En soixante-deux ans d’indépendance, le Mali a été dirigé pendant trente-trois ans par des militaires, 23 ans de dictature musclée sous Moussa Traoré (1968-1991) et dix ans de bureaucratie militaire laxiste sous Amadou Toumani Touré (2002-2012).
Héritier d’un triple empire, l’Empire du Ghana, l’Empire du Mali et l’Empire Songhaï, foyer historique de l’Empire Mandingue qui forgea sous Soundiata Keita, la Charte du Mandé, lointaine préfiguration des règles de bonne gouvernance moderne, le Mali vit la nouvelle irruption touarègue comme une réminiscence cauchemardesque de l’invasion de 1076 qui vit la désintégration de l’Empire Songhaï d’Askia Mohammad, sous le coup de boutoir des forces berbères déferlant d'Afrique du Nord pour islamiser l’Afrique occidentale.
Contrecoup de l’élimination de Mouammar Kadhafi, le Mali subit de plein fouet les effets du reflux massif des groupes armés Touareg de Libye. Recrutés pour sécuriser le sud de la Libye et soutenir la croissance économique libyenne, en véritables soldats laboureurs dans l’optique de Kadhafi, leur reflux massif vers leur ancienne zone de déploiement au Mali et au Niger, a provoqué une modification de la donne régionale.
Anciens vigiles de l’empire islamique, dont ils constituaient avant terme les forces de déploiement rapide, les Touaregs, littéralement en arabe, «Al- Tawareq-Les urgences» caressent le projet de détacher du Mali, le territoire de l’Azawad, dans le nord du pays.
Géographiquement, à des milliers de kilomètres de la capitale malienne, Bamako, en concurrence avec Al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI), le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) a développé à Ménaka, Gao et Tombouctou, une action en vue de réunifier, sous son égide, l'ensemble des populations azawadies dans toutes leur composantes: Songhay, Touareg, Arabes, Peuhls, afin de réussir l'Unité du Peuple de l'Azawad.
Jouant de l’effet de surprise, visant tout à la fois à crédibiliser ses revendications, à impressionner la population, Ansar Eddine (soldats de la religion) ont infligé une série de revers militaires aux troupes gouvernementales, fragilisant considérablement le pouvoir central, en révélant au grand jour son impéritie.
La première alerte aura été l’humiliante défaite d’Aguelhok, où la base de l‘armée est tombée le 24 janvier 2012, faute de munitions. Galvanisés par ce premier succès inattendu, Ansar Ed Edine enfoncera le clou en portant une estocade stratégique à Tessalit, lieu d’une bataille décisive, dans une ville stratégique, proche de la frontière algérienne et dotée d'une base et d'un aérodrome militaire.
Trois unités de l’armée ont dû battre en retraite en Algérie, le 4 mars, laissant le contrôle de la base et de l'aérodrome aux mains du MNLA, laissant sur le terrain un fort contingent de tués et blessés, sans compter les prisonniers et les déserteurs.
En deux mois de combats, l'armée malienne a perdu le contrôle de la plus grande partie de l'Azawad, avec des pertes de militaires tués, capturés ou déserteurs estimées à au moins un millier d'hommes.
Se superposant aux camouflets successifs infligés par la France et la Mauritanie dans leur exercice du droit de poursuite des combattants d’AQMI sur le territoire malien, la perte du camp militaire d’Amachach, le 10 mars 2012, dans la région de Kidal, humiliation suprême, a installé un climat de méfiance jusqu’au plus haut niveau de l'armée malienne.
Le général Gabriel Poudiougou, chef d’état-major général des armées, ivre de colère face au rapatriement par l’Algérie, le 16 mars dernier, de plus de 100 militaires maliens à l’aéroport de Bamako, a ordonné le retour sur le champ des combattants sur le front de GAO, les menaçant du peloton d’exécution devant ce deuxième rapatriement de militaires maliens par l’Algérie depuis janvier.
La situation en février 2012
Les combats ont provoqué l’exode de déjà près de 195.000 personnes depuis la mi-janvier 2012, selon l'OCHA, le Bureau de coordination des Nations unies pour les affaires humanitaires, accentuant la crise alimentaire qui frappe près de trois millions de Maliens du fait de la sécheresse prolongée dans le nord du pays.
Face aux revers successifs de l’armée, la crise politique et sociale qui se profilait et menaçait d’emporter le pays, un groupe d’intellectuels conduit par la prestigieuse militante Aminata Traoré, ancien ministre de la Culture, a donné de la voix proclamant leur opposition au démembrement du Mali, dénonçant au passage la démoralisation des combattants et leur démotivation ( lire la Déclaration d’intellectuels, hommes et femmes de culture sur la rébellion au nord du Mali ci-dessous).
Latent depuis la décennie 1990, le conflit entre le Nord et le Sud du Mali s’est exacerbé avec l’effondrement de la Libye et son passage, par une invraisemblable légèreté occidentale, sous gouvernance islamique avec l’intervention de l’Otan.
Une exacerbation amplifiée par la volonté prêtée à un ancien dirigeant touareg Iyad Ag Ghali de vouloir instaurer la Charia au Mali et surtout le laxisme du président Amadou Toumani Touré, que ses détracteurs accusent d’avoir utilisé des Touaregs de Libye pour contrer la rébellion du nord du Mali, suscitant la méfiance des officiers de grades intermédiaires.
L’opposition malienne reprochera à ATT son népotisme, son corporatisme, sa gestion laxiste du pouvoir d’Etat, la gabegie de son administration agrémentée de corruption. Celui qui passait pour l’homme de la relève en phase de transition démocratique en a payé le prix. Déposé par ses frères d’armes de la même manière qu’il avait procédé avec son prédécesseur Moussa Traoré. Amadou Toumani Touré, dit ATT
En contradiction avec son rôle premier, Amadou Toumani Touré, à l’époque colonel dans l’armée, avait en effet été l’instrument décisif du premier printemps africain en prenant la tête d’un Conseil de transition pour le salut du peuple qui se retira sagement au bout d’un peu plus d’un an, au profit des civils et d’élections pluralistes.
Sombre présage, le coup d’Etat de ce quarteron de sous-officiers du camp militaire de Kati, à 15 km de Bamako, s’est surtout traduit par des pillages dans les ministères et les commerces privés.
Face au double défi représenté par le réveil de la révolte touareg, encadrée notamment par le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et l’activisme des katibas d’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique), le Mali risque fort d’en sortir très affaibli, confronté à la progression quasi quotidienne de l’offensive touareg dans le Nord.
Une sanctuarisation d’AQMI dans une région saharo-sahélienne dont la chute de Kadhafi a accentué la déstabilisation, amplifiée de surcroît par la circulation d’un arsenal consistant, entraînerait un bouleversement géostratégique de la zone aux confins de six pays (Algérie, Libye, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal) de l’ancienne Afrique occidentale francophone.
Près de quarante partis politiques se préparaient à se disputer le suffrage des Maliens, pays au nationalisme chatouilleux, partisan d‘un panafricanisme résolu et d’un non alignement revendiqué et assumé, affligé toutefois d’un parlementarisme hérité des pratiques corrosives de la défunte IIIème République française.
Classé parmi les pays les moins avancés de la planète, le Mali s’enorgueillissait en revanche d’une expérience démocratique, très imparfaite mais réelle, inaugurée en mars 1991 avec le renversement du régime du général Moussa Traoré.
Face à un monde arabe en ébullition, une Europe en crise systémique, faute d’une refonte drastique du système politique malien visant à l’instauration d’un pouvoir exécutif fort, avec de solides contrepouvoirs, à défaut d’un sursaut moral, le Mali risque de plonger dans une longue crise de langueur.
Crise à tous égards inopportunes ; alors qu’il a, paradoxalement, vocation à constituer, de par son histoire et sa configuration géographique, l’épicentre d’un nouvel ensemble confédéral, antidote à la balkanisation de l’Afrique et barrage contre les ingérences occidentales et de leurs alliés pétro monarchiques, tant l’Arabie saoudite par ses achats massifs de terres arables que les autres émirats dont le vecteur de pénétration est le salafisme sous couvert de finance islamique.
Effet d’endoctrinement, d’embrigadement, d’entrainement par émulation, de mimétisme, de zèle prosélyte ou de lubrification des rapports ? Quoiqu’il en soit, trois des principaux dirigeants de la rébellion proviennent du corps diplomatique malien ayant servi dans les monarchies pétrolières, conséquence de la stratégie erratique occidentale et de l’instrumentalisation de la religion musulmane à des fins politiques et de l’impunité pétro-monarchique de la part des pays occidentaux.
Un an après l’intervention militaire occidentale contre la Libye, l’onde de choc libyenne ne cesse de faire sentir ses effets avec la déstabilisation du pré-carré africain de la France, la contestation de la dynastie Wade au Sénégal et la prolifération islamiste dans la zone sahélienne.
En ces heures périlleuses, il est à espérer que le coup de poker des putschistes fasse l’effet d‘un électrochoc à l’effet de réveiller la conscience civique des Maliens et à les inciter, les militaires, à la défense de la Patrie, et, les civils à la défense de la République et de la Démocratie.
Enrôler les islamistes d’Al Qaïda pour combattre l’athéisme de l’Union soviétique, avant de mener une guerre décennale contre le terrorisme de leur ancien allié d’Al Qaïda, pour finir par faire intervenir enfin l’Otan pour instaurer la charia en Libye, …….on aurait rêvé meilleure perspicacité de la part d’un hémisphère qui se réclame de l’intelligence athénienne, de l’ordre romain et du rationalisme cartésien français.
Un peu d‘intégrité et de perspicacité auraient pu épargner au Mali une nouvelle épreuve, dans ces circonstances-là, de même qu’un zeste de sagesse africaine aurait fait, sans nulle doute, un peu de bien à l’humanité.
Déclaration d’intellectuels, hommes et femmes de culture sur la rébellion au nord du Mali
État des lieux
Comment comprendre la rébellion armée qui, aujourd’hui, endeuille le Mali et condamne des dizaines de milliers d’innocentes et d’innocents à l’insécurité et au déplacement forcé, lorsqu’on ne veut pas s’en tenir au schéma réducteur du conflit ethnique ?
La rébellion qui a débuté le 17 janvier 2012 crée dans notre pays une situation de guerre civile.
L’heure est grave : l’intégrité du territoire national et la cohésion sociale sont aujourd’hui menacées.
L’honnêteté intellectuelle et la rigueur qu’exige la gravité de la situation actuelle du Mali imposent de lire cette rébellion à la lumière du système mondial et de ses crises.
Les réformes structurelles mises en œuvre à partir de la décennie 80 en vue de corriger les dysfonctionnements du modèle néolibéral, n’ont pas atteint les objectifs visés en terme d’amélioration des conditions de vie des populations, notamment l’accès à l’alimentation, l’eau, l’éducation, la santé et l’énergie domestique. Ce constat, qui est valable pour l’ensemble du pays, revêt des conséquences particulières au Nord.
Enjeux
Le Nord Mali se caractérise par l’extrême complexité des enjeux géopolitiques, économiques et stratégiques, sans la compréhension desquels aucune paix durable n’y est envisageable.
Le septentrion malien a souvent été le théâtre de soulèvements d’une partie de la population qui revendique son autonomie par la voie des armes. Tous les régimes, coloniaux et postcoloniaux ont été confrontés à cette situation. De l’indépendance à ce jour, les réponses de l’Etat, qui ont été à la fois militaires, politiques et socio-économiques, n’ont pas pu y instaurer la paix sur une base durable.
La mauvaise gestion, le clientélisme et la corruption que l’on relève dans la gestion des affaires publiques, exacerbent les frustrations et le sentiment d’exclusion à l’échelle du pays sans pour autant justifier la violence armée dans les autres régions.
Par ailleurs, la manière de gérer la libération des otages occidentaux a conforté AQMI dans la création au Mali d’un sanctuaire en liaison avec le terrorisme international.
Nous sommes dans un processus programmé de désintégration de l’Etat et de cristallisation des identités ethniques et régionales. De ce point de vue, nous questionnons même la genèse de l’appellation « régions du Nord ».
N’y a-t-il pas une volonté d’affaiblir des Etats de la CEDEAO et l’Organisation elle-même ?
N’allons-nous pas vers une résurgence du vieux projet de l’Organisation des Etats Riverains du Sahara (OERS) ?
Après le découpage du Soudan, nous sommes en droit de nous interroger sur l’intention des pays de l’OTAN de procéder à une nouvelle balkanisation de l’Afrique. Ne sommes-nous pas de fait en présence d’un processus de dépossession des ressources agricoles et minières africaines, qui constituent aujourd’hui une partie importante des réserves mondiales pour la relance de la croissance économique globale ?
De l’approche globale que nous privilégions, il ressort que l’issue à cette guerre fratricide récurrente n’est ni militaire ni financière mais politique, économique, sociale, culturelle et diplomatique.
Face à cette situation, nous, intellectuels, hommes et femmes de culture du Mali, signataires de ce document déclarons que:
− L’intégrité du territoire, l’unité nationale et la cohésion sociale du Mali sont des acquis sacrés.
− Le septentrion n’est pas une planète à part, mais bel et bien une région du Mali, particulièrement vulnérable, qui n’en a pas moins subi les politiques néolibérales qui ont aggravé les inégalités, les injustices, la corruption et l’impunité. De Kayes à Kidal, les Maliens paient cher pour le dépérissement de l’Etat que nous voulons plus responsable, comptable et souverain.
− La Paix véritable et durable dans le Nord de notre pays et sur l’ensemble du territoire, est au prix d’une nouvelle compréhension de la situation du Mali et de la bande Sahélienne qui intègre les enjeux sous-régionaux et mondiaux.
− Nous réfutons le discours réducteur de la guerre ethnique.
− Nous déplorons le déficit de communication et de dialogue sur les causes internes et externes des questions majeures qui engagent le destin de la nation.
− Nous condamnons le recours à la violence armée comme mode de revendication dans un contexte démocratique et déplorons les pertes en vies humaines.
− Nous condamnons avec énergie les agressions physiques, la destruction des biens et la stigmatisation de nos compatriotes Kel-Tamasheq et de peau blanche, nos frères et sœurs, alliés et voisins de quartier, de ville qui aiment et se reconnaissent dans le Mali, leur patrie, notre patrie commune à tous.
− Nous soutenons résolument nos forces armées et de sécurité dans leur mission sacrée de défense du territoire national.
− Nous sommes Un Seul et Même Peuple, uni par une longue histoire multiséculaire de rencontres, de brassages et de résistances à l’adversité.
− La paix s’impose d’autant plus que les femmes et les enfants sont pris dans l’étau dans un conflit qui n’est pas le leur.
− Les élections de 2012 sont donc une occasion historique de renouveler la réflexion sur un projet de société adapté à nos réalités, davantage fondé sur la culture de l’être et des relations humaines à même de garantir la prospérité, la paix, la stabilité et la sécurité pour tous.
Nous signataires de la présente Déclaration, présentons nos condoléances les plus attristées aux familles des victimes et à toute la nation malienne. Nous exprimons notre solidarité à toutes les familles déplacées victimes de violences.
Bamako, le 7 février 2012
Les signataires
- Aminata Dramane TRAORE, Essayiste
- Abdoulaye NIANG, Socio-Economiste
- Adama SAMASSEKOU, Linguiste
- Filifing SAKO, Anthropologue
- Hamidou MAGASSA, Socio-Economiste
- Ismaïl DIABATE, Artiste-Peintre
- Jean-Bosco KONARE, Historien
- Mohamédoun DICKO, Historien
- Mariam KANAKOMO, Communicatrice
- Ousmane TRAORE, Administrateur civil, Juriste
- Doulbi FAKOLY, Ecrivain
- Kaourou DOUCOURE, Universitaire
- Abderhaman SOTBAR, Professeur
- Cheick PLEAH, Professeur
- Mohamed COULIBALY, Ingénieur
- Abdoul MADJIDOU HASSAN, Gestionnaire
- Mahamadou H. DIALLO, Imam
- Boubacar COULIBALY, Gestionnaire
- Mme SiSSOKO Safi SY, CAHBA
- Mme TOURE Alzouharata, Gestionnaire
- Mme Awa MEITE VAN TIL, Designer
- Dr Daba COULIBALY, Enseignant-Chercheur