vendredi 26 décembre 2014

Shema


Voi che vivete sicuri
Nelle vostre tiepide case,
Voi che trovate tornando a sera
Il cibo caldo e visi amici:

Considerate se questo è un uomo,
Che lavora nel fango
Che non conosce pace
Che lotta per mezzo pane
Che muore per un sì o per un no.
Considerate se questa è una donna,
Senza capelli e senza nome
Senza più forza di ricordare
Vuoti gli occhi e freddo il grembo
Come una rana d'inverno.

Meditate che questo è stato:
Vi comando queste parole.
Scolpitele nel vostro cuore
Stando in casa andando per via,
Coricandovi alzandovi:
Ripetetele ai vostri figli.
O vi si sfaccia la casa,
La malattia vi impedisca,
I vostri nati torcano il viso da voi.

Primo Levi
10 gennaio 1946

       Vous qui vivez en toute quiétude
       Bien au chaud dans vos maisons
       Vous qui trouvez le soir en rentrant
       La table mise et des visages amis

       Considérez si c'est un homme
       Que celui qui peine dans la boue,
       Qui ne connait pas de repos,
       Qui se bat pour un quignon de pain,
       Qui meurt pour un oui pour un non.
       Considérez si c'est une femme
       Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
       Et jusqu'à la force de se souvenir,
       Les yeux vides et le sein froid
       Comme une grenouille en hiver.

       N'oubliez pas que cela fut,
       Non, ne l'oubliez pas:
       Gravez ces mots dans votre cœur.
       Pensez-y chez vous, dans la rue,
       En vous couchant, en vous levant;
       Répétez-les à vos enfants.
       Ou que votre maison s'écroule;
       Que la maladie vous accable,
       Que vos enfants se détournent de vous.
Primo Levi
10 janvier 1946



vendredi 19 décembre 2014

Pièces d'échecs : Souvenir des Tupamaros

par   Rolando Gómez, 18/12/2014. Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
Original: Piezas de ajedrez: Recuerdo tupamaro

Le sénateur Enrique Erro * est venu dans ma cellule le soir où on lui a annoncé sa prétendue libération (nous avons su plus tard que ce ne était pas le cas, mais seulement un transfert à une prison de Buenos Aires). Il venait réclamer à l'avance ce que je lui avais promis : lui offrir le jeu d'échecs que je fabriquais à la main avec de la mie de pain, et qu'il lui avait tant plu me regarder le faire avec patience et du temps à revendre.
Le jeu n'était pas encore terminé. J'avais commencé par les pions, faciles à faire, qui avaient une tête ronde, une coiffure avec une frange et une jupe à franges supposée leur donner un aspect de pages médiévaux. Mais ceux dont j'étais le plus fier étaient les fous : un casque à pointe, un blason médiéval sur la poitrine, et une lance verticale réalisée en insérant un cure-dent dans la mie avant qu'elle sèche. Les pièces noires étaient colorées avec du café; les blanches avec de la simple salive et un séchage prolongé, ce qui leur avait donné une couleur jaunâtre. Les pièces contenaient des inserts de couleur opposée. Par exemple, le bouclier des fous noirs avait une croix blanche incrustée, le bouclier des fous blancs un cheval noir. À cette époque, j'avais suffisamment de temps pour essayer différents styles et techniques, ce qui me permettait d'écarter ceux qui ne me satisfaisaient pas. Les chevaux avaient un aspect assez réaliste. Le roi blanc, qui était alors le seul que j'avais fait, avait une longue barbe en relief et brandissait une épée couleur café. L'ensemble qui commençait à prendre forme était d'une certaine manière impressionnant. Je n'avais jamais pensé jusqu'alors avoir des qualités d'artisan.

mercredi 17 décembre 2014

De la Bataille d'Ayacucho aux 43 d'Ayotzinapa

par José Steinsleger, 10/12/2014. Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original:
De Ayacucho a los 43 de Ayotzinapa

Les astérisques renvoient à des notes du traducteur

Deux Amériques: celle du «Nord convulsif et brutal»* qui regarde celle du Sud avec un intérêt méprisant et avide, et celle qui, il y a 190 ans, a mis fin au pouvoir espagnol dans les plaines d'Ayacucho (Pérou, 9 décembre 1824). À laquelle le Mexique se rattache-t-il ?



9 décembre 1824 : La glorieuse bataille d'Ayacucho gagnée par l'armée patriotique sous le commandement du général Antonio José Sucre a assuré l'indépendance de l'Amérique du Sud
Deux Bolivar: celui qui, face à l'énorme défi de son projet politique, estimait qu'il avait "labouré la mer" mais a néanmoins continué à dire : "Nous ne pouvons vivre que de l'union". Quel est le «nous» qui convient au Mexique?

Deux Mexique: la "nation américaine" de Hidalgo et Morelos et celui, néoporfiriste*, qui nie et occulte les «faits» de son histoire, en les réduisant à de simples «événements» sujets à «interprétation». Et pour lesquels il n'y a donc pas une vérité unique, destructrice et brutale.

mardi 16 décembre 2014

La bataille pour le Mexique


par John M. Ackerman, 15/12/2014. Traduit par  Fausto Giudice, TlaxcalaOriginal: La batalla por México

À la mémoire de Vicente Leñero, Anayeli Bautista*et Erika Kassandra,
graines de la seconde révolution mexicaine

Le mouvement qui a émergé suite à la disparition et au massacre des étudiants d'Ayotzinapa a d'énormes implications mondiales et historiques. La bataille pour les ressources naturelles, la culture millénaire et le système politique mexicains constitue une épreuve de force à la fois pour l'oligarchie mondiale et son appareil répressif et pour la mobilisation citoyenne mondiale pour la paix, l'environnement et la justice. Il est de la responsabilité de tous les Mexicains à l'intérieur et à l'extérieur du pays, ainsi que des citoyens concernés à travers le monde de mettre leur grain de sable pour assurer que la crise actuelle ne débouche pas sur une renaissance du fascisme mondial et, au contraire, ouvre la voie à la libération humaine.

"1808-1936 :de nouveau pour l'indépendance de l'Espagne", affiche de l'artiste espagnol Renau (1907-1982)
Le Mexique joue aujourd'hui un rôle similaire à celui de l'Espagne pendant la guerre civile de 1936-1939. Le résultat tragique de ce conflit a ouvert la voie au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Cinq mois seulement après que le général Francisco Franco eut proclamé sa victoire sur les forces républicaines en 1939, réalisée avec le soutien de l'Allemagne nazie, Adolf Hitler envahit la Pologne. Par la suite le nombre de personnes exterminées chaque jour dans les "camps de concentration" du Troisième Reich devait se multiplier exponentiellement.

dimanche 14 décembre 2014

Mexique: l'ombre de l'armée sur Ayotzinapa

par Fabrizio Lorusso, 11/12/2014. Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
Original: México: La sombra del ejército sobre Ayotzinapa 


Dès début octobre, les groupes de guérilla dans l'État de Guerrero, d'abord l'Armée Populaire Révolutionnaire (EPR) puis l'Armée révolutionnaire du peuple insurgé les (ERPI), ont émis plus de 10 communiqués impliquant l'armée mexicaine dans la disparition des 43 normaliens à Iguala.
Leurs déclarations sont passées presque inaperçues, bien que de nombreuses déclarations de parents et de membres de l'Union des peuples et des organisations de l'État de Guerrero (UPOEG), dont font partie plusieurs parents des étudiants disparus, se soient orientées vers la même hypothèse, qui est plutôt une accusation.

Le message signalait que parmi les responsables de la disparition des 43 normaliens, il avait deux officiers du 27ème Bataillon d'infanterie : le lieutenant Barbosa et le capitaine Crespo, impliqués dans l'organisation.

mardi 9 décembre 2014

Mexique: ce sont tous des Abarca*

par John M. Ackerman, 8/12/2014. Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
Original: México: Todos son Abarca

À la mémoire de Vicente Leñero ** et Alexander Mora***,
exemples de dignité rebelle et graines de révolution

L'effervescence sociale et de la solidarité internationale suscitées par le massacre  d'Iguala ont déjà dépassé en puissance les événements à la fois de 1968 et de 1994 au Mexique. Ni le mouvement étudiant historique des années soixante ni le soulèvement indigène des  années quatre-vingt-dix  grands n'avaient réussi en aussi peu de temps à provoquer un si fort basculement de la conscience et de l'autonomisation sociale. Les nouveaux temps de maturation citoyenne,  de communication numérique et d'effondrement impérial ont facilité l'émergence d'un mouvement national dont la flamme pourra difficilement être éteinte à  court terme.
http://tlaxcala-int.org/upload/gal_9630.jpg
"Aujourd'hui est un jour nuageux et triste, mais ce crime d'État ne restera pas impuni. Si ces meurtriers pensent que nous allons pleurer la mort de nos garçons, ils se trompent. A partir d'aujourd'hui, nous désavouons le gouvernement assassin d'Enrique Peña Nieto. Que le Président nous écoute bien : les jours de vacances pourront venir pour ceux qui ne ressentent pas la douleur, mais il n'y aura pas de repos pour le gouvernement  peñiste S'il n'y aura pas de Noël pour nous, il n'y en aura pas non plus pour le gouvernement. Nous savons que la mort  d'Alexander servira à faire fleurir la  révolution".

mardi 2 décembre 2014

Le Plan Juncker dans une Europe orwellienne


par Luigi Pandolfi. Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
Démêler un écheveau comme celui de la gestion européenne de la crise est devenu toujours plus difficile. Et l'exercice consistant à la raconter est devenu encore plus difficile. Je m'explique.
La mise en place de la nouvelle Commission n'a rien changé à l'approche par les sommets européenne du thème de l'austérité. Aucun des nouveaux commissaires n'a jusqu'ici soufflé mot sur la nécessité de revoir les protocoles rigides du pacte budgétaire en vigueur, et encore moins d'examiner l'hypothèse - à ce jour la plus sérieuse – d'une restructuration de la dette. En revanche, on a droit à un flot de paroles sur la croissance, l'investissement et l'emploi, un véritable déluge. On a l'impression d'être plongés dans un scénario orwellien, où une forme très sophistiquée de novlangue masque systématiquement, scientifiquement, de formules inappropriées des choix (et des non-choix) qui vont dans la direction opposée à celle officiellement déclarée.

De Draghi à Juncker, en passant par les comparses qui peuplent la scène politique nationale dans les pays membres, on n'en finit plus de gloser sur le caractère intenable de «la rigueur comme fin en soi», sur la nécessité de «relancer l'économie», de «créer de nouveaux emplois », alors que, dans la pratique, on reste retranchés, et subordonnés, dans la défense à outrance de l'actuelle gouvernance communautaire, dont l'essence fondamentale et indécrottable réside justement dans la rigueur et la surveillance pointilleuse des budgets publics.


dimanche 30 novembre 2014

La fin de la démocratie mexicaine

par  John M. Ackerman, 2611/2014. Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

Avec l'aide de l'administration Obama, Peña Nieto est en train de remodeler brutalement la société mexicaine


Mexico, 5 novembre 2014: manifestation sur l'avenue Reforma pour demander justice pour les 43 étudiants disparus d' Ayotzinapa Photo Miguel Tovar / LatinContent / Getty Images

Avant même l'enlèvement tragique de 43 étudiants de l'École normale rurale d' Ayotzinapa le 26 septembre dernier, le président du Mexique Enrique Peña Nieto était déjà au bord du gouffre. Son programme de réforme néolibérale, la répression systématique des protestations et sa poigne de fer pour contrôler les médias avaient fait de lui le président le plus impopulaire de l'histoire récente du Mexique.
L'énorme agitation qui a éclaté ces derniers jours concerne donc non seulement la criminalité et la violence, mais aussi le pouvoir social et la politique démocratique. Et ce qui est en jeu dans la bataille d'aujourd'hui pour le Mexique n'est pas seulement l'avenir de paix et de prospérité pour ceux qui vivent au sud du Rio Grande, mais aussi la démocratie et la justice au nord de la frontière.

Avant d'entrer en fonction le 1er décembre 2012, Peña Nieto a publié une tribune dans le Washington Post dans laquelle il essayait de dissiper les inquiétudes au sujet de ses liens intimes avec la vieille garde la plus corrompue et arriérée de l' autoritaire Parti révolutionnaire institutionnel, qui a gouverné le pays de 1929 à 2000. Il encourageait les observateurs à oublier le passé du parti et à plutôt regarder son «plan pour ouvrir le secteur de l'énergie du Mexique à l'investissement privé, national et étranger."



Promulgation de la "réforme de l'énergie", ouvrant la voie à la privatisation du secteur de l'énergie


Écrivant à la veille de sa première rencontre avec le président Barack Obama à Washington, Peña Nieto affirmait que de telles réformes "contribueraient à garantir l'indépendance énergétique US-américaine", car "le Mexique détient le cinquième plus grande réserve de gaz de schiste dans le monde, en plus d'importantes réserves de pétrole en eau profonde et un énorme potentiel dans les énergies renouvelables ".


Obama, l'armée US et le Congrès ont accepté avec empressement le pacte faustien de Peña Nieto. Ils allaient soutenir aveuglément sa présidence en échange d'une action rapide pour réformer le statut de l'énergie.
Au cours des deux dernières années, les deux parties ont tenu loyalement leurs engagements. En décembre 2013, Peña Nieto a fait passer en force la réforme historique de l'article 27 de la constitution qui a mis fin au monopole de l'État sur l'industrie pétrolière et a ouvert les vannes à la spéculation et aux vastes investissements privés par des géants internationaux du pétrole. La majorité des Mexicains a catégoriquement rejeté ces réformes, mais ils ont été écrasés par le rouleau compresseur du Congrès national et ces réformes ont été adoptées par une majorité des parlements des États en seulement 10 jours, sans débat et en violation flagrante du processus démocratique.

-T'as du pétrole ?

-T'as une réforme de l'immigration ?
Cette action légale rapide autorisant le transfert de la rente pétrolière publique au secteur privé accomplissait les rêves les plus fous de Washington. Les USA ont poussé en vain pendant des années sans succès à réaliser des réformes similaires dans l'Irak occupé. Mais au Mexique, un président loyal et corrompu s'est avéré être beaucoup plus efficace que l'occupation militaire directe.Sans surprise, la plus grande partie de la presse internationale a applaudi vigoureusement la réforme pétrolière. "Alors que l'économie du Venezuela implose et que la croissance du Brésil stagne, le Mexique est en train de devenir le producteur latino-américain de pétrole à surveiller - et un modèle de la façon dont la démocratie peut servir un pays en développement", écrivait le Washington Post dans un éditorial. Le Financial Times proclamait avec enthousiasme que "le vote historique du Mexique en faveur de l'ouverture de son secteur pétrolier et gazier à l'investissement privé, après 75 ans sous le joug de l'État, est un coup de maître politique pour Enrique Peña Nieto." Et le magazine Forbes a fait valoir que bien que le président précédent Felipe Calderón "ait peut-être poussé à des réformes réelles du pétrole, c'est Peña Nieto qui entrera dans les livres d'histoire ".
Depuis que Peña Nieto a pris le pouvoir, le gouvernement US n'a pas émis une seule condamnation de la corruption ou des violations des droits humains au Mexique. Ceci dans un contexte dans lequel les principales organisations internationales telles que Human Rights Watch, Article 19 et des dizaines d'ONG locales ont documenté une augmentation scandaleuse dans la répression de la contestation et de la violence contre la presse sous l'actuelle administration.
La réponse molle du gouvernement US au massacre d'étudiants du 26 septembre fait partie d'une tendance plus large à regarder ailleurs.


-Question : est-il temps de mettre fin à la guerre de/contre la guerre ?

-Réponse unanime : NON !



Mais le gouvernement US ne s'est pas contenté de reste sur le banc de touche. Il a également renforcé son implication directe dans la guerre contre/de la drogue au Mexique. Le Congrès a affecté des milliards de dollars au financement de l'appareil mexicain de sécurité du gouvernement mexicain au cours des dernières années. Les autorités mexicaines et US ont mis en place des centres d'intégration d'élite à travers le pays pour partager des informations de renseignement. Et le Wall Street Journal vient de révéler que des agents US revêtent des uniformes militaires mexicains pour participer directement à des missions spéciales, comme la récente arrestation de Joaquín «El Chapo» Guzmán, le puissant chef du cartel de Sinaloa.
Maintenant que la légitimité de l'administration Peña Nieto s'écroule comme un château de cartes, ce qui a été nettement symbolisé par l'autodafé public d'un énorme effigie de lui sur la place du Zócalo, au centre de Mexico, jeudi dernier, la question que tout le monde se pose est de savoir si le gouvernement US va continuer à se battre jusqu'au bout pour défendre Peña Nieto ou s'il y a encore dans l'establishment politique US des marges de manœuvre en faveur de la paix et de la démocratie au sud du Rio Grande.
Les mesures prises récemment par les autorités mexicaines indiquent qu'elles continueront d'avoir le soutien indéfectible de Washington.
Selon plusieurs témoins, pendant les énormes manifestations du 20 novembre à Mexico, des provocateurs encagoulés ont lancé des cocktails Molotov sur la police, puis ont assisté tranquillement au malmenage indistinct des journalistes et des observateurs des droits humains et à l'arrestation d'étudiants innocents détenus. Peña Nieto a immédiatement fait inculper 11 étudiants pour crimes graves fédéraux - terrorisme, crime organisé et conspiration - et les a fait enfermer dans des prisons de haute sécurité à des centaines de kilomètres de la capitale.


Et ce dimanche, le puissant secrétaire mexicain d'État à la Marine, le général Francisco Soberón Vidal, a fait une démonstration sans précédent d'activisme politique en déclarant publiquement que les forces armées ne sont pas seulement engagées dans la lutter contre la criminalité organisée et le trafic de drogue, mais sont également prêtes à intervenir en soutien du projet politique néolibéral de Peña Nieto pour "faire bouger le Mexique." Des câbles de WikiLeaks et des rapports indépendants ont révélé que le gouvernement US est particulièrement proche des Marines mexicains, qui ont ses préférences devant toutes les autres institutions de maintien de l'ordre.
Si la situation continue sur la voie tracée, le Mexique pourrait bientôt suivre le chemin du Pérou au cours de l'auto-coup d'État (autogolpe) d'Alberto Fujimori en 1992 – sous les yeux de l'administration Obama. À moins que les citoyens US ne se lèvent en soutien et en solidarité avec leurs voisins mexicains, le pays pourrait devenir la proie d'une nouvelle guerre sale soutenue par les USA contre les étudiants et les militants, similaire à la répression durant les années 1970 et 1980, qui a coûté des centaines de milliers de vies au Guatemala, au Salvador, au Nicaragua et au Honduras. Il est encore temps d'agir avant que l'Amérique du Nord d'aujourd'hui devienne une copie de l'Amérique centrale d'il y a 30 à 40 ans.


Lors d'une cérémonie au Palais National à Mexico, le jeudi 27 novembre 2014, Enrique Peña Nieto a annoncé un nouveau plan anti-crime qui prévoit l'introduction d'une carte d'identité nationale, donne au Congrès le pouvoir de dissoudre l'administration municipale corrompue et de mettre les forces de police locales – souvent corrompues - sous le contrôle des gouvernements des 31  États du pays (qui, eux, évidemment ne sont pas du tout corrompus). Le plan se concentrera d'abord sur quatre des États les plus troublés du Mexique : Guerrero, Michoacán, Jalisco et Tamaulipas. Photo Eduardo Verdugo/AP

vendredi 28 novembre 2014

Bénéwendé Stanislas Sankara : "Après la mort de Thomas Sankara, nous avons du militer comme des snipers pour continuer son combat"

Interview de Bénéwendé Stanislas Sankara, président de l'UNIR/PS (Union pour la Renaissance / Parti Sankariste) et du FPS (Front Progressiste Sankariste), et ancien chef de file de l'opposition burkinabè.
Interview réalisée au siège de l'UNIR/PS à Ouagadougou le 26 novembre 2014 par

Mikaël Doulson Alberca




lundi 24 novembre 2014

Le Troisième Homme-Note de lecture sur une histoire du Jihad islamique palestinien

Dans le monde polarisé où nous nous débattons, la pensée unique dominante est binaire : "où vous êtes avec nous, ou vous êtes contre nous". Et dans le cas de la situation dans laquelle la pauvre Palestine est engluée, cette pensée binaire est mise en œuvre avec de l'artillerie lourde, au propre comme au figuré. Il est ainsi devenu d'usage de présenter les acteurs palestiniens en les réduisant au duo de frères ennemis Fatah-Hamas, les premiers étant devenus présentables et cooptables dans le concert des partis "étatiques", car censés être laïcs, démocratiques et pacifiques, les seconds restant enfermés dans leur ghetto de Gaza, régulièrement soumis à une tempête de feu, d'acier et de sang, et presque hermétiquement clos depuis 8 ans, en plus de figurer sur les listes officielles d'organisations terroristes dressées par les puissances du "monde libre", lancées dans de nouvelles croisades. Encore que même cette pensée binaire soit constamment remise en cause par Netanyahou et ses acolytes, qui tentent de convaincre leurs alliés US et européens que "tout ça" –l'ensemble des partis et mouvements palestiniens - n'est qu'une seule et même bande d'exterminateurs de juifs.
Si l'on fait une recherche sur le moteur de recherche le plus en vogue, les occurrences de quatre mots que l'on obtient sont les suivantes :

Mot-clé
Langues en caractères latins
Arabe
Hamas
6 330 000 résultats
16 000 000 résultats
Fatah
42 600 000 résultats
32 400 000 résultats
OLP
23 300 000 résultats
1 120 000 résultats
Jihad islamique Palestine
180 000 résultats
1 600 000 résultats


presence-comparee-google-organisations-palestiniennes
Comme on le voit, il n'y a pas photo : l'organisation du Jihad islamique palestinien est pratiquement un fantôme médiatique. On ne peut donc que se réjouir du travail de recherche mené par trois auteurs appartenant, pour d'eux d'entre eux, à la nouvelle génération des "islamologues/orientalistes" français, et pour le troisième, à la diaspora palestinienne. Ils réunissent donc les trois conditions minimales requises pour une approche rationnelle/scientifique d'un mouvement politique arabe : la connaissance de la langue arabe, la connaissance personnelle des protagonistes, et une culture générale suffisamment vaste pour être en mesure de replacer les actes et les discours des acteurs étudiés dans un contexte historique, politique, culturel, social, militaire et religieux.

Pour tous ceux et toutes celles qui ne peuvent se satisfaire de ranger les mouvements de résistance "islamistes" dans le grand fourre-tout des "barbus-fous (à lier) de Dieu", bons pour la géhenne, le livre de Wissam Alhaj, Nicolas Dot-Pouillard et Eugénie Rébillard, "De la théologie à la libération –Histoire du Jihad islamique palestinien" (La Découverte, octobre 2014, 214 p., 18 €), permettra une plongée dans un monde et une histoire inconnus de 99% des Occidentaux, pro-Palestiniens compris, avec un dosage équilibré d'empathie et de distance critique. On ne peut donc qu'en recommander la lecture, notamment aux militants français de gauche, partisans inconditionnels du Fatah et que la simple existence du Hamas et du Hezbollah gêne aux entournures quand elle ne leur donne pas des boutons : ils verront que les choses ne sont pas si simples, et que le Fatah est et a été beaucoup plus "islamique" qu'ils veulent bien le croire. 

Comme cela fut le cas du FLN algérien, et avant, lui, de l’Étoile Nord-africaine/MTLD de Messali Hadj, qui réalisa la prouesse d'être à la fois un dirigeant proche de l'Internationale communiste et de se voir proposer d'être désigné Calife par un congrès islamique au Caire dans les années 1930. Comme cela fut le cas du Néo-Destour de Bourguiba, présenté généralement comme un parangon de laïcité, mais dont on ignore généralement que, dans les mêmes années 1930, il faisait passer ses consignes de lutte par les mosquées, où les imams prêchaient aux fidèles que la participation à telle grève ou manifestation décidée par le parti était le devoir de tout Musulman.
Pour en revenir aux Palestiniens, un premier constat s'impose : tous, quelle que soit l'idéologie dont ils se réclament, sont Palestiniens avant d'être "islamistes", "gauchistes", "nationalistes arabes" ou autres, et tous, chrétiens compris, baignent dans une culture ambiante musulmane. Ce patriotisme "étroit", commun désormais à tous les peuples arabes, qui ont intériorisé les frontières nationales héritées des colonialismes et des protectorats, est évidemment particulièrement exacerbé chez ceux dont la terre est occupée depuis presque un siècle par des colons juifs ou se disant tels.
Corollaire de ce patriotisme, l'anti-impérialisme, qui est passé par plusieurs phases, au fil des événements du monde et de la région.
Analysant à juste titre le projet sioniste et sa mise en œuvre comme une émanation des puissances coloniales –Grande-Bretagne et France -, qui passèrent ensuite le bâton aux USA, les Palestiniens se tournent donc "naturellement" vers ceux qui, dans le monde, semblent combattre ces puissances : l'URSS, la Chine, le Vietnam et Cuba. L'enthousiasme pour l'Union soviétique ayant déjà été quelque peu échaudé par son vote à l'ONU en faveur du plan de partage de la Palestine du 29 novembre 1947, les sympathies et les affinités idéologiques se déplacent progressivement vers Pékin, Hanoi et La Havane. Mais deux événements viennent toit changer : la révolution iranienne de janvier 1979 et l''entrée de l'Armée rouge en Afghanistan le 25 décembre 1979, qui vient régler à la kalachnikov le conflit entre les communistes afghans au pouvoir. Cette même année 1979 a vu une guerre éclater entre la Chine, désormais dirigée par le "pragmatique" héritier de Mao, Deng Xiao Ping, l'homme auquel peu importait la couleur du chat pourvu qu'il attrape les souris, et le Vietnam, occupé dans une guerre visant à éliminer les Khmers rouges maoïstes du Cambodge. Téhéran devient donc soudain la nouvelle Mecque des révolutionnaires palestiniens, Yasser Arafat compris*.
L'impact de la révolution iranienne est énorme sur le monde arabo-musulman, notamment sur les groupes et mouvements politico-militaires palestiniens et libanais et, plus largement sur la jeunesse, en particulière étudiante. Un groupe d'étudiants palestiniens, en partie originaires de Gaza, boursiers en Égypte, constituent alors le premier noyau de ce qui deviendra le Mouvement du Jihad islamique palestinien, né officiellement en octobre 1987, par la première action militaire de ce groupe contre un cantonnement israélien dans le quartier du Shujaayia à Gaza, prélude à la première Intifada qui éclatera le 9 décembre 1987. Le même quartier où, en juillet 2014, les soldats israéliens connaîtront leur première grande défaite tactique de l'Opération "Bordure protectrice". Entre la "divine surprise" de 1979 et 1987, il aura fallu deux événements décisifs pour recentrer le combat palestinien sur le territoire de la patrie occupée : l'assassinat du président Sadate en 1981, qui déclenche une chasse aux islamistes qui n'épargne pas les Palestiniens, même s'ils sont étrangers à cet assassinat, et l'occupation israélienne du Liban en 1982, qui conduit à l'évacuation des combattants et des bureaucrates palestiniens vers la Tunisie, l'Algérie, l'Irak ou le Yémen.

Les militants du Jihad islamique se replient sur Gaza et poursuivent leur travail discret de construction d'une avant-garde révolutionnaire, tenant d'amalgamer leur bagage théorique hétéroclite et regroupant progressivement des militants venus de la gauche marxisante et/ou nationaliste arabe, tout en maintenant des relations complexes à la fois avec les Frères musulmans, qu'ils ont fréquentés en Égypte, et les fractions islamiques du Fatah. Les Frères musulmans de Gaza ne se décideront à passer à la lutte politique – et donc militaire – qu'au moment de la première Intifada, où ils créeront officiellement le Hamas, bénéficiant du réseau patiemment tissé dans les mosquées et dans le travail caritatif.

27 ans plus tard, le Jihad islamique est le troisième mouvement politico-militaire palestinien par ordre d'importance. Il a joué un rôle important dans la résistance à la dernière offensive israélienne contre Gaza et reste un "étrange soldat" dans le paysage palestinien, avec une armée de l'ombre estimée à 5000 combattants, dirigée par des hommes qui ont tout lu et discuté, d'Antonio Gramsci et Ibn Khaldoun à Mao et Che Guevara, en passant par Khomeiny et Ali Shariati, le premier traducteur en persan de Frantz Fanon. Maintenant des rapports complexes de "fraternité conflictuelle" avec le Fatah et avec le Hamas, ce mouvement qu'on peut qualifier d' "islamo-nationaliste révolutionnaire" jouit d'un grand prestige auprès des Palestiniens de tout bord, en premier lieu parce qu'il a longtemps joué les médiateurs et les conciliateurs entre les deux grands frères ennemis.

Pour en savoir plus, il ne vous reste plus qu'à lire cet ouvrage dont Olivier Roy écrit dans sa préface qu'il "apporte une contribution extrêmement originale : l'analyse des trajectoires militantes des fondateurs et des cadres du mouvement. Un maoïste athée peut devenir un islamiste au nom de la fusion avec les masses, un islamiste partisan de la oumma peut inscrire sa lutte dans le cade d'un nationalisme palestinien pour finir par rejeter l'internationalisme islamiste parce qu'il y voit un prétexte pour ignorer les luttes nationales et se réfugier dans un univers panislamiste. Les chemins se croisent, les militants évoluent. On a sans doute jeté un peu vite le bébé Marx avec l'eau du bain soviétique. L'influence profonde du marxisme chez beaucoup de fondateurs du MJIP (et du Hezbollah) explique à la fois leur originalité et leu efficacité dans l'action." (Op. cit. p.9).
http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-De_la_theologie_a_la_liberation__-9782707177810.html

  • Café-débat : Une présentation de l'ouvrage, avec Nicolas Dot-Pouillard et Eugénie Rébillard, qui l'ont co-dirigé, est organisée le lundi 24 novembre à 19h, par l'association UniT (Union pour la Tunisie), au Myanis, 132 boulevard de Ménilmontant, 75020 Paris
*« Khomeyni est notre Imam, notre chef, le dirigeant de tous les moudjahidines, nous serons deux peuples en un seul, deux révolutions en une seule et chaque fedaï, chaque moujahid, chaque révolutionnaire iranien sera l’ambassadeur de la Palestine en Iran. Nous avons libéré l’Iran, nous libérerons la Palestine. Nous continuerons nos efforts jusqu’au moment où nous aurons vaincu l’impérialisme et le sionisme ; le combat mené contre le Shah par les Iraniens est identique à celui des Palestiniens contre Israël. » Yasser ARAFAT, quotidien Libération, 20 février 1979, cité par Zahra BANISADR, « L’Iran et la question palestinienne », in Revue d’études palestiniennes, numéro 24, Éditions de Minuit, 1987, p 5, et repris par Nicolas Dot-Pouillard, "De Pékin à Téhéran, en regardant vers Jérusalem : la singulière conversion