mercredi 14 janvier 2009

Assez : le temps du boycott est arrivé

par Naomi KLEIN, 10/1/2009. Traduit par Isabelle Rousselot, révisé par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original : Enough. It's time for a boycott


La meilleure façon d'en finir avec l'occupation sanglante est de viser Israël avec le même type d'action qui a mis fin à l'apartheid en Afrique du Sud.

Il est temps. Il est même largement temps. La meilleure stratégie pour mettre fin à l'occupation toujours plus sanglante perpétrée par Israël est de l'attaquer avec le même type de mouvement international qui a mis fin à l'apartheid en Afrique du Sud. En juillet 2005, une énorme coalition de groupes palestiniens avait établi des plans pour faire cela. Ils avaient fait appel aux « gens de conscience dans le monde entier, pour imposer de larges boycotts et mettre en place des initiatives de désinvestissement contre Israël, similaires à celles appliquées à l’Afrique du Sud durant la période de l'apartheid ». La campagne Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) était née.
Chaque nouveau jour de pilonnage d'Israël sur Gaza amène plus de convertis à la cause du BDS, même parmi les Juifs israéliens. Au beau milieu des assauts, environ 500 Israéliens, avec parmi eux des douzaines d'artistes et d’universitaires réputés, envoyèrent une lettre aux ambassadeurs étrangers en Israël. Ils appelaient à « l'adoption de mesures immédiates de restriction et de sanctions» et établissaient une claire comparaison avec la lutte contre l'apartheid. « Le boycott de l’Afrique du Sud a été efficace mais on prend des gants pour traiter avec Israël…Ce soutien international doit cesser. »


Cependant, même face à ces appels clairs, beaucoup d'entre nous ne peuvent pas s'y résoudre. Les raisons sont complexes, émotionnelles et compréhensibles. Seulement, elles ne suffisent pas. Des sanctions économiques sont l'outil le plus efficace dans l'arsenal de la non-violence :

Voici les quatre objections principales à la stratégie de la campagne BDS, suivies de leurs contre-arguments.

Des mesures punitives vont aliéner les Israéliens plutôt que les convaincre.

Le monde a essayé ce qu'on a appelé un « engagement constructif ». Il a échoué complètement. Depuis 2006, Israël a progressivement intensifié son action criminelle : élargissant ses territoires, lançant une guerre scandaleuse contre le Liban, et imposant une punition collective à Gaza à travers des blocus brutaux. Malgré cette escalade, Israël n'a pas eu à faire face à des mesures punitives, bien au contraire.

Les armes et les 3 milliards $ d'aide annuelle envoyés par les USA à Israël ne sont qu'un début. Durant cette période capitale, Israël a bénéficié d'une amélioration spectaculaire dans ses relations diplomatiques, culturelles et commerciales avec une variété d'autres alliés. Par exemple, Israël est devenu le premier pays en dehors d'Amérique Latine à signer un accord de libre-échange avec le bloc du Mercosur. Dans les neuf premiers mois de 2008, les exportations d'Israël au Canada ont augmenté de 45 %. Un nouvel accord a été signé avec l'Union Européenne afin de doubler les exportations d'aliments industriels venus d'Israël. Et en décembre, les ministres européens ont « revalorisé » l'association contractuelle entre l'UE et Israël, une récompense convoitée depuis longtemps par Jérusalem [elle voulait dire : Tel Aviv, NDR].

C'est dans ce contexte, assurés de ne payer aucun coût significatif, que les dirigeants israéliens ont commencé leur dernière guerre. D'ailleurs, il est assez remarquable de voir que pendant les sept premiers jours de commerce en temps de guerre, l'index phare du marché boursier de Tel Aviv a grimpé de 10,7 %. Quand la carotte ne marche pas, il faut utiliser le bâton.

Israël n'est pas l'Afrique du Sud.

Bien sûr que non. La pertinence du modèle sud-africain relève en ce qu'il démontre que les tactiques du BDS peuvent être efficaces lorsque des mesures moins fortes (manifestations, pétitions, lobbying en coulisses) ont échoué. Et, ce qui se passe dans les territoires occupés, fait écho de façon profondément consternante, à l'apartheid : cartes d'identité et laissez-passer avec des codes couleur, maisons détruites au bulldozer et déplacements forcés, routes réservées aux colons... Ronnie Kasrils, un éminent politicien sud-africain a déclaré que l’architecture de la ségrégation qu'il avait vu en Cisjordanie et à Gaza était « infiniment pire que l'apartheid ». C'était en 2007, avant qu'Israël ne commence sa guerre à grande échelle contre la prison à ciel ouvert qu'est Gaza.

Pourquoi cibler particulièrement Israël quand les USA, la Grande-Bretagne et les autres pays occidentaux font la même chose en Irak et en Afghanistan ?

Le boycottage n'est pas un dogme, c'est une tactique. Cette stratégie doit être essayée pour une raison pratique : dans un pays si petit et si dépendant de son commerce extérieur, cette solution pourrait vraiment marcher.

Le boycott rompt la communication ; nous avons besoin de plus de dialogue, pas de moins.

A ceci, je répondrais avec une histoire personnelle. Pendant huit ans, mes livres ont été publiés en Israël par éditeur commercial appelé Babel. Mais quand j'ai publié « La stratégie du choc », je voulais respecter le boycott. Sur le conseil des activistes du BDS, y compris le merveilleux écrivain John Berger, j'ai contacté un petit éditeur appelé Andalus. Andalus est un média activiste, profondément engagé dans le mouvement anti-occupation et c'est la seule maison d'édition israélienne dédiée exclusivement à la traduction de textes arabes en hébreu. Nous avons rédigé un contrat qui garantit que toutes les recettes vont au travail d'Andalus et rien pour moi. Je boycotte l'économie israélienne mais pas les Israéliens.

Notre modeste projet d'édition a nécessité des douzaines de coups de téléphone, d’emails, de messages instantanés, entre Tel Aviv, Ramallah, Paris, Toronto et la ville de Gaza. Le but de ce que je vous raconte est le suivant : lorsque vous vos engagez dans une stratégie de boycottage, le dialogue se développe de façon significative. L'argument comme quoi les boycotts vont nous isoler les uns des autres est particulièrement spécieux étant donné la gamme des technologies d'information bon marché que nous avons au bout des doigts. Nous nous noyons dans les canaux à notre disposition pour nous engueuler les uns les autres au-delà des frontières nationales. Aucun boycott ne peut nous arrêter.

Et c'est là que plus d'un de ces fiers sionistes se préparent à marquer un point important en me répliquant : est-ce que je ne sais pas que la plupart de ces mêmes jouets hi-tech viennent des centres de recherches israéliens, les leaders mondiaux en technologies de l’information ? C'est vrai mais pas tous. Plusieurs jours après le début de l'assaut israélien contre Gaza, Richard Ramsey, le gérant d'une entreprise de télécommunication britannique, spécialisée dans les services vocaux par internet, a envoyé un email à l MobileMax, une entreprise technologique israélienne : « en conséquence de l'action du gouvernement israélien de ces derniers jours, nous ne serons plus en mesure d'envisager de travailler avec vous ni avec aucune autre société israélienne. »

Ramsey a indiqué que sa décision n'était pas politique ; simplement il ne voulait pas perdre de clients. « Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un seul de nos clients, » il a expliqué, « donc c'était une mesure purement commerciale ».

C'est ce genre d'action froidement calculatrice qui a conduit de nombreuses sociétés à se retirer d'Afrique du Sud, il y a deux décennies. Et c'est précisément ce genre de calcul qui est notre espoir le plus réaliste de rétablir la justice en Palestine, justice qu'on lui refuse depuis si longtemps.


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