mardi 9 décembre 2014

Mexique: ce sont tous des Abarca*

par John M. Ackerman, 8/12/2014. Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
Original: México: Todos son Abarca

À la mémoire de Vicente Leñero ** et Alexander Mora***,
exemples de dignité rebelle et graines de révolution

L'effervescence sociale et de la solidarité internationale suscitées par le massacre  d'Iguala ont déjà dépassé en puissance les événements à la fois de 1968 et de 1994 au Mexique. Ni le mouvement étudiant historique des années soixante ni le soulèvement indigène des  années quatre-vingt-dix  grands n'avaient réussi en aussi peu de temps à provoquer un si fort basculement de la conscience et de l'autonomisation sociale. Les nouveaux temps de maturation citoyenne,  de communication numérique et d'effondrement impérial ont facilité l'émergence d'un mouvement national dont la flamme pourra difficilement être éteinte à  court terme.
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"Aujourd'hui est un jour nuageux et triste, mais ce crime d'État ne restera pas impuni. Si ces meurtriers pensent que nous allons pleurer la mort de nos garçons, ils se trompent. A partir d'aujourd'hui, nous désavouons le gouvernement assassin d'Enrique Peña Nieto. Que le Président nous écoute bien : les jours de vacances pourront venir pour ceux qui ne ressentent pas la douleur, mais il n'y aura pas de repos pour le gouvernement  peñiste S'il n'y aura pas de Noël pour nous, il n'y en aura pas non plus pour le gouvernement. Nous savons que la mort  d'Alexander servira à faire fleurir la  révolution".


Ce sont les paroles historiques de Felipe de la Cruz, père de famille d'Ayotzinapa, prononcées le 6 décembre dernier à l'occasion du centenaire de l'entrée victorieuse d'Emiliano Zapata et Pancho Villa à Mexico. De la Cruz a émis cette déclaration de guerre, pacifique et citoyenne, au Monument à la Révolution, les pieds fermement posés sur les cryptes où reposent Francisco I. Madero, Pancho Villa et Lázaro Cárdenas.
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Au cours de la même cérémonie, Omar Garcia, étudiant normalien et grand leader sociale, a expliqué que le but du mouvement ne sera pas seulement d'obtenir  justice pour le 42 disparus et les quatre morts d'Ayotzinapa, mais d'en finir avec tous les Abarca*. Toute personne sachant écouter les paroles d'Omar comprendra qu'il ne s'agit pas seulement de destituer quelques maires, mais de faire un nettoyage général de toutes les institutions publiques. De même que tous les citoyens dignes partagent la douleur d'Ayotzinapa, tous les membres de la classe politique sont aussi infectés par la même corruption et le même cynisme qu'Abarca.

Les déclarations de Felipe et Omar impliquent la maturation du mouvement vers une deuxième étape d'expansion. Il ne s'agira plus désormais seulement d'exprimer notre solidarité avec la cause d'Ayotzinapa, mais de nous inspirer de son exemple pour agir directement contre l'impunité et construire un nouveau pouvoir démocratique, autogéré et populaire dans tout le pays.

"Ne laissez mon père seul avec sa douleur pour moi, car je signifiais pratiquement tout pour lui, l'espoir, la fierté, l'effort, son  travail et sa dignité. Je vous invite à redoubler votre combat. Que ma mort n'ait pas été vaine. Prenez la meilleure décision, mais ne m'oubliez pas. Rectifiez si possible, mais ne pardonnez pas. Ceci est mon message. Frères, jusqu' à la victoire". Ce sont les paroles posthumes d'Alexander Mora, publiées sur la page Facebook des étudiants d'Ayotzinapa.

Les gens qui suivent l'exemple d'Ayotzinapa sont déjà nombreux. Les groupes sociaux menés par l'Assemblée générale étudiante de l'Université de Sonora et les parents de la crèche ABC ont déjà occupé à deux occasions fois le parlement de Sonora. Vendredi dernier, dans la salle plénière, ils ont formellement installé un congrès populaire et désavoué Peña Nieto, Jésus Murillo Karam [procureur général de la République, NdT], le gouverneur Guillermo Padres, le recteur de l'université Heriberto Grijalva et d'autres autorités répressives.

La semaine dernière, les étudiants de l'Institut Polytechnique National ont obtenu d'importantes victoires dans leurs négociations avec les autorités. Un Congrès National Polytechnique se tiendra bientôt, et il aura toute autonomie pour définir les nouveaux règlements internes du Poli. Avanza La démocratisation interne et l'autogestion étudiante avancent dans l'un des centres d'éducation les plus importants du pays.

Après la mobilisation historique du 20 Novembre, une large réaction nationale et internationale a abouti à la libération des 11 étudiants arbitrairement arrêtés et envoyés dans des prisons à sécurité maximale. Et samedi dernier, le gouvernement du Chiapas a été contraint de libérer le prisonnier politique Florentino Gomez, après que son neveu, Augustin Gomez, s'était immolé devant le siège du parlement du Chiapas.

Vendredi dernier, à Ayutla de los Libres, Guerrero, des militants ont obligé le gouverneur Rogelio Ortega à écouter leurs revendications pendant plus de deux heures, puis à marcher avec eux dans une manifestation en faveur de la justice pour tous les disparus de l'État. Et dimanche, les membres du Mouvement Populaire du Guerrero ont forcé le député local Daniel Esteban González à signer sa démission pour sa négligence dans le cas de normaliens disparus.
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Pendant ce temps, les nouveaux disparus d'Iguala ainsi que l'horrible assassinat de la jeune infirmière, torturée et écorchée, Erika Kassandra, à Uruapan, nous rappellent que la barbarie meurtrière du régime actuel continuera sans relâche jusqu'à ce que nous ayons réussi un nettoyage général des institutions publiques. Rappelons que la sécurité publique dans ces deux villes est maintenant sous le contrôle direct du gouvernement fédéral et des Abarca qui malgouvernent  à Los Pinos [résidence officielle du président, NdT].

Nous avons tous l'obligation morale et éthique de nous inspirer de l'exemple de Felipe, Omar et tous les membres de la grande famille d'Ayotzinapa pour nous battre, chacun dans sa tranchée et sans relâche, pour finalement réaliser la justice pour notre Mexique.
NdT
*José Luis Abarca : maire mafieux d'Iguala, qui s'était acheté une place au parti "d'opposition" PRD pour se faire élire avec l'argent de la drogue. Actuellement détenu avec sa narcotrafiquante de femme.
* Vicente Leñero (9 juin 1933- 3 décembre 2014): Journaliste, scénariste et écrivain, fondateur, avec Julio Scherer Garcia, du magazine Proceso en 1976.
** Alexander Mora Venancio : un des 43 normaliens d' Ayotzinapa disparus à Iguala. Le 6 décembre des membres de l'équipe argentine d'anthropologie médico-légale ont confirmé à sa famille que les restes trouvés à Cocula, Guerrero, correspondaient à l'ADN du jeune homme.
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"Il ne sera pas cendre, il sera feu, il sera semence"
 

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