par Claude Calame, Le Monde, 8/4/2015
English Exposing the crimes against humanity committed against migrants
English Exposing the crimes against humanity committed against migrants
Plus de 3 400 migrants morts en Méditerranée en 2014, 300 dans la seule deuxième semaine de février 2015, tel est le dramatique bilan de la politique de fermeture des frontières menée par l’Union européenne (UE), de Ceuta et Melilla en face de Gibraltar, au fleuve Evros, en Grèce du Nord. La France n’échappe pas à cette politique d’érection de murs opposés à migrantes et migrants. Non pas en Méditerranée, mais à Calais.
Khalid Albaih, Soudan |
Un récent rapport d’Human Rights Watch (HRW) vient de dénoncer les conditions de survie imposées aux quelque 3 000 migrants qui, à Calais et dans le Calaisis, attendent soit une opportunité de passer clandestinement en Angleterre, soit l’incertain résultat d’une demande d’asile déposée en France : au dénuement total dans une situation d’extrême précarité s’ajoutent répression et exactions policières, entre passages à tabac et attaques au gaz lacrymogène.
Campements de fortune
Dans
la ligne de la multiplication des évacuations visant les Roms, trois squats ont
été évacués et fermés à partir de mai 2014. Et en ce début avril, c’est l’ensemble
des campements de fortune qui est menacé de destruction. Depuis l’été dernier,
les associations de soutien aux migrants actives à Calais ne font qu’appeler
l’attention des autorités politiques et du public sur les conditions
d’insoutenable insalubrité et de promiscuité inadmissible régnant dans
d’aléatoires campements de fortune : pas d’adduction d’eau digne de ce nom, pas
de sanitaires, pas d’élimination des déchets, pas de possibilité de chauffer
des aliments si ce n’est sur des foyers de fortune alimentés par des matériaux
souvent toxiques, pas de nourriture régulière, pas de services sanitaires. Avec
le dénuement matériel se combinent la détresse morale entraînée par la
perspective incertaine d’une traversée pour le moins risquée, les contrôles policiers,
les menaces d’expulsion, les pressions exercées par les passeurs, les
inévitables conflits, les violences policières dénoncées par HRW. S’y ajoutent
les expériences traumatisantes que l’on peut s’imaginer dans le passage de la
Méditerranée et au cours de la traversée de l’Europe. Aux Afghans et aux
Irakiens ont maintenant succédé Soudanais, Erythréens et Syriens, dont les pays
de l’UE n’acceptent que des contingents extrêmement restreints alors que le
Liban accueille plus d’un million de réfugiés. Migrants « illégaux » sans
doute, mais dont le seul crime est d’avoir fui des situations extrêmes de
guerre ou de répression. Que fait le gouvernement français ? Le 3 novembre
2014, Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, s’est rendu à
Calais. Il y a dit sa volonté de soulager la « détresse
des migrants », considérant que c’était un « devoir d’Etat ».
Il a signé avec la sous-préfecture de Calais une convention permettant la
création d’un centre d’accueil de jour de 400 places. Limité à la journée même
en plein hiver, ce mini Sangatte est à l’évidence insuffisant pour accueillir
les migrants en attente en Calaisis, parmi lesquels femmes et enfants. Le
rapport de HRW montre qu’il se résume pour l’instant à des "services
limités". Le centre d’accueil promis à Calais n’est qu’un fragile
paravent, aux apparences humanitaires. Le 20 septembre 2014, le même Bernard
Cazeneuve a obtenu de son homologue britannique, Theresa May, un montant de 15
millions d’euros sur trois ans pour l’installation et le contrôle de clôtures
de sécurité ; elles doivent interdire aux migrants tout accès au port. De plus,
trois jours après sa visite à Calais, le ministre a convoqué à Paris un G6
(élargi) des ministres de l’intérieur autour des questions du terrorisme et de
flux migratoires. Il a encouragé, aux frontières méridionales de l’Union
européenne, le passage de l’opération « Mare Nostrum » à l’opération « Triton
». Face à l’appui réel apporté cet été par les Italiens aux migrants en
détresse dans leur traversée de la Méditerranée, il a donc soutenu une nouvelle
opération d’envergure pour le contrôle policier et le bouclage des frontières
méridionales de l’Europe. Et c’est l’activation de cette opération répressive
qui est responsable des nouvelles disparitions de migrants enregistrées en ce
début février au sud de Lampedusa.
"Encore un bateau africain en route vers l'Europe", par Gado, Kenya |
Ainsi la politique locale d’intimidation, de répression et d’expulsion des migrants conduite à Calais n’est que l’une des pièces de la politique menée par l’Union européenne pour fermer ses frontières à toute forme de migration, à moins qu’elle ne soit « choisie ». L’UE exclut que les victimes de sa politique de connivence avec les pouvoirs économiques et financiers occidentaux s’adressent à elle : elle leur oppose une politique des murs. Calais n’en est que l’un des avatars, avec cette spécificité pour le moins discutable : vis-à-vis de la Grande-Bretagne, c’est désormais la France qui assume le rôle de l’externalisation des frontières imposée par l’Europe et son agence Frontex au Maroc, à la Libye et bientôt à la Turquie. Désormais, par la stratégie concertée d’érection de murs physiques et de contrôles policiers autant à Calais qu’aux frontières méridionales de l’Europe, avec les conséquences destructrices de vies humaines qu’impliquent ces barrières, on s’approche de la définition officielle d’un crime contre l’humanité, soit « la violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d’un individu ou d’un groupe d’individus inspirée par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux » ; et ceci par une action politique délibérée. Rappelons qu’au-delà de l’extermination, de la réduction en esclavage, de la prostitution forcée, de la persécution d’un groupe ou du recours systématique à la disparition forcée, l’article 7 du « Statut de Rome » de la Cour pénale internationale (17.7.1998) désigne également comme crime contre l’humanité « les autres actes inhumains (…) causant de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale ». En raison de la politique organisée de rejet des migrants et des migrantes menée par l’Union européenne, le nombre des morts en Méditerranée depuis le tournant du siècle dépasse désormais les 22 000. Ne faut-il pas dénoncer un crime contre l’humanité tel que le définissent les conventions internationales que la France a signées ?
Khalid Albaih, Soudan |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire