par Brian Whitaker, Guardian, 28/12/2010. Traduit par Omar Khayyam, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original:
Un incident relativement mineur a été le catalyseur d'une vague de protestations qui pourraient provoquer la fin de la présidence de Zine El Abidine Ben Ali
En observant les événements des dernières jours en Tunisie, je me suis peu à peu rappelé un événement qui remonte à 1989: la chute du dictateur roumain, Nicolae Ceausescu. Le dictateur tunisien, Zine El Abidine Ben Ali, est-il sur le point de connaître le même sort ?
En observant les événements des dernières jours en Tunisie, je me suis peu à peu rappelé un événement qui remonte à 1989: la chute du dictateur roumain, Nicolae Ceausescu. Le dictateur tunisien, Zine El Abidine Ben Ali, est-il sur le point de connaître le même sort ?
Après 22 ans de règne, Ceausescu a connu une fin subite et, en quelque sorte, imprévue. Tout a commencé lorsque le gouvernement a persécuté un prêtre de la minorité hongroise à cause de propos qu'il avait tenus. Des manifestations se sont déclenchées, mais, en peu de temps, le prêtre est tombé dans l'oubli. Les manifestations se sont tout de suite transformées en un mouvement de protestation généralisé contre le régime Ceausescu. Bref - c'est un euphémisme - la population roumaine en avait ras-le-bol.
Les émeutes et les manifestations qui se sont propagées partout en Tunisie durant les dix derniers jours ont aussi commencé par un petit incident. Mohamed Bouazizi, un jeune de 26 ans, vivant à Sidi Bouzid, une petite ville de province, avait un diplôme universitaire mais était sans emploi. Pour gagner un peu d'argent, il s'est résigné à vendre, sans permis, des fruits et des légumes dans la rue. Lorsque les autorités l'ont interpellé et ont confisqué sa marchandise, il était tellement en colère qu'il s'est immolé par le feu.
Peu après, des émeutes se sont déclenchées et les forces de sécurité ont coupé la ville du reste du pays. Mercredi, un autre jeune chômeur de Sidi Bouzid a escaladé un poteau électrique, a crié "non à la misère, non au chômage", puis a touché les câbles. Il a été électrocuté sur-le-champ.
Vendredi, des émeutiers à Menzel Bouzayane ont incendié des voitures de police, une locomotive, les locaux du parti au pouvoir et un poste de police. Ripostant à des attaques de cocktails Molotov, la police a ouvert le feu, tuant un jeune manifestant.
Samedi, les protestations ont atteint la capitale, Tunis. Hier, une deuxième manifestation y a eu lieu.
La couverture médiatique sur ces événements a été - c'est le moins qu'on puisse dire - sporadique. En effet, la presse est strictement contrôlée en Tunisie et les médias internationaux n'ont montré que peu d'intérêt pour ces événements. Peut-être s'agit-il du syndrome du "pas-assez-de-morts". Mais dans le contexte tunisien, ce sont des événements de taille. C'est, après tout, un État policier où normalement il n'y a ni émeutes ni manifestations, et surtout pas simultanément dans des grandes comme des petites villes, du nord au sud du pays.
Donc, ce que l'on constate, premièrement, c'est la faillite d'un système construit durant des années pour empêcher les gens de s'organiser, de communiquer et de militer.
Deuxièmement, nous voyons un nombre relativement important de gens qui se débarrassent de leur peur du régime. Malgré le risque réel d'arrestation et de torture, ils ne se plient plus à l'intimidation.
Enfin, nous assistons à l'effondrement d'un pacte avec le diable bien rôdé où, en contrepartie d'une acceptation d'une vie sous la dictature, les besoins économiques et sociaux des gens sont censés être satisfaits par l'État.
Officiellement, le taux de chômage en Tunisie tourne autour de 13%. Mais le taux réel est probablement plus élevé, surtout parmi les diplômés des universités. D'après une étude récente, 25% des diplômés de sexe masculin et 44% des diplômées de sexe féminin à Sidi Bouzid sont au chômage. En effet, ils sont victimes d'un système éducatif qui a réussi à leur procurer des qualifications sans débouchés et des attentes impossibles à satisfaire.
Le régime semble avoir exagéré les succès économiques dont il se vantait. Les gens se demandent : si ce qu’ils nous disent est vrai, alors que s'est-il passé avec l'argent ? La réponse qu'ils donnent est que cet ragent est allé dans les poches de la famille de Ben Ali et de ses associés.
Dr. Larbi Sadiki, de l'Université d'Exeter a écrit l'autre jour: "La Première Dame est presque la réincarnation d'Imelda Marcos des Philippines. Mais au lieu de chaussures, Madame Leila collectionne des villas, des propriétés immobilières et des compte en banque". Il y a aussi le gendre du président et son possible successeur, Mohamed Sakher El Materi dont le style de vie extravagant et les intérêts d'affaires ont été éloquemment
Le moment décisif de la révolution roumaine est arrivé lorsque le président Ceausescu et sa femme ont tenu un rassemblement populaire, télévisé, pour susciter le soutien de la foule. Mais, au lieu de les acclamer, comme auparavant, la foule les a hués et chahutés. Visiblement choqués, les Ceausescu se sont éclipsés à l'intérieur de l'édifice. Ainsi tout le pays a-t-il su que c'était la fin de partie.
Le président Ben Ali a jusqu'ici évité cette faute et continue d'être glorifié par les médias officiels. Mais il y avait quelque chose dans l'air lorsque le Rassemblement Constitutionnel Démocratique a convoqué un meeting à Sidi Bouzid, la semaine dernière. " Ce meeting, qui devait délivrer un message politique très fort et calmer les esprits, était mou", tels sont les propos rapportés d'un journaliste. Peu de membres du parti y avaient répondu à la convocation.
Les allégations du régime, évoquant des forces malveillantes (non-spécifiées) se cachant derrières les émeutes et les manifestations, semblent, elles aussi, assez molles. En accordant dans la précipitation une aide de 15 millions de dinars (10 millions de livres sterling) à Sidi Bouzid, le régime vient de reconnaître que les contestataires n'avaient pas tort.
La question cruciale est de savoir ce que pensent réellement les membres des forces de securité, les membres du parti au pouvoir et les hauts fonctionnaires, c'est-à-dire tous ceux qui ont permis à Ben Ali de tenir la route pendant les 23 dernières années. Combien parmi eux ont-ils des proches au chômage ? Et, surtout, combien d'eux croient-ils réellement que Ben Ali est l'homme capable de résoudre les problèmes du pays ?
La majorité des régimes arabes se fient à des réseaux clientélistes pour se maintenir au pouvoir, mais la base qui soutient Ben Ali paraît comparativement petite et de plus en plus fragile, comme l'a noté l'ambassadeur US dans les documents wikileakés. Il y décrit un régime qui a perdu le contact avec le peuple, un régime qui ne tolère aucun conseil ni critique et dont la corruption est devenue tellement flagrante que même "le Tunisien moyen en est pleinement conscient".
Ben Ali pourrait s'accrocher au pouvoir, mais son régime dégage maintenant une odeur de fin de siècle. Il est arrivé au pouvoir en 1987 en déclarant le président Bourguiba inapte d'exercer le pouvoir. Ce n'est, probablement qu'une question de temps avant que quelqu'un d'autre délivre le même message à Ben Ali.
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