par Raúl Zibechi, 24/1/2014. Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original: Brasil: Cuando las periferias se mueven
Deustch: Brasilien: subversives Reinbummeln aus den Slums in die Einkaufszentren
Deustch: Brasilien: subversives Reinbummeln aus den Slums in die Einkaufszentren
Des
groupes de jeunes de 15-20 ans se donnent des rendez-vous de masse dans
les centres commerciaux du Brésil, surtout à São Paulo, mais la
pratique est en train de se diffuser à travers tout le pays, pour se
promener, s'amuser et chanter/danser sur des rythmes de funk ostentação, un genre dérivé du funk carioca [de Rio de Janeiro, NdT]
qui exalte la consommation, les marques de luxe, l'argent et le
plaisir. Ces jeunes viennent des banlieues de São Paulo, ils sont
pauvres, donc, souvent, noirs.
Le 7 décembre 6 000 jeunes ont convergé au Shopping Metro Itaquera,
généralement fréquenté par des familles de banlieue. Le 14 plusieurs
centaines d'entre eux sont entrés en dansant et criant au Shopping
International de Guarulhos, et bien qu'il n'y ait eu ni dégâts ni vols
ni consommation de drogues, la police a réprimé et en a arrêté 23 sans
motifs.
Les rolezinhos (de dar um rolé, faire un tour) sont
réalisés depuis plusieurs années par des étudiants, des fans de
musiciens ou de célébrités sportives. Un des rolezinhos les plus
célèbres est celui réalisé depuis 2007 par des étudiants d'économie à
l'Université de São Paulo (USP) dans le Shopping Eldorado. Ils n'ont
jamais été réprimés, ni même perturbés par la sécurité, bien qu'ils
arrivent en masse sans prévenir. Ils crient agressivement et quand
certains montent sur les tables, les vigiles leur demandent poliment
de descendre (Folha de São Paulo, 21 janvier 2014).
Nuno Guimares/Reuters
En revanche, quand il s'agit de jeunes de
banlieues, les propriétaires de centres commerciaux procèdent à des
filtrages sous couvert de décisions judiciaires, les vendeurs ferment
leurs boutiques et les clients les insultent et les traitent comme des
criminels. Cela crée un climat favorable à la répression par la Police
militaire, l'une des plus meurtrières du monde.
La journaliste Eliane Brum demande : "Pourquoi la jeunesse noire de
la banlieue du Grand São Paulo est-elle criminalisée ? " (El País -
Brésil 23 décembre 2013). Dans l'imaginaire national, soutient-elle,
pour les jeunes pauvres, s'amuser hors des limites du ghetto et désirer
des objets de consommation est quelque chose de transgressif, parce que
"les centres commerciaux ont été construits pour les garder en dehors."
Pas seulement les shopping : toute la société les laisse en dehors.
Chaque fois que ceux d'en bas bougent, se montrent, que ce soit
seulement pour sortir de la périphérie en utilisant les codes mêmes de
la société capitaliste, ils sont discriminés et frappés, parce qu'ils
occupent des espaces qui ne sont pas les leurs. Dans ce cas, ils
commettent un crime majeur : leur défi ne consiste pas seulement à
arborer sur leurs corps bruns les mêmes objets que les riches, mais
aussi à vouloir occuper des espaces-temples sacrés pour les classes
moyennes et supérieures .
La Police militaire explique ce qu'est un "rolezinho" :
-C'est quoi cette interdiction à tout habitant de favela d'entrer dans le shopping ?
-Association de mafaiteurs !
-Carlos Latuff
-C'est quoi cette interdiction à tout habitant de favela d'entrer dans le shopping ?
-Association de mafaiteurs !
-Carlos Latuff
Lorsque les périphéries bougent,
elles dévoilent les relations de pouvoir qui dans la vie quotidienne
sont voilées par les inerties, les croyances, les influences
médiatiques, religieuses et idéologiques. La première chose qu'elles ont
donné à voir, c'est la texture du pouvoir : le rôle de l'appareil
répressif et de la justice comme serviteurs du capital, la manière dont
le racisme et le classisme sont entrelacés et sont des axes d'oppression
et d'exploitation, le rôle de la ville comme un espace de spéculation
immobilière, autrement dit l'extractivisme urbain.
La deuxième chose est
l'intransigeance des classes moyennes, en particulier le secteur de
nouveaux consommateurs qui sont sortis de la pauvreté au cours des
dernières années grâce à la croissance économique induite par les prix
élevés des matières premières et les politiques de protection sociale.
Il y a là un problème de génération : les jeunes qui font des rolezinhos
sont les enfants de ceux qui les traitent de voleurs et les matraquent.
Ils appartiennent au même secteur social, mais les uns sont
reconnaissants alors que les autres veulent plus.
La troisième question nous concerne nous-mêmes. J'ai consulté un ami militant du Movimento Passe Livre [mouvement pour la gratuité des transports, NdT],
qui a joué un rôle important dans les manifestations de juin dernier,
pour lui demander son opinion sur ce qui se passe. Il m'a répondu agacé
qu'ils sont fatigués d'être interprétés par d'autres, en particulier par
des gens qui n'ont aucun lien avec les luttes mais s'érigent en
analystes, établissant une relation de pouvoir coloniale, sujet-objet,
dans laquelle ceux d'en bas sont toujours ravalés au second rang.
En quelques jours on a vu et entendu une rafale d'analyses
prétendant expliquer ce que font les jeunes, et tombant généralement à
côté de la plaque. Les discours les plus nocifs viennent de personnes et
de groupes de gauche. Lors des manifestations de juin dernier, durant
la Coupe confédérale, ils avaient taxé les manifestations de
provocations pouvant favoriser la droite. Un calcul absurde mais
efficace pour isoler et démobiliser.
En ce qui concerne les rolezinhos, ces mêmes voix prétendent
que ce sont des « actions non engagées », «dépolitisées ", qu'en fin de
compte ces jeunes ne cherchent qu'à s'intégrer à travers la
consommation. Ici aussi joue un préjugé âgiste : l'ancienne génération
(à laquelle j'appartiens) a coutume de faire des sermons aux jeunes sur
ce qui est correct et ce qui ne l'est pas, avec le même air de
supériorité que prenaient les cadres de partis qui nous faisaient la
leçon dans les années 69 et 70.
Liberté de déplacement dans le Brésil esclavagiste (XVIè-XIXè siècle)
Liberté de déplacement dans le Brésil démocratique : "rolezinhos" au XXIè siècle
Mais ce qui semble plus grave, c'est la mythification des luttes
sociales. Les ouvriers de Saint- Pétersbourg qui ont mené la révolution
de 1905 et créé les premiers soviets n'étaient pas politisés par les
discours et les écrits de Lénine et de Trotski, mais par des balles du
tsar quand ils ont défilé vers le Palais d'Hiver pour remettre une liste
de revendications, sous la direction du prêtre Gapone, qui travaillait
pour la police secrète. C'est le Dimanche sanglant qui a politisé les
travailleurs russes. Quelque chose de similaire s'est produit suite à la
marche des femmes vers Versailles en octobre 1789, qui a marqué la fin
de la monarchie.Liberté de déplacement dans le Brésil démocratique : "rolezinhos" au XXIè siècle
Il règne une profonde confusion sur le rôle des idéologies et des dirigeants dans les révolutions et les processus de changement. La spontanéité pure, qui selon Gramsci n'existe pas, ne mène pas très loin, et souvent à de sanglantes défaites. Mais la "direction consciente" et externe ne garantit pas de bons résultats. Nous pouvons essayer d'apprendre ensemble, surtout quand les banlieues se mettent en mouvement et remettent en question nos vieux savoirs.
Les
proprpriétaires de centres commerciaux veulent que Geraldo Alckmin, le
gouverneur de São Paulo, contienne les"rolezinhos": -Voilà mon projet d'espace de loisirs pour les jeunes pauvres de banlieue
Carlos Latuff
Carlos Latuff
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire