Du poste de police de La Goulette à Bouchoucha
Par Saadia Ali , Tunis, 4/3/2009
Dans la fourgonnette, nous avons été mis à l’arrière, deux hommes et moi-même. Le conducteur et son adjoint étaient à l’avant. Ce dernier buvait bière sur bière. Il avait sa réserve sous le siège. Dès qu’ils voyaient une femme conduire, ils sortaient leurs têtes pour de la drague. Vulgaires.
Et voila ce que j'ai vu de mes propre yeux au poste de Bouchoucha à Tunis le temps d’une nuit de garde à vue : Les gardiens qui donnent des coups de pied à des femmes âgées. La cause de leur détention, je l’ai sue : elles demandent la charité dans la rue. La police leur retire l'argent et le lendemain, elles sont emmenées au tribunal, condamnées à une amende et relâchées.
Beaucoup de jeunes filles pauvres sont ramenées de restaurants de Tunis. Comme elles ont faim, elles rentrent et demandent à des hommes de leur offrir un repas. Ensuite, elles sont dénoncées et embarquées par la police après un contrôle d’identité.
Et tous ces malheureux embarqués à Bouchoucha : j'ai vu deux hommes, un accroché aux barreaux de la cellule comme Jésus, et l'autre, dans le couloir, menotté et accroché au sol sur le ciment et ils n’ont cessé de hurler de souffrance.
Moi, je n’ai pas dormi de la nuit. Une femme m’a raconté que lorsqu’elle avait été arrêtée, elle a été gardée à vue dans la même cellule qu’un assassin. Elle a eu si peur de lui qu’elle n’avait pas fermé l’œil de la nuit, craignant d’être tuée à son tour.
A Bouchoucha, seuls les premiers arrivés ont droit à de la « nourriture », mais c’était tellement écoeurant que je n’y ai pas touché. Quant à l’eau, il y a deux bouteilles même pas remplies, et sans verre, pour toutes les prisonnières qui se les repassent et doivent boire au goulot.
Il y avait des matelas pas très nets dans certaines cellules, mais pas assez pour tout le monde, pas même pour les femmes âgées ou les malades. Les fenêtres sont cassées en plein hiver et la pluie tombait à l’intérieur.
Les gardiens sont des hommes qui utilisent de gros mots, très vulgaires. Cette violence donne le frisson.
Le lendemain matin c’est à coups de pieds que tout le monde a été réveillé pour aller au tribunal. Il y en a en uniforme noir, plus les civils, plus la police qui est en bleu. Ils ont tous l’autorisation de frapper. On nous a fait sortir dans la courette. Je ne comprenais rien.
Ils crient tous en même temps, bousculent les gardés à vue, donnent des ordres dans tous les sens, nous embrouillent la tête. A la moindre erreur, c’est le tabassage et les humiliations. Tous les hommes ont été menottés, pas moi.
Dans la fourgonnette pour le tribunal, j’étais assise entre le conducteur et son adjoint. Les hommes ont été mis à l’arrière.
Quelques jours plus tard, alors que j’étais en liberté, j’ai vu un jeune qui avait l’âge d’être mon fils, avec un nez éclaté, on voyait l’os ! Amicalement, je lui ai demandé s’il s’était bagarré. Il m’a dit « non, j’avais bu et j’ai été contrôlé. Le policier a mis son nez dans ma bouche. Quand il a compris que j’avais bu, il m’a éclaté le nez ». Je lui ai demandé s’il allait porter plainte. Il m’a dit « porter plainte où ? » « Il n’y a qu’auprès de Dieu que je puisse porter plainte ! »
Les souvenirs de Bouchoucha m’ont travaillée. J’ai repensé à ces vieilles mendiantes, systématiquement dépouillées par la police de l’argent qu’elles avait récolté, et remises en liberté… pour aller mendier ! Et encore arrêtées, et dépouillées. Au fait, c’est la police, c’est l’État qui les utilise pour mendier ?
Et puis, où aller dans ce pays ? Vous allez dans une mosquée, vous êtes arrêté, vous allez dans un café pour boire ou dans un restaurant pour manger, vous êtes arrêté, de la même façon…
Par Saadia Ali , Tunis, 4/3/2009
Dans la fourgonnette, nous avons été mis à l’arrière, deux hommes et moi-même. Le conducteur et son adjoint étaient à l’avant. Ce dernier buvait bière sur bière. Il avait sa réserve sous le siège. Dès qu’ils voyaient une femme conduire, ils sortaient leurs têtes pour de la drague. Vulgaires.
Et voila ce que j'ai vu de mes propre yeux au poste de Bouchoucha à Tunis le temps d’une nuit de garde à vue : Les gardiens qui donnent des coups de pied à des femmes âgées. La cause de leur détention, je l’ai sue : elles demandent la charité dans la rue. La police leur retire l'argent et le lendemain, elles sont emmenées au tribunal, condamnées à une amende et relâchées.
Beaucoup de jeunes filles pauvres sont ramenées de restaurants de Tunis. Comme elles ont faim, elles rentrent et demandent à des hommes de leur offrir un repas. Ensuite, elles sont dénoncées et embarquées par la police après un contrôle d’identité.
Et tous ces malheureux embarqués à Bouchoucha : j'ai vu deux hommes, un accroché aux barreaux de la cellule comme Jésus, et l'autre, dans le couloir, menotté et accroché au sol sur le ciment et ils n’ont cessé de hurler de souffrance.
Moi, je n’ai pas dormi de la nuit. Une femme m’a raconté que lorsqu’elle avait été arrêtée, elle a été gardée à vue dans la même cellule qu’un assassin. Elle a eu si peur de lui qu’elle n’avait pas fermé l’œil de la nuit, craignant d’être tuée à son tour.
A Bouchoucha, seuls les premiers arrivés ont droit à de la « nourriture », mais c’était tellement écoeurant que je n’y ai pas touché. Quant à l’eau, il y a deux bouteilles même pas remplies, et sans verre, pour toutes les prisonnières qui se les repassent et doivent boire au goulot.
Il y avait des matelas pas très nets dans certaines cellules, mais pas assez pour tout le monde, pas même pour les femmes âgées ou les malades. Les fenêtres sont cassées en plein hiver et la pluie tombait à l’intérieur.
Les gardiens sont des hommes qui utilisent de gros mots, très vulgaires. Cette violence donne le frisson.
Le lendemain matin c’est à coups de pieds que tout le monde a été réveillé pour aller au tribunal. Il y en a en uniforme noir, plus les civils, plus la police qui est en bleu. Ils ont tous l’autorisation de frapper. On nous a fait sortir dans la courette. Je ne comprenais rien.
Ils crient tous en même temps, bousculent les gardés à vue, donnent des ordres dans tous les sens, nous embrouillent la tête. A la moindre erreur, c’est le tabassage et les humiliations. Tous les hommes ont été menottés, pas moi.
Dans la fourgonnette pour le tribunal, j’étais assise entre le conducteur et son adjoint. Les hommes ont été mis à l’arrière.
Quelques jours plus tard, alors que j’étais en liberté, j’ai vu un jeune qui avait l’âge d’être mon fils, avec un nez éclaté, on voyait l’os ! Amicalement, je lui ai demandé s’il s’était bagarré. Il m’a dit « non, j’avais bu et j’ai été contrôlé. Le policier a mis son nez dans ma bouche. Quand il a compris que j’avais bu, il m’a éclaté le nez ». Je lui ai demandé s’il allait porter plainte. Il m’a dit « porter plainte où ? » « Il n’y a qu’auprès de Dieu que je puisse porter plainte ! »
Les souvenirs de Bouchoucha m’ont travaillée. J’ai repensé à ces vieilles mendiantes, systématiquement dépouillées par la police de l’argent qu’elles avait récolté, et remises en liberté… pour aller mendier ! Et encore arrêtées, et dépouillées. Au fait, c’est la police, c’est l’État qui les utilise pour mendier ?
Et puis, où aller dans ce pays ? Vous allez dans une mosquée, vous êtes arrêté, vous allez dans un café pour boire ou dans un restaurant pour manger, vous êtes arrêté, de la même façon…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire