samedi 14 mars 2009

L'exclusion des expulsés : la reconstruction du camp de Nahr El Bared vue du côté des Palestiniens

par Nadia Hasan, 10/3/2009
Traduit par Isabelle Rousselot, révisé par Fausto Giudice ,
Tlaxcala
Nadia Hasan est une militante palestinienne, née au Chili et qui vit entre l'Amérique du Sud et le Moyen-Orient. Elle rêve du jour où tous les Palestiniens pourront exercer leur droit au retour. Elle fait partie de Tlaxcala. Son blog :
http://palestinaresiste2.blogspot.com/


La première pierre du processus de reconstruction du camp de Nahr El Bared a été posée lundi 9 mars lors d'une cérémonie organisée par le gouvernement libanais et par l'UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East / Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient), 18 mois après la destruction totale du camp par l'armée libanaise lors d'un combat contre les militants du groupe Fatah El Islam.

De nombreuses personnes étaient invitées pour l'occasion : les responsables des organismes impliqués dans le processus de reconstruction, des journalistes, des diplomates ainsi qu'une délégation palestinienne sélectionnée et restreinte.

Dans une tente improvisée, et sous la supervision de l'armée et des services de renseignement du gouvernement libanais, Tarek Mitri, lmnistre libanais de l'Information, Abbas Zaki, ambassadeur de l'Autorité palestinienne, Khalid Makkawi, président du Comité pour le dialogue entre Palestiniens et Libanais, et Karen Abu Zayed, Commissaire Général de l'UNRWA au Liban, ont exprimé leurs remerciements envers ceux impliqués dans le processus de reconstruction du camp et ont loué les efforts qu'ils ont réalisés pour aider plus de 40 000 réfugiés dont les maisons ont été rasées après qu'ils avaient été forcés de fuir, pour se réfugier dans le camp voisin de Beddawi. Seuls 17 000 ont pu revenir et se réinstaller dans des abris d'urgence précaires, construits par l'UNRWA.

Les différents représentants ont tous convenu que le démarrage de la reconstruction du camp était un signe clair que le terrorisme avait échoué et que des efforts communs devraient être entrepris pour éviter que ces actes de vandalisme, comme ceux de 2007, se reproduisent que ce soit dans un camp palestinien ou sur le sol libanais.

Après sa reconstruction, Nahr El Bared devrait devenir le seul camp de réfugiés palestiniens à être sous le contrôle direct de l'État libanais, et devrait représenter un modèle pour les 11 autres camps de réfugiés palestiniens au Liban.

Aucun des discours n'a évoqué l'absence des réfugiés à cette cérémonie alors que ces mêmes réfugiés étaient constamment cités dans les discours, ceux-là même que Zaki et Makkawi ont remercié pour leur patience et leur dignité face à l'attaque militaire de grande envergure, qui a duré trois mois, et lors de laquelle ils ont perdu tous leurs biens, y compris leurs maisons – ces maisons qu'ils ont construit de leurs mains il y a 60 ans, après avoir été expulsés de leur patrie par les gangs terroristes sionistes qui ont occupé la Palestine en 1948 – sans oublier la pénurie d'aide humanitaire sans laquelle ils ont du vivre durant ces 18 derniers mois.

Il n'était pas non plus mentionné que beaucoup de réfugiés n'ont toujours pas le droit de revenir dans le « nouveau camp » puisque l'accès au camp nécessite une autorisation de l'armée et des services de sécurité libanais. Beaucoup n'ont pas réussi à obtenir les permis nécessaires pour leur permettre de traverser les nombreux postes de contrôle où les forces libanaises contrôlent les mouvements, autant pour entrer dans le camp que pour en sortir.

Le camp a été entièrement rasé, effaçant toute trace des maisons, une étape importante et nécessaire pour que le gouvernement libanais puisse commencer le processus de reconstruction. Mais, il n'existe plus, non plus, de trace des atrocités commises par l'armée libanaise là-bas, qui, telle des oiseaux de proie, a attaqué les maisons, détruisant tout sur son passage, et comme si cela ne suffisait pas, a aspergé les murs avec des liquides inflammables, sans oublier auparavant de marquer sa présence avec des graffitis injurieux contre les Palestiniens. Aucune trace ne demeure, tout a été effacé, tout comme une partie de la mémoire collective d'un peuple, la mémoire d'un peuple qui a créé dans ce petit espace de quelques kilomètres carrés, une maison où il a demeuré pendant 60 ans, tout en luttant pour retourner dans son pays.

A quelques mètres de la cérémonie, des centaines de résidents palestiniens de Nahr El Bared étaient rassemblés dans des zones dégagées pour eux par l'armée libanaise, entourées par des barbelés et sous le contrôle rigoureux des soldats armés. Non seulement, on leur refusait l'accès à la cérémonie mais on leur demandait aussi de se tenir en rangs, de chaque côté de la rue, pour regarder passer les délégations et les autorités étrangères ainsi que tous les curieux qui, n'étant pas palestiniens, pouvaient, eux, y assister. Ils avaient l'air de passer un joli week-end à la campagne tandis que les réfugiés étaient, eux, interdits de voir les ruines, de s'asseoir sur le lieu où étaient leurs maisons et de pleurer. Ces réfugiés dont la dignité et le courage étaient loués à l'intérieur de la tente par les représentants des différentes autorités gouvernementales, étaient battus à l'extérieur lorsqu'ils ont essayé à plusieurs reprises mais sans succès, de rentrer dans le kilomètre carré où s'étaient trouvées leurs maisons pendant 60 ans.

Sans journalistes pour rendre compte de ce qui se passait, les soldats avaient toute liberté, une fois de plus, pour maltraiter une population civile qui ne demande rien d'autre que le droit d'être traitée comme des êtres humains, rien d'autre que le droit de voir de leurs propres yeux, ce qui se passait, de sauver quelque chose s'il y avait encore quelque chose à sauver, de pouvoir retourner là-bas, de revenir dans leurs secondes maisons.

Les femmes et les enfants, les vieux et les jeunes, tous étaient entassés de l'autre côté de la barrière, et séparés des invités privilégiés par une barrière de soldats, hurlant des slogans contre le Président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas et l'invitant à venir voir de ses propres yeux, ce que son peuple vivait, le même peuple qu'il a mentionné, à plusieurs reprises, dans ses discours, mais selon de nombreux réfugiés palestiniens au Liban, qu'il a en fait complètement oublié.

« Mes parents sont arrivés ici en 1948 après avoir été expulsés de Palestine par les sionistes. Je suis née quelques mois plus tard, dans une tente fournie par l'UNRWA, j'ai vécu ici toute ma vie, mais j'ai toujours rêvé de retourner dans ma patrie, la Palestine. J'ai vu les forces libanaises massacrer mes frères et soeurs dans le camp de réfugiés de Tell El Zaatar, puis la même chose s'est produite à Sabra et Chatila et, à nouveau, ici à Nahr El Bared où ils ont rasé toutes nos maisons. Mais je suis toujours là, je me tiens devant eux, et je hurle à leurs visages sans aucune crainte. Ils peuvent nous prendre la vie, ils peuvent passer nos maisons au bulldozer mais ils ne briseront jamais notre esprit de résistance, » a déclaré Um Mohammad, qui, accompagnée de ses 3 filles et de ses 2 petits-enfants, a rejoint la foule des protestataires.

Les médias libanais et arabes ont retransmis la cérémonie, en ignorant ce qui se passait sur les côtés de l'espace fermé comme si les Palestiniens n'existaient pas, comme si ce qui leur arrivait n'avait pas la moindre importance. Pas même les médias liés à la résistance, ceux-là même qui chaque jour et chaque seconde, lancent leurs attaques contre les sionistes et font partie, par leurs paroles, en public et à l'étranger, de la cause palestinienne, combattant côte à côte avec les Palestiniens contre l'occupation sioniste, mais quand quelque chose se produit chez eux, quand une opinion est exprimée qui pourrait leur faire perdre des voix aux élections, ou même pire, quand des troubles politiques pourraient leur faire perdre des sièges au pouvoir, alors ils préfèrent rester silencieux et tourner la tête de l'autre côté.

Ce qui est évident, après cette cérémonie d'ouverture, est l'intention latente du gouvernement libanais d'essayer de faire oublier, avec une couverture médiatique, les rumeurs qui courent sur l'avenir du camp, sur l'éventuelle construction d'une base militaire dans la zone, sur le déploiement de forces militaires permanentes à l'intérieur des camps de réfugiés au Liban, et donc sur l'avenir de plus de 450 000 réfugiés palestiniens qui ont, encore une fois, été réduits au silence sous la menace des armes.


Note de l'éditrice de Palestine Think Tank : avant de publier cet article, j'ai eu avec l'auteure un bref échange de mails et je souhaite vous faire partager son point de vue :

« Je dois dire qu'après avoir à nouveau relu mon article, je trouve qu'il ne reproduit encore pas assez ce qui s'est produit et que j'ai vu hier, qu'il ne rend pas assez justice aux réfugiés palestiniens qui se trouvaient retranchés de force sur les côtés du camp et qui regardaient les étrangers et les VIP passer le poste de contrôle qui les empêchait eux, de traverser. Ils n'ont pas pu mettre un pied sur leurs maisons détruites et pleurer sur leurs pertes, mais en même temps, des gens comme moi, et plus de 200 000 autres étaient là à les regarder comme si nous étions des touristes avec rien de mieux à faire pour occuper notre week-end.

Mon article ne rend pas assez justice aux milliers de Palestiniens qui se tenaient de l'autre côté des barbelés avec les armes des soldats pointés sur leurs têtes, au cas où ils oseraient bouger, interdits de participer à une cérémonie où les autorités libanaises et palestiniennes célébraient le démarrage du processus de reconstruction du camp, un processus qui, comme chacun le sait ici, ne sera jamais une réalité, mais ils étaient là, présents. Les Palestiniens leur hurlaient dessus et leur faisaient comprendre qu'ils n'oublieraient jamais ce qui se passait ici, même si le monde entier n'en a rien à faire.

Les fusils et les chars de l'armée libanaise n'étaient pas assez puissants pour faire taire ces gens, ils ne le seront jamais assez.

Je dois dire que j'avais auparavant vu beaucoup d' »actions directes » menées par l'armée (sioniste) contre les Palestiniens mais rien de comparable à ce que j'ai vu hier.

J'aurais aimé écrire mieux, crois-moi, j'aurais souhaité, pour une fois, rendre justice à ces gens qui hier s'agrippaient à mes bras, m'implorant de faire quelque chose, de prendre des photos, de faire savoir aux gens ce qui leur arrivait. J'étais la seule de ce côté du camp, aucun journaliste, aucun média, pas de gens curieux, tous étaient occupés à écouter les discours vides des autorités.

Ça a été une expérience douloureuse, mais aussi un réel privilège pour moi de me trouver là-bas hier, de partager avec eux ces moments de colère, car peu importe que le monde continue à ignorer leur souffrance quotidienne, ils hurlent toujours, sans crainte, malgré les nombreux chars pointés sur eux, ils continuent de résister. Et hier ce fut un pur moment de résistance. »


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire