samedi 26 septembre 2009

Le discours de Leganés



Evo Morales referme une vieille blessure



Dans le chapitre XVII de l'Histoire Générale des Indes (1554), l'ecclésiastique Francisco López de Gomara décrit comment Christophe Colomb, de retour en Espagne après son premier voyage vers le continent qui, des années plus tard, recevrait le nom d'Amérique, s'est déplacé de Palos à Barcelone où se trouvaient alors les Rois Catholiques. « Bien que le chemin était long et parsemé d’obstacles, il fut très honoré et [devint] célèbre, car on allait le voir en chemin pour avoir découvert un autre monde et en avoir rapporté de grandes richesses et des hommes vêtus différemment, de nouvelle forme et couleur ». Seulement six de ces hommes, alors étranges pour la vieille Europe, avaient survécu à la traversée. « Les six Indiens ont été baptisés, les autres ne sont pas arrivés à la Cour ; et le Roi, la Reine et le Prince Jean, leur fils, furent les parrains pour avoir autorisé en personne le saint baptême du Christ sur ces premiers chrétiens des Indes et du Nouveau Monde ».

Ces faits se sont produits en mars 1493. Cela fait exactement 516 ans et 5 mois, les mêmes qui ont dû s'écouler pour qu'un descendant de ces êtres malheureux répète le même voyage à titre de réparation, non plus en qualité de prisonnier sans voix, mais comme bavard président d'une république qui, enfin, a cassé les derniers liens avec le colonialisme. Evo Morales, un indigène bolivien d'origine aymara, a renvoyé la balle à la marâtre patrie au nom de tous ses frères qui ont souffert et continuent à subir les dernières conséquences de cette entreprise. Il faut souligner qu'il l'a fait sans rancœur, les bras tendus, mais en énumérant ses vérités haut et fort devant cinq mille Latino-Américains de quasi toutes les républiques et une bonne poignée d'Espagnols enthousiastes. Le lieu choisi pour le discours possède un symbolisme clair : Leganés n'est pas la cour d'aristocrates qui héberge l'ancienne monarchie encore régnante sur le pays, mais une populeuse ville ouvrière de 200.000 habitants située dans la banlieue industrielle de Madrid. Le dimanche 13 septembre, la mairie de Leganés a mis à la disposition du dignitaire aymara ses modernes arènes - la Cubierta- pour qu'il y parle à sa guise. Et bien sûr qu'il l'a fait, avec un ton toujours respectueux mais ferme!

Les tribunes de la Cubierta ont commencé à se remplir dès cinq heures de l'après-midi. Il y avait des drapeaux de toutes les couleurs, des faucilles et des marteaux, des pancartes revendicatives, des salutations au compagnon Evo et des hommages à la révolution indigène, communautaire, interculturelle et plurinationale bolivienne. Il y eut, pour échauffer les esprits, un spectacle haut en couleurs de danses folkloriques andines du Pérou, de l'Équateur et de la Bolivie -qui conclurent dans une diablada des plus heureuses. Et, enfin, Evo Morales est arrivé sur la scène. L'hymne national de Bolivie a retenti, qu'il a écouté le poing gauche levé et la main droite sur le cœur. Le maire de Leganés Rafaël Gómez Montoya, l'écrivaine Rosé Regàs, l'ancien directeur de l'UNESCO Federico Mayor Zaragoza, et l'ambassadrice de Bolivie en Espagne Carmen Almendras, ont ensuite souhaité tour à tour la bienvenue au premier chef d'État d'Amérique de sang indien dans les veines. Et lorsqu'Evo Morales s'est avancé vers le micro pour prononcer son discours, l'atmosphère était déjà tellement festive qu'à partir de ce moment jusqu'à la fin les ovations et les applaudissements n’ont pas arrêté. Le public buvait littéralement ses paroles. Il était temps, en cette Europe à court d'idées, si correcte et domestiquée qu'aucun de ses dirigeants n'ose altérer le prêche de fausse supériorité morale appris pendant des siècles, qu'un indigène de l'ancienne colonie, aujourd'hui investi de responsabilités étatiques, appelle les choses par leur nom et dise ce qu'eux tous savent -mais ne disent jamais- du colonialisme, de l'exploitation, du pillage, du racisme, du capitalisme, de l'impérialisme et de la destruction environnementale.

Evo Morales a démontré être un chaud orateur, exubérant de charisme. Son espagnol exotique est un baume populaire et un révulsif pour puristes. Il se fait aimer, et combien ! Il parla et parla sans lire une seule feuille, par ses lèvres s'écoulait la sève de Cuauhtémoc, Atahualpa, Tupac Amaru, Camilo Torres et du Che que les racines de son peuple ont reçue de la Terre-Mère comme aliment spirituel. À ses mots de remerciement finaux à l'adresse d'un public extatique, les tribunes entrèrent en délire, les arènes de Leganés devinrent territoire improvisé de Bolivie. L'ancien syndicaliste cultivateur de coca, instruit à l'école de la pauvreté, avait fait mouche en plein cœur de l'ancienne métropole… sans épée ni croix, sans verser une seule goutte de sang -uniquement avec l'arme des mots. Il est venu, il a vu, il a vaincu.

Il consacra le restant de sa visite, le lundi et le mardi, à des affaires protocolaires, à des accords économiques et à la diplomatie -sans doute inéluctables dans le monde de la politique officielle, mais qui sont pourtant de l'ordre du quotidien. Par contre la soirée magique de Leganés fut, quant à elle, inoubliable. Elle mérite d'entrer avec tous les honneurs dans le panthéon de l'Histoire, car elle a refermé une vieille blessure infligée par l'Espagne cinq siècles auparavant à la dignité des femmes et des hommes d'Amérique –quand, dans un voyage depuis Palos jusqu'à Barcelone, elle a humilié six Indiens prisonniers et leur a nié le droit de dire ce qu'ils pensaient d'une violation si injuste.

Que le néocolonialisme espagnol et ses multinationales le sachent : ces Indiens muets ont maintenant, aujourd'hui, une voix rédemptrice, la voix du Discours de Leganés.

Manuel Talens, Tlaxcala

Paroles d'Evo Morales Ayma, Président constitutionnel de l'État Plurinational de Bolivie, à Leganés (Madrid) le 13 septembre 2009

Il est recommandé aux lecteurs d'écouter la voix d'Evo Morales et les réactions du public pendant le Discours de Leganés sur ce lien tandis qu'ils suivent en même temps, ci-après, la transcription fidèle de ses paroles :

Honorable Maire Rafaël Gómez de la ville de Leganés, autorités de la commune, autorités du Gouvernement espagnol, chère Ambassadrice de Bolivie en Espagne, salutations à tous nos frères boliviens. Merci beaucoup pour votre présence et pour me recevoir sur cette terre de Leganés, d'Espagne. Je suis surpris par la présence de milliers et de milliers de Boliviens, Équatoriens, Uruguayens, Vénézuéliens, Colombiens, de frères péruviens, de frères cubains, tant de Latino-Américains réunis ce soir. Je vous remercie beaucoup pour votre grande mobilisation, cette grande intégration en Europe de tous les Latino-Américains. Mais je veux aussi exprimer notre respect au peuple espagnol. Un tout grand merci pour votre présence et pour avoir organisé cette grande rencontre de peuples du monde.

Je suis surpris, à l'écoute de l'intervention de plusieurs sœurs et frères d'Espagne, par leur connaissance des processus de libération en Bolivie et en Amérique Latine, surpris par leur connaissance des transformations profondes en matière sociale, économique et politique. Certainement que beaucoup d’entre vous qui êtes ici savent comment nous nous sommes organisés, d'abord syndicalement, socialement, communautairement pour changer la Bolivie et, évidemment, pour changer l’Amérique Latine. Si nous parlons de changement, un des changements était justement la libération des peuples en Amérique Latine.

En Bolivie, ensemble avec la Centrale Ouvrière Bolivienne et les différents mouvements sociaux, [ce fut] une lutte permanente contre des modèles économiques qui faisaient un mal fou aux Boliviens. Si nous nous rappelons de la situation des politiques mises en œuvre pendant la république, avant la république, les peuples indigènes originaires, quechua, aymaras, guaranis, [c’est] une lutte permanente contre le pillage de nos ressources naturelles, une lutte permanente pour l'égalité en ces temps entre indigènes, métis et créoles, pour un nouveau mode de vie, d'égalité dans la dignité, mais aussi une lutte permanente pour le respect de nos droits, le droit surtout des peuples indigènes, le secteur le plus vilipendé de l'histoire bolivienne et de l'histoire d'Amérique Latine. Une résistance dure, une rébellion face à un État colonial, une rébellion des peuples contre le pillage de nos ressources naturelles, une rébellion permanente contre les formes de soumission. Et ces luttes -je veux vous le dire, sœurs et des frères de Bolivie- n'ont pas été en vaines. D’une lutte syndicale, d'une lutte sociale, d'une lutte communale, nous sommes passés à une lutte électorale.

Je me souviens parfaitement quand je suis arrivé en 1980 au Chapare , quand il y avait des négociations avec des gouvernements et que les dirigeants syndicaux, d'ex-dirigeants syndicaux émettaient des propositions de changements structurels. La réponse des gouvernements néolibéraux était que nous autres paysans, indigènes, n'avions pas le droit de faire de la politique, et nos propositions de modifications à l’ordre du jour ou au calendrier des négociations étaient controversées parce qu'elles étaient de caractère politique. Je me souviens qu’on nous disait -j'étais le délégué de base- qu’ils nous disaient : ce sont des propositions politiques et on ne s’occupe pas de ça, la politique du mouvement paysan indigène dans la zone tropicale de Cochabamba c’est la hache et la machette, c'est-à-dire le travail, et nous n'avions pas le droit de faire de la politique. Sur les hauts plateaux, c’était la pelle et la pioche, la pelle pour le travail, le pilori pour le travail aussi. Et peu à peu ce mouvement social va rompre la peur de la politique. Quelques-uns avaient le droit de faire de la politique et nous les majorités ouvrières et originaires n'avions pas le droit de faire de la politique. Quand quelque ouvrier, mineur, dans les décennies 60, 70, 80, faisait de la politique, il était accusé de communiste -nous saluons le Parti Communiste Espagnol, le Parti Socialiste, nous saluons les humanistes ici présents, merci beaucoup de m'avoir enseigné à défendre la vie, nous avons eu tant de rencontres- mais je veux que vous sachiez, sœurs et frères d'Amérique Latine, d’Europe, mouvements sociaux de ce continent, [que] nos dirigeants syndicaux, dans ces décennies 60, 70, étaient accusés de communistes et poursuivis. [On fomentait] des coups d'État, des putschs militaires pour terminer avec les dirigeants syndicaux du secteur minier. Par conséquent, la doctrine de l'impérialisme américain était de les accuser de communistes et, pour cette raison, des mineurs étaient massacrés dans des centres miniers et beaucoup de frères dirigeants miniers ont échappé en s’exilant, en Europe parfois. Je veux exprimer mon profond respect et mon admiration pour l’accueil reçu par beaucoup de frères miniers et paysans en fuite en Europe pour pouvoir survivre. Les gouvernements humanistes, communistes, socialistes leur ont sûrement accordé l’asile politique.

Est venue ensuite l'autre doctrine, qui était la lutte contre le trafic de drogues. Je me rappelle parfaitement que, dans les décennies 80 et 90, les dirigeants syndicaux étaient des narcotrafiquants, autre persécution de l'Empire et [que], à partir du 11 septembre 2001, les dirigeants syndicaux [étaient] accusés de terroristes. Quelques frères doivent sûrement se souvenir qu’on appelait Evo Morales le Bin Laden andin, les producteurs de coca les talibans, et avec ce prétexte, [est venue] la doctrine politique de coca zéro, comme moyen d’expulser le mouvement paysan de la zone productrice de coca. Tout ça pour dire -je veux qu'on me comprenne-, que nous avons supporté des interventions permanentes, parfois de caractère même militaire pour attaquer cette rébellion de nos peuples en Amérique Latine. Ces luttes, qu’elles soient ouvrières ou indigènes, ces luttes de métis, ces luttes d'intellectuels comme Marcelo Quiroga Santa Cruz, ces luttes de pères révolutionnaires comme Luis Espinal, un Espagnol qui a donné sa vie par les pauvres de Bolivie et, comme Luis Espinal, ces luttes de militaires patriotes comme Germán Busch, comme le Lieutenant-colonel Gualberto Villarroel - je vous le dis, sœurs et frères- n'ont pas été vaines. Une lutte évidemment pacifique, démocratique, pour arriver au gouvernement, au Palacio Quemado , pour changer, de là, les politiques économiques, les politiques sociales.

Et avec un résultat ! Je voudrais que vous écoutiez, sœurs et frères boliviens : depuis l'année 1940, la Bolivie n'avait jamais d’excédent fiscal, et ce jusqu'en 2005 -avant que je sois président. Après que nous ayons nationalisé en 2006 et récupéré les hydrocarbures, [il y a eu] en Bolivie en 2006, la première année de notre gouvernement, un excédent fiscal. On a fini avec cet État mendiant qui empruntait même de l’argent pour payer les étrennes en Bolivie. L'année 2005, les réserves internationales de la Bolivie étaient de 1.700 millions de dollars. Nous sommes allés avant-hier à la Banque Centrale de la Bolivie signer un prêt interne, et le président de la Banque Centrale de la Bolivie m'a informé que nous avons maintenant 8.500 millions de réserves internationales. De 1.700 à 8.500 millions de dollars de réserves internationales ! Imaginez, sœurs et frères, combien d’argent s’en est allé pendant les vingt années de gouvernement néolibéral, et où il est allé, sûrement dans la poche d’économistes, d’experts financiers en Europe, en Espagne et en Amérique Latine. Je voudrais que vous m’aidiez à enquêter sur le pillage de nos ressources naturelles. Combien d’argent ont perdu la Bolivie ou l’Amérique Latine, durant les dernières années combien argent avons-nous perdu, au détriment d'un nombre d’avantages sociaux ? Même si ce n'est pas beaucoup, ce serait un soulagement pour beaucoup de familles boliviennes. Maintenant nous avons des réserves, maintenant nous avons un excédent.

On nous a dit, depuis l'année passée, qu'il y avait une crise économique du capitalisme, une crise financière. On nous a effrayés, on nous a induit la peur pour voir comment nous allions y faire face. J'ai vraiment pensé, sœurs et frères, que cette crise allait fort nous affecter. J'ai pensé qu'il n’y aurait pas d’excédent commercial. Je voudrais vous dire, sœurs et frères boliviens, qu’au 30 juillet de cette année la balance commerciale [était] positive de trois cent millions de dollars ! Il n'y avait jamais de balance commerciale positive en Bolivie ! Et c'est pourquoi, sœurs et frères, je suis acquis aux changements structurels en démocratie et, quand il y a un certain secteur qui s'oppose, [je suis d'avis qu']il vaut mieux les soumettre au peuple bolivien par le referendum. Maintenant les Boliviens et Boliviennes ont non seulement le droit d’élire leurs autorités nationales ou départementales, ainsi que leurs autorités municipales. Maintenant le peuple bolivien a le droit de décider par tout referendum des politiques économiques pour le peuple bolivien. Ce sont des referendums qu'il n'y avait jamais avant. Mais aussi, grâce à la nouvelle Constitution politique de l'État bolivien, les Boliviens et Boliviennes non seulement ont le droit d’élire leurs autorités nationales, départementales, municipales ou parlementaires. Maintenant avec le vote du même peuple, ils ont le droit de révoquer tout président, vice-président, parlementaire, préfet ou maire qui agit mal en son domaine, ils ont le droit de les révoquer par le vote. C’est une démocratie profonde qui non seulement est représentative, mais aussi participative -là où se prennent les décisions avec le vote en conscience du peuple bolivien. Mais je voudrais vous dire, sœurs et frères, qu’il est aussi possible de changer en Bolivie les normes, les procédures pour administrer un État. Pour la première fois en 183 années de vie républicaine, le peuple bolivien approuve une nouvelle Constitution. Il n’y a jamais eu cela auparavant. Seuls la classe politique, les partis ou finalement le parti qui avait la représentation parlementaire avaient le droit de réformer la Constitution. Maintenant, le peuple approuve avec son vote une nouvelle Constitution de l'État bolivien. C'est-à-dire que nous avons même changé des constitutions.

Je voudrais vous dire, sœurs et frères, nous avons une grande faiblesse, qui est le changement de la mentalité des fonctionnaires publics. Quelques-uns ne comprennent pas encore ce qu'est être fonctionnaire public. Je l’ai déjà dit, je n'ai pas besoin de simples fonctionnaires publics, j'ai besoin de révolutionnaires au service du peuple bolivien. On a du mal à trouver des personnes qui sont au service du peuple. Il y a une mentalité, une mentalité coloniale –dirais-je-, un héritage paternaliste, du patron, du pillard, de l'exploitant, cette mentalité ne peut être changée facilement, elle est une des faiblesses présentes encore en Bolivie. Nous commençons toutefois à changer, malgré ces faiblesses. Ce n’est pas suffisant, la participation des mouvements sociaux dans ces transformations profondes sera sûrement encore importante. Il y a un moment, notre Ministre des Affaires Étrangères me disait : « En Bolivie il y a beaucoup de mobilisation, élections après élections, des campagnes pour des referendums, parfois révocatoires, parfois pour approuver la nouvelle Constitution ». Je lui ai répondu qu’auparavant c’était putsch après putsch, que maintenant c’étaient élections après élections. Je suis très content, même s'il y a chaque année des élections et des referendums -mais pas de coups d'État.

Mais je voudrais vous dire aussi que, dans notre nouvelle Constitution politique de l'État bolivien approuvé par le peuple bolivien, il ne sera pas permis, il n’est autorisé aucune base militaire étrangère, encore moins des Etats-Unis. Et je voudrais que les frères d'Europe, d'Espagne me comprennent. En Amérique Latine, là où il y a une base militaire des Etats-Unis, il y a des putschs militaires ; la paix n’est pas garantie, la démocratie n’est pas garantie. Et je parle d'expérience, puisque j'ai été continuellement victime, dans la décennie 90 -de mi-80 à mi-2000-, de la présence de militaires étrangers en armes, spécialement des Etats-Unis. C’est heureusement terminé, grâce à la conscience du peuple bolivien. Je dois demander aux mouvements sociaux d'Europe et du monde : aidez-nous à mettre un terme aux bases militaires en Amérique Latine ! Tout pour la vie, tout pour la démocratie, et tout pour une paix et une justice sociale !

[Applaudissements nombreux] Merci beaucoup, sœurs et frères, je crois que vous m’aimez plus en Espagne qu’en Bolivie, merci beaucoup. Je suis sûr, sœurs et frères, que le processus de libération, le processus de transformation profonde, non seulement en Bolivie mais en Amérique Latine, est engagé dans une voie à sens unique. Les processus de transformation de la démocratie ne peuvent être arrêtés en Bolivie. Pourquoi dis-je ceci ? Vous les frères qui vivez ici, vous devez être informés : plusieurs fois des groupes néolibéraux de la droite fasciste, raciste, ont essayé de me sortir du gouvernement -et je m’en souviens parfaitement. La première année de mon gouvernement, qu'ont-ils dit ? « Pauvre petit indien, il restera trois, quatre, cinq, six mois, il ne va pas pouvoir gouverner, et après il va s’en aller, ils vont le sortir ». C’était en 2006. Arrive 2007, qu'ont dit ces groupes ? « Je crois que cet Indien va rester longtemps, il faut faire quelque chose ». 2008, en 2008 ils ont fait quelque chose. Et qu’est-ce que c’était ? D’abord essayer de me sortir par le vote révocatoire du peuple bolivien. J'ai accepté : allons au révocatoire ! Vous savez que nous avons gagné les élections avec 54 %. Dans ce vote révocatoire, le peuple bolivien nous a ratifiés avec 67 %. Comme ils ont raté leur coup par le vote révocatoire, qu’ils n’ont pas réussi à me faire révoquer avec la conscience du peuple, ils ont tenté l'année passée un coup d'État civil -pas militaire. Et ici je voudrais remercier les pays d’Europe, des défenseurs de la démocratie, UNASUR, les Nations Unies pour leur défense de la démocratie. Ils ont raté leur coup d’État civil préfectoral. Et voilà le grand triomphe du peuple bolivien dans le domaine politique et constitutionnel ! Et cette année, grâce à la force et à la conscience du peuple, nous avons approuvé la nouvelle Constitution. Nous avons maintenant l'obligation d'appliquer et de mettre en œuvre cette nouvelle Constitution politique de l'État bolivien, dont quelques pays européens me disent honnêtement qu’elle est plus avancée, dans le domaine social, au niveau des droits sociaux, que dans n’importe quel pays d'Europe.

Y de quels droits parlons-nous ? Nous parlons non seulement des droits individuels, nous parlons non seulement des droits politiques : dans cette nouvelle Constitution Politique de l'État bolivien, on respecte autant les droits collectifs que privés. Par exemple, tous les services de base constituent des droits de l'homme ; s'il s'agit d'un droit de l'homme, il ne peut être de négoce privé -mais de service public.

Sœurs et frères, je peux vous en raconter pas mal de cette nouvelle Constitution de l'État bolivien, mais je suis aussi sûr qu'il y a quelques requêtes que nous n'avons encore pu résoudre -spécialement du service extérieur. Je n'ai trouvé l'État bolivien -maintenant reconnu mondialement comme l'État plurinational, où existe une diversité d'êtres humains qui habitent sur cette terre de patrie qu'est la Bolivie-, je ne l'ai trouvé par exemple que deux [fois] en Espagne -à Madrid et Barcelone. Nous créons maintenant un autre consulat à Murcie -je sais, ce n'est pas suffisant. Nous sommes en train de discuter pour étendre les consulats dans quatre ou cinq villes espagnoles -inclus les Iles Canaries, Tenerife ou même Majorque et Menorca que j'ai déjà pu visiter, sœurs et frères-, pour nous occuper d'un problème nôtre, celui des migrations et des papiers y relatifs. Mais je voudrais aussi vous parler, sœurs et frères, au nom de l'Ambassade en Espagne -où tous les consulats donnent des informations grâce à la compréhension du gouvernement espagnol- de quelques thèmes importants. Le sujet par exemple des permis de conduire est très avancé, de même que celui d’une convention de vote réciproque -c'est-à-dire les résidents boliviens en Espagne auront le droit de voter aux élections municipales. Nous espérons concrétiser cela, ce vote en Espagne, lors de cette visite.

Le thème du vote à l'étranger a été une préoccupation permanente. Je veux que vous sachiez, sœurs et frères, qu’en 2006 nous avons envoyé, depuis le palais, un projet de loi au Congrès National. La Chambre des Députés a heureusement approuvé sans aucune limitation le vote à l’étranger. Mais de 2006 à 2009 il n'a pas été approuvé au Sénat, et vous savez d’ailleurs pourquoi ils ne l'ont pas approuvé au Sénat : les sénateurs néolibéraux ont très peur des frères qui ont abandonné la Bolivie à la recherche de meilleures conditions de vie. On l'a enfin approuvé pour la première fois -mais pas autant que je l’aurais voulu-, sous la forte pression en Bolivie et en Argentine. Je sais qu’ici aussi on s’est mobilisé pour faire pression sur le Congrès national en vue de l'approbation d'une loi sur le vote extérieur. Il a été approuvé jusqu’à une certaine limite, mais c'est clair, sœurs et frères, [viendra] un moment où des congressistes partageront les sentiments de beaucoup de frères vivant à l’étranger. Nous ferons alors en sorte que le vote à l'étranger ne soit pas limité. Je ne suis pas d'accord de limiter, c’est une forme d’atteinte aux droits de l’homme, le droit des citoyens boliviens vivant à l’étranger. Mais nous commencerons cette année, cette année avec le vote extérieur -bien que limité.

Sœurs et frères, il y a un moment je parlais du thème de la migration. Je voudrais dire aux pays d’Europe et du monde, spécialement d'Europe, aux gouvernements, que ce sera aussi un débat. Par le passé des Européens, des Espagnols sont arrivés en Bolivie, et nos grands-pères n'ont jamais dit qu'ils étaient illégaux. Maintenant que les Latino-Américains viennent en Europe, ils ne peuvent pas être déclarés illégaux, parce que tous, nous avons tous le droit d'habiter dans n’importe quelle partie du monde -nous avons tous le droit d'habiter dans n’importe quelle partie du monde- en respectant les lois de chaque pays. Mais nous déclarer illégaux est une grande erreur, c’est là où je diverge des Nations Unies. Heureusement beaucoup de pays se joignent à nos propositions. Nous espérons que les Nations Unies établiront bientôt des normes permettant à ces soi-disant immigrants d’être reconnus comme personnes légales -je répète, en respectant la législation de chaque pays -, qu’ils investissent ou qu’ils viennent chercher des meilleures conditions de vie. Soyez-en sûrs, sœurs et frères, ce sera une autre bataille, une autre bataille pour nos sœurs et frères -que ce soient des Européens en Bolivie ou en Amérique latine, ou d’autres Latino-Américains en Europe. Ils doivent être déclarés comme des personnes légales qui vivent de leur travail, qui, par leurs efforts, vivent pour améliorer leur situation économique et sociale.

Il y a un autre sujet central, sœurs et frères : le sujet de l'environnement. Il y a sûrement beaucoup de paceños ici. Imaginez-vous : le Chacaltaya , notre Chacaltaya n'a plus de neige ! A Potosí, le Chorolque n'a plus de neige -il y a sûrement quelques potosinos ici. Chaque jour qui passe voit se réduire le poncho blanc de ces montagnes des hauts plateaux boliviens et du haut-plateau paceño. Nous devons en établir la responsabilité : [ce sont] les modèles de développement capitaliste, l'industrialisation exagérée et illimitée de quelques pays occidentaux. Ce problème affecte toutefois [toute] l'humanité. C'est pourquoi je voudrais vous dire que je suis arrivé à la conclusion, à la conclusion suivante : à l'heure actuelle, dans ce nouveau millénaire, il est plus important de défendre le droit de la Terre Mère que le droit de l'être humain. Si nous ne défendons pas le droit de la Terre Mère, il ne servira à rien de défendre seulement le droit humain. Je voudrais dire aux frères humanistes, au grand nombre de mouvements sociaux, aux groupements, intellectuels et personnalités qui se consacrent à la défense de l'environnement, et donc de la Terre Mère, je voudrais vous dire : unissons-nous, rejoignez-nous, aidez-nous, présidents et gouvernements qui défendons le droit de la Terre Mère. Défendons tous l'environnement, par conséquent le droit à la terre, défendons la planète terre pour sauver l'humanité. Si nous ne nous unissons pas, si nous ne nous engageons pas dans une direction, si nous ne travaillons pas ensemble, quelle sera la situation de tout être humain d’ici 20, 30, 50 ans? Je veux dire, qu’il s’agisse d’un indigène, d’un ouvrier, d’un chef d'entreprise ou d'un dirigeant de transnationale : leur vie n'est pas sûre ! La seule façon de garantir, de garantir notre vie d'êtres humains qui vivons sur cette planète terre est de défendre la Terre Mère.

Il est temps d'assumer cette énorme responsabilité, et tous nous avons cette obligation noble et sacrée de défendre l'environnement. J’appelle les pays qualifiés d’industrialisés à commencer à penser sérieusement à l’annulation de la dette climatique, une dette historique qui aura fait beaucoup de tort à l'environnement. Je pressens que nous devrons assumer, en ce millénaire, cette responsabilité pour défendre l'humanité.

Sœurs et frères, je sais que vous venez de beaucoup de secteurs, par différents chemins. Salutations aux frères qui viennent nous voir de différentes villes, qui viennent nous saluer, qui viennent tous applaudir, aux frères des îles, aux compagnons latino-américains qui viennent partager ce moment, et aux organisateurs. Je remercie le maire de Leganés pour nous avoir permis ce rassemblement. En ce qui me concerne, je voudrais vous dire, frères, un grand merci à tous. A bientôt ! Nous continuerons à travailler pour l'égalité, pour la dignité et le bien des Boliviens et de tous les Latino-Américains, pour leur libération qui se prépare depuis l'Amérique du Sud. Un grand merci !



[1] La diablada est une danse traditionnelle des hauts plateaux des Andes en Bolivie et à Puno au Pérou représentant l’affrontement entre les forces infernales et celles des anges et créée dans un but d’évangélisation. Cette danse offre une série de costumes et de masques impressionnants (des capes cousues au fil d’or) –le costume du diable pèse plus de 30 kg. C’est pourquoi les danseurs doivent être capables de porter ce poids et de danser plusieurs minutes. (Wikipedia)


[2] La province de Chapare est une des 16 provinces du département de Cochambaba, en Bolivie.


[3] Palais présidentiel


[4] Les paceños sont les habitants de La Paz.


[5] Le Cerro Chacaltaya ou Chacaltaya (« chemin froid » en aymara) est une montagne culminant à 5.395 mètres d’altitude, située en Bolivie dans la Cordillère des Andes. Son glacier abritait une station de ski possédant la plus haute piste du monde, mais son retrait rapide et sa quasi disparition ont provoqué sa fermeture. Il reste une destination pour les randonneurs et abrite un laboratoire de recherche sur les particules. (Wikipedia)


[6] Le Cerro Chorolque ou Chorolque culmine à 5552m.



Manuel Talens est auteur et traducteur espagnol. Il appartient aux collectifs de Rébelión et de Tlaxcala, auquel Thierry Pignolet appartient.

Source : http://www.tlaxcala.es/detail_artistes.asp?lg=de&reference=357



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