Restez en Autriche, Arigona, car c’est votre pays. Ceux qui identifient la patrie avec le « sol et le sang » sont des menteurs. Ce ne sont ni le lieu de naissance ni l’origine des parents, mais l’environnement social où l’on a grandi qui détermine le sentiment d’être de quelque part. Le «quelque part» lui-même importe peu. C’est une affaire privée, comme l’amour, que personne n’a la possibilité ni le droit de prescrire.
Tout être qui dispose d’un cœur humain sait cela. Seuls ceux que l’amour du pouvoir a conduits à remplacer ce sentiment par des paragraphes législatifs l’oublieront. Pour ceux-là, l’humanité et l’éthique ne pèsent rien en regard des règlements. « Le droit doit rester le droit. Aucun gouvernement ne peut accepter de faire une entorse à la loi », déclarait encore le 13 janvier dernier, Werner Feymann, le Chancelier fédéral (social-démocrate). N’oublions cependant pas que c’est en vertu de ce principe que des politiciens et des fonctionnaires ont envoyé des millions de gens (enfants compris) dans des camps de concentration ou des goulags.
Les larmes de crocodile des puissants
Ne vous laissez pas prendre aux larmes de crocodiles des puissants. Tous ceux qui prétendent chercher une solution humaine à votre cas et qui se sont prononcés en faveur de votre droit à rester ici vous conseillent maintenant de partir de votre plein gré, le Président Heinz Fischer en tête. Certes lui, socialiste convaincu et la plus haute instance morale du pays, demandait encore à Noël dernier, de « prendre des décisions permettant à cette jeune femme de ne pas être expulsée.» Prière qu’il a même réitérée quelques mois plus tard. Mais cette fois avec un petit ajout : qu’il ne s’opposerait pas à une décision de la Cour Constitutionnelle. Voulait-il ainsi donner le feu vert au jugement négatif que cette Cour allait prononcer sur votre cas, le 12 juin 2010 ? Quoi qu’il en soit, dès l’annonce de cette décision, le Président s’est hâté de déclarer qu’on devait respecter les décisions de la Cour Constitutionnelle. Même son de cloche chez le responsable de la justice au SPÖ (Parti social-démocrate), Hannes Jarolim, tandis que la Présidente du Conseil national (chambre basse du Parlement), Barbara Prammer, également membre du parti, ajoutait : « Ce serait une bonne chose qu’elle revienne en Autriche avec un large soutien.»
Cette proposition ne se distingue en rien de ce que vous a conseillé Maria Fekter, la Ministre de l’Intérieur (aile droite de l’ÖVP, Parti populaire, démocrate-chrétien). Elle aussi fait preuve de compréhension à votre égard. « La dimension humaine de ce cas ne m’échappe pas », a-t-elle dit, pleine de compassion - pour souligner ensuite brutalement : « mais j’appliquerai les décisions de la Cour Constitutionnelle.» Quand ? Ce n’est pas encore décidé. Hans-Christian Strache, le Président du parti d’extrême-droite FPÖ (Parti « libéral »), et le Secrétaire général de la BZÖ (Alliance pour le futur de l’Autriche, scission du FPÖ), Christian Ebner, demandent votre expulsion immédiate. Pour l’instant Maria Fekter se tait, mais un porte-parole du ministère a fait savoir que cela ne devrait pas tarder. La SPÖ le regrettera, mais elle sera soulagée que vous ayiez quitté le pays. C’est que vous êtes une épine dans le pied de la coalition SPÖ-ÖVP , et son partage doudouteux du pouvoir ; elle a autre chose à faire que de se préoccuper des destins individuels. Ce n’est pas pour rien que Staline disait : « Un homme- un problème. Plus d’homme- plus de problème ! »
Le maquignonnage
Bien sûr on y met les formes. Le mieux étant que vous soyiez d’accord. Si vous acceptez leur proposition : quitter l’Autriche de votre plein gré, le gouvernement doudouteux s’en tire blanc comme neige. Il pourra ainsi montrer au monde entier qu’il a respecté non seulement la légalité, mais encore l’humanité. Rentrez seulement au pays où vous êtes née, mais où vous n’avez ni foyer, ni possibilité de mener une vie digne, et vous aurez une seconde chance -légale- de réintégrer votre véritable patrie, l’Autriche. Par exemple comme touriste, ou comme étudiante, voire (travailleuse) saisonnière ou aide à la personne, et si vous tenez à rester en Autriche, épousez donc un citoyen autrichien. C’est la proposition que vous a faite Madame la Ministre Fekter le 16 juin dernier et le célèbre animateur Alfons Haider vous a même fait publiquement une demande en mariage le jour même au cours du débat télévisé « Am Punkt» sur la chaîne ATV.
On trouve toujours une solution, si l’on accepte les compromis. Vous aurez une chance de pouvoir rentrer légalement en Autriche, peut-être d’y rester et même éventuellement d’obtenir votre naturalisation. Quant au gouvernement, il sera débarrassé de vous, conservera un pouvoir discrétionnaire (?) sur votre entrée et votre séjour dans cotre véritable patrie et disposera d’une jurisprudence qui lui permettra de chasser d’Autriche des centaines d’autres Arigona au destin semblable au vôtre. Qui donc sera le gagnant et qui sera le perdant dans ce maquignonnage que vous offre le gouvernement ?
« Une honte qui crie à la face du ciel»
L’offre que vous a faite le gouvernement vous place dans la situation des personnages du célèbre dessin du caricaturiste Dusan Petricic, qui représente deux joueurs d’échecs avec sur la table des pièces d’échecs pour l’un et un revolver pour l’autre. Votre vieux protecteur, le curé Josef Friedl, semble l’avoir bien compris aussi. Est-ce pour cette raison que lui aussi vous a conseillé le 15 juin de quitter le pays de votre plein gré ? Il n’est pas exclu qu’il subisse des pressions politiques, dans la mesure où, selon ses propres dires, Wilhelm Molterer, chargé de relations avec la presse à l’ÖVP l’a appelé de la part du Secrétaire général de l’ÖVP, Hannes Missethon et lui a demandé s’il pouvait résoudre le conflit politique déclenché par votre séjour et vous abriter chez lui. Le prompt démenti apporté par l’ÖVP à cette affirmation montre à quel point votre cas atteint ce parti non seulement au plan moral, mais au plan politique. Mais si vous cédiez à ces pressions, ce serait précisément ce que Friedl appelait lui-même dans une interview accordée le 23 décembre 2008 à l’hebdomadaire viennois « Falter », « une honte qui crie à la face du ciel».
L’offre que vous a faite le gouvernement vous place dans la situation des personnages du célèbre dessin du caricaturiste Dusan Petricic, qui représente deux joueurs d’échecs avec sur la table des pièces d’échecs pour l’un et un revolver pour l’autre. Votre vieux protecteur, le curé Josef Friedl, semble l’avoir bien compris aussi. Est-ce pour cette raison que lui aussi vous a conseillé le 15 juin de quitter le pays de votre plein gré ? Il n’est pas exclu qu’il subisse des pressions politiques, dans la mesure où, selon ses propres dires, Wilhelm Molterer, chargé de relations avec la presse à l’ÖVP l’a appelé de la part du Secrétaire général de l’ÖVP, Hannes Missethon et lui a demandé s’il pouvait résoudre le conflit politique déclenché par votre séjour et vous abriter chez lui. Le prompt démenti apporté par l’ÖVP à cette affirmation montre à quel point votre cas atteint ce parti non seulement au plan moral, mais au plan politique. Mais si vous cédiez à ces pressions, ce serait précisément ce que Friedl appelait lui-même dans une interview accordée le 23 décembre 2008 à l’hebdomadaire viennois « Falter », « une honte qui crie à la face du ciel».
Eh bien, si vous acceptiez la proposition du gouvernement, cette même honte retomberait aussi sur vous. Vous encourageriez les deux partis au pouvoir à poursuivre et aggraver leurs violations des droits humains sous le couvert de lois inhumaines. On ne peut attendre autre chose de ces deux partis qui depuis longtemps ont trahi respectivement les principes.humanistes du socialisme et les valeurs chrétiennes. Tout à fait consciemment et avec cette bonne dose de sadisme à l’égard du plus faible si caractéristique des puissants, ils œuvrent à une société à deux vitesses. L’une pour les stars du monde de la culture, du sport ou du show biz, sans parler des hommes d’affaires, et une autre pour les simples mortels. Pour les premiers on contourne la loi sans problème et on les naturalise à grand renfort de médias. Aux autres on applique la loi dans toute sa rigueur et sans aucun égard pour les aspects humains. Non seulement les journaux autrichiens, mais le plus grand quotidien slovène, « Delo » du 19 juin s’en sont fait l’écho. Si au moins vous étiez Ailsar Alibuni, « le prochain top model d’Allemagne », les puissants vous traiteraient comme elle, qui, ainsi que l’écrivait le 13 juin le quotidien « Österreich », était elle aussi entrée illégalement en Autriche, on oublierait sûrement ce « petit détail » et on vous appellerait « notre compatriote de Haute-Autriche ». Malheureusement vous n’êtes qu’une simplelycéenne, qui a eu la malchance d’être emmenée illégalement en Autriche quand elle était enfant et d’y grandir, qui est devenue un membre de cette société mais à qui l’État applique des mesures de punition collective. Comme dans l’Allemagne nazie, comme en Union soviétique, dans la Chine de Mao ou en Corée du Nord, où tous les membres de la famille, enfants inclus, devaient payer pour les péchés du père - et continuent à le faire.
« Heinz, fais quelque chose ! »
Accepter le maquignonnage que vous propose le gouvernement ne serait rien d’autre qu’accepter d’être expulsée en douceur. Certes il vous serait théoriquement possible de rentrer légalement en Autriche, mais on vous aurait dépouillée de votre véritable patrie. Si en revanche vous osiez vous opposer aux puissants, vous risqueriez d’être expulsée par la force (vulgairement : déportée). Mais tout l’arbitraire d’un système inhumain éclaterait ainsi aux yeux du monde entier, et plus crûment encore que dans le cas du Nigérian Marcus Ofuma, qui le 1er mai 1999 a succombé aux brutalités policières lors de son expulsion forcée. Le drame d’une enfant intégrée dans ce pays est plus émouvant que la tragédie d’un réfugié africain adulte, et les médias ne manqueront pas d’en faire grand bruit. N’oublions pas que le journal le plus lu en Autriche, le « Kronen Zeitung » a plaidé de manière surprenante pour que vous restiez, peu avant la mort de son directeur de l’époque, Hans Dichand, tristement connu pour sa xénophobie.
Pour les autorités cette situation ne sera rien moins qu’agréable. Une partie de l’opinion publique autrichienne est indignée de leur attitude à votre égard. Les Verts ont lancé une pétition pour demander que vous puissiez rester ici et c’est le seul parti présent au Parlement qui vous défende. À l’appel d’ « Asyl-in Not »29 organisations ont appelé à manifester le 18 juin contre la décision de la Cour constitutionnelle vous concernant. Certes, il n’y a eu que 250 manifestants et la presse en a à peine parlé, mais cela prouve qu’il y a dans votre pays des forces qui vous soutiennent. Dans son appel l’organisation « Asyl-in-Not » a fait remarquer qu’« en début d’année une chasse aux sorcières dirigée contre Arigona par des éléments sexistes et racistes avait précédé cet acte de justice politisée ». Des dissensions apparaissent déjà au sein du SPÖ à ce sujet. Franz Voves, gouverneur du land de Styrie a qualifié d’ « inhumaine » votre expulsion et celle de votre famille. Les Jeunesses socialistes ont participé à l’organisation de la manifestation viennoise et leur Président, Wofgang Moitzi, juge « honteuse et indigne» la décision de la Cour Constitutionnelle. L’évêque catholique de Linz, Ludwig Schwarz, a demandé dans le Kirchenzeitung der Diözese Linz (Journal ecclésial du diocèse de Linz , Ndlt)de « préférer la clémence au droit » et l’évêque protestant luthérien, Michael Bunker, ainsi que le superintendant du land, Thomas Hennefeld, a demandé une nouvelle fois, le 15 juin dernier, de prévoir un droit de séjour pour ces « personnes bien intégrées qui vivent depuis des années en Autriche » et rappelé les paroles du Président Heinz Fischer selon lesquelles le droit ne doit pas entrer en contradiction avec l’humanité. « Heinz, fais quelque chose ! », disait la pancarte que le porte-parole du KPÖ (Parti communiste autrichien, Ndlt) Didi Zach et le prochain Conseiller communiste de district, Wolf Jurjans, ont plantée devant le palais présidentiel.
Lève-toi et lutte !
« Heinz » fera-t-il quelque chose ? On peut en douter. D’autres institutions qui militent pour un revirement moral de la société feront-elles entendre leur voix? On peut aussi en douter. À quelques exceptions près la hiérarchie catholique se tait. Les autres confessions religieuses également, sauf les luthériens. Et les intellectuels font de même. On attend toujours que les écrivains, artistes, professeurs d’université, enseignants du premier et second degré, pédagogues de renom et psychologues se mobilisent pour que vous restiez en Autriche. Malheureusement leurs organisations n’ont pas lancé de pétition, pas pris de position collective, pas protesté - rien. Mais les voix de l’extrême-droite, elles, se font d’autant mieux entendre, et leur effet dévastateur se fait déjà sentir. Les habitants de Frankenburg, où vous vivez, et qui vous soutenaient encore massivement en 2007, se sont maintenant, pour la majorité, détournés de vous. Les temps sont malheureusement plus difficiles désormais et à une époque où les perspectives d’avenir s’assombrissent, l’opinion publique est plus sensible aux sirènes de l’extrême-droite. En un tournemain la sympathie qu’on éprouve pour quelqu’un ou quelque chose peut se transformer en une haine aveugle. Surtout dans les zones rurales.
Ne perdez pourtant pas courage. On ne vous sert pas la patrie sur un plateau d’argent, il faut la conquérir de haute lutte. Le temps des larmes et des menaces de suicide est révolu. N’ayez pas une attitude victimaire et surtout ne vous laissez pas convaincre de quitter l’Autriche. Le faire signerait votre arrêt de mort, au plan personnel et moral. Et la meilleure défense, c’est l’attaque. Contactez les personnes et les organisations qui vous soutiennent, parlez, écrivez, organisez avec elles la résistance et tenez bon, même si on vous exile hors d’Autriche. En exil on peut continuer le combat. Courage, levez-vous et luttez ! Et n’oubliez pas : si vous obtenez le droit de rester dans ce pays (et c’est mon souhait le plus cher), votre lutte n’est pas finie pour autant. Il y a tant d’autres Arigona dans ce pays (le vôtre). Ne l’oubliez jamais. Et n’oubliez pas non plus que vous aurez toujours des soutiens dans ce combat.
Amicalement
Vladislav Marjanović
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