par Fausto GIUDICE, 22/9/2009
Deux films ayant pour cadre la deuxième guerre mondiale se disputent actuellement nos faveurs sur les écrans. Le premier est Inglourious Basterds, du Yankee Quentin Tarantino, le second L’Armée du crime, du Français Robert Guédiguian. Ayant vu ces deux films à 24 heures d’intervalle, je vous propose une comparaison pour alimenter une réflexion à la fois esthétique et socio-politique
Nom du film
Inglourious Basterds (IB)
L’Armée du crime (AC)
Genre
IB: Film de fantasy uchronique* extrêmement violent : des vengeurs juifs sortis de l’imagination des scénaristes liquident Hitler, Göring, Goebbels, Bormann et tout le gratin nazi en mettant le feu à un cinéma parisien (appelé « Le Gamar** ») dirigé par Shosanna Dreyfus*** où ceux-ci sont rassemblés pour assister à a première du dernier film de Goebbels, à la gloire d’un sniper allemand qui a abattu du haut d’un clocher 300 soldats ennemis. Bref, un pur produit de l‘imagination tordue du fétichiste Tarantino, à ranger dans la catégorie « Pulp Zionst Fiction ». Ou, comme l’a défini Eli Roth, qui joue le rôle grotesque du tueur juif à la batte de base-ball dans le film, du « porno cacher »* Uchronie : mot inventé par Charles Renouvier en 1876 sur le modèle du mot utopie et désignant une réécriture fictive d’événements historiques. Pour désigner ce genre, - inauguré par l’historien Tite-Live, dans L’Histoire de Rome depuis sa fondation, qui imagine qu’Alexandre le Grand, au lieu de lancer ses conquêtes vers l’Est, aurait attaqué à l’Ouest et aurait donc pu conquérir Rome -, les Yankees utilisent le terme alternate history.** Le nom du cinéma est le verbe hébreu signifiant « étudier/compléter », qui est la racine du mot Guemara, désignant la partie du Talmud qui sert de base à tous les codes de loi rabbinique.
*** Un des détails grotesquement invraisemblables du film : Shosanna est un prénom biblique, signifiant à la fois lys et rose. La plus célèbre est l’héroïne de la fable « Suzanne et les vieillards » dans le Livre de Daniel de l’Ancien Testament. Dans une famille juive française des années 1940, elle se serait tout simplement appelée Suzanne. Quand à inventer une famille de paysans juifs producteurs de lait appelée…Dreyfus dans la France des années 40, il faut le faire…
AC : Film d’histoire inspiré par la légende du groupe de résistants antinazis Francs-Tireurs et partisans – Main d’œuvre immigré, dont la plupart des membres furent exécutés par les nazis en 1944. Le titre du film se réfère à celui de l’affiche de propagande produite par les services de propagande allemands après l’exécution de 22 résistants le 21 février 1944 : « Des libérateurs ? La libération par l’armée du crime ! » Cette affiche est entrée dans l’histoire sous le nom d’ »Affiche rouge ». Les héros du film sont Missak Manouchian, poète arménien rescapé du génocide turc de 1915 et ouvrier tourneur aux usines Citröën, sa femme Mélinée, leurs camarades Marcel Rayman, Thomas Elek, Joseph Boczov et d’autres. La plupart des résistants du groupe FTP MOI de la région parisienne étaient des étrangers : Polonais, Hongrois, Roumains, Italiens, Espagnols. Ils étaient communistes, en majorité juifs, en majorité ouvriers, en majorité jeunes. Plusieurs d’entre eux, à commencer par leur chef Joseph Epstein –arrêté avec Manouchian et fusillé en avril 1944 après plusieurs mois de tortures atroces avec un masque de cuir -, avaient combattu dans les Brigades internationales en Espagne. De juin 1942 à novembre 1943, ces 65 guérilleros urbains ont accompli 229 actions contre l’occupant allemand et ses collaborateurs, s’attaquant toujours à des cibles « légitimes » et jamais à la population civile, dont ils faisaient partie. En 1942-1943, les FTP MOI, qui dépendaient directement de l’Internationale communiste, étaient pratiquement les seuls combattants armés antinazis dans la région parisienne. Mais, isolés, ils ne firent pas le poids face aux 200 inspecteurs de la Brigade spéciale des Renseignements généraux lancés à leur chasse, qui étaient, eux, la véritable "armée du crime".
Réalisateur
IB : Quentin Tarantino, né en 1963 à Knoxville, Tennessee*, d’un père d’origine italienne, irlandaise et Cherokee. L’enfant terrible, postmoderne de Hollywood, se permet avec ce film une subversion iconoclaste de tous les poncifs hollywoodiens sur le nazisme, la Deuxième guerre mondiale et l’Holocauste. Ici, ce sont « les Juifs » qui sont les « méchants » et les « Nazis » qui sont les « gentils »( !). Il a ainsi produit le film le plus antisémite de l’histoire après Le Juif Süss , de Veit Harlan, provoquant l’enthousiasme de ses producteurs sionistes, les frères Weinstein, et une jubilation malsaine du public sioniste juif à travers le monde, ce qui n’est un paradoxe qu’en apparence.
* Le personnage joué par Brad Pitt dans le film, le Lieutenant Aldo Raine, chef du sinistre commando des Inglourious Basterds, est lui aussi du Tennessee et a du sang d’Apache (pas sur les mains, mais dans ses veines), ce qui explique qu’il ordonne à ses hommes de scalper leurs victimes…
AC : Robert Guédiguian, né en 1953 à Marseille, d’un père docker communiste, fils de rescapés du génocide arménien de 1915, et d’une mère allemande. Communiste dans sa jeunesse, il a, l’année dernière, rejoint le Parti de gauche, fondé par Jean-Luc Mélenchon, ancien trotskyste qui a quitté le Parti socialiste. Le Parti de gauche a présenté des listes communes avec le Parti communiste aux élections européennes. Citations :
« Depuis que je suis né, j'ai toujours entendu parler de Manouchian. Il fait partie du Panthéon des grands héros résistants communistes. Je me souviens en particulier d'avoir lu quand j'étais gamin la lettre qu'il a écrite avant de mourir. Que Manouchian y dise «Je meurs sans haine pour le peuple allemand» me réconfortait sur mes deux origines et sur l'humanité en général. »« Pour plaisanter, je dis que L'ARMÉE DU CRIME c'est du Cinéma national populaire, en écho au Théâtre national populaire de Jean Vilar. Parce que le film concentre de la culture, de la légende, de beaux personnages historiques… Et je n'ai pas de problème à dire que ma démarche est aussi pédagogique. J'assume cela totalement. »
Budget
IB : 70 millions de dollars
AC : 9,2 millions d’Euros
Commentaires
IB : Taratino construit ses films avec une technique industrielle éprouvée. Rien n’est laissé au hasard.
On a l’impression que chacune de ses scènes est conçue « pour décrocher l’Oscar ».Il ne cesse de faire des clins d’œil et des citations, que ce soit de Lubitsch, Chaplin ou Sergio Leone, en passant par la musique de Morricone. À la fin, c’est lassant.
Mais le plus insupportable, c’est l’orgie de violence. On a beau savoir que c’est du cinéma, on a rapidement la nausée. Trop, c’est trop ! Et on peut se demander si ce film ne va pas encore une fois inspirer des adolescents élevés dans les jeux vidéo et dans la banalisation de l’effusion de sang et de la torture. Sans oublier que bien de ces jeunes vont croire que la fiction tarantinienne est de l’histoire et que ce sont « les Juifs qui ont tué Hitler »…
AC : Guédiguian fait de l’artisanat d’art, du réalisme poétique, sobre et efficace. Il a, comme son héros principal, horreur de la violence. Extrait d’interview :
Donner la mort n'est jamais anodin dans L'ARMÉE DU CRIME, autant pour les personnages que pour les spectateurs. Comment êtes-vous parvenu à construire cette «éthique du regard» sur la violence ?
Je crois qu'il y a deux manières d'occulter la violence. La première, très répandue, relève d'une sorte de complaisance dans le naturalisme où la violence se transforme en spectacle. Les Américains (voir colonne ci-contre, FG) sont très forts de ce point de vue. La seconde manière, plus européenne, c'est de ne rien montrer du tout ou de manière très euphémisée. Dans les deux cas, la violence n'est pas dénoncée. Or je crois qu'il ne faut pas éviter ce sujet. Il faut que le recours à la violence continue à nous choquer, à apparaître comme quelque chose dont on peut et dont on doit tenter de se passer.La violence au cinéma, le public connaît cela par cœur. Si jamais un coup de poing est mal donné, les spectateurs s'insurgent. Donc il faut tenir compte aussi du niveau d'éducation, des habitudes du public par rapport à cela.Je crois que l'on ne peut envisager la violence que scène par scène et plan par plan. Il faut parvenir à être à la fois dans le spectaculaire revendiqué par le public et dans la dénonciation nécessaire. Sur chaque scène, il n'y a probablement qu'une seule manière de faire et il faut la trouver.De ce point de vue, Missak Manouchian est un personnage emblématique, un non-violent qui passe à l'acte…Oui, il revient sur le lieu de l'attentat pour constater ce qu'il a fait, pour regarder les cadavres des soldats allemands. Il dit : «Je suis devenu un vrai combattant», et il pleure. C'est la contradiction absolue de cet acte violent. La violence ne vient jamais de l'opprimé. Celui-ci devient violent quand l'oppression est violente. Je ne pense pas qu'il y ait des cas dans l'Histoire où cela ne s'est pas passé ainsi. L'un des personnages du film le dit : «On tue parce qu'on est partisan de la vie». C'est parce qu'on ne veut tuer personne qu'on tue. Manouchian porte à l'extrême cette contradiction.»
Conclusion : Vous avez donc le choix entre…
IB : …l’apologie rétroactive de Juifs sanguinaires tribalistes et inhumains, sortis d’une imagination débridée, alimentée par une réalité historique postérieure (les crimes israéliens). Bref, une œuvre de déséducation par déconnexion de la réalité historique…
AC : …et l’évocation de l’histoire réelle de Juifs réels internationalistes et humains, âgés de 18 à 40 ans, qui, face à l’occupation de leur pays, ont pris les armes avec leurs frères et sœurs de toutes origines pour faire leur devoir d’hommes et de femmes. Bref, une œuvre d’éducation par la transmission de la mémoire historique, sur une page d’histoire qui a inspiré Tlaxcala dès sa création (lire notre Manifeste fondateur).
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