par
John Pilger, 19/09/2012. Traduit par Michèle Mialane, Tlaxcala
Original: Apartheid never died in South Africa. It inspired a world order upheld by force and illusion
Traductions disponibles : Deutsch
Traductions disponibles : Deutsch
L’assassinat
de 34 mineurs, la plupart tués d’une balle dans le dos, par la police
sud-africaine, a mis fin à l’illusion d’une démocratie post-apartheid.
Il éclaire le nouvel apartheid mondial, auquel l’Afrique du Sud sert de
modèle aussi bien historique qu’actuel.
En 1894, longtemps avant que cet infâme vocable afrikaans ne
prédise à la majorité du peuple sud-africain « un développement
séparé », un Anglais, Cecil Rhodes, surveillait l’application du Gren
Gley Act dans ce qui était alors la colonie du Cap. Cette loi avait pour
but de contraindre les agriculteurs noirs à rejoindre l’armée de main
d’œuvre à bon marché essentiellement destinée à exploiter les mines d’or
et autres minéraux précieux qu’on venait de découvrir. Grâce à ce
darwinisme social, la société de Rhodes, la De Beers, acquit rapidement
un monopole mondial, enrichissant fabuleusement son propriétaire.
Fonctionnant en accord avec le libéralisme britannique et US-américain,
celui-ci devint un philanthrope adulé, un mécène de nobles causes .
Aujourd’hui encore, les bourses de Rhodes destinées aux étudiants
d’Oxford sont très appréciées des élites libérales. Leurs bénéficiaires
doivent faire preuve de « force de caractère morale » et
montrer « sympathie et soutien aux faibles, abnégation, amabilité et
sens de la camaraderie. »L’ex-Président Clinton est l'un d'eux, de même
que le général Wesley Clark, qui commanda l’attaque de la Yougoslavie
par l’OTAN. Le mur que l’on désigne comme mur de l’apartheid a été érigé
pour le profit du petit nombre, avec en tête les membres les plus
ambitieux de la bourgeoisie.
Ce fut une sorte de tabou durant les années de l’apartheid racial.
Les Sud-Africains d’origine britannique pouvaient ainsi se targuer d’une
opposition apparente à l’obsession raciste des Boers qui leur
permettait de mépriser ces derniers, tout en leur servant de façade pour
maintenir un système inhumain de privilèges fondés sur la race, mais
plus encore sur la classe.
Les nouvelles élites noires sud-africaines, dont le nombre et
l’influence avaient crû sans cesse durant les dernières années de
l’apartheid, ont bien compris le rôle qu’elles allaient jouer après la
« libération ». Leur « mission historique », comme l'écrivait Frantz
Fanon dans son classique prophétique, Les damnés de la terre ,
n’est pas « une vocation à transformer la nation, mais prosaïquement de
servir de courroie de transmission à un capitalisme acculé au camouflage
et qui se pare aujourd’hui du masque néocolonialiste» (texte des Éditions Maspéro, 1968, p.98)
Voilà qui allait comme un gant aux figures dominantes de l’ANC
(African National Congress), telles Cyril Ramaphosa, le patron du
syndicat « National Union of Mineworkers» et maintenant entrepreneur et
multimillionnaire, qui a négocié personnellement le « deal » de partage
des pouvoirs avec le régime de F. W. Klerk, et Nelson Mandela lui-même,
qui a accepté ce « compromis historique » impliquant que la majorité
attendrait longtemps l’égalité en droits et les pauvres d’être délivrés
de l’indigence. Ce fut manifeste dès 1985: un groupe d’industriels
sud-africains, sous la conduite de Gavin Reilly, Président de
l’Anglo-American Mining Company, rencontra en Zambie des personnalités
de premier plan de l’ANC. Les deux parties se mirent d’accord pour
remplacer l’apartheid racial par un apartheid économique, connu sous le
nom de « liberté du marché ».
Par la suite, des rencontres secrètes eurent lieu dans une superbe
demeure anglaise, la Mells Park House, où un futur Président d’Afrique
du Sud but du whisky pur malt en compagnie de chefs d’entreprises qui
avaient soutenu l’apartheid. C’est le géant britannique Consolidated Goldfields
qui fournit le lieu de rencontre et le whisky. Le but était de
couper les « modérés » - comme Mbeki et Mandela - des masses de plus en
plus révolutionnaires des townships, où l’atmosphère rappelait les
émeutes qui avaient suivi les massacres de Sharpeville en 1960 et Soweto
en 1976 - sans l’aide de l’ANC.
En 1990, dès que Mandela fut libéré, la« promesse infrangible » de
nationaliser les monopoles ne se fit plus guère entendre. À New York,
au cours de sa tournée triomphale aux USA, Mandela déclara : « L’ANC
réintroduira le marché en Afrique du Sud. » Lorsqu’en 1997 - il était
alors Président - je lui rappelai cette promesse au cours d’une
interview, il me fut clairement répondu : « La politique de l’ANC, c’est
la privatisation.»
Bercés par le doux jargon de l’entreprise, les gouvernements de
Mandela et Mbeki empruntèrent leurs mots d’ordre au FMI et à la Banque
mondiale. Tandis que le fossé entre la majorité vivant sans eau courante
sous des toitures de zinc et la nouvelle élite aisée dans ses
propriétés gardiennées se creusait jusqu’à devenir un abîme, Washington
félicitait le Premier ministre Trevor Manuel pour ses « succès
macro-économiques ». En 2001 Georges Soros remarquait que l’Afrique du
Sud avait été livrée « aux mains du capital international ».
Peu avant le massacre des mineurs, qui travaillent pour un salaire
de misère dans une mine de platine dangereuse appartenant aux Anglais,
l’érosion de l’indépendance économique de l’Afrique du Sud avait été
clairement démontrée par la décision du Président Jacob Zuma de stopper
l’importation du pétrole iranien, soit 42%, sous la pression de
Washington. Le pétrole a déjà subi une forte hausse et le peuple s’est
encore appauvri.
Cet apartheid économique est maintenant imité dans le monde entier,
puisque les pays pauvres se plient aux exigences des « intérêts »
occidentaux au lieu d’obéir aux leurs. L’arrivée du concurrent chinois
pour l’acquisition des ressources africaines, bien qu’il s’abstienne des
menaces militaires et économiques dont sont coutumiers les USA, a
fourni un nouveau prétexte pour accroître l’expansion militaire
US-américaine et envisager une nouvelle guerre mondiale, ainsi que le
prouve le budget militaire et d’armement d’Obama: avec ses 737,5
milliards de dollars, c'est le plus élevé de tous les temps. Le premier
Président afro-américain au pays de l’esclavage préside à une économie
de guerre permanente, à un chômage de masse et à l’abandon des droits
civiques: un système qui n’a rien contre les Noirs et les basanés, tant
qu’ils sont au service de la bonne classe sociale. Mais ceux qui ne se
soumettent pas ont toutes les chances de finir sous les verrous.
Voilà la voie sud-africaine et américaine qu’incarne Obama, le fils
de l’Afrique. L’hystérie des libéraux, exposant que le candidat
républicain Mitt Romney est plus extrémiste qu’Obama, n’est rien d’autre
que l’éternel choix du « moindre mal » et ne change rien au problème.
Ironie de l’histoire, l’élection de Romney à la Maison Blanche
réveillera sans doute aux USA une contestation massive que le seul
succès d’Obama était d’avoir fait taire.
Bien qu’on ne puisse comparer Mandela et Obama - l’un étant une
icône de la solidité personnelle et du courage, l’autre un artefact
pseudo-politique - l’un comme l’autre ont créé l’illusion qu’ils
allaient faire naître un monde nouveau où règnerait la justice sociale,
et qui constitue un élément de la vaste illusion, selon laquelle tout
effort humain doit être marchandisable, et qui confond médias avec
information et conquête militaire avec buts humanitaires. Ce n’est qu’en
abandonnant ces fantasmes que nous pourrons vaincre l’apartheid dans le
monde entier.
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