par
José Steinsleger, 10/12/2014. Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original: De Ayacucho a los 43 de Ayotzinapa
Deux Mexique: la "nation américaine" de Hidalgo et Morelos et celui, néoporfiriste*, qui nie et occulte les «faits» de son histoire, en les réduisant à de simples «événements» sujets à «interprétation». Et pour lesquels il n'y a donc pas une vérité unique, destructrice et brutale.
Comme cela arrive pour ceux qui sont en avance sur l'histoire, il est vrai qu'il n'y eut pas beaucoup de clarté dans les fondations politiques de la première indépendance*.
On croyait que face au blocus continental contre le Royaume-Uni décidé par Napoléon, le soutien anglais à la cause indépendantiste faciliterait les choses. Mais dans les ports du sud où ses navires jetaient l'ancre, Londres a inventé un État fonctionnel à ses marchés. Tandis que, dans le nord, la Doctrine Monroe, décrétée par Washington un an avant la victoire d'Ayacucho, conduit à la perte par le Mexique de la moitié de son territoire et à mettre le pays en tête du classement mondial des victimes d'interventions impérialistes.
Le 11 février 1814, le Directeur suprême des Provinces unies du Rio de la Plata, Gervasio Antonio Posadas, théologien et philosophe, publia un avis insolite: 6000 pesos étaient offerts pour la tête de José Artigas, le Protecteur des peuples Libres, déclaré «ennemi de la patrie".
Les premières luttes, féroces, laissaient peu d'espace pour penser
le sens de l'indépendance. Mais Artigas, présentant son projet au
gouvernement de Buenos Aires en 1814, déclarait : "L'indépendance que
nous préconisons ... n'est pas une indépendance nationale; par
conséquent, elle ne doit séparer aucun peuple de la grande masse que
doit être la patrie américaine, ni introduire aucune différence dans les
intérêts généraux de la révolution ".
En 1826, Bolívar avait convoqué le Congrès amphictyonique de Panama, torpillé par ses ennemis. Et le même sort échut à celui qui devait être sa continuation au Mexique. Quatre ans plus tard, la Grande Colombie éclatait en cinq morceaux, et les nouvelles «républiques indépendantes» se déchirèrent pendant 40 années de guerres fratricides: fédéraux et centraliste, républicains et monarchistes, libéraux et conservateurs, hispano-américains et "panaméricains".
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la cause de l'unité latino-américaine fait son grand retour : au Costa Rica le flibustier esclavagiste William Walker est mis en déroute tout comme les armées françaises au Mexique, ou encore le génocide financé par la Banque de Londres dans la guerre du Paraguay ; la guerre du Pacifique, qui a laissé la Bolivie sans accès à la mer ; l'émergence des USA comme nouvelle puissance impérialiste dans les guerres d'indépendance de Cuba et de Porto Rico, et l'imposition de la carotte "panaméricaine" aux "peuples de couleur."
Au début du siècle dernier, un fait qui n'avait pas été pensé aux USA et en Europe, la révolution mexicaine, a représenté l'effort politique, militaire et culturel le plus important depuis que l'Amérique latine avait recommencé à se regarder et à réfléchir sur elle-même.
Sans cette révolution, rien de ce qui s'est passé ensuite n'aurait eu lieu. Ni l'épopée de Sandino et des sandinistes ni la révolution cubaine et bolivarienne ni les démocraties qui ont retrouvé leur vigueur dans le sud, et qui, au milieu du monde, près de Quito, ont inauguré ces derniers jours (sans que les médias en soufflent mot) l'édifice formidable de l'Unasur, qui cherchera à harmoniser les "villageois vaniteux"*.
Bien. Si l'Aspan a été conçu pour notre sécurité ... serait-ce trop demander qu'un quelconque politicien de progrès ou intello consacré par les médias (en plus de citer Freud, Fromm, Gandhi, Deleuze, la «banalité du mal» d'Hannah Arendt et tout le tintouin) ailler demander à l'ambassade (US) de l'avenue de la Reforma (respectueusement, bien sûr et sans bisous) si elle dispose d'une quelconque donnée fiable sur ce qui est vraiment arrivé aux 43 garçons disparus à Iguala?
Ou est-ce que vraiment un groupe de voyous et de flics faméliques ont autant de pouvoir que l'empire le plus redoutable que l'humanité ait jamais connu, celui qui a retrouvé Ben Laden et se vante que rien ne disparaît dans ce monde parce que nous sommes, Dieu merci, tous surveillés?
Vraiment ... quels vents d'Amérique pourraient oxygéner le cœur troublé, accablé, brisé des Mexicains? Ceux du nord, qui le tuent et exploitent, ou ceux du sud, qui de Juarez aux 43 d'Ayotzinapa les reconnait comme frères?
Original: De Ayacucho a los 43 de Ayotzinapa
Les astérisques renvoient à des notes du traducteur
Deux
Amériques: celle du «Nord convulsif et brutal»* qui regarde celle du
Sud avec un intérêt méprisant et avide, et celle qui, il y a 190 ans, a
mis fin au pouvoir espagnol dans les plaines d'Ayacucho (Pérou, 9
décembre 1824). À laquelle le Mexique se rattache-t-il ?
9
décembre 1824 : La glorieuse bataille d'Ayacucho gagnée par l'armée
patriotique sous le commandement du général Antonio José Sucre a assuré
l'indépendance de l'Amérique du Sud
Deux Bolivar: celui qui, face à l'énorme défi de son projet
politique, estimait qu'il avait "labouré la mer" mais a néanmoins
continué à dire : "Nous ne pouvons vivre que de l'union". Quel est le
«nous» qui convient au Mexique?Deux Mexique: la "nation américaine" de Hidalgo et Morelos et celui, néoporfiriste*, qui nie et occulte les «faits» de son histoire, en les réduisant à de simples «événements» sujets à «interprétation». Et pour lesquels il n'y a donc pas une vérité unique, destructrice et brutale.
Comme cela arrive pour ceux qui sont en avance sur l'histoire, il est vrai qu'il n'y eut pas beaucoup de clarté dans les fondations politiques de la première indépendance*.
On croyait que face au blocus continental contre le Royaume-Uni décidé par Napoléon, le soutien anglais à la cause indépendantiste faciliterait les choses. Mais dans les ports du sud où ses navires jetaient l'ancre, Londres a inventé un État fonctionnel à ses marchés. Tandis que, dans le nord, la Doctrine Monroe, décrétée par Washington un an avant la victoire d'Ayacucho, conduit à la perte par le Mexique de la moitié de son territoire et à mettre le pays en tête du classement mondial des victimes d'interventions impérialistes.
Le 11 février 1814, le Directeur suprême des Provinces unies du Rio de la Plata, Gervasio Antonio Posadas, théologien et philosophe, publia un avis insolite: 6000 pesos étaient offerts pour la tête de José Artigas, le Protecteur des peuples Libres, déclaré «ennemi de la patrie".
En 1826, Bolívar avait convoqué le Congrès amphictyonique de Panama, torpillé par ses ennemis. Et le même sort échut à celui qui devait être sa continuation au Mexique. Quatre ans plus tard, la Grande Colombie éclatait en cinq morceaux, et les nouvelles «républiques indépendantes» se déchirèrent pendant 40 années de guerres fratricides: fédéraux et centraliste, républicains et monarchistes, libéraux et conservateurs, hispano-américains et "panaméricains".
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la cause de l'unité latino-américaine fait son grand retour : au Costa Rica le flibustier esclavagiste William Walker est mis en déroute tout comme les armées françaises au Mexique, ou encore le génocide financé par la Banque de Londres dans la guerre du Paraguay ; la guerre du Pacifique, qui a laissé la Bolivie sans accès à la mer ; l'émergence des USA comme nouvelle puissance impérialiste dans les guerres d'indépendance de Cuba et de Porto Rico, et l'imposition de la carotte "panaméricaine" aux "peuples de couleur."
Au début du siècle dernier, un fait qui n'avait pas été pensé aux USA et en Europe, la révolution mexicaine, a représenté l'effort politique, militaire et culturel le plus important depuis que l'Amérique latine avait recommencé à se regarder et à réfléchir sur elle-même.
Sans cette révolution, rien de ce qui s'est passé ensuite n'aurait eu lieu. Ni l'épopée de Sandino et des sandinistes ni la révolution cubaine et bolivarienne ni les démocraties qui ont retrouvé leur vigueur dans le sud, et qui, au milieu du monde, près de Quito, ont inauguré ces derniers jours (sans que les médias en soufflent mot) l'édifice formidable de l'Unasur, qui cherchera à harmoniser les "villageois vaniteux"*.
Lors d'un forum tenu la semaine dernière à Santiago du Chili, la
cheffe du FMI, Christine Lagarde, a qualifié de non viables et de "plat
de spaghettis" le Mercosur, l'Alba et la CELAC *. Et pour ne pas être en
reste, deux économistes de "supergauche" sont également tombés d'accord
pour dire que ces mêmes organisations étaient des " nouilles".
Il est connu que pour l'empire les sigles valides sont ceux du FMI, de la Banque mondiale (BM), de l'ALENA (ou NAFTA, en anglais), de l'AP (Alliance du Pacifique), du G20, de l'OMC, et la plus sinistre de tous : l'Aspan (Accord pour la sécurité et la prospérité de l'Amérique du Nord), signé par le Mexique, les USA et au Canada à Waco (Texas, 2005), dont le contenu n'a pas été divulgué.
Avec l' Aspan, le Mexique a été officiellement intégré dans la zone
de «sécurité nationale» de Dieu. C'est-à-dire le Commandement Nord du
Pentagone.Il est connu que pour l'empire les sigles valides sont ceux du FMI, de la Banque mondiale (BM), de l'ALENA (ou NAFTA, en anglais), de l'AP (Alliance du Pacifique), du G20, de l'OMC, et la plus sinistre de tous : l'Aspan (Accord pour la sécurité et la prospérité de l'Amérique du Nord), signé par le Mexique, les USA et au Canada à Waco (Texas, 2005), dont le contenu n'a pas été divulgué.
Bien. Si l'Aspan a été conçu pour notre sécurité ... serait-ce trop demander qu'un quelconque politicien de progrès ou intello consacré par les médias (en plus de citer Freud, Fromm, Gandhi, Deleuze, la «banalité du mal» d'Hannah Arendt et tout le tintouin) ailler demander à l'ambassade (US) de l'avenue de la Reforma (respectueusement, bien sûr et sans bisous) si elle dispose d'une quelconque donnée fiable sur ce qui est vraiment arrivé aux 43 garçons disparus à Iguala?
Ou est-ce que vraiment un groupe de voyous et de flics faméliques ont autant de pouvoir que l'empire le plus redoutable que l'humanité ait jamais connu, celui qui a retrouvé Ben Laden et se vante que rien ne disparaît dans ce monde parce que nous sommes, Dieu merci, tous surveillés?
Vraiment ... quels vents d'Amérique pourraient oxygéner le cœur troublé, accablé, brisé des Mexicains? Ceux du nord, qui le tuent et exploitent, ou ceux du sud, qui de Juarez aux 43 d'Ayotzinapa les reconnait comme frères?
Harper, Peña Nieto et Obama au "Sommet des leaders d'Amérique du Nord", à Toluca, Mexique, février 2014
NdT
*Allusion
à l'expression utilisée par José Marti la veille de sa mort, dans une
lettre à Manuel Mercador où il parlait du "Nord convulsif et brutal qui
nous méprise".
*
"Le villageois vaniteux croit que le monde entier se réduit à son
village, et pourvu qu'il en soit le maire, ou qu'il mortifie le rival
qui lui a pris sa fiancée, ou encore que ses économies grossissent dans
sa tirelire, la voilà qui tient pour parfait l'ordre de l'univers, sans
rien savoir des géants aux bottes de sept lieues qui peuvent l'écraser
sous leur botte, ni du combat des comètes dans le ciel qui traversent
les airs, endormies, engloutissant des mondes. Tout ce qui en Amérique
tient encore du village, doit se réveiller. Notre temps n'est pas de
ceux où l'on peut se coucher la tête dans un foulard, mais où les armes
doivent tenir lieu d'oreiller, comme au temps des guerriers de Juan de
Castellanos : les armes de l'intelligence, qui triomphent des autres.
Des tranchées d'idées ont plus de valeur que des tranchées de pierre."
José Marti, Notre Amérique, in La Revista Ilustrada de Nueva York, 10 janvier 1871, republié dans El Partido Liberal, Mexico, 30 janvier 1891
José Marti, Notre Amérique, in La Revista Ilustrada de Nueva York, 10 janvier 1871, republié dans El Partido Liberal, Mexico, 30 janvier 1891
*
Néoporfiriste : de Porfirio Díaz, qui fut président-dictateur du
Mexique de 1876 à 1911 et que seule la révolution parvint à chasser du
pouvoir. Son règne fut baptisé le porfiriat (porfiriato). Mort en exil à
Paris, il a laissé un mot : le porfirisme et son avatar, le
néoporfirisme, incarné aujourd'hui par le PRI au pouvoir de nouveau
depuis 2012, après l'avoir été de 1929 à 2000.
* "Celle qui a un spaghetti dans le cerveau est Mme Lagarde elle-même"- Nicolás Maduro, président du Venezuela, Telesur, 12/07/2014
* "Celle qui a un spaghetti dans le cerveau est Mme Lagarde elle-même"- Nicolás Maduro, président du Venezuela, Telesur, 12/07/2014
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