lundi 24 août 2009

Le Paraguay oublié

par Guillermo F. PARODI, Asunción, 22/8/2009. Traduit parEstban G., édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original : El Paraguay olvidado


C’est avec l’expérience de plus de 20 ans de psychanalyse, que j’ose m’avancer sur un sujet difficile et controversé : Que ce passe t-il au Paraguay ?

Il y a en réalité une évidence inéluctable. Lugo n'est pas le pur et blanc « Évêque des pauvres ». Lugo survit en souriant parce qu'il fait une dissociation schizophrène. Un ami jésuite qui le connaît depuis longtemps, nous avait dit : « Écoutez les gars : Lugo a fait la prouesse de virer le Parti colorado qui était au pouvoir depuis 60 ans, ça a été une bonne chose, mais de ce que je sais, ne vous faites plus d'illusions sur lui. »


Doté d’une forte constitution, haut de 1.90 m et avec des dents qui peuvent casser une pierre d'une seule morsure, Lugo est tel qu’il a toujours été, indécis, et sans courage pour les grands changements.


Quand on le voit avec les membres de l’ALBA on pourrait dire que, c’est un révolutionnaire, mais quand il retourne dans son pays et qu’il doit abolir une loi qui protège les citoyens contre les pesticides, qui ont déjà tué et continuent à tuer des villages entiers, il n’hésite pas et abolit la loi. Comme il semble difficile d’affronter les puissants membres de la Sociedad Rural [Société Rurale], alors le tractorazo [manifestation à bord de tracteurs, forme de protestation habituelle des paysans en Argentine et au Paraguay, NdE) a été annulé.


Le Paraguay est un des rares pays du monde qui ne prelève pas d’impôts sur les revenus personnels. Il y a des personnes qui gagnent environ 100.000 dollars par mois et n'apportent rien au trésor public. La Chambre des députés avait mis le veto sur le projet de loi gouvernemental instaurant l'impôt sur le revenu. Bien entendu, les députés auraient été également obligés de le payer. Les entreprises payent des impôts, mais toutes celles que je connais ont une double comptabilité. Une pour elles-mêmes et une autre pour le fisc. S’il se produit un quelconque préjudice, il y a toujours la possibilité de renflouer (dessous de table). Le seul impôt que nous payons tous est la TVA, que les grands supermarchés déduisent de leurs achats mais que nous, simples citoyens, sommes obligés de payer en tant que consommateurs en fin de chaîne. Les économistes savent bien que c'est un impôt lamentable qui sanctionne les plus pauvres, qu’il est négatif ; que les impôts les plus avantageux, les plus justes, sont les impôts directs qui prennent en compte les revenus du contribuable, mais au Paraguay il n’est pas ainsi.


Face à ce manque de poigne, de courage révolutionnaire, le gouvernement n'a pas de ressources. La promulgation de la Réforme Agraire, qui pourrait être faite en quelques heures vu qu’on dispose de listes de terres usurpées - sur lesquelles il y a même un livre qui a déjà été publié -, a été reportée à… 2020 ! C'est-à-dire que les « sans terre » sont toujours sans terre. Les « sans-abri » chercher toujours un abri. Les indigènes se réfugient dans les places de la ville d'Asunción en attendant les terres promises. La violence urbaine augmente.


Le Paraguay, un pays sans problème ethnique ou religieux, ne manquant pas d’eau, ni d'énergie ni de terres fertiles, est le second pays le plus pauvre d’Amérique du sud, suivi par la Bolivie qui va bientôt le devancer. Que faire ?


La seule chose qui est menée à bien, est la renégociation du Traité d'Itaipú, initiée sur les conseils d'Eric Toussaint (qu’ils avaient engagé puis viré). Je clarifie qu'Eric Toussaint était venu au Paraguay sous une seule condition : billet en classe économique et logé chez un militant. Il n'a perçu aucun honoraire ! Un exemple magnifique pour les « militants » qui veulent le pouvoir et l’argent. Et la nouvelle négociation, poursuivie par des authentiques patriotes et militants, est allée de l’avant. Il me vient à l'esprit les noms d’Hugo Ruiz Díaz Balbuena et évidemment Ricardo Canese, mais je ne veux pas oublier deux autres patriotes dont je ne connais pas les noms ayant fait partie du groupe qui a dû affronter, rien moins que les experts d'Itamaratí [le ministère brésilien des Affaires étrangères, NdE]. La bataille n'est pas gagnée, mais les avancées réalisées ont été importantes et intelligentes.


Le reste fait couler des larmes de frustration.

Je me suis alors rappelé le discours d'un grand libertaire, Alexandre Soljenitsyne (1918-2008), à l'Université d’Harvard en 1978. Je transcris le texte, qui s’applique à la situation actuelle du Paraguay :

« Le déclin du courage


Le déclin du courage est peut-être le trait le plus saillant de l’Occident aujourd'hui pour un observateur extérieur. Le monde occidental a perdu son courage civique, à la fois dans son ensemble et singulièrement, dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque pays, et bien sûr, aux Nations Unies. Ce déclin du courage est particulièrement sensible dans la couche dirigeante et dans la couche intellectuelle dominante, d'où l'impression que le courage a déserté la société toute entière. Bien sûr, il y a encore beaucoup de courage individuel mais ce ne sont pas ces gens-là qui donnent sa direction à la vie de la société. Les fonctionnaires, politiques et intellectuels manifestent ce déclin, cette faiblesse, cette irrésolution dans leurs actes, leurs discours et plus encore, dans les considérations théoriques qu'ils fournissent complaisamment pour prouver que cette manière d'agir, qui fonde la politique d'un État sur la lâcheté et la servilité, est pragmatique, rationnelle et justifiée, à quelque hauteur intellectuelle et même morale qu'on se place (…).


Faut-il rappeler que le déclin du courage, depuis l'antiquité la plus éloignée, a toujours été considéré comme le signe avant-coureur de la fin ? »

Que manque t-il au Paraguay ? Avec mes 25 ans d’expérience de militant je peux affirmer avec conviction : la décence et l’audace. Le reste viendra en supplément.


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