L’escadre de l’Otan dépêchée en renfort de l’Égypte pour lutter contre le trafic des armes au large de Gaza, de même que l’activisme diplomatique tardif déployé par le Caire avec l’hébergement des pourparlers inter-palestiniens et la conférence des pays donateurs pour la reconstruction de l’enclave palestinienne détruite par Israël, ne modifieront en rien la cruauté du constat: Misr Oum ad Dounia, l’Égypte, Mère du Monde, l’Égypte, dont l’histoire s’est longtemps confondue avec l’épopée, n’est plus que l’ombre d’elle-même, un pays qui a intériorisé sa défaite, voué au rôle peu glorieux de sous-traitant de la diplomatie américaine sur le plan régional, de factotum des impératifs de sécurité d’Israël, le ventre mou du monde arabe, son grand corps malade.
Placé au centre géographique du monde arabe, à l’articulation de sa rive asiatique et de sa rive africaine, abritant la plus forte concentration industrielle dans une zone allant du sud de la Méditerranée aux confins de l’Inde, contrôlant de surcroît, de manière exclusive, les deux principaux axes de communication du monde arabe, le Nil vers le continent africain, le Canal de Suez vers le Golfe pétrolier, l’Égypte a longtemps été le fer de lance du combat nationaliste arabe. Plaque tournante de la diplomatie arabe, elle a assumé sans relâche le rôle du grand frère protecteur, le régulateur de ses turbulences, le parrain de ses arrangements, comme ce fut le cas de l’accord libano-palestinien du Caire, le 3 Novembre 1969, qui mit fin à la première guerre civile libano-palestinienne, ou de l’accord jordano-palestinien, le 27 septembre 1970, dans la foulée du Septembre Noir jordanien.
Mais l’artisan de la première nationalisation victorieuse du Tiers-monde, la nationalisation du Canal de Suez, en 1956, qui sonna le glas de la présence coloniale franco-britannique en terre arabe, la base arrière des principaux mouvements de libération du monde arabe, de l’Algérie au Yémen du Sud, le destructeur de la ligne Bar Lev, en 1973, qui exorcisa le complexe d’infériorité militaire arabe vis à vis d’Israël, parait comme atteint d’éléphantiasis diplomatique, à en juger par son comportement honteusement frileux durant les deux dernières confrontations israélo-arabes, la guerre de destruction israélienne du Liban, en juin 2006, et la guerre de destruction israélienne de Gaza, deux ans plus tard, en décembre 2008.
Même dans le domaine privilégié de sa suprématie qui capta l’imaginaire et l’adhésion des foules pendant un demi-siècle, le domaine culturel, sa supériorité parait battue en brèche.
Premier exportateur de vidéocassettes, de films et de téléfilms dans le monde arabe, l’Égypte disposait d’un magistère culturel sans égal, s’articulant sur trois piliers: Le charisme de son chef, Nasser, sa brochette prestigieuse de vedettes de grand talent, Oum Kalsoum et Abdel Wahab, ses grands écrivains Taha Hussein, Naguib Mahfouz et le poète contestataire Cheikh Imam, Tahia Karioka et Nadia Gamal, sur le plan de l’industrie du divertissement et du spectacle, le tandem formé, enfin, sur le plan de la communication, par le journal Al-Ahram, le plus important quotidien arabe, et Radio Le Caire, la doyenne des stations arabes. Septième diffuseur international par l’importance de sa programmation radiophonique hebdomadaire, Radio Le Caire émet en 32 langues couvrant un large spectre linguistique (Afar, Bambara, pachtoune, albanais). Il constituait un puissant vecteur de promotion des vues égyptiennes aux confins du quart monde. Mais son primat culturel pâtit désormais de la renaissance de Beyrouth, le point de fixation traumatique d’Israël, capitale culturelle frondeuse du monde arabe, et de la fulgurante percée des chaînes transfrontières arabes, en particulier Al-Jazira, désormais indétrônable par son professionnalisme.
La passivité égyptienne devant le bain de sang israélien à Gaza, sa léthargie diplomatique face à l’activisme des pays latino-américains, le Venezuela et la Bolivie qui ont expulsé l’ambassadeur israélien à Caracas et La Paz, a suscité une levée de boucliers des Frères Musulmans conduisant la confrérie à cesser toute opposition à la Syrie, rendant caduque sa collaboration avec l’ancien vice-président syrien Abdel Halim Khaddam, le transfuge baasiste réfugié à Paris. Par un invraisemblable renversement d’alliance qui témoigne du strabisme stratégique de l’Égypte, c’est la Syrie, son ancien partenaire arabe dans la guerre d’indépendance, et non Israël, qui constitue désormais sa bête noire.
C’est Gaza, à bord de l’apoplexie, qui est maintenu sous blocus et non Israël, ravitaillé en énergie à des prix avantageux, défiant toute concurrence, sans doute pour galvaniser la machine de guerre israélienne contre un pays sous occupation et sous perfusion, la Palestine.
Indice de sa servitude à l’égard des USA, la moindre initiative de l’Égypte est tributaire du contreseing américain, que cela soit dans le domaine de la technologie nucléaire obtenu, en 2005, après que l’Iran se fut engagé dans la course atomique et afin d’y faire contrepoint, ou que cela soit dans le domaine diplomatique. La dernière initiative franco-égyptienne sur Gaza n’échappe pas à la règle. Elle répond davantage au souci de MM. Hosni Moubarak et Nicolas Sarkozy de sauver du naufrage à sa première épreuve l’Union Pour la Méditerranée, dont ils assument la co-présidence, que de mettre un terme au bain de sang israélien.
L’Égypte bénéficie, il est vrai, d’une rente stratégique matérialisée par une aide américaine de trois milliards de dollars par an. Mais cette obole apparaît à bon nombre d’observateurs comme une sorte de denier de Judas, ne pouvant compenser aux yeux de l’opinion publique du Tiers-monde, le socle de la puissance diplomatique égyptienne, les effets dévastateurs de ce lymphatisme tant sur le plan du prestige international de l’Égypte qu’au plan de la sécurisation de l’espace national arabe.
Nizar Outhman نزار عثمان
L’Égypte est frappée du symptôme d’éléphantiasis, à l’image de son vieux Président (80 ans), un personnage au teint cireux, un personnage de cire, en voie de momification par près de trente ans d’un pouvoir autocratique schizophrénique, ultra-répressif sur le plan interne, léthargique sur le plan international, cramponné à son siège dans l’attente d’une succession filiale.
Nasser a nationalisé le Canal de Suez et résisté à l’agression tripartite franco-anglo-israélienne, en 1956. Vaincu en 1967, il a aussitôt déclenché une «guerre d’usure» de 18 mois le long du front de Suez, dans une démonstration de son refus de la résignation et de la capitulation, avant de mettre fin à la guerre civile jordano-palestinienne, la veille de sa mort en septembre 1970.
Sadate a récupéré le Sinaï mais marginalisé son pays par sa signature d’un traité de paix solitaire avec Israël. Moubarak, lui, la vache qui rit, selon le sobriquet qui lui colle à la peau depuis le début de son règne pour souligner son cynisme faussement niais, passera dans l’histoire pour avoir été le dirigeant égyptien sans la moindre action d’exploit à son actif, sinon de réintégrer son pays au sein Ligue arabe pour en faire une rente de situation à l’effet de cautionner toutes les interventions militaires américaines contre les pays arabes que cela soit lors de la première guerre du Golfe contre l’Irak, en 1990, ou encore treize ans plus tard, lors de l’invasion américaine de l’Irak, en 2003.
Le cessez-le-feu unilatéral israélien dans la bande de Gaza conclu à la suite d’un arrangement entre deux gouvernements moribonds, le revanchard israélien Ehud Olmert mal remis de défaite face au Hezbollah libanais, en 2006, et le pantin américain George Bush, a retenti comme un cinglant camouflet tant pour le nouveau président américain Barack Obama que pour le médiateur égyptien Hosni Moubarak que pour son alter ego français, Nicolas Sarkozy, le vibrionnant et inopérant co-président de l’Union pour la Méditerranée.
Le contournement de l’Égypte par ses deux partenaires du Traité de Paix de Camp David dans des arrangements de sécurité concernant l’enclave palestinienne qui lui est frontalière a cruellement mis à jour le rôle de servants -et non de partenaires- des États arabes au sein de la diplomatie occidentale, conduisant l’Égypte et l’Arabie saoudite à afficher une unité de façade avec leurs contestataires, principalement la Syrie, au sommet économique du Koweït, le 19 janvier, la veille de la prestation de serment du président Obama.
Que l’on ne s’y trompe donc pas: L’hébergement de la conférence des pays donateurs pour la reconstruction de Gaza, de même que l’escadre de l’Otan dépêchée en renfort de l’Égypte pour lutter contre le trafic des armes au large de l’enclave palestinienne sont principalement destinés à renflouer le président Hosni Moubarak, en plein naufrage diplomatique, de même que son compère palestinien discrédité Mahmoud Abbas. Ils visent en outre à maintenir un rôle européen même ténu au Moyen-Orient, dans la nouvelle configuration diplomatique de l’ère Obama.
L’avènement du premier président afro-américain de l’histoire frappe de relégation Nicolas Sarkozy d’autant plus inexorablement que le dernier chef de file européen du néo-conservatisme américain, le pivot européen de l’axe israélo-américain, discrédité par une ostentation tapageuse et les rebuffades successives d’Israël, est affligé de surcroît de collaborateurs décriés pour leur flexibilité morale avec un chef de la diplomatie sous perfusion financière d’un satrape africain (1) et la compagne de cet ancien humanitariste, la risée universelle de l’opinion pour son maniement frénétique de la sulfateuse dans l’éradication du pluralisme politique au sein du dispositif audiovisuel extérieur français (2).
Le Pharaon d’Égypte est nu, dénudé par ses nouveaux alliés: le Primus inter pares (3) des Arabes est désormais «le passeur des plats» officiel de la diplomatie israélo-américaine. Triste destin pour Le Caire, Al-Kahira, la victorieuse dans sa signification arabe, ravalée désormais au rang de chef de file de «l’axe de la modération arabe». L’ancien chef de file du combat indépendantiste arabe, amorphe et atone, assume désormais sans vergogne le rôle de chef de file de l’axe de la soumission et de la corruption….l’axe de la résignation et de la capitulation…l’axe de la trahison des idéaux du sursaut nassérien.
Notes
1- cf. à ce propos, sur le site «Bakchich» Bernard Kouchner, ministre des factures étrangères
(15 janvier 2009), dans laquelle le site fait état d’un versement de 817.000 € du président gabonais Omar Bongo à une société de consultants en rapport d’affaires avec le ministre français des Affaires étrangères, à titre de rétribution d’une consultation sur le système de santé gabonais, et un article du même site, trois jours plus tard, Bernard Kouchner et Christine Ockrent sont devenus fous, mais personne ne les soigne, (Bakchich, 18 janvier 2009), ainsi que Kouchner: du sac de riz au sac de blé in Le Canard enchaîné du mercredi 21 janvier 2009, dans lequel le journal satirique relate comment le ministre français des Affaires étrangères «est passé en quelques années de Médecins sans frontières à Médecins sans scrupules», de même que le livre de Pierre Péan Le monde selon K, paru le 4 février 2009 aux Éditions Fayard.
2- Depuis sa prise de fonction à la direction de l’audiovisuel extérieur, en 2007, Christine Ockrent a procédé, sous de prétextes fallacieux, au licenciement des journalistes réputés pour leur connaissance du monde arabe, notamment le journaliste et écrivain Richard Labévière, grand spécialiste de la zone et auteur d’un interview du président syrien Bachar al-Assad, ainsi que Wahib Abou Wassel, représentant syndical et unique journaliste palestinien de l’audiovisuel extérieur français.
3- Primus inter pares : le premier parmi ses pairs
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