vendredi 23 janvier 2009

Israël a besoin du Hamas

par Knut Mellenthin, Junge Welt 14/1/2009. Traduit par Michèle Mialane et révisé par Fausto Giudice, Tlaxcala. Original : Israel braucht Hamas
L’État sioniste suppose nécessairement un environnement hostile qui maintient la fiction d’une menace sur son existence. En attaquant Gaza, Israël fait aussi échouer les tentatives de rapprochement des États arabes sunnites avec Tel Aviv

Israël pourra-t-il survivre à son attaque contre Gaza ? Une question bien étrange, non seulement à première vue, mais aussi en deuxième examen. Elle a été posée
le 8 janvier dans le Time par le correspondant en chef du magazine US à Jérusalem, Tim McGirk.

Le journaliste, qui a déjà travaillé pour le compte du Time en Irak, en Afghanistan et au Pakistan, s’est avisé que les retombées de la guerre sur la population civile de Gaza sont contre-productives pour Israël. Par exemple, en causant la mort de centaines de Palestiniens, Israël sonne le glas de « ses espérances de pouvoir faire cause commune avec les États arabes sunnites modérés contre les ambitions de l’Iran chiite dans le domaine nucléaire ». « L’offensive de Gaza a fortement affaibli les rares alliés d’Israël dans le monde arabe. »

Selon Mc Girk, Israël pourrait bien, en s’appuyant sur sa puissance militaire - « continuer à survivre des années, durant même dans un environnement hostile » «dans une situation qui n’est ni la guerre totale ni une paix véritable, toujours prêt à engager des conflits certes durs, mais limités, comme avec le Liban ou à Gaza ». Mais , objecte-t-il, « les armes sont impuissantes face au danger qui guette Israël à l’intérieur même de ses frontières ». Sur l’ensemble d’Israël et des territoires palestiniens sous contrôle israélien, la population arabe est déjà légèrement plus nombreuse, et ce différentiel ne fera que croître en raison d’une natalité supérieure chez les Arabes. »

Un affaiblissement du gouvernement de Mahmoud Abbas
Israël n’a donc d’autre choix que se retirer d’une grande partie des territoires occupés et de s’accommoder de la fondation d’un État palestinien. Les dirigeants israéliens, poursuit le journaliste du Time, devraient « admettre que, s’il est impossible de vaincre le Hamas par les armes, il faut le prendre en compte politiquement. C’est à dire accepter de traiter avec un gouvernement d’unité palestinien qui inclut d’une façon ou d’une autre le Hamas. Une coalition Fatah- Hamas est d’une importance capitale pour ouvrir un avenir à l’État palestinien et modérer l’extrémisme du Hamas. » - Suit l’incontournable mention des espoirs placés dans le nouveau Président des USA, Barack Obama, qui doit prendre le 20 janvier la succession de George W.Bush, qui a échoué sur toute la ligne.

Mc Girk et le Time ne sont pas seuls à craindre les conséquences qu’auront pour Israël les massacres de Gaza. Sur le site web de Newsweek, le deuxième magazine d’informations aux USA, l’un des rédacteurs les plus influents, Farid Zakaria, se demande : « Qu’est-ce qui fait sourire Ahmadinedjad ? » Réponse : « L’attaque sur Gaza a renforcé la position des faucons iraniens et nui aux Arabes modérés qui avaient fait un pas en direction d’Israël ». « Les opérations militaires israéliennes ont réduit à néant une évolution favorable à Israël. Au cours des deux dernières années certains pays arabes - l’Égypte, l’Arabie saoudite, la Jordanie- s’étaient en effet avisés que la montée en puissance de l’Iran constituait la principale menace régionale - et que sur ce plan leurs intérêts et perspectives étaient liés à ceux d’Israël. Mais cette position avait un talon d’Achille : l’opinion publique arabe, qui face aux massacres à Gaza évolue en sa défaveur. Il en va de même en Iran :
« Les lignes de force se déplacent. Désormais les modérés se taisent. Les journaux réformateurs publient en première page des photos de jeunes enfants palestiniens tués par les Israéliens. »

Sur le site de gauche « Antiwar.com » Helena Cobban, longtemps chroniqueuse au Christian Science Monitor, a passé en revue, le 10 janvier dernier, les campagnes menées par Israël depuis la guerre d’octobre 1973 : cinq au Liban (1978,1982,1993,1996 et 2006) et deux dans les territoires occupés (2002 en Cisjordanie et en ce moment à Gaza). Conclusion de Cobban : au total les résultats de ces opérations ont été exactement l’inverse de ce que souhaitaient les gouvernements israéliens qui les ont engagées. Au Liban le Hezbollah chiite pro-iranien est devenu la première force politique, sociale et militaire du pays. Et dans les territoires palestiniens occupés ou contrôlés par Israël, c’est le groupe relativement modéré du Président Abbas qui a été affaibli et les activistes du Hamas qui se sont trouvés renforcés.

Prenons par exemple l’attaque de la bande de Gaza, commencée fin décembre 2008, mais planifiée et préparée depuis plusieurs années déjà. Les effets négatifs qu’elle aurait sur les pays arabes de la région et plus largement dans de vastes pans du monde musulman étaient parfaitement prévisibles.

Sur ce plan, il est impossible de donner tort à Cobban. Mais faut-il réellement en tirer la conclusion que les gouvernements israéliens successifs ont depuis trente ans au moins- on pourrait au fond y ajouter les 30 années précédentes, remontant ainsi à la fondation de l’État d’Israël- s’en sont obstinément tenus, sans tirer la leçon des faits, à des comportements contraires aux intérêts et buts stratégiques de l’État sioniste et qui lui nuisent gravement ? Ou ne devrait-on pas plutôt envisager que ce qui semble de toute évidence contre-productif et absurde aux observateurs extérieurs constitue aux yeux des dirigeants israéliens en partie des dommages collatéraux inévitables et en partie un choix délibéré ? Cette analyse n’exclut bien sûr pas que certaines de ces entreprises militaires, par exemple la guerre au Liban à l’été 2006, n’aient pas pris le meilleur tour pour les sionistes et de surcroît aient considérablement nui aux politiques qui les ont décidées.

Prenons par exemple l’offensive menée contre Gaza depuis fin décembre 2008, mais préparée et planifiée depuis plusieurs années déjà. Les effets négatifs qu’elle produirait sur les pays arabes de la région et au-delà sur de vastes pans du monde islamique étaient parfaitement prévisibles, surtout compte tenu de l’expérience accumulée pendant des décennies. Que les massacres de Gaza aient en outre affaibli le régime plutôt docile de Mahmoud Abbas et que le Hamas sorte affermi de cette guerre, y compris peut-être sur les plan politique et moral n’est pas vraiment une surprise. On peut admettre sans risque d’erreur que les dirigeants israéliens, durant les mois où ils ont planifié l’opération, ont évalué et inclus dans leurs calculs tous ces facteurs et effets. Si l’on abandonne l’idée, que rien ne vient objectivement confirmer, selon laquelle Israël souhaite en finir avec l’état de guerre permanent avec les Palestiniens et intégrer un État sioniste pacifique dans la région, voir celui-ci persister dans des guerres en apparence contre-productives et une occupation en apparence autodestructrice n’a plus rien d’étonnant.

Reprise des livraisons civiles
Selon la version officielle israélienne le seul moyen de faire cesser les tirs de roquettes à partir de Gaza était la guerre. Les politiciens allemands, d’Angela Merkel (CDU) à Gregor Gysi (Die Linke) se rallient sans réfléchir à cette thèse. Face à un argumentaire qui falsifie la réalité, c’est James Carter, ex-président (1977-1981) des USA, qui a raison, lorsqu’il parle dans le Washington Post du 8 janvier dernier d’une «guerre inutile», qui aurait pu facilement être évitée. Carter sait de quoi il parle, puisqu’il a joué un rôle central dans les négociations qui ont conduit à la trêve conclue entre Israël et le Hamas le 19 juin 2008. Il s’est également personnellement impliqué en décembre dernier dans les efforts pour rétablir et sauver cette trêve.

Carter fait remarquer - ce que la plupart des politiciens allemands ignorent, à moins que cela ne les intéresse pas- que les accords comprenaient, au moins du point de vue du Hamas, la reprise complète des convois civils nécessaires à la survie à Gaza (nourriture, eau, médicaments, carburant). Complet, c’est à dire en quantité égale à ceux qui arrivaient à Gaza avant le retrait unilatéral des Israéliens de Gaza, soit environ 700 camions par jour. Or le gouvernement israélien n’en a laissé passer, selon Carter, que le tiers à peine, même après la conclusion des accords. En décembre 2008, alors que la trêve était déjà rompue, le Hamas se déclara prêt à la respecter à nouveau si les convois reprenaient normalement. Mais dans la situation d’alors le gouvernement israélien n’avait accordé que 15% du volume précédent, ce que le Hamas avait trouvé inacceptable et qui l’avait poussé à la rupture formelle de la trêve.
Les chiffres officiels fournis par le gouvernement israélien montrent qu’en dépit d’une forte réduction des convois qui revenait à affamer délibérément la population, le Hamas a respecté la trêve durant des mois. Selon les statistiques de l’Intelligence and Terrorism Information Center, que l’on pouvait consulter jusqu’au début des massacres à Gaza sur le site du Ministère israélien des Affaires étrangères, le nombre des tirs de roquettes a évolué comme suit : 257 en février 2008,149 en mai, 87 en juin (le cessez-le-feu a été conclu le 18 de ce mois) ; puis un seul en juillet, 8 en août, à nouveau un en septembre et deux en octobre. Pour tous les observateurs neutres, y compris l’ONU, il était clair que le tout petit nombre de tirs résiduels n’était en aucun cas imputable au Hamas et que ses forces de sécurité ne pouvaient pas, avec la meilleure volonté et les plus grands efforts, les empêcher à 100%.
De toute évidence mécontent de cette évolution qui menaçait de leur faire perdre un épouvantail permanent et très rentable au sein de l’opinion publique, le gouvernement israélien eut recours à une grossière provocation : le 4 novembre dernier, six membres du Hamas furent tués dans une attaque aérienne menée dans la zone frontalière. Le nombre des tirs de roquettes remonta en novembre à 126. Il faut toutefois constater que durant les six mois de trêve- dénoncée le 20 décembre par le Hamas- on n’eut à déplorer aucune victime israélienne.

5000 à 15
Au total les roquettes bien rudimentaires et tirées au jugé à partir de Gaza au cours des huit dernières années ont fait, comme l’écrit Juan Cole, un orientaliste usaméricain bien connu, 15 morts israéliens. Dans le même temps, toujours selon lui, l’armée israélienne a causé la mort de 5000 Palestiniens, dont 1000 enfants et jeunes.

La manière dont Israël a de fait rompu lui-même la trêve tout en faisant porter la responsabilité au Hamas rappelle le procédé déjà utilisé en juin 2006. Cette fois-là, la trêve avec le Hamas avait même duré SEIZE mois. Le gouvernement israélien livra alors deux actions militaires pour provoquer la rupture. Un bombardement de la plage de Gaza par des canonnières israéliennes fit sept morts, dont un couple avec trois jeunes enfants. Cet événement, que rien n’expliquait, provoqua le chagrin et la colère de la population.

Le même jour, trois membres du Comité de résistance populaire, dont son fondateur, Abou Jamal Samhadana, furent victimes d’un assassinat ciblé de l’aviation israélienne. Le Ministère de l’Intérieur palestinien, dirigé par le Hamas, avait quelques semaines auparavant nommé Samhadana chef d’une nouvelle force de police sous son contrôle. Le Président Abbas, qui cherchait à concentrer entre ses mains le contrôle de l’ensemble des forces de sécurité, avait vivement protesté contre cette nomination, la déclarant illégale. Du point de vue du Hamas, cet assassinat ciblé était une déclaration de guerre évidente à l’encontre de l’ensemble des membres et fonctionnaires de son gouvernement.

Pour mémoire : Lors des élections du 25 janvier 2006, le Hamas avait remporté la majorité des sièges au Parlement et en mars 2006, devant le refus du Fatah d’entrer dans une coalition, il avait formé un gouvernement. Fin juin 2006 on semblait être à la veille d’une vaste offensive militaire contre Gaza, après la dénonciation de la trêve par le Hamas en réponse aux provocations israéliennes et la reprise des tirs de roquettes sur les territoires israéliens limitrophes de Gaza. Après la capture du soldat Gilad Shalit, le 25 juin 2006, des hélicoptères de combat israéliens détruisirent l’unique centrale de Gaza, privant d’électricité la majorité de la population. De fortes unités militaires israéliennes marchèrent de plusieurs côtés sur Gaza, mais n’allèrent pas jusqu’au bout. Le Premier ministre Ehud Olmert annonça une vaste opération militaire de longue durée (« Pluie d’été ») destinée à détruire les « infrastructures terroristes » à Gaza. Mais Israël se concentra alors sur l’offensive lancée le 12 juillet 2006 contre le Hezbollah au Sud-Liban, après la capture par l’organisation chiite de deux soldats israéliens au cours d’un accrochage.

On s’attendait à une vaste offensive contre Gaza au moins depuis la victoire électorale du Hamas en janvier 2006. Quelques opposants israéliens avaient même prédit une action de ce type après l’évacuation des colonies israéliennes de Gaza et le retrait des troupes d’occupation, décidés en septembre 2005 par le gouvernement d’Ariel Sharon. Il était effectivement fondamental d’évacuer les colons avant de livrer une offensive militaire aussi brutale.

But de la manœuvre : tuer beaucoup de Palestiniens

L’offensive contre Gaza constitue, du point de vue des dirigeants israéliens, la suite logique de l’ « Operation Defensive Shield » commencée le 29 mars 2002 avec l’attaque de Ramallah et concentrée sur la Cisjordanie. Analogue à l’action actuelle contre Gaza, elle représentait la plus grosse opération militaire contre la Cisjordanie depuis l’occupation de ce territoire lors de la guerre des Six Jours en juin 1967. En trois semaines - en fait les actions israéliennes, ont duré beaucoup plus longtemps, des mois entiers - elle fit au moins 500 morts et 1500 blessés chez les Palestiniens. À Gaza l’on comptait, deux semaines et demie après le début de l’offensive, 900 morts et 4000 blessés.

Trait commun aux deux opérations : sous le prétexte démagogique de combattre le terrorisme on s’en prend essentiellement aux infrastructures civiles palestiniennes, visant à les détruire de manière ciblée, et en tuant au passage un maximum de gens qui y travaillent. On commence par de petits postes de police et on finit par les ministères et autres bâtiments gouvernementaux, en passant par toutes sortes d’infrastructures sociales. Ce sont au premier chef les institutions de l’administration palestinienne autonome, les germes d’un État indépendant, qu’on détruit systématiquement ; si nécessaire pas seulement une fois, mais après chaque reconstruction.

La raison en est simple : Israël ne veut ni ne peut admettre l’existence d’un État palestinien. Depuis que ce qui restait de la Palestine après la grande déportation de centaines de milliers de ses habitants au cours de la première guerre, en 1948-1949, a été occupé par l’armée israélienne, Israël a constamment pratiqué une politique systématique du fait accompli qui pouvait théoriquement permettre l’évacuation de Gaza, mais en aucun cas l’établissement d’un État palestinien viable en Cisjordanie. Et cela continue. Le temps travaille en faveur d’une annexion rampante par l’État sioniste des territoires occupés. Gagner du temps, par toutes petites bribes, tout en rendant la vie des Palestiniens dans les territoires occupés toujours plus insupportable et pour finir impossible est donc la base de la stratégie qu’ont mise en œuvre tous les gouvernements israéliens. Et parallèlement la responsabilité en est imputée aux Palestiniens si le « processus de paix » n’avance pas, en dépit de promesses inlassablement répétées et de projets toujours plus imaginatifs. Rien de plus important, dans cette optique, que des actions palestiniennes comme les tirs de roquettes, qui d’un côté n’infligent aucun véritable dommage à Israël, mais de l’autre permettent de mettre en accusation les Palestiniens, ou tout au moins des fractions incontournables d’entre eux.

Tout cela rend bien douteux qu’Israël veuille vraiment, comme beaucoup le prétendent, éradiquer à Gaza le Hamas et des groupes d’activistes de moindre importance. Les affaiblir, sans doute, - mais pas vraiment les éradiquer, s’en débarrasser. Car pour se maintenir à long terme l’État sioniste suppose nécessairement un environnement hostile qui maintient la fiction d’une menace pour son existence - une menace qui ne représente pas un réel danger, mais que la propagande peut présenter comme telle. La fiction d’un État d’Israël menacé dans son existence - et donc de l’exigence d’une protection permanente contre une réédition de l’Holocauste - est centrale pour la raison d’État israélienne. C’est le maintien de cette fiction qui seul permet à l’État sioniste de manipuler un grand nombre de Juifs de la diaspora, qui ne sont pas vraiment des sionistes et moins encore des sionistes conséquents et de les mobiliser en faveur de sa propre stratégie.

Bien sûr il y a un abîme entre les roquettes tirées au jugé depuis Gaza, dont 95% ne causent même pas de véritables dégâts matériels, et la mise en scène dramatique de la menace qui planerait sur l’existence d’Israël. Mais il est sans doute bien clair pour tous ceux qui participent au processus que la mobilisation à l’échelle planétaire de témoignages de solidarité non seulement avec Israël en général, mais aussi avec ses forces combattantes et leurs actes d’héroïsme en particulier, est aussi une sorte de répétition générale pour l’orchestration d’une générale pour l’orchestration d’une confrontation imminente avec l’Iran.

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