mardi 24 février 2009

Gwadloup: vers un remake de 1967 en 2009 ?

La mort plus que suspecte du syndicaliste Jacques Bino, abattu de nuit par une "balle perdue" le 17 février, a immédiatement rappelé aux Guadeloupéens en lutte depuis un mois et demi les tragiques événements de mai 1967. Petit retour sur cette histoire occultée en "métropole".
Pointe-à-Pitre, 26 mai 1967. Depuis le début du mois, des ouvriers, principalement du bâtiment, sont en grève. Les travailleurs demandent 2,5% d’augmentation de salaire mais les négociations menées par le syndicat CGTG piétinent puis sont rompues. Devant la chambre de commerce de la ville, manifestants et policiers se font face. De violents heurts éclatent entre les forces de l’ordre et les protestaires.

Les Guadeloupéens, émus par la violence de l’Etat, descendent dans la rue pour crier leur colère. Aux revendications syndicales se mêlent les revendications des indépendantistes . Ces dernières finiront par devenir inaudibles au milieu des années 90 après avoir connu un regain de vitalité dans les années 80 avec les émeutes de cette période liées, entre autres, à l’affaire Georges Faisans dont la grève de la faim dura 56 jours. En cette journée du 26 mai 1967, la police tire sur la foule. Un homme est tué. Il s’agit de Jacques Nestor, militant du GONG (groupement d’organisations nationalistes de la Guadeloupe).
Pendant trois jours les manifestations se succèdent malgré la répression. Selon les sources entre 7 et 87 personnes sont tuées par les balles des forces de l’ordre. La Guadeloupe n’est plus une colonie mais un département français depuis une vingtaine d’années et la guerre d’Algérie n’est pas loin ; les méthodes de la police s’en ressentent. Concernant le nombre de morts, la polémique continue d’alimenter les blogs et les forums. Pour se faire une idée de l’ampleur de la tuerie, on peut regarder le documentaire,
Sonjé…Mé 67 . Sinon, pour en savoir plus sur ce sombre épisode de l’histoire méconnue (en France hexagonale, du moins) de la Guadeloupe, on peut cliquer ici , ou encore ici.
Sonjé Mé 67 est une série documentaire de 10 épisodes d’une durée de 6 minutes chacun sur un pan de l’histoire contemporaine de la Guadeloupe. Mai 67, pan important de notre histoire récente, est une blessure encore sanguinolente. Les acteurs et les témoins essentiels de ce qui fut un « massacre » sont encore vivants.Ils portent inscrites à jamais dans leur chair, dans leur mémoire les traces brûlantes et indélébiles de ce mai atroce.Certains ont parfois dit, d’autres pas…
Pour voir la série, cliquer
ici


La Guadeloupe n’a pas oublié les événements de mai 67
par
Jean-Moïse Braitberg, Bakchich, 17 février 2009
La crise qui secoue les Antilles ravive des plaies toujours pas cicatrisées. En mai 1967, 80 à 200 manifestants furent tués par la police française dans les rues de Pointe-à-Pitre. Souvenirs, souvenirs.
De 80 à 200 morts dans les rues de Pointe-à-Pitre. La Guadeloupe n’a pas oublié les événements de mai 67. L’une des revendications actuelles des grévistes de Guadeloupe est de demander une commission d’enquête indépendante sur les événements des 26 et 27 mai 1967 au cours desquels, en plein pouvoir gaulliste, de 80 à 200 manifestants furent tués par la police française dans les rues de Pointe-à-Pître. « Les gens ont encore peur quarante ans après. Ils voudraient être sûr qu’ils ne risquent rien à témoigner » explique le Dr Michel Numa, 76 ans, ancien militant indépendantiste qui était en prison à Paris au moment du massacre.
Tout avait débuté deux mois plus tôt. Le 20 mars 1967, à Basse-Terre, préfecture de l’île, un riche marchand « blanc pays », lance son chien sur un artisan noir. Révolté par cet acte digne de l’apartheid, le peuple de Basse-Terre laisse libre cour à la colère accumulée depuis longtemps. Durant trois jours, les 20, 21 et 22 mars 1967, Basse-Terre est en émeute. Dans un appel au calme, le préfet déclare comprendre la colère populaire et jure que cet acte raciste sera puni. Mais contrairement aux promesses, les émeutiers seront condamnés à de fortes peines de prison. Fin du 1er acte.
« Quand les nègres auront faim, ils reprendront leur travail »
Deux mois plus tard, à Pointe à Pitre, le 26 mai 1967, jour de commémoration de l’abolition de l’esclavage, 5000 ouvriers du bâtiment sont en grève pour une augmentation de salaire de 2%. Le délégué patronal, un certain Brizard aurait lancé aux grévistes : « Quand les nègres auront faim, ils reprendront leur travail ». Une manifestation s’organise. Face aux CRS rassemblés devant la chambre de commerce, les manifestants lancent des pierres et des bouteilles. La police tire immédiatement tuant Jacques Nestor, Militant du Groupe d’Organisation Nationale de la Guadeloupe (GONG). Selon Michel Numa, les ordres du préfet Bolotte, captés sur la fréquence de la préfecture disent aux officiers CRS : « Faites usage de toutes vos armes ».
Les deux jeunes ouvriers Taret et Tidas sont tués ainsi qu’un promeneur. La population et notamment les jeunes du lycée Baimbridge, révoltée, afflue le lendemain vers le centre de Pointe-à-Pitre. Des véhicules sont brûlés, les boutiques de la rue Frébault, principale rue commerçante de Pointe-à-pitre, sont incendiées et pillées. Plusieurs policiers sont blessés à coup de pierres et de sabre. Le bruit court qu’une armurerie a été dévalisée. Le préfet désarme les policiers noirs et fait appel à des gendarmes mobiles de Martinique et de France. Sous la direction du commissaire de police Canales et du capitaine CRS Rupin, policiers et « képis rouges » se livrent à la « chasse au nègre ». Arrêtés au hasard, des personnes sont exécutées dans les locaux de la gendarmerie de Morne Niquel. Des dizaines de personnes sont blessées, dont certaines mutilées à vie comme Solange Coudrieux. « On enjambait les cadavres dans la sous-préfecture », assure un témoin qui craint encore de donner son nom.
Le bilan de ces deux journées de répression n’est toujours pas connu car de nombreuses familles ont inhumé secrètement leurs défunts et caché leurs blessés de peur des représailles. La presse de métropole a parlé de « sept morts et certainement plus ». Le nombre exact s’approcherait vraisemblablement de 85 victimes. C’est le chiffre reconnu voici une vingtaine d’années par l’ancien ministre socialiste des DOM-TOM Georges Lemoine. Chez les Guadeloupéens on parle de 200 morts.
Vers une commission d’enquête ?
Le gouvernement français profita des événements pour liquider le mouvement nationaliste guadeloupéen incarné alors par le G.O.N.G. et l’Association générale des Etudiants guadeloupéens (A.G.E.G). De nombreux militants furent arrêtés. Certains, pris en flagrant délit, furent condamnés à de lourdes peines de prison ferme. Vingt-cinq autres, accusés d’avoir participé aux manifestations, furent incarcérés à Basse-Terre et seront jugés en avril 68. Enfin, Vingt-cinq militants Guadeloupéens, dont Michel Numa furent enfermés à la prison de la Santé, accusés d’atteinte à l’intégrité du territoire.
Pour les Guadeloupéens, le travail de mémoire n’a pas été fait. Chaque année, les 26 et 27 mai, les militants qui se souviennent se rendent à la préfecture pour demander la création d’une commission d’enquête, pendant que les élus guadeloupéens observent un silence remarqué. Il est vrai qu’à l’époque, ils avaient signé un texte rendant les manifestants responsables du massacre.
Il a fallu trente ans pour que l’on reconnaisse le massacre des Algériens jetés à la Seine par la police de Maurice Papon le 17 octobre 1961. Le préfet Bolotte, comme par un fait du sort, est mort le 27 mai 2008. Combien de temps faudra-t-il encore pour que justice soit rendue, même symboliquement aux victimes noires des événements de mai 67 ?

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