par Patrick Silberstein, 28/2/2012
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Éleftherotypia, « Liberté d’expression », l’un des plus prestigieux journaux grecs, est en cessation de paiement depuis août 2011 (voir Un journal grec en autogestion !).). En grève illimitée depuis le 22 décembre 2001, les 800 salariés n’ont pas reçu le moindre salaire depuis sept mois. Plus de salaire, plus de boulot, plus de journal… Journalistes, techniciens, imprimeurs… sont sur le pavé. Il y a déjà plusieurs mois que l’Union européenne des journalistes, avertie de la situation, a exigé des propriétaires (X. K. Tegopoulos Inc.) qu’ils « prennent leurs responsabilités pour sauver ce journal historique ». La réponse a été celle de tous les propriétaires absentéistes… Cependant, la société, comme la nature, ayant horreur du vide, le vide a été rempli par l’initiative autogestionnaire des travailleurs du journal.
La société éditrice invoquant la loi sur les faillites pour ne pas payer les salaires dus, les salariés confrontés au mur de la « légalité » (se confondant ici totalement avec celui de l’argent) ont donc décidé de prendre les rênes du journal. Le premier numéro est paru le 15 février, le second le 25. Plus de 30000 exemplaires ont été vendus dans les kiosques. C’est, selon Marie Aphrodite Politi, journaliste « sans salaire » d’Elefitheropia, la « revanche des travailleurs » qui sont de retour sur la scène publique avec leur journal, malgré les embûches et les chausse-trappes semées par les propriétaires.
Les biens vacants appartiennent à la société
Pour Moisis Litsis, l’un des rédacteurs du journal, il était clair, dès le mois de novembre que les banques ne prêteraient pas le moindre euro aux propriétaires pour renflouer un journal mal réputé pour avoir critiqué de manière virulente le gouvernement. Cependant, si le positionnement politique de Éleftherotypia a pu jouer un rôle dans la décision de lui couper les vivres, la cause principale est ailleurs, plus grave, plus fondamentale : les banques n’accordent plus aucun crédit aux entreprises par peur du défaut de paiement. La direction n’avait donc pas d’autre proposition que de mettre la clé sous la porte et d’attendre des jours meilleurs. Et ils seront sans aucun doute nombreux les « chefs » d’entreprises à attendre une « embellie » en privant les travailleurs de ressources et en abandonnant les outils industriels et de service.
Si la situation du pays appelle des réponses sociales et politiques appropriées, Moisis Litsis regrette que « les syndicats dominants pensent encore la situation selon des schémas traditionnels (grèves, manifs, propagande, appels à des changements de politique économique et sociale…). Il n’y a, dit-il, ni coordination véritable ni réflexion sur le redémarrage de la production (ce qui est d’ailleurs difficile car en fait de production, beaucoup des entreprises grecques étaient des entreprises de commerce). Par exemple, les métallos de la Chaliburgia sont en grève depuis pratiquement trois mois contre les baisses de salaires et les licenciements 1. Ils contrôlent leur usine, mais ils se contentent d’organiser des manifestations et le mouvement de solidarité mais n’envisagent pas de reprendre le travail pour le bien des travailleurs et de la société tout entière. »
Toujours selon Moisis Litsis, « l’autogestion est la seule solution ». Il n’y a pas d’alternative : « Étant donné la situation économique et financière du pays qui va de mal en pis, je n’entrevois pour notre journal aucune possibilité de retourner à une quelconque normalité. Je crois que de plus en plus de propriétaires vont abandonner leurs entreprises. Ils ne veulent pas y mettre le moindre sou de leur poche et préfèrent attendre de voir comment la crise grecque va évoluer. »
L’autogestion c’est pas de la tarte !
Les travailleurs Éleftherotypia ont donc été confrontés à un dilemme : soit attendre une « solution industrielle » s’apparentant à l’arlésienne, soit se saisir de leur outil de travail pour le « remettre en marche » afin que le peuple grec en lutte puisse disposer d’un journal « différent, critique, radical ». Éleftherotypia est donc réapparu dans les kiosques sous le titre de « Liberté d’expression des travailleurs ».
Si les salarié-es ne sont pas tous convaincus qu’il soit possible de trouver des « solutions en dehors de l’économie de marché », en prenant la décision de faire leur journal, les hommes et les femmes d’Éleftherotypia, ainsi que l’explique Moisis Litsis, ne se sont pas pour autant lancés dans une « expérimentation sociale ». Marie Aphrodite Politi parle, quant à elle d’une « sorte d’autogestion ». Ce qui est certain, c’est que dans la situation concrète qu’ils vivent, les travailleurs tentent tout simplement de répondre à une double nécessité : travailler et gagner (un peu) leur vie et agir pour préserver leur collectif de travail, leur outil de travail et peser sur la situation.
Financé par des participations militantes de toutes sortes et vendu 1 euro, le journal a été conçu et imprimé en dehors des installations d’Éleftherotypia car les lieux de travail ne sont pas occupés. Marie Aphrodite Politi indique ainsi que les ouvriers du livre de l’imprimerie du journal – qui est la propriété de la même société – « hésitent à occuper leurs ateliers et à s’engager dans la production du journal ». La situation s’est quelque peu modifiée depuis que Liberté d’expression des travailleurs est paru, les patrons ayant bloqué les accès et coupé l’électricité, le téléphone et Internet…
Au cours des semaines qui ont précédé la sortie du premier numéro, outre les assemblées générales, des groupes de travail séparés ont réuni journalistes, employés de bureau et imprimeurs afin de mieux réfléchir sur « les moyens de publier » Éleftherotypia, sur la « popularisation de la lutte » mais aussi pour que « ceux qui veulent continuer à travailler “normalement” puissent le faire ». Un problème des plus difficiles à résoudre, estime Moisis Litsis, est celui de l’implication d’autres métiers dans le processus de publication du journal. Les discussions portent aussi sur le type de journal à produire. Certains sont partisans de faire un journal de grève, voire un journal militant, d’autres, telle Marie Aphrodite Politi, veulent publier un journal engagé, mais un « véritable journal avec ses rubriques habituelles : informations, politiques, sportives, culturelles, télé ». On trouve ainsi au sommaire du numéro 2 de Liberté d’expression des travailleurs un dossier consacré à la situation en Europe « Quo Vadis Europa », un entretien avec l’eurodéputé Daniel Cohn-Bendit, un autre avec Eric Olin Wright sur le Occupy Movement américain et de nombreux articles sur les événements courants en Grèce et dans le monde.
Quand Éric Toussaint, le président du CADTM évoque la situation générale du pays, il ne manque pas de souligner que si la résistance aux mesures de paupérisation imposées au peuple grec passe par de multiples canaux : «grèves générales, occupation des places publiques, manifestations de rue, résistance aux augmentations de tarif des services et des transports », il ne faut pas oublier « la relance de l’activité de certains services comme celui de l’hôpital de Kilkis en Macédoine ou le redémarrage […] du quotidien Eleftherotypia sous conduite des travailleurs ».
La société éditrice invoquant la loi sur les faillites pour ne pas payer les salaires dus, les salariés confrontés au mur de la « légalité » (se confondant ici totalement avec celui de l’argent) ont donc décidé de prendre les rênes du journal. Le premier numéro est paru le 15 février, le second le 25. Plus de 30000 exemplaires ont été vendus dans les kiosques. C’est, selon Marie Aphrodite Politi, journaliste « sans salaire » d’Elefitheropia, la « revanche des travailleurs » qui sont de retour sur la scène publique avec leur journal, malgré les embûches et les chausse-trappes semées par les propriétaires.
Les biens vacants appartiennent à la société
Pour Moisis Litsis, l’un des rédacteurs du journal, il était clair, dès le mois de novembre que les banques ne prêteraient pas le moindre euro aux propriétaires pour renflouer un journal mal réputé pour avoir critiqué de manière virulente le gouvernement. Cependant, si le positionnement politique de Éleftherotypia a pu jouer un rôle dans la décision de lui couper les vivres, la cause principale est ailleurs, plus grave, plus fondamentale : les banques n’accordent plus aucun crédit aux entreprises par peur du défaut de paiement. La direction n’avait donc pas d’autre proposition que de mettre la clé sous la porte et d’attendre des jours meilleurs. Et ils seront sans aucun doute nombreux les « chefs » d’entreprises à attendre une « embellie » en privant les travailleurs de ressources et en abandonnant les outils industriels et de service.
Si la situation du pays appelle des réponses sociales et politiques appropriées, Moisis Litsis regrette que « les syndicats dominants pensent encore la situation selon des schémas traditionnels (grèves, manifs, propagande, appels à des changements de politique économique et sociale…). Il n’y a, dit-il, ni coordination véritable ni réflexion sur le redémarrage de la production (ce qui est d’ailleurs difficile car en fait de production, beaucoup des entreprises grecques étaient des entreprises de commerce). Par exemple, les métallos de la Chaliburgia sont en grève depuis pratiquement trois mois contre les baisses de salaires et les licenciements 1. Ils contrôlent leur usine, mais ils se contentent d’organiser des manifestations et le mouvement de solidarité mais n’envisagent pas de reprendre le travail pour le bien des travailleurs et de la société tout entière. »
Toujours selon Moisis Litsis, « l’autogestion est la seule solution ». Il n’y a pas d’alternative : « Étant donné la situation économique et financière du pays qui va de mal en pis, je n’entrevois pour notre journal aucune possibilité de retourner à une quelconque normalité. Je crois que de plus en plus de propriétaires vont abandonner leurs entreprises. Ils ne veulent pas y mettre le moindre sou de leur poche et préfèrent attendre de voir comment la crise grecque va évoluer. »
L’autogestion c’est pas de la tarte !
Les travailleurs Éleftherotypia ont donc été confrontés à un dilemme : soit attendre une « solution industrielle » s’apparentant à l’arlésienne, soit se saisir de leur outil de travail pour le « remettre en marche » afin que le peuple grec en lutte puisse disposer d’un journal « différent, critique, radical ». Éleftherotypia est donc réapparu dans les kiosques sous le titre de « Liberté d’expression des travailleurs ».
Si les salarié-es ne sont pas tous convaincus qu’il soit possible de trouver des « solutions en dehors de l’économie de marché », en prenant la décision de faire leur journal, les hommes et les femmes d’Éleftherotypia, ainsi que l’explique Moisis Litsis, ne se sont pas pour autant lancés dans une « expérimentation sociale ». Marie Aphrodite Politi parle, quant à elle d’une « sorte d’autogestion ». Ce qui est certain, c’est que dans la situation concrète qu’ils vivent, les travailleurs tentent tout simplement de répondre à une double nécessité : travailler et gagner (un peu) leur vie et agir pour préserver leur collectif de travail, leur outil de travail et peser sur la situation.
Financé par des participations militantes de toutes sortes et vendu 1 euro, le journal a été conçu et imprimé en dehors des installations d’Éleftherotypia car les lieux de travail ne sont pas occupés. Marie Aphrodite Politi indique ainsi que les ouvriers du livre de l’imprimerie du journal – qui est la propriété de la même société – « hésitent à occuper leurs ateliers et à s’engager dans la production du journal ». La situation s’est quelque peu modifiée depuis que Liberté d’expression des travailleurs est paru, les patrons ayant bloqué les accès et coupé l’électricité, le téléphone et Internet…
Au cours des semaines qui ont précédé la sortie du premier numéro, outre les assemblées générales, des groupes de travail séparés ont réuni journalistes, employés de bureau et imprimeurs afin de mieux réfléchir sur « les moyens de publier » Éleftherotypia, sur la « popularisation de la lutte » mais aussi pour que « ceux qui veulent continuer à travailler “normalement” puissent le faire ». Un problème des plus difficiles à résoudre, estime Moisis Litsis, est celui de l’implication d’autres métiers dans le processus de publication du journal. Les discussions portent aussi sur le type de journal à produire. Certains sont partisans de faire un journal de grève, voire un journal militant, d’autres, telle Marie Aphrodite Politi, veulent publier un journal engagé, mais un « véritable journal avec ses rubriques habituelles : informations, politiques, sportives, culturelles, télé ». On trouve ainsi au sommaire du numéro 2 de Liberté d’expression des travailleurs un dossier consacré à la situation en Europe « Quo Vadis Europa », un entretien avec l’eurodéputé Daniel Cohn-Bendit, un autre avec Eric Olin Wright sur le Occupy Movement américain et de nombreux articles sur les événements courants en Grèce et dans le monde.
Quand Éric Toussaint, le président du CADTM évoque la situation générale du pays, il ne manque pas de souligner que si la résistance aux mesures de paupérisation imposées au peuple grec passe par de multiples canaux : «grèves générales, occupation des places publiques, manifestations de rue, résistance aux augmentations de tarif des services et des transports », il ne faut pas oublier « la relance de l’activité de certains services comme celui de l’hôpital de Kilkis en Macédoine ou le redémarrage […] du quotidien Eleftherotypia sous conduite des travailleurs ».