par Rym Ben Fradj & Fausto Giudice,
spécial pour La Pluma, 30/12/2013
Pour
celles et ceux d'entre nous qui (sur)vivent à l'extrémité nord-est du
continent africain, un premier constat global s'impose : le coût de la
vie n'a cessé d'augmenter et le prix de la vie de baisser, tandis que le
seul produit dont la consommation a explosé, c'est …la bière nationale
(dont les islamistes au pouvoir, loin de l'interdire, ne font
qu'augmenter les taxes pour financer le budget du…ministère des
…Affaires religieuses…). En tout cas, nous sommes toujours en vie, grâce
à…(cocher la bonne mention). Revue de détail.
Commençons
par la fin de l'année. En cette fin d'année, une seule bonne nouvelle :
les employés des impôts, qui mènent depuis des mois des grèves perlées
de 2 heures par jour, cesseront entièrement le travail les 30 et 31
décembre, ce qui laisse un répit aux mauvais payeurs (ce qui, ici, est
un pléonasme) jusqu'au jeudi 2 janvier.
En
novembre, une délégation du FMI est venue nous voir (enfin, pas nous
personnellement) et a déclaré : "Au vu de la situation, on ne va pas
pouvoir vous accorder la deuxième tranche du crédit de 1,7 milliard de
dollars". Extrait du communiqué n° 13/482 : "Des chocs exogènes et
endogènes importants ont posé de sérieux défis à l’économie tunisienne.
La longue gestation du processus de transition politique ainsi que des
incidents sécuritaires ont eu un impact négatif sur la confiance dans
l’économie tunisienne, se traduisant par un ralentissement de la
croissance, un retard dans la mise en place des réformes et un
prolongement de l’attentisme des investisseurs". Les prévisions de
croissance des Washington Boys pour 2014 : 2,7% contre 4% initialement
prévus. La situation qui effraye même les tontons de la Banque mondiale
et du FMI peut se résumer en un mot : blocage. Bref, le pays pédale dans
la semoule
L'Assemblée
nationale constituante issue des élections du 23 octobre 2011 aurait du
adopter la nouvelle Constitution dans les 12 mois de sa brève
existence, après quoi on aurait eu droit à des élections générales,
législatives et présidentielle, prévues pour l'automne 2012. Plus d'un
an plus tard, mathamma chei, ou comme disent les Algériens, oualou. Du vent, du vent, du vent : pas de Constitution, pas d'élections. Au lieu de cela, un "dialogue national" made in China
(expression tunisienne pour désigner quelque chose qui ne fonctionne
pas, comme les portables, les chargeurs, les cartes-mémoire, les jouets,
bref toute la camelote qui arrive par containers entiers au port de
Radès).
Ce "dialogue
national" avait été lancé suite aux protestations déclenchées par
l'assassinat, en juillet dernier, du nationaliste nassérien Mohamed
Brahmi, un des responsables du Front populaire, qui regroupe une
douzaine de groupuscules de gauche et d'extrême-gauche. Auparavant, en
février, Chokri Belaïd, autre responsable du Front populaire, avait
inauguré la série des cadavres exquis. Les protestations suite à ces
deux assassinats ont été rapidement récupérées par les vieux loups et
renards bourguibistes du parti qui se présente comme la seule
alternative aux islamistes, Nidaa Tounes (L'Appel de Tunisie).
Ce parti, véritable auberge tunisienne, est un ramassis hétérogène de
vieux caciques destouriens, d'ex-rcdistes (le RCD était le parti de Ben
Ali), d'ex-communistes et de transfuges de divers autres partis, le tout
sous l'étendard de la laïcité. Il est parvenu à prendre la direction
des opérations lors des protestations qui se sont exprimées par un sit in
devant le siège de l'Assemblée au Bardo, créant un Front de Salut
National, auquel le Front populaire s'est intégré, une fois débarrassé
du seul opposant à cette alliance, Chokri Belaïd. Ce qui n'est pas sans
poser des problèmes aux militants d'extrême-gauche, dont une bonne
partie ne sont pas prêts à vendre leur âme en échange d'un hypothétique
fauteuil de ministre pour le chef suprême du Front populaire, Hamma
Hammami, un marxiste-léniniste de tendance…pro-albanaise.
Et voilà donc cette opposition hétéroclite embarquée dans une campagne
exigeant la démission d'un gouvernement dont on se demande d'ailleurs ce
qu'il gouverne, à part les comptes en banque de ses ministres, et la
démission de l'Assemblée, ce qui relève de la plus pure utopie. Tout
Tunisien interrogé dans la rue vous dira que la seule chose qui
intéresse les députés de cette assemblée transitoire, ce sont leurs 4
500 Dinars (= 2000 €) par mois et les diverses gratifications que leur
poste leur rapporte. Quant aux ministres, ils s'accrochent à leurs
fauteuils comme le naufragé à sa bouée, et font le forcing pour placer
leurs proches. Bref, pour le dire avec les mots de la rue tunisienne, un
"gouvernement d'ânes", incapable de diriger une administration laissée
en roue libre – slogan : "Revenez demain ou bien payez". Parmi les
nombreux exemples anecdotiques de cette ânerie : un secrétaire d'État a
souhaité un bon réveillon de Nouvel An (chrétien) à…la "minorité juive
en Tunisie"….
"Nahna
najamou zitoun, ou entouma tbaatou fi sheratoun" ("Nous on ramasse les
olives, vous, vous passez la nuit au Sheraton") : ce fut le slogan lancé
par des diplômés chômeurs en réponse à la proposition du ministre du
Travail et de l'Emploi qui avait déclaré que ce n'était pas sa tâche de
procurer du travail aux chômeurs et avait proposé aux diplômés dans
cette situation d'aller ramasser des olives. Pendant ce temps, le
ministre barbu des Affaires étrangères, nommé Bouchlaka ("=le père la
savate), beau-fils de l'Émir –Rachid Ghannouchi, guide suprême des
islamistes au pouvoir –détenteur d'un doctorat inexistant, et l'un des
rares Tunisiens à ne parler qu'une seule langue, avait été au centre
d'un scandale à la DSK, une nuit passée à l'hôtel Sheraton faisant face
au ministère, aux frais de ce même ministère, avec une dame de sa
connaissance, bien sûr voilée.
Les alliés "laïcs" des islamistes au sein de la "troîka" au pouvoir ne
sont pas en reste. Madame Badi, ministre de la Femme, interpellée sur sa
consommation rétribuée de 1000 litres d'essence par mois, a répondu
:"Ceux qui ne sont pas contents n'ont qu'à aller boire l'eau de la
mer".
Face au
blocage institutionnel, les grandes maisons (syndicat des patrons,
syndicat des salariés, Ligue des droits de l'homme) ont amené
gouvernement et opposition à instaurer un dialogue national, qui, en
cette fin d'année n'a toujours pas abouti. Les Tunisiens auront-ils
l'honneur de retourner aux urnes en 2014 ? Même si c'est le cas,
beaucoup d'entre eux, durablement dégoûtés par les élections de 2011, ne
se dérangeront même pas pour aller voter.
Frappés
en 2013 par des évènements sinistres* dignes de l'ancienne dictature,
les Tunisiens, frustrés de leur révolution inaboutie de 2011 –deux
Tunisiens sur trois souffrent de dépression -, rongent leur frein et
risquent, en 2014 d'étonner une nouvelle fois le monde.
* Violences policières de masse, morts sous la torture (dont un "par
overdose de haschich", ça ne s'invente pas), viols policiers,
arrestations arbitraires d'artistes et de militants, actes de terrorisme
manipulé. Rien qu'en septembre 2013, on a enregistré 37 agressions
contre 53 journalistes. Lire Rapport sur les violations commises sur la presse en Tunisie au cours du mois de septembre 2013.
Images de ZED, artiste tunisien
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