Spiegel Online, 26/6/2012. Traduit par Sissie Bara. Edité par Fausto Giudice
English 'ATragic, Historical Mistake by the Germans': George Soros on the Euro Crisis
Deutsch Interview mit George Soros: Star-Investor prophezeit Hass auf Deutschland
Deutsch Interview mit George Soros: Star-Investor prophezeit Hass auf Deutschland
Avant le sommet de l’UE il y a une forte pression
sur les gouvernements européens. Le célèbre investisseur George
Soros ne leur donne que peu de temps pour sauver l’union monétaire. Dans
cette interview, il explique comment l’Allemagne a développé une image de
puissance impériale haïe – et pourquoi un retrait de l’euro serait extrêmement
coûteux.
Hambourg –
Le célèbre investisseur américain Georges Soros a été l’un des plus grands
spéculateurs du monde de la finance. Maintenant, assis dans sa maison de
ville dans le quartier Kensington de Londres, il se pose des questions sur
l’amélioration du monde. Soros investit chaque année de centaines de millions
de dollars dans la démocratisation des pays de l’Europe de l’Est. De
plus en plus, il interfère aussi dans le débat concernant le sauvetage de
l’euro.
Georges
Soros, d’origine hongroise devient célèbre en 1992, lorsqu’il a
spéculé contre l’intégration de la livre sterling dans le Système
monétaire européen. Par le passé, Soros a attaqué la politique suivie par la
chancelière Angela Merkel (CDU)
dans le crise de l’euro. Maintenant, il compare la situation vécue aux USA
après la Seconde Guerre mondiale avec l’Allemagne dans son contexte européen
actuel. Les USA ont alors mis en place le Plan Marshall en tant que
“puissance impériale bienveillante.” Le pays lui-même en a bénéficié
beaucoup. Aujourd’hui, l’Allemagne ne semble “pas être disposée à s’impliquer dans
quelque chose comme l’ont fait les USA avec le Plan Marshall”, critique
Soros. “C’est une erreur tragique et historique que l’Allemagne ne
reconnasse pas ces possibilités.”
Selon Soros,
Merkel se trouve dans une situation particulière: Elle a fini par se
rendre compte que l’euro ne peut pas fonctionner ainsi, mais elle ne peut pas
changer le narratif de la crise qu’elle a créé.” Cette narration selon laquelle
les pays débiteurs n’ont pas fait leurs devoirs, s’est installée dans l' esprit
des Allemands. Le ministre fédéral des Finances Wolfgang Schäuble, (CDU) est, selon Soros,
“le dernier Européen qui reste.” Il est “un personnage tragique
parce qu’il comprend bien ce qu’il faut faire, mais il sait aussi qu’il ne peut
pas balayer les obstacles”, dit Soros. ”Il en souffre vraiment.”
Lisez
l’interview intégrale de George Soros sur le rôle de l’Allemagne dans la crise
de l’euro et le plan qu’il propose pour résoudre le problème de la dette.
Le milliardaire George Soros - REUTERS |
SPIEGEL
ONLINE: En
Allemagne, les gens parlent ouvertement de ce qui était, il y a à peine
quelques années impensable: un retrait de la zone euro. Beaucoup
d’Allemands croient qu’un retour au mark serait mieux que de le rester dans une
union monétaire fragile. Ont-ils raison?
Soros: Une rupture de la zone euro serait très coûteuse et préjudiciable, aussi bien financièrement que politiquement. Et les Allemands seraient obligés d’en accepter des pertes plus grosses.Vous devez être conscients du fait qu’ils n’ont pas pratiquement pas perdu d’argent dans la crise de l' euro. Tous les transferts des capitaux ont été faits par des crédits – et c'est seulement si ceux-ci ne sont pas remboursés qu'on pourra parler de pertes réelles.
SPIEGEL
ONLINE: Les
sondages montrent que la plupart des Allemands ne croit pas que les prêts à la
Grèce et à d’autres pays seront remboursés un jour. Ils craignent que
l’Allemagne doive payer pour le reste de l’Europe.
Soros: Cela ne se produira que si
l’euro s’effondre. Nous assistons actuellement à une fuite de capitaux
massive, qui s’accélère en permanence – et pas seulement de la Grèce mais aussi
d’Espagne et d’Italie. Tous ces transferts d’argent à l’étranger se
reflètent dans les bilans des banques centrales - et cela conduirait à des
exigences énormes des pays créanciers aux pays débiteurs. Je pense que
rien que d’ici la fin de cette année, les exigences allemandes vont grimper en
flèche au-delà de 1000 milliards d’euros.
SPIEGEL
ONLINE: En cas
de dislocation de la zone euro, ces exigences seraient tout d’un coup sans
valeur. N'est-ce donc qu'un bluff, quand la chancelière Angela Merkel flirte
avec l’idée d’un retrait allemand de l’union monétaire?
Soros: l’Allemagne pourrait quitter
la zone euro. Mais ce serait extrêmement coûteux. Je viens de
lire l’étude faite par le ministère allemand des Finances,
publiée par le Spiegel, selon laquelle en cas d’effondrement de la zone
euro, le chômage en Allemagne augmenterait de manière significative et la
croissance économique baisseraitdrastiquement. Par conséquent, l’Allemagne
va faire toujours le minimum nécessaire pour garder l’euro. Mais la
situation des pays débiteurs ne fera que s’aggraver. Le résultat sera une
Europe dans laquelle l’Allemagne sera considérée comme une puissance impériale
– comme une puissance qui n’est plus admirée ni imitée par le reste de
l’Europe. Au lieu de cela, l’Allemagne sera haïe, d’autres pays lui
opposeront unbe résistance, parce qu’ils vont percevoir les Allemands comme
oppresseur.s
SPIEGEL
ONLINE: Pourquoi
l’Allemagne devrait être blâmée pour tout? D’autres pays de l’UE se sont
dérobés à des réformes structurelles et ont vécu au-dessus de leurs moyens.
Soros: Bien sûr, les Etats qui ont
une dette élevée aujourd’hui, ne sont ps passés par des réformes structurelles,
comme l’Allemagne. Alors maintenant, ils sont à la traîne. Mais le
problème c’est que ces inconvénients deviendront plus grands avec la politique
punitive actuelle. L’Italie, par exemple, doit dépenser chaque année une somme
égale à six pour cent de son activité économique, pour arriver dans une
position de départ semblable à celle de l’Allemagne. C’est parce que
le pays doit payer ces intérêts sur sa dette. Avec ce handicap de départ, il
est impossible pour l’Italie de rattraper son retard dans la compétitivité.
SPIEGEL
ONLINE: Encore
une fois: pourquoi cela devrait-il être la faute de l’Allemagne ?
Soros: C’est la responsabilité
commune de tous ceux qui ont adhéré à l’union monétaire, sans comprendre les
conséquences de cette étape. Lorsque l’euro a été introduit, les
organismes de réglementation ont permis aux banques d’acheter autant des titres
d’Etat qu’ils voulaient sans devoir pour cela provionnser de capital
propre. Et la Banque centrale
européenne (BCE) ne faisait pas la différence parmi les
obligations d’État, déposées par les banques pour emprunter de l’argent. Cela
rendait les obligations des pays plus faibles de l’euro
soudainement plus attrayantes.
SPIEGEL
ONLINE: Et
cela a poussé les taux d’intérêt vers le bas ?
Soros: Oui. dans des pays comme
l’Espagne et l’Irlande, les faibles taux d’intérêt ont conduit à un boom
dans le marché immobilier et la consommation. Dans le même temps l’Allemagne
luttait avec les effets de la réunification et essayait de devenir plus
compétitive. Cela a conduit au développement économique d’un côté et à la
dérive de l’autre. L’Europe a été divisée en pays créanciers et
débiteurs. Toutes ces conditions ont été créées par les institutions
européennes, y compris la BCE, qui a été conçue sur le modèle de la
Bundesbank. Les Allemands oublient souvent que l’euro est avant tout une
créature franco-allemande. Aucun autre pays n’a donc bénéficié de l’union
monétaire, comme l’Allemagne – ni économiquement, ni politiquement. Par
conséquent, l’Allemagne porte aussi – dans le sens du mot allemand – la “faute”
[Schuld = dette et faute, NdE] pour ce qui s’est passé par
l’introduction de l’euro.L’Allemagne est responsable.
Athènes, février 2012-DPA |
SPIEGEL
ONLINE: Les
Allemands ont un souvenir très différent de la naissance de l’euro : ils
pensent avoir dû sacrifier leur Mark, pour que les autres pays européens
acceptent la réunification de l’Allemagne.
Soros: C’est
exact. L’intégration européenne a été fortement encouragée par l’Allemagne
parce que le pays était toujours prêt à donner un peu plus pour un compromis
qui puisse être accepté par tous. Ce fut également le fait que
l’Allemagne avait besoin du soutien pour sa réunification. Cette réflexion
a ensuite été connue sous le nom de “vision à long terme” – une vision qui a
finalement rendue l’Union européenne possible.
SPIEGEL
ONLINE:
Aurions-nous actuellement besoin d’une vision similaire ?
Soros: je veux établir une parallèle
entre la situation actuelle de la zone euro et la situation qui a suivi
la Seconde Guerre mondiale, lorsque le système monétaire de Bretton Woods - un
système de règles pour l’économie mondiale - a été créé. Les USA se sont
établis comme le pouvoir central de ce système, et le dollar devint la monnaie
de réserve du monde. C’était un monde libre dominé par les USA . Mais
l’Amérique a gagné cette place parce qu’elle a soutenu la reconstruction
de l’Europe avec le Plan Marshall. Les USA sont devenue une puissance
impériale bienveillante, ce qui a rendu un grand service au pays.
SPIEGEL
ONLINE: Comment
peut-on comparer cela avec la situation en Europe aujourd’hui ?
Soros: l’Allemagne est dans une
position similaire à celle de l’Amérique, mais elle ne semble pas disposée à
s’impliquer dans quelque chose comme l’a fait l’Amérique avec le Plan Marshall.
Elle s’oppose à toute sorte de transformation de l’Europe en union de
transfert.
SPIEGEL
ONLINE: Mais
le plan Marshall ne constituait qu'une petite partie du produit intérieur brut
US– alors que les obligations potentielles pour l’Allemagne, pourraient
aspyxier le pays.
Soros: Ça n’a pas de sens. Plus un
plan de réduction de la dette est complet et convaincant et moins le
risque est grand qu'il échoue. Rappelez-vous comment l’Allemagne a été et est
toujours reconnaissante à l’Amérique, pour le Plan Marshall
.L’Italie, par exemple, serait également reconnaissante si l’Allemagne
contribuait à réduire les coûts de financement pour le pays. ce faisant,
le gouvernement fédéral pourrait même poser les conditions. L’Italie
serait prête à les remplir si elle en tire profit. Il s’agit d’une erreur
tragique et historique que l’Allemagne ne reconnaisse pas ces possibilités.
SPIEGEL
ONLINE: Pourquoi,
alors le peuple américain a-t-il à ce moment-là appuyé le Plan Marshall – et
pourquoi les Allemands préfèrent-ils maintenant miser sur les mesures
d’austérité d’Angela Merkel ?
Soros: Les Américains après la
Seconde Guerre mondiale, se sentaient victorieux et généreux. Et ils
avaient appris de leurs propres erreurs après la Première Guerre
mondiale. À cette époque, ils avaient imposé de lourdes sanctions à
l’Allemagne – et où cela nous a-t-il conduit ? A la dictature nazie, qui
a plongé le monde dans la peur et la terreur. L’Allemagne d’aujourd’hui,
certes, ne se sent pas aussi riche que l’Amérique à l’époque, mais elle
est encore très riche.
SPIEGEL
ONLINE: C’est
justement cette prospérité que les Allemands ont peur de perdre.
Soros: La position allemande est très
imprévisible. Contrairement à ce qui se passe dans le reste de l’Europe,
l’économie allemande va bien jusqu’à l’heure actuelle. Mais si la crise de
l’euro n’est pas résolue rapidement, l’Allemagne va bientôt ressentir la
récession mondiale.
SPIEGEL
ONLINE: Il ya
quelques semaines, on a averti, qu’il ne restait que trois mois pour
reconstruire la zone euro.
Soros: Eh bien, maintenant, nous
sommes probablement plus proche de trois jours.
SPIEGEL
ONLINE: Trois
jours ?
Soros: Les chefs d'Etat et de
gouvernements européens doivent prendre le risque de proposer des mesures
audacieuses lors du sommet de jeudi et vendredi.
SPIEGEL
ONLINE: Pensez-vous
qu’Angela Merkel soit prête pour les accepter ?
Soros: Elle se trouve prise au
piège. Merkel s’est rendue compte que l’euro ne peut pas fonctionner
ainsi, mais elle ne peut pas changer le narratif qu’elle a créé. Cette
narration s'est ancrée dans l'esprit des Allemands – et ils l’ont
adoptée.
SPIEGEL
ONLINE: Le
discours est fondé sur l’idée que les pays en crise, contrairement à
l’Allemagne, n’ont pas fait leurs devoirs.
Soros: Exactement. Mais dans le
même temps la chancelière a reconnu que la gestion de crise ne peut pas
continuer de cette manière. Mais elle veut garder absolument l’euro.
SPIEGEL: Wolfgang Schäuble, le
ministre allemand des Finances, a récemment exposé dans une interview donnée au SPIEGEL ses idées pour une
“nouvelle Europe”, refondée sur une union politique beaucoup plus
étroite.
Soros: Schauble représente
l’Allemagne de l’ère de Helmut Kohl. Il est l’un des derniers Européens,
et il est une figure tragique, car il comprend ce qui doit être fait, mais sait
aussi qu’il ne peut pas balayer les obstacles. Il en souffre vraiment.
SPIEGEL
ONLINE: Que
conseilleriez-vous à Schäuble ?
Soros: Le problème principal
est le fardeau de la dette de la zone euro. Tant qu'il n'est pas allégé,
les pays les plus faibles n’ont aucune chance d’être compétitifs.
SPIEGEL
ONLINE: Comment
peut-on alléger le fardeau de la dette ?
Soros: Je proposerais de créer
une agence de financement européenne qui pourrait faire avec la BCE exactement
ce que la BCE ne peut pas faire seule. Elle pourrait constituer un fonds
d’amortissement de dettes – ce que le Conseil consultatif allemand a suggéré
et comme le SPD et les Verts le demandent. Le fonds pourrait acheter une
grande partie des obligations d'Etat espagnoles et italiennes – en
contrepartie, ces pays s’engageraient à des réformes structurelles.
SPIEGEL
ONLINE: Où trouver
l’argent pour acheter les obligations d’État ?
Soros: Le fonds pourrait à financer
les achats par l’émission d’euro-bills, une variante à court terme des
euro-bonds, dont tous les pays membres seraient conjointementgarants
. Puisque les coûts de financement seraient très faibles pour ces
obligations, le Fonds pourrait continuer à donner l’avantage aux pays touchés.
Alors l’Italie pourrait emprunter de l’argent frais à peut-être 1% taux
d’intérêt . Ce serait un grand soulagement pour les pays comme l’Italie et
l’Espagne – et cela égaliserait les conditions de financement en Europe.
SPIEGEL
ONLINE: Mais
une fois que les pays en crise commenceraient à ressentir l'allègement, ils
chercheraient probablement à éviter les réformes promises.
Soros: Au contraire, les réformes
seraient beaucoup plus faciles à se mettre en place. Εn Italie, par exemple, le
gouvernement du Premier ministre, Mario Monti, en réalité veut faire
des reformes plus fortes du marché du travail que ce qu’il peut réaliser
actuellement. Si les réformes étaient récompensées par la
perspective de conditions de financement favorables, il serait beaucoup plus
facile de lesréaliser.
SPIEGEL
ONLINE: Mais
qu’est-ce qui se passe si, par exemple, le gouvernement change et la nouvelle
direction ne se sent plus engagée à respecter l’accord sur la réforme ?
Soros: Alors, vous pouvez tout
simplement retirer l’aide financière au pays – et le priver de la possibilité
de se financer à un pour cent d’intérêt. Il lui faudrait obtenir de
l’argent sur le marché financier, qui à son tour le punirait pour
cela. Aucun pays ne pourrait résilier l'accord sans avoir à payer un
prix élevé.
SPIEGEL
ONLINE: Mais
ainsi on pousserait des grands pays comme l’Italie à la faillite – avec des
conséquences imprévisibles pour l’Europe. Ce serait une punition qui ne
serait jamais imposée.
Soros: On pourrait adapter la peine à
l’infraction. Même Une petite augmentation des coûts de financement
ramènerait déjà le gouvernement en question à la raison.
SPIEGEL
ONLINE: Est-ce
qu’un tel plan pourrait aider aussi la Grèce ?
Soros: Probablement pas. Pour sauver
la Grèce, il faudrait une générosité énorme. La situation là-bas est tout
simplement trop empoisonnée. Si Angela Merkel était restée dure dans le cas de
la Grèce, elle pourrait maintenant convaincre plus facilement le public
allemand d’accepter les aides pour d’autres pays. Merkel pourrait établir une
distinction entre les bons et les méchants en Europe.
SPIEGEL
ONLINE: Angela
Merkel a souvent dit : “Si l’euro échoue, l’Europe échoue.” Seriez-vous
d’accord avec elle , tout au moins sur ce point ?
Soros: Oui, parce qu'à long terme, un
marché commun ne peut pas fonctionner sans une monnaie commune.
SPIEGEL ONLINE: Supposons que vous soyez encore un investisseur et spéculateur actif. Souhaiteriez-vous parier contre l’euro?
Soros: En tant qu’investisseur, je verrais la situation de manière très pessimiste, en particulier en Europe. Mais parce que je crois dans une société ouverte, je crois aussi que les gens et les dirigeants politiques en Europe finiront par agir raisonnablement.
SPIEGEL ONLINE: Supposons que vous soyez encore un investisseur et spéculateur actif. Souhaiteriez-vous parier contre l’euro?
Soros: En tant qu’investisseur, je verrais la situation de manière très pessimiste, en particulier en Europe. Mais parce que je crois dans une société ouverte, je crois aussi que les gens et les dirigeants politiques en Europe finiront par agir raisonnablement.
L’interview
a été réalisée par Mathias Müller von Blumencron, Stefan Kaiser et Gregor Peter
Schmitz
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