mercredi 17 juin 2015

Le problème avec le mouvement BDS

17/6/2015
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
Le spectre du BDS hante Israël. Le ministre des Affaires stratégiques Gilad Erdan a été désigné pour coordonner les efforts contre le boycott d'Israël, et le quotidien populaire Yedioth Aharonoth a lancé une vaste campagne contre celui-ci.
Le Premier ministre répète ad nauseam qu'Israël est "prêt à négocier sans conditions préalables" et réitère son attachement au principe de deux États. Des organisations juives à travers le monde s'engagent dans la bataille et organisent des visites de journalistes distingués en Israël de pour les persuader que le boycott d'Israël est une erreur. Même Sheldon Adelson, le magnat US républicain, s'est joint au magnat démocrate Haim Saban pour conjurer ce que l'on commence à voir comme une menace stratégique pour Israël.
La menace est tellement énorme que même l'opposition a oublié son rôle. Le leader de l'opposition Isaac Herzog et sa partenaire, Tzipi Livni, se sont embarqués dans une opération de «hasbara» («explication» : la propagande) contre le boycott et le chef de file de Yesh Atid, Yair Lapid, arborant une kippa, est en tournée aux USA pour  "exposer le vrai visage " du mouvement BDS. Mais tout cela est en vain: l'UE continue le processus d'adoption d'une loi qui va contraindre Israël à étiqueter les marchandises produites dans les territoires occupés.
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Les différences entre la position de l'UE et celle des organisations impliquées dans le mouvement BDS sont fondamentales. L'Europe reconnaît la légitimité d'Israël et est attachée à sa sécurité, alors que la campagne BDS est basée sur une perception d'Israël comme un État d'apartheid, et est calquée sur la lutte contre le régime raciste d'Afrique du Sud dans les années 70 et 80. L'UE recourt à un boycott économique et culturel ciblé sur les colonies, comme un moyen de pression sur Israël pour qu'il progresse dans les négociations avec les Palestiniens. Le mouvement BDS, pour sa part, appelle à boycotter toutes les institutions israéliennes, sans faire de distinction entre ceux du "camp de la paix» et ceux de la droite - entre ceux qui appellent à la fin de l'occupation, afin de maintenir un État juif et démocratique, et ceux qui jurent qu'un État palestinien ne verra jamais le jour. Le mouvement BDS, qui a gagné du terrain il y a une dizaine d'années, a adopté trois objectifs qui rendent son objectif politique flou (selon certains disent, intentionnellement): une fin de l'occupation, la pleine égalité pour les citoyens arabes d'Israël, et le retour de tous les réfugiés palestiniens qui ont quitté ou ont été forcés d'abandonner le territoire du nouvel État après 1948. L'appel au boycott des institutions universitaires et des intellectuels israéliens (dont beaucoup sont ouvertement contre l'occupation) soulève une question légitime sur les objectifs du mouvement BDS. Pour cette raison, bien que le mouvement BDS soit plus bruyant, la politique plus ciblée de l'Union européenne est peut-être plus efficace.

Le mouvement BDS pris de l'ampleur parce que l'opinion mondiale s'est retournée contre l'occupation et la droite israélienne. Alors que les dirigeants du monde occidental, du président US  Barack Obama à ceux de l'Europe, mettent en garde Israël encore et encore - s'il ne restitue  pas les territoires occupés, il deviendra un État d'apartheid -, ceux qui soutiennent le mouvement BDS soutiennent que l'apartheid est déjà là, et attirent l'attention sur l'affirmation de Netanyahu qu'un État palestinien ne sera pas établi tant qu'il sera au pouvoir.

Mais en dépit de ces différences fondamentales entre la position du mouvement BDS et celle de l'UE, toutes deux partagent le même talon d'Achille: l'Autorité palestinienne (AP) et son chef, le président Mahmoud Abbas (Abou Mazen). Alors que l'UE boycotte les produits israéliens fabriqués dans les territoires, l'Autorité palestinienne continue à avoir des relations économiques complètes avec Israël. L'AP est tributaire de l'électricité israélienne, de la monnaie israélienne (le shekel), et du transfert de droits de douane qu'Israël perçoit en son nom. Et pour couronner le tout, nous devons nous rappeler la coopération sécuritaire avec Israël, qu' Abou Mazen considère presque comme sacrés.

Les constructions par Israël dans les territoires violent certainement le droit international, mais sont en harmonie avec les accords d'Oslo, qui ont laissé de côté le statut des colonies. En outre, l'OLP a accepté la division des territoires en trois parties, chacune avec un statut différent: la zone C, y compris les colonies, devait rester sous souveraineté israélienne, au moins temporairement, et seules les zones avec une population palestinienne devaient être sous la souveraineté (très partielle) de l'AP (zones A et B).
Ainsi, une situation absurde s'est créée : l'UE boycotte les produits israéliens provenant des colonies et subventionne simultanément l'Autorité palestinienne, qui continue à coopérer pleinement avec Israël sur les questions de sécurité en dépit des constructions dans les colonies et de l'affirmation de Netanyahu qu'aucun État palestinien ne sera établi sous son mandat. On boycotte d'une main, tandis que de l'autre, on soutient indirectement l'occupation et la poursuite de la colonisation.
La campagne BDS choisit d'ignorer la coopération israélo-palestinienne, préférant braquer les projecteurs sur Israël seul. C'est une politique d'autruche. Même si nous sommes d'accord pour dire qu'Israël est pas l'Afrique du Sud, car aucune loi raciale n'a encore été instaurée, la situation de fait en Israël est grave. La population arabe est victime de discrimination et d'exclusion, tant et si bien que ses membres ne sont pas considérés comme des citoyens légitimes, comme nous l'avons vu lors des dernières élections lorsque Netanyahou a averti que les Arabes allaient aux urnes "en masse". À côté de l'Israël démocratique, il y a un régime d'occupation qui vient d'entrer dans sa 48ème année. La similarité entre Israël et l'Afrique du Sud de l'apartheid ne peut pas être rejetée, même on ne peut pas étiqueter Israël comme "État d'apartheid" de jure. Mais l'Autorité palestinienne est loin de l'African National Congress (ANC) et Abou Mazen est l'opposé complet du dirigeant légendaire de l'ANC, Nelson Mandela. Ceux qui boycottaient l'Afrique du Sud avaient un programme politique clair qui unissait les Blancs et Noirs, exprimé dans l'appel à "un homme, une voix". L'ANC a gagné un consensus international et il a remporté la victoire pour cette raison.
La situation des Palestiniens est complètement différente. Les Palestiniens sont divisés en deux camps principaux, le Hamas et le Fatah. Le Fatah et Israël coopèrent contre le Hamas, alors que le Hamas est très différent de tout ce que pouvait représenter l'ANC. La position officielle du Hamas ne reconnaît pas la démocratie, ne milite pas pour l'égalité de tous les citoyens sans distinction de race, de sexe ou de religion, et il est fondamentalement un mouvement religieux et raciste. Dans cette situation, le mouvement BDS, agissant sans une alternative politique viable, devient un combat aveugle et stérile, plus motivé par la haine pour Israël que par des efforts constructifs en vue d'une solution. Les organisations engagées dans le BDS savent ce qu'elles veulent détruire, mais n'ont aucune idée de ce qu'elles veulent créer.
Il semble que le mouvement BDS agisse sans consulter le peuple palestinien, sans la participation active de celui-ci. Pour que le boycott soit efficace, il a besoin d'être soutenu par une direction palestinienne qui, contrairement à l'Autorité palestinienne, refuse de coopérer avec l'occupation, et en même temps rejette le programme religieux et séparatiste du Hamas. Le schisme au sein de la société palestinienne fait le jeu d'Israël. Tant que l'UE continuera à financer l'Autorité palestinienne, et indirectement l'occupation, avec une opposition palestinienne limitée à l'occupation, l'effet du mouvement BDS restera déconnecté de la réalité politique complexe sur le terrain.
Néanmoins, le fait que l'efficacité du mouvement BDS soit limitée dans les conditions actuelles ne rend pas l'occupation légitime, ni ne rend Israël plus populaire dans l'opinion mondiale. Israël a épuisé sa crédibilité. Les images en provenance des territoires tous les jours, en particulier les terribles photos de Gaza, ont amené le monde à commencer à exécrer Israël. Tous les deux ou trois ans, le monde voit une nouvelle vague  de civils tués, dont des enfants innocents, une nouvelle vague de maisons détruites et de réfugiés en fuite, tandis qu'Israël n'a pas l'intention de mettre fin à l'occupation. La droite et de gauche en Israël ont trouvé sur qui rejeter la faute : Abou Mazen et le Hamas. Elles sont certaines qu'Israël n'y est pour rien, et si l'occupation dure depuis presque 50 ans, c'est à cause des Palestiniens. Et chaque fois que le peuple palestinien se lève contre cette injustice permanente, il est sévèrement puni, et la foi du monde en Israël est encore amoindrie.
La droite et une grande partie de la gauche israéliennes estiment que les Palestiniens se sont habitués à l'occupation, qu'ils continueront à se contenter des miettes que l'Europe leur jette, et qu'ils acceptent leur statut de résidents sans droits. Mais cela est une illusion. Tout comme des millions de jeunes Arabes se sont soulevés en 2011 pour proclamer qu'ils n'acceptaient pas le sort prévu pour eux par les régimes dictatoriaux, de même les Palestiniens se soulèveront pour rejeter le sort amer qu'Israël prévoit pour eux. Indépendamment du boycott européen ou du mouvement BDS, un jour viendra où ils réussiront à mettre en place une direction alternative pour unir le peuple derrière un programme démocratique de justice sociale. Lorsque cela se produira, l'isolement d'Israël deviendra indubitable et l'appel à son boycott sera une menace réelle et efficace.
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