dimanche 1 novembre 2009

Sang et argent dans les rues : Les affaires de la Chine avec la junte détestée de Camara en Guinée pourraient lui attirer des ennuis à brève échéance

par  AFRICA-ASIA CONFIDENTIAL, octobre 2009. Traduit par Isabelle Rousselot, édité par Fausto Giudice

Les responsables du ministère des Affaires étrangères de Pékin sont
en train de se désolidariser énergiquement d'un contrat minier de 7 milliards $ annoncé le 9 octobre, entre le régime de Guinée de plus en plus isolé et le Fonds International de Chine (CIF), basé à Hong-Kong. Sans un rapide jeu de jambes diplomatique, la Chine pourrait à nouveau se trouver clouée au pilori pour soutien financier à un régime meurtrier, cinq ans après qu'une campagne internationale avait commencé à faire pression sur Pékin pour ses liens militaires et financiers avec le régime soudanais et les massacres au Darfour.

Le Capitaine Moussa Dadis Camara

De nombreux observateurs sont sceptiques devant l'insistance du Ministère des affaires étrangères à nier les liens ou les arrangements financiers du CIF avec le gouvernement chinois. En Angola, le géant pétrolier étatique Sinopec, est l'associé majoritaire dans une co-entreprise avec Dayuan International Development, la maison mère du CIF. Les directeurs de Dayuan sont les bénéficiaires financiers de cette coopération de plusieurs milliards de dollars avec des entités gouvernementales africaines et chinoises.
Le 17 octobre, les dirigeants d'Afrique de l'Ouest ont imposé un embargo sur les ventes d’armes à la junte du capitaine Moussa Dadis Camara, pour le meurtre d'au moins 157 personnes lors de tirs des troupes gouvernementales sur des manifestants le 28 septembre dernier. La Cour Pénale internationale a indiqué qu’elle ouvrirait une enquête pour déterminer si ces attaques brutales pouvaient être qualifiées de crimes contre l'humanité. Ce qui fait suite à des sanctions annoncées par l'Union européenne et les USA, accompagnées de l'ouverture d'une enquête indépendante sur les crimes de Conakry par le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon.
Face à une pression croissante de l'étranger et localement, de la part des factions militaires rivales, la clique au pouvoir du Capitaine Camara a joué l'offensive en faisant annoncer au ministre des Mines, M. Mamoudou  Thiam, que le CIF souhaitait investir 7 à 9 milliards de $ dans des projets pétroliers et miniers en Guinée, ainsi que dans des projets de construction de routes, de chemins de fer et autres transports. Thiam l'a appelé le contrat du siècle. Le point était clair : les critiques de l'Europe et des USA n'ont pas d'importance puisque la Chine va remplacer les intérêts occidentaux en Guinée.
Cela aurait pu encore être un stratagème populaire il y a une dizaine d'années, mais aujourd'hui, la plupart des Guinéens sont aussi sceptiques sur les ambitions de la Chine pour leur pays qu'au sujet des intentions des Occidentaux. L'annonce du ministre Thiam sur le contrat avec la Chine a alimenté des inquiétudes au niveau local : en effet, il a indiqué que le gouvernement était en train de créer une co-entreprise qui formera une société minière appartenant à l'État guinéen, basée à Singapour, qui détiendra tous les droits sur toutes les mines et les réserves de gaz du pays, à l'exception de celles déjà exploitées dans le cadre de contrats déjà établis. On ne sait pas clairement comment le contrat du CIF affectera les nombreux contrats miniers qui sont réexaminés par le régime Camara.
La société d’État angolaise Sonangol et sa co-entreprise avec le CIF, China Sonangol International,, devraient aussi investir dans des projets en Guinée. Les négociateurs guinéens ont accepté la demande du CIF que l’accord incluse la plupart des ressources minérales, pétrolières te gazières encore inexploitées. Les représentants officiels des deux parties sont réticents à parler des détails précis, notamment les avances financières à court terme dont le régime a besoin pour survivre face aux sanctions.
Selon une source proche du dossier, le contrat avec le CIF a été proposé par Mamady Diaré, l'ambassadeur de Conakry à Pékin, en juin dernier (AAC Vol 2 No 11). Selon le protocole, que Africa-Asia Confidential a pu lire,  « Les parties (le CIF et la Guinée) souscriront au capital social de la société et exerceront leurs droits de vote et les autres pouvoirs de contrôle en relation avec la Société Sino-Guineenne de Développement'», indiquant que le capital de départ sera à 15 % contrôlé par la Guinée et à 75 % par le CIF. Les 10 % restants doivent être payés d'avance par le CIF, et pourront ensuite être achetés par le gouvernement guinéen au taux du marché afin d'augmenter ses parts à 25 %.
Un responsable du ministère des Mines qui s'oppose au contrat a indiqué : « le but est de mettre en place une grande société appelée la Guinea Development Corporation (GDC) Mining, Oil and Gas, qui aura un droit de premier refus sur les ressources qui ne sont pas exploitées par les sociétés minières. Cette société nationale aura des filiales (GDC Transport, etc.) qui se déploieront dans chaque secteur pour développer des infrastructures ou des entreprises.
L'accord daté du 12 juin stipule que « les parties sont d'accord pour s'engager, pendant la période d'exclusivité des discussions, à ne faire aucune autre négociation ni conclure de contrats ou d'accords avec un tiers sur des projets concurrents. » Cette clause, qui implique une option de premier refus, a rendu furieux certains responsables du ministère des Mines. « Cet accord est véreux ! Comment peut-on donner autant de pouvoirs à une prétendue société nationale qui n'est en fait pas contrôlée par la Guinée ? Pourquoi a-t-on décidé d'aller à Singapour pour signer une joint venture comme si c'était impossible de le faire à Conakry ? », a demandé une de nos sources.
Thiam, le ministre des Mines, qui est un ami proche du Capitaine Dadis, indique que le contrat a été signé par lui-même, le Ministre d'Etat chargé de la Construction, Boubacar Barry et le Ministre des finances, Mamadou Sandé, qui est également proche de Dadis.

Boubacar Barry, ministre de la Construction


Le ministre des Mines et de l'Énergie Mamoudou Thiam, ancien vice-Président de l' Union des Banques Suisses à New York


Le Capitaine Mamoudu Sandé, ministre à la Présidence chargé de l'Économie et des Finances


Thiam fait l'éloge du « partenariat stratégique » signé entre la Guinée et le CIF. « Il s'agit de créer une société minière nationale qui maintiendra les intérêts de l'État dans des projets existants et qui développera de nouveaux permis miniers, comme GEPetrol en Guinée-Équatoriale, Sonangol en Angola et Vale Doce à ses débuts, au Brésil. »
Les discussions ont commencé, a indiqué Thiam, sur des projets miniers et sur les travaux d'infrastructure nécessaires. « Les 7 milliards de $ seront financés par le CIF à travers les mêmes mécanismes utilisés pour les 11 milliards $ investis par les Chinois en Angola depuis 2005 : un mélange de leurs fonds propres, de lignes de crédit privées et de banques d'État chinoises, puis ensuite des banques internationales une fois le contrat signé », a déclaré Thiam.
Après l'annonce du contrat, la junte de Camara a promis l'installation d'une centrale thermique d'urgence de 30 MW, un service de métro aérien à Conakry et des commandes d'avions pour lancer une compagnie aérienne appelée Air Guinea International.
L'accord du 12 juin comprend une longue liste de courses :
  • une nouvelle centrale thermique et la réhabilitation des installations (75 millions $)
  • des projets d'eau à Badi (215 millions $) et des logements bon marché (250 millions $)
  • l'amélioration des réseaux électriques à Conakry, Tinkisso et Kinkon (30 millions $)
  • la construction de bureaux officiels à Koloma (650 millions $)
  • la construction d'une zone industrielle
  • des barrages à Foumi (350 millions $), à Cogon (350 millions $) et à Kaléta (290 millions $)
  • Air Guinea International (216 millions $), des services de bus urbains et ferroviaires ;
  • la voie ferrée du Trans-Guinéen pour évacuer le minerai des Monts Nimba et le développement d'un port intégré (coût estimé en 2003 :  4,1 milliards $).
D'autres projets figurant sur la liste du document-cadre comprennent des sociétés de pêche, de coton, de traitement agro-industriel, de ciment, de tourisme et de télécommunications. Si le projet CIF fonctionne, les sociétés chinoises contrôleront presque tous les secteurs productifs de l'économie. Pour rembourser les emprunts de plusieurs milliards de dollars promis par le CIF, la GDC devra développer ses permis miniers et les possibilités du pétrole et du gaz guinéens.
Il existe déjà des retards de financement : les 100 bus promis dans les 45 jours après la signature de l'accord du 12 juin et les avions dans les deux mois ne sont toujours pas arrivés. Une source de l’Initiative pour a Transparence dans les Industries extractives a indiqué à AAC que les paiements de 50 millions $ du CIF à la Guinée ont été bloqués il y a environ 2 mois, par BNP Paribas et Citibank pour cause de documentation insuffisante.
D'autre part, les voitures de luxe offertes par la Chine pour la célébration des 50 ans d'indépendance de la Guinée servent désormais de moyens de transport à la direction du CIF pour effectuer ses courses autour de Conakry.
Les directeurs de CIF et de China Sonangol ont transformé leurs lucratives affaires en Angola en un empire commercial mondial. Un accord pour l'achat par China Sonangol de 49 % d'Air Tanzania a été annoncé par la Tanzanie en août 2008 (AAC Vol 1 No 10) mais le projet ne semble pas avoir évolué depuis.


China Sonangol a commandé trois premiers  Airbus A318 en février 2007

Des projets sont également en cours pour que China Sonangol finance la rénovation de  l'aéroport international Julius Nyerere à Dar es Salaam. La direction d'Air Tanzania souhaite que China Sonangol soutienne un projet de 508 millions $ pour acheter neuf nouveaux avions et améliorer la formation et la technologie.
Il semble qu'en échange du versement de 21 millions $ pour qu'Air Tanzania développe sa flotte, China Sonangol aurait reçu trois permis de prospection pétrolière, une infraction par rapport aux procédures existantes. En janvier, la Tanzania Petroleum Development Corporation a révélé qu'elle avait attribué trois licences pour Rukwa à China Sonangol pour célébrer les relations naissantes entre la société et le gouvernement du Président Jakaya Kikwete. Les responsables de TPDC ont affirmé que ces licences datent d'un accord signé en 2007. Se présentant au gouvernement comme une société privée, China Sonangol a participé aux négociations avec la banque publique chinoise, la China Development Bank, afin de financer l'achat des 49 % d'Air Tanzania, ont indiqué des responsables en août 2008.

Le nouveau siège de CIF China Sonangol, à Luanda, Angola, septembre 2008. Photo Paulo Carvalho Costa

Petroci, la compagnie pétrolière nationale de Côte d'Ivoire est allée chercher les investissements chinois dans le secteur pétrolier et gazier. En 2009, Petroci a engagé des négociations avec China Sonangol et Sinopec, la société pétrolière d’État, au sujet de la construction d'une raffinerie et pour une prospection commune (AAC Vol 2 No 8). Et au Nigeria, China Sonangol a racheté les droits à la compagnie pétrolière, Devon, du bloc offshore OPL 256, en 2008, mais ne l'a pas encore exploré.
La maison-mère de CIF, Dayuan International Development et la banque portugaise Escom ont formé un partenariat avec la compagnie pétrolière nationale du Congo-Brazzaville, la Société Nationale des Pétroles du Congo, appelée SNPC Asia Holding, en 2005 avec pour objectif de vendre du pétrole congolais en Chine. On retrouve à sa tête Mmes Lo Fong Hung et Veronica Fung Yuen Kwan et des proches du Président Denis Sassou-Nguesso, Denis Gokana et Blaise Elenga.

 
Denis Gokana et Blaise Elenga



Source :  Blood and money in the streets

Tlaxcala remercie Africa-Asia Confidential pour l'avoir autorisé à publier ce texte et son original. les illustrations ont été ajoutées par Tlaxcala

Article original publié en octobre 2009


Sur l’auteur

Isabelle Rousselot et Fausto Giudice sont membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur, la traductrice, le réviseur et la source.

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