« Que les Allemands paient d’abord leurs dettes de guerre à la Grèce avant d’exiger quoi que ce soit de nous. » Une demande qui se fait de plus en plus entendre en Grèce - et elle est justifiée.
Au début des années 40 les nazis ont imposé à la Grèce occupée une énorme contribution financière pour financer l’occupation allemande ainsi que ses objectifs stratégiques et militaires dans les Balkans, la zone méditerranéenne et la Libye. En outre la production vivrière grecque a été affectée au ravitaillement des troupes allemandes sur le front libyen.
Les Allemands avaient jeté leur dévolu sur le pétrole libyen et proche-oriental ainsi que les minerais des Balkans: ces derniers couvraient 20% des besoins de l’industrie de l’armement en antimoine, 50% de ses besoins en pétrole, 60% de la bauxite et la totalité du nickel. Parallèlement la Grèce était la seule zone à partir de laquelle les Alliés pouvaient contrer les Allemands dans l’espace balkanique.
Pour cette raison, les exigences allemandes d’une participation grecque aux frais de guerre étaient raides et entraînèrent des réactions du régime collaborationniste de Georgios Tsolakoglou lui-même, qui menaça de se retirer. Même Mussolini et le plénipotentiaire du Reich en Grèce, Günther Altenburg, pressèrent Berlin de baisser les frais d’occupation imposés à la Grèce.
La réquisition de tous les biens par la Wehrmacht a encore aggravé les charges liées à l’occupation allemande. Il en résulta la famine qu’Altenburg avait redoutée. Durant l’hiver 41-42 le nonce apostolique Angelo Roncalli (futur pape Jean XXIII) rapporta que le nombre des personnes mortes de faim dans la zone d’Athènes-Le Pirée avait triplé. Dans son journal Goebbels notait : « La faim est devenue une maladie endémique. Dans les rues d’Athènes, les gens meurent d’épuisement par milliers.» Le gouvernement britannique aggrava encore la situation en coupant les vivres à la Grèce pour pousser la population à se révolter contre les occupants.
La triple occupation de la Grèce (par l’Allemagne, l’Italie et la Bulgarie)
Les Allemands ne pouvaient ignorer plus longtemps l’aggravation de la famine, l’anarchie régnante et la sympathie croissante pour les Anglais. La famine induisit des révoltes populaires et attira de plus en plus de gens vers la résistance. À Rome, lors de la Conférence financière germano-italienne de janvier à mars 1962, le sujet figurait tout en haut de l’ordre du jour. Les Allemands ne voulaient pas renoncer à tirer de la Grèce des fonds substantiels et la Conférence s’acheva par une impasse. Alors le banquier italien d’Agostino, plénipotentiaire en Grèce pour l’économie, proposa un emprunt obligatoire : les fonds exigés par les Allemands au-delà des frais directs de l’occupation prendraient la forme d’un crédit accordé à l’Allemagne et à l’Italie.
Un « accord de crédit » fut signé le 14 mars 1942 par Altenburg et Gidzi, respectivement plénipotentiaires allemand et italien pour la Grèce. La Grèce elle-même n’était pas présente, n’ayant pas été invitée. Selon cet accord
- le gouvernement grec devait acquitter 1,5 milliards de drachmes par mois pour couvrir le frais d’occupation ;
- les fonds exigés de la Banque nationale de Grèce au-delà de ce montant étaient considérés comme un emprunt à 0% accordé aux gouvernements italien et allemand, en drachmes;
- l’emprunt serait remboursé plus tard;
- cet accord était rétroactif jusqu’au 1er janvier 1942.
Aucune date n’a été fixée pour le début du remboursement. Le Ministre grec des finances a chargé le directeur de la Banque centrale d’exécuter cet accord.
À la suite de trois modifications, cet accord imposé a été transformé en emprunt normal, donc portant intérêt, et exprimé dans une devise stable.
Selon la Banque de Grèce, le montant de l’emprunt (sans les intérêts) s’élevait à 227.940.201 dollars US (valeur de 1944), selon Altenburg à 400 millions de DM d’après-guerre. Avec les intérêts et au cours actuel, l’emprunt se monte à plusieurs dizaines de milliards d’euros.
L’emprunt grec est distinct de la question des réparations. Il ne tombe donc pas sous le coup de l’accord du 27 février 1953 sur les dettes extérieures allemandes, à Londres, qui exonère l’Allemagne de toutes réparations et compensations.
La Grèce a constamment fait valoir à toutes les Conférences internationales en rapport avec ce sujet que cet emprunt et la demande de réparations sont deux choses distinctes - notamment à la Conférence sur les réparations de 1945, à la Conférence de Paris en 1946 et à la Conférence des Ministres des Affaires étrangères à Londres en 1947. La Grèce a constamment réclamé la restitution des dettes d’occupation allemandes. En 1967, la partie allemande a fait état, à l’occasion d’un entretien germano-grec, d’un écrit de Constantin Caramanlis par lequel il aurait renoncé à au remboursement de l’emprunt. Plus tard cette affirmation a été corrigée: il s’agissait d’un renoncement verbal. Caramanlis a démenti cette affirmation. Dans une note diplomatique datée du 31 mars 1967, l’Allemagne a fini par reconnaître que Caramanlis n’avait jamais renoncé à cette exigence.
L’Allemagne l’a toujours rejetée au prétexte que cet emprunt tombait sous le coup de l’Accord sure les dettes allemandes de 1953 ; que Constantin Caramanlis y avait renoncé ; que de telles demandes sont prescrites au bout de 50 ans. (Or la Grèce la formule depuis 1945).
La position allemande ne repose sur aucune base légale. Depuis la chute du Mur, l’Allemagne ne peut même plus faire valoir qu’on ne peut pas adresser une telle demande à un pays coupé en deux. Elle doit désormais être satisfaite, le gouvernement grec peut le réclamer, ou la Banque de Grèce ainsi qu’un de ses actionnaires, ou encore le peuple grec par l’intermédiaire de ses institutions. Il existe des précédents, pour la Pologne et la Yougoslavie, que l’Allemagne nazie avait obligées à lui octroyer de tels emprunts, que l’Allemagne (de l’Ouest) a remboursés respectivement en 1956 et 1971.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire