pour la consommation n’ont pas d’idéologie, sauf celle de l’argent.
 
Ce qui est dangereux, c’est que la corruption  partage une zone grise avec la délinquance. Et là on s’aventure sur un terrain encore plus délicat.
L’insécurité : appropriation ou atteinte presque toujours violentes de biens juridiques à des fins lucratives ou de jouissance individuelle
Par bien juridique, on entend un élément essentiel à la vie sociale et individuelle protégé par le jus puniendi (droit pénal).Ce sont la vie et l’intégrité physique, la liberté, l’immunité et la liberté sexuelle, l’intimité, la propriété, l’honneur, etc…
 
Comment peut-on comprendre que des avancées si indiscutables dans la réduction de la pauvreté et l’augmentation du niveau de vie n’aient pu empêcher l’augmentation de la délinquance au Venezuela?
Les chiffres sont accablants. On a compté 7960 homicides en 2OO1, 13.080 en 2010 et 19.336 en 2011. «  En faisant le calcul exclusivement à partir des données incomplètes du registre officiel, on a un taux de 60 victimes pour 100.000 habitants. Il convient de rappeler que selon les noirmes des organismes des Nations Unies, à partir d’un taux supérieur à 10 homicides pour 100.000 habitants, on parle d’épidémie, par conséquent nous pouvons conclure que le Venezuela connaît une épidémie très grave d’homicides »[ii].
 
Sans parler des vols, larcins, extorsions, délits contre la liberté sexuelle, etc…Mais où sont les corps et forces de sécurité de l’Etat ? Nous nous souvenons tous des agents de la Police Métropolitaine de Caracas couverts par des véhicules anti-émeutes tirant sur le peuple lors du coup d’État de 2002 et appuyant les putschistes.
 
Au milieu des délinquants, des policiers corrompus, en plus de  la connivence de plus d’un fonctionnaire vénal, pour la plus grande joie et avec le bénédiction de la bourgeoisie, le peuple vénézuélien voit son projet de vie s’évaporer entre le guichet d’une administration et les rues de sa ville.
"Si tu voles, tu ne gouvernes pas : pas une once de corruption aux postes de commande. Signé : Diorection générale du peuple" - Affiche des Indignés d'Espagne, Madrid, avril 2013
Le temps de l'ordre révolutionnaire est venu
Si l’on compare le programme de Chávez à celui de Capriles, la différence est stupéfiante. Le premier est organisé, cohérent : une proposition de nation, un plan complet de développement alternatif. En revanche, celui de Capriles, une série de concepts et de phrases creuses qui promettent des objectifs qui ont déjà été atteints au cours du processus bolivarien, mais avec une vertu : quand il s’agit de parler de sécurité, le message en est simple et efficace - « Nous nous engageons avec toi. Nous prenons l’engagement que toi et les tiens vous vous sentirez tranquilles et en sécurité. Sans peurs, sans craintes, sans angoisses. Tolérance Zéro pour la violence, le crime et l’impunité ». (p. 22)
 
Beaucoup de Vénézuéliens honorables en ont assez de la délinquance et de la corruption. Ils réclament une main de fer : Quel que soit la couleur idéologique de l’Etat au pouvoir. La bourgeoisie criera au loup, car aujourd’hui ils arrêtent les gosses dans la rue, demain ils iront les chercher, eux qui sont une classe sociale qui aime être en marge de la loi.
 
Les résultats électoraux sont le reflet de cette situation et il y a de quoi s’inquiéter. Lors des élections présidentielles de 2006, les votes anti-Chávez ont totalisé 4.321.072 et ceux pour Chávez 7.309.080. En 2012, 8.135.192 ont voté pour Chávez et 6.498.776 pour Capriles.[iii]
 
Les Bolivariens ont progressé de 800.000 voix mais la droite  a augmenté de plus de deux millions. Il faut mener une réflexion en profondeur. Il est temps que le pouvoir populaire se montre dans les bureaux et dans les quartiers. Il faut en finir avec ce pouvoir parallèle composé par la bourgeoisie, les délinquants et les corrompus, ou alors ce sont eux qui vont en finir avec ce qui reste de révolution, et leur main ne tremblera pas au moment de défendre « leurs penchants pour la consommation ».
 
Un État de droite présidé par Álvaro Uribe, allié aux secteurs du narcotrafic, porté aux nues par l’oligarchie, avec l’assentiment des USA et par le biais du terrorisme d’Etat a fait miroiter l’illusion de la sécurité aux yeux des colombiens : pendant un certain temps, on n’attaquait pas les gens dans les villes et ils n’étaient pas séquestrés sur les routes quand ils allaient se promener. Cela a duré le temps que les inégalités sociales aberrantes  l’ont rendu possible, mais cela lui a suffi, entre autres, pour gouverner pendant huit ans (2002-2010). Il y encore des gens du peuple qui en ont la nostalgie...
 
Simón Bolívar a donné l’exemple: « Décret du 18 mars 1824 faisant état des récompenses aux dénonciateurs de contrebande. Art 3. Tout employé des Douanes, des contributions, de la Capitainerie des ports ou secteur des finances publiques qui participerait à des fraudes commises à son encontre, qu’il intervienne comme acteur principal, ou qu’il ait connaissance de la fraude et ne la dénonce pas, se verra soumis à la peine capitale qui sera appliquée de façon irrévocable. » [iv]
 
La décision est entre les mains du peuple vénézuélien, mais plus particulièrement de ses dirigeants, de ses organisations politiques et sociales, de ses institutions. Ou bien, ils livrent la douloureuse bataille maintenant que les conditions sont favorables, ou ils remettent à plus tard la décision, sous des prétextes éclectiques venant probablement de ceux qui touchent des profits conséquents : ils prendront le risque dans l’avenir d’une terrible confrontation, allez savoir dans quelles conditions.
 
Notes
[i]  Guerra, François-Xavier, Modernité et Indépendances. Essais sur les révolutions hispaniques. Éditions Fondo de Cultura Económica et Mapfre. México, 1992. pg. 12
 

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