vendredi 18 juin 2010

Dans l’est de l’ Inde, des protestataires se battent contre le géant minier Arcelor Mittal

par Moushumi Basu मौशमी बासु মৌসুমি বসু. Traduit par Isabelle Rousselot et é dité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Dans les terres rurales et tribales de l'Inde orientale, des manifestants sont en guerre contre le géant mondial de la sidérurgie, Arcelor Mittal. " Nous sommes prêts à sacrifier nos vies, mais pas à céder un pouce de nos terres", crient les villageois. "La forêt, les rivières et la terre sont à nous. Nous ne voulons pas d'usines, ni d'acier ni de fer. Arcelor Mittal, va-t-en."
Arcelor Mittal se considère comme "le N°1 mondial  de la sidérurgie " et ses revenus en 2006 s'élèvaient à 88,6 milliards de dollars. Opérant dans plus de 60 pays, il " a dirigé la consolidation de l'industrie sidérurgique mondiale et figure aujourd'hui comme le seul vrai aciériste d’envergure mondiale", d'après son site Internet.
C'est ici, dans les États riches en minerais du Jharkhand et d'Orissa qu'Arcelor Mittal envisage d'investir 201 milliards de dollars pour établir sa "présence indienne" avec deux usines capables de produire 12 millions de tonnes d'acier par an. Mais avant de s'installer, l'entreprise familiale doit d'abord acquérir la terre qui est l'héritage ancestral de milliers d'Indiens pauvres.
Dayamani Barla, une militante véhémente issue des communautés tribales, mène le mouvement du Jharkhand sous la bannière de l’Ashthitva Adivasi Moolvaasi Raksha Manch (AMARM, le Forum pour la protection de l’existence de la population tribale et aborigène). Elle a plaidé la cause de son peuple des villages de l'Inde rurale jusqu'aux centres de pouvoir européens (voir encadré).

La pasionaria




Le parcours de Dayamani Barla est matière à de nombreuses légendes. Elle a commencé comme domestique à Ranchi en lavant des ustensiles usagés. Lorsqu'elle était étudiante, elle a passé des nuits dans la gare ferroviaire locale, profitant des lumières des quais pour préparer une maîtrise de commerce. Elle est ensuite devenue journaliste autochtone écrivant des articles sur l'oppression et la lutte de son peuple. Elle a reçu le prix P Sainath des médias alternatifs pour le journalisme rural en 2000.
Aujourd'hui, l'imposante femme de 47 ans défie un géant mondial de l'acier et mène un mouvement qui s'étend des arrière-cours rurales de la région indienne de Gumla jusqu'à Berlin et au Forum Social Européen.
En octobre dernier, Barla a fait une conférence organisée par l'Adivasi-Koordination en Allemagne (AKD), un lobby et une organisation des droits humains associée aux affaires des indigènes indiens.
Lors d'un atelier de cinq jours au Forum Social Européen (FSE) à Malmö en septembre dernier, elle a parlé de « droits à la vie et vision du monde indigènes » et de « peuples indigènes et justice environnementale planétaire. »
En 2004, elle a remporté une bourse de la Fondation nationale de l’Inde et en 2008, elle a reçu le prix Chingaari (la flamme) 2008 attribué aux femmes qui luttent contre la criminalité économique en Inde, pour son engagement dans la lutte contre Mittal.
En dehors des prix, son travail a également donné lieu à des menaces de mort et des demandes pour qu'elle interrompe son militantisme. Mais en tant qu'organisatrice de l'Adivasi Moolvaasi Asthitva Raksha Manch (AMARM), Barla reste résolue : «  Nous ne céderons pas un pouce de notre terre pour le projet », a-t-elle déclaré. « La précédente disposition prise dans l'État pour les indigènes, au nom du développement, était très décourageante. Des anciens propriétaires de terre ont été réduits à devenir des maraudeurs sur leurs propres terres ou ont été obligés de migrer. Combien de temps encore peuvent-ils continuer à être trompés et déshérités de la sorte? », demande-t-elle.
Toujours en contact avec son peuple et ses racines, Barla gagne sa vie en dirigeant une petite échoppe de thé, où assise sur un banc en bois, elle sirote du thé avec ses camarades tout en discutant des dernières stratégies de protestation.
Barla affirme que la Constitution indienne protège les "tribus répertoriées" / les Adivasi dans les régions concernées, en interdisant aux non-tribaux et aux groupes privés de céder ou d'acheter les terres tribales et les ressources naturelles.
Gumla et Khunti, les deux régions du Jharkhand concernées, sont habitées par les tribus Munda alors que le Keonjhar en Orissa est dominé par les tribus Gond, Munda, Dehuri et Saunti.
"Pour les communautés tribales, la terre n'est pas un bien à vendre mais c'est un héritage", déclare Barla la pasionaria. "Ils ne sont ni les maîtres ni les propriétaires, mais les protecteurs de ces terres pour les générations futures. Les ressources naturelles ne sont pas, pour nous, seulement des moyens de subsistance mais représentent aussi un symbole de notre identité, de notre dignité, de notre autonomie et de notre culture pour des générations."
La résistance déterminée menée ces cinq dernières années par les militants de l'AMARM dans le Jharkhand contre le groupe Arcelor Mittal semble avoir porté ses fruits. Le géant de l'acier a récemment décidé de se contenter d'un nouveau site dans les districts de Petarwar et de Kasmar dans la région de Bokaro du même État : « Le nouveau site se trouve à proximité de l'usine sidérurgique de Bokaro, propriété de la Steel Authority of India Limited, et nous avons discuté pour la première fois avec les villageois sur le site et nous avons reçu un accueil  plutôt bon», a déclaré Vijay Bhatnagar, PDG d'Arcelor Mittal en Inde et en Chine.

Les militants ont accueilli ce transfert par une série de manifestations et d'actions. En octobre, Mittal Pratirodh Mamch (MPM : Plateforme d'opposition à Mittal) a organisé une énorme manifestation, avec de nombreuses banderoles et pancartes anti-Mittal, à Keonjhar dans l'État d'Orissa. Les militants affirment qu'en plus de déplacer un nombre massif de personnes, le projet proposé par Arcelor Mittal détruirait des forêts, des sources et des écosystèmes, mettant ainsi en danger l'environnement et l'économie de subsistance d'une communauté indigène dont la culture est ancrée dans l'agriculture et dans la forêt.
« Par exemple, notre lieu de culte, ou Sarna Sthal, est composé d'un bosquet d'arbres, sasandari, que nous considérons comme sacrés, et l'emplacement de notre village comprend des pierres érigées à la mémoire des ancêtres de notre clan», indique Barla. « Est-il possible de réhabiliter ou de compenser la terre de nos ancêtres ? »
La région de Keonjhar est riche en gisements de minerais de fer et en manganèse et contient 75 % des gisements en minerais de fer de l'Orissa. « Presque 10 000 personnes seraient déplacées et des fractions primordiales de terrains agricoles seraient supprimées... Pourquoi la société ne va pas plutôt s'installer sur des terres inutilisées, sans forêt ni agriculture, qui sont disponibles dans la région ? », demande Prafulla Samantra, une militante du MPM.
Un responsable de la société a une réponse toute prête : « Ces États sont fortement dotés en réserves de minerais et l'industrialisation est essentielle pour la croissance et le développement de la région», a-t-il déclaré sous couvert d'anonymat. « Par contraste, le potentiel agricole est peu important ici. Les zones qui ont été sélectionnées dans les deux États pour le projet l'ont été sur la base de considérations techniques comme la texture du sol, la disponibilité en eau, les perspectives d'amélioration des routes et la connectivité du réseau ferré, favorables pour l'usine. »
Le responsable a indiqué que les besoins des villageois étaient pris en compte. « Nous ne pouvons aller de l'avant sans faire de la population locale les partenaires de l'entreprise, en offrant des opportunités pour leur subsistance et leur croissance, à travers des emplois directs et indirects. » Il a indiqué que la société était désireuse d'instruire et de former des jeunes « en partenariat avec différents instituts technologiques dans l'État », et en intégrant des femmes dans les différentes activités financières « grâce à  des groupes d'entraide. » « Même la partie illettrée de la population impliquée dans les travaux agricoles peut être formée à différents travaux non qualifiés. L'idée est de donner un nouvel essor à l'économie générale de la région. »

Mettre le territoire sous surveillance


Le président et PDG d'Arcelor Mittal, LN Mittal a depuis longtemps en projet de développer la production d'acier dans son pays de naissance. En octobre 2005, Mittal Steel Company N.V. et le gouvernement du Jharkhand ont signé un Protocole d'accord, préalable à la signature définitive d'un contrat (MoU) pour monter une usine de sidérurgie d'une capacité de production annuelle de 12 millions de tonnes d'acier, pour un investissement estimé à 9,3 milliards de dollars. En août 2006, Mittal Steel était racheté par son principal rival, Arcelor [une « fusion inversée », NdE] et la nouvelle entité signait un MoU similaire avec le gouvernement d'Orissa une année plus tard.
Les deux projets sidérurgiques présentés seraient créés en deux phases et permettraient de produire 6 millions de tonnes d'acier chacun, avec l'installation d'une centrale électrique captive. L'achèvement de la première phase est prévue dans les 48 mois à partir de la date de l'accord mentionnée sur le rapport de projet détaillé et la seconde phase, 54 mois après l'achèvement de la première phase.
Le méga-projet sidérurgique du Jharkhand requerra 4428 hectares de terre dans les régions de Gumia et Khunti et englobera 16 villages, selon les chiffres du ministère de l'Industrie de l'État.
Cependant, Barla ainsi que les villageois locaux, affirment que les chiffres cités ci-dessus « doivent être considérés comme un minima et une première estimation. Mais si l'usine est réellement installée, les besoins en terrains vont manifestement être multipliés pour le développement des infrastructures et des communes, etc.. En même temps, 30 à 40 villages seront probablement déplacés», et la terre pillée, «menaçant ainsi l'environnement et la source même d'approvisionnement alimentaire des aborigènes locaux.»
Les projets de 3 900 hectares conclus par Arcelor Mittal dans l'État d'Orissa s'étendent sur plus de 15 villages dans le district de Patna de la région de Keonjhar. Le site comprend des équipements pour fondre le charbon et produire l'acier ainsi que des aciéries et une centrale électrique de 750 Mégawatt. De plus, l'entreprise va explorer la possibilité d'installer une centrale électrique d'une capacité de 2 500 Mégawattsdans le Jharkhand et établir des habitations pour les employés et des infrastructures d'alimentation en eau.
Le gouvernement central a approuvé la requête d'Arcelor Mittal de louer 202 hectares des mines de fer de Karampada avec des réserves de 65 millions de tonnes, situés dans la réserve forestière de la région du Singbhum à l'ouest du Jharkhand. Les gisements y sont minéralisés et de très bonne qualité.
Jusqu'à présent, le refus par un nombre significatif d'agriculteurs et d'autres villageois dans le Jharkhand et l’Orissa de vendre leur terres, essentielles aux projets, a engendré des retards « inacceptables », a indiqué LN Mittal au Financial Times (Londres) en octobre. La population doit être « éduquée » pour comprendre et soutenir le bénéfice du développement industriel incluant le besoin de construire de nouvelles usines sidérurgiques sur des terres agricoles, a déclaré le PDG de Mittal. « Si nous ne progressons pas sur ces deux sites, il nous faudra abandonner l'idée de démarrer le projet à ces emplacements et chercher d'autres endroits en Inde pour notre développement." 
Mais un jour après cet avertissement, le magnat de l'acier a publié une déclaration plus tempérée depuis son bureau de New Delhi : « Arcelor Mittal n'a aucunement l'intention de quitter l'Inde. L'Inde est un pays important pour la croissance de la demande en acier et représente une part importante des projets stratégiques à long terme. L'entreprise continue de travailler sur ces deux projets Greenfield dans le Jharkhand et l’Orissa. Cependant, si l'acquisition de terre continue à se révéler difficile, nous commencerons à chercher des sites alternatifs en Inde. »
Le chef du gouvernement local d'Orissa, Naveen Patnaik s'est étonné de l'avertissement de Mittal. « Je n'ai pas reçu d’information de la sorte provenant de la société», a-t-il indiqué à une agence de presse indienne. « Je crois que l'acquisition des terres pour le projet de cette entreprise est en cours. Nous faisons notre possible pour faciliter le projet (et) nous souhaitons régler le problème d'acquisition des terrains à l'amiable et dans une satisfaction mutuelle avec les villageois. »
Le point juridique
L'opposition populaire aux projets d'Arcelor Mittal est basée sur l'annexe 5, article 244 de la Constitution indienne. Prenant effet en 1950, elle garantit aux peuples indigènes le droit d'administrer et de contrôler leurs terres dans neuf États : l'Andhra Pradesh, le Jharkhand, le Gujarat, l'Himachal Pradesh, le Maharashtra, le Madhya Pradesh, le Chattisgarh, l'Orissa et le Rajasthan.
Les droits indigènes ont été renforcés par le vote en 1996 de la loi sur l'extension du Panchâyat aux zones répertoriées (la loi PESA). Cette loi a permis aux communautés tribales traditionnelles d'avoir un contrôle sur leurs ressources naturelles locales, de reconnaître le droit coutumier, les pratiques sociales et religieuses et les pratiques de gestion traditionnelle des ressources de la communauté ; et elle a accordé des pouvoirs étendus aux assemblés de villages (Gaon Sabhas).
En 1997, le jugement historique Samata de la Cour suprême a retenu la cause de la propriété tribale des terres autochtones. Samata, une ONG travaillant dans les zones répertoriées d'Andhra Pradeh a intenté un procès contre le gouvernement d'État pour avoir loué des terres tribales à des sociétés minières privées dans les zones répertoriées. La requête d'autorisation spéciale (SLP) déposée auprès de la Cour Suprême a mené, en juillet 1997, à une décision qui fait date, en statuant que le gouvernement est également une « personne » et que toute location de terres à des compagnies minières privées dans les zones répertoriées est considérée comme nulle et non avenue.
Ces garanties sont des extensions de la loi de bail de Chhotnagpur édictée par les Britanniques dans le Jharkhand où les tribus Munda sont prédominantes. La loi qui reconnaît les droits traditionnels sur la terre, la forêt et les étendues d'eau offre un statut spécial aux peuples autochtones et un droit de bail aux villages. La section 46 de la loi CNT déclare clairement que la terre produisant des ressources naturelles et la terre villageoise sont la propriété de la communauté et ne peuvent être touchées sans le consentement des Gaon Sabhas. Selon cette loi, aucune personne qui n'est pas membre d'une tribu ou étrangère, ne peut acheter de terrains appartenant à des tribus dans ces régions.
Le secrétaire du gouvernement d'Orissa, le Dr. AMR Dalwai a indiqué que tant qu'aucune terre n'est attribuée à la société, le processus suivra son cours. La société a eu des réunions avec les Gaon Sabhas (les assemblées de village) dans huit villages et il en sera de même bientôt pour les sept villages restant. Ces assemblées ont légalement pour tache de sauvegarder et préserver les traditions et coutumes du peuple, leur identité culturelle, les ressources communautaires et leur manière coutumière de résoudre les litiges.
Les responsables du Jharkhand ont réagi différemment. Le gouverneur K. Sankaranarayanan a préconisé le dialogue entre l''entreprise et les villageois "qui possèdent la terre et qui doivent déjà accepter de s'en séparer", a-t-il souligné. "Si l'entreprise décide de se relocaliser dans un autre site, que puis-je y faire ? L'État n'y perdra pas ; d'autres sont prêts à intervenir."
Cependant, lors de récents développements, le PDG Vijay Bhatnagar, avec le membre du groupe de direction, Sudhir Maheshwari et le vice-Président, MP Singh, ont rencontré le nouveau gouvernement du Jharkhand, dirigé par le Premier ministre Shibu Soren : "Nous sommes venus réaffirmer notre engagement,  nous sommes déterminés à poursuivre le projet dans l'État pour lequel le soutien du gouvernement de l'État est demandé. Le Ministre principal a promis tout son soutien au projet," a indiqué Bhatnagar.
Entre-temps, les militants de l'AMARM dans le Jharkhand se battent bec et ongles contre le projet. En octobre, non découragés par une pluie battante, des milliers d'hommes et de femmes se sont rassemblés au quartier général de la région sur le site prévu de Gumla. Ils étaient armés des traditionnels arcs et flèches, et portaient des balais, des faucilles, des batteurs à grain et des tangi (machettes). Sur les pancartes et banderoles qu'ils brandissaient, on pouvait lire "Mittal va-t-en".
Les villageois manifestaient contre la vente de 512,5 hectares de terre appartenant soi-disant au "gouvernement", pour laquelle l'entreprise a déjà payé 80 % du coût (12,39 crores soit 2,8 millions de $) à l'administration de la région. Les villageois ont appelé à l'annulation immédiate de l'acte de vente, soutenant que la terre comprend des ressources naturelles appartenant à la communauté comme les rivières, les ruisseaux, les forêts et les collines qui permettent à une dizaine de villages de vivre dans la région.
Malgré le peu de chance qu'ils ont de gagner la partie, les locaux gardent espoir de conserver leurs terres ancestrales. "Les manifestations des villageois restent présentes à l'esprit", a indiqué le chef de l'administration de Gumla, Rahul Sharma, " la question est désormais en instance de la décision du commissaire divisionnaire mais jusqu'à présent, aucune terre n'a été attribuée à Arcelor Mittal."


Source :  Protesters in Eastern India Battle Against Mining Giant Arcelor Mittal
Article original publié le 2/3/2010

Sur l’auteure
Tlaxcala
 est le réseau international de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteure, la traductrice, l'éditeur et la source.
URL de cet article sur Tlaxcala :
http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=10762&lg=fr
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire