Ibn Kafka's Obiter Dicta - Divagations d'un juriste marocain en liberté surveillée
Je me doutais un peu que le rapport de l’OMDH sur les émeutes d’Ifni, ainsi que les déclarations tant de sa présidente, Amina Bouayach, que de la présidente de la FIDH, la militante tunisienne Souhayr Belhassen, allaient susciter des remous.
Ca n’a pas manqué: Le Journal Hebdomadaire d’aujourd’hui (vous savez, ce magazine qui a décidé en 2008 qu’il pouvait se passer d’un site web) nous apprend ainsi qu’une membre du conseil national de l’OMDH, Malika Ghabbar, a démissionné. Il cite également la réaction d’un militant des droits de l’homme d’Ifni: “c’est scandaleux de la part d’une association qui défend les droits humains d’affirmer qu’il n’y a pas eu de viols de femmes à Sidi Ifni. L’OMDH préfère parler de violences à caractère sexuel afin de diminuer l’intensité des atteintes aux droits humains qu’a connues la ville“.
Libération (tiens, un autre organe de presse marocain dans le vent: il a un site, mais aucune archive) avait déjà évoqué ces tensions internes à l’OMDH dans son édition du mercredi 9 juillet, dans un article de Narjis Rerhaye intitulé “Vol au-dessus d’un débat sur la professionnalisation d’un engagement“:
Des commentaires incendiaires, une démission fracassante du conseil national, l’OMDH n’en finit pas de faire couler encre et salive. Son enquête sur les événements de Sidi Ifni, menée avec la FIDH, et dont les conclusions sont contenues dans un rapport final, dérange et se trouve aujourd’hui au coeur d’une polémique que beaucoup avouent avoir du mal à comprendre.
La journaliste donne ensuite la parole à Amina Bouayach, qui “s’insurge contre l’instrumentalisation de ce dossier” - on peut se demander alors pourquoi s’insurger plus contre l’instrumentalisation des événements d’Ifni que contre les actes de torture que même l’OMDH a admis, car il faut bien avouer qu’on a surtout entendu Amina Bouayach nier l’existence de morts ou de viols, atténuer la constatation de l’existence de cas de torture en affirmant que la torture n’était pas systématique, puis conclure de manière loufoque en disant qu’aucun crime contre l’humanité n’avait été commis, allégation qui n’avait, me semble-t-il, effleuré l’esprit de personne…
Bouayach poursuit:
Personne, dit-elle, ne veut entendre la vérité. “La défense des droits humains doit être fondamentalement attachée à un référentiel international. C’est grâce à un tel référentiel que nous avons pu conclure qu’il n’y a pas eu à Sidi Ifni de crimes contre l’humanité, de décès, de viols au sens juridique du terme ou de violations graves des droits de l’homme. Nous sommes prêts à en débattre point par point”.
Un passage de cette déclaration me choque énormément: “il n’y a pas eu à Sidi Ifni (…) de violations graves des droits de l’homme“. Et ça, c’est quoi, un dommage collatéral?:
Ca n’a pas manqué: Le Journal Hebdomadaire d’aujourd’hui (vous savez, ce magazine qui a décidé en 2008 qu’il pouvait se passer d’un site web) nous apprend ainsi qu’une membre du conseil national de l’OMDH, Malika Ghabbar, a démissionné. Il cite également la réaction d’un militant des droits de l’homme d’Ifni: “c’est scandaleux de la part d’une association qui défend les droits humains d’affirmer qu’il n’y a pas eu de viols de femmes à Sidi Ifni. L’OMDH préfère parler de violences à caractère sexuel afin de diminuer l’intensité des atteintes aux droits humains qu’a connues la ville“.
Libération (tiens, un autre organe de presse marocain dans le vent: il a un site, mais aucune archive) avait déjà évoqué ces tensions internes à l’OMDH dans son édition du mercredi 9 juillet, dans un article de Narjis Rerhaye intitulé “Vol au-dessus d’un débat sur la professionnalisation d’un engagement“:
Des commentaires incendiaires, une démission fracassante du conseil national, l’OMDH n’en finit pas de faire couler encre et salive. Son enquête sur les événements de Sidi Ifni, menée avec la FIDH, et dont les conclusions sont contenues dans un rapport final, dérange et se trouve aujourd’hui au coeur d’une polémique que beaucoup avouent avoir du mal à comprendre.
La journaliste donne ensuite la parole à Amina Bouayach, qui “s’insurge contre l’instrumentalisation de ce dossier” - on peut se demander alors pourquoi s’insurger plus contre l’instrumentalisation des événements d’Ifni que contre les actes de torture que même l’OMDH a admis, car il faut bien avouer qu’on a surtout entendu Amina Bouayach nier l’existence de morts ou de viols, atténuer la constatation de l’existence de cas de torture en affirmant que la torture n’était pas systématique, puis conclure de manière loufoque en disant qu’aucun crime contre l’humanité n’avait été commis, allégation qui n’avait, me semble-t-il, effleuré l’esprit de personne…
Bouayach poursuit:
Personne, dit-elle, ne veut entendre la vérité. “La défense des droits humains doit être fondamentalement attachée à un référentiel international. C’est grâce à un tel référentiel que nous avons pu conclure qu’il n’y a pas eu à Sidi Ifni de crimes contre l’humanité, de décès, de viols au sens juridique du terme ou de violations graves des droits de l’homme. Nous sommes prêts à en débattre point par point”.
Un passage de cette déclaration me choque énormément: “il n’y a pas eu à Sidi Ifni (…) de violations graves des droits de l’homme“. Et ça, c’est quoi, un dommage collatéral?:
Je tiens à préciser ma pensée: dans le cas d’émeutes de très grande échelle comme celle de Sidi Ifni, où la quasi-totalité de la population a pris part à des manifestations dont certaines ont dégénéré, le rôle d’une organisation de défense des droits de l’homme est d’établir le déroulement des événements, et déterminer si des abus ont été commis, et il est évident que ces abus peuvent être dénoncés qu’ils émanent des forces de l’ordre ou des manifestants. Il faut cependant clarifier une chose: par définition, une organisation de défense des droits de l’homme aura plutôt vocation à dénoncer des violations des droits de l’homme dans le chef des autorités publiques que dans le chef de personnes privées.
Pourquoi? Tout simplement parce que l’Etat, détenant le monopole de la violence légitime (violence est à prendre ici au sens large, synonyme de contrainte, plutôt qu’au sens littéral de la seule violence physique), dispose de ce fait d’outils de coercition incommensurablement plus puissants que ceux généralement détenus par des personnes privées: lois, armée, police, tribunaux et autres prérogatives de puissance publique.
Ceci ne signifie pas, bien évidemment, que cette focalisation sur les violations et les abus découlant de l’usage de la violence légitime par l’Etat soit exclusive de la dénonciation des violations et abus émanant de personnes ou de groupes privées: il est évidemment du ressort d’une organisation de défense des droits de l’homme de dénoncer par exemple les violences domestiques, la discrimination contre des minorités par des employeurs, propriétaires ou commercants, ou la violation des droits sociaux des salairés par leurs employeurs. Mais souvent, même dans ces derniers cas de figure, c’est l’Etat qui sera souvent mis en cause, par exemple en raison de lois insuffisamment protectrices des femmes battues ou des salariés, ou de pratiques administratives ou judiciaires lacunaires.
D’autre part, dans un Etat de droit, l’Etat est lui-même soumis aux lois qu’il édicte et fait appliquer. Eu égard au respect dû à la loi, une violation de la loi dûe à un agent public (ministre, magistrat, policier, fonctionnaire) est par principe plus grave qu’une violation similaire dûe à un particulier - comment faire respecter la loi si on (l’Etat) ne la respecte pas lui-même?
C’est dans ce contexte que la réaction de l’OMDH est surprenante, et finalement assez peu conforme aux pratiques professionnelles qu’elle invoque. Prenons le cas des décès et des viols, qu’elle affirme avec certitude ne jamais avoir eu lieu lors de la répression des émeutes d’Ifni. Pour les décès, il apparaît effectivement relativement facile d’en prouver l’existence: il suffit de cadavres - ou, en l’absence de cadavre, de “disparition” dont l’histoire récente du Maroc est riche. Mais quel est le rôle d’une organisation de défense des droits de l’homme, par définition dépourvue des moyens d’enquête et de coercition des autorités?
Une telle organisation est-elle en mesure de déclarer catégoriquement, et même de manière polémique - en s’autoproclamant professionnelle à la différence d’autres ONG qui ne parviendraient pas au même constat - qu’aucun décès ou viol n’a eu lieu? Ne serait-elle pas mieux venue à déclarer que si elle n’a pas été en mesure de recueillir de preuve au sens judiciaire du terme de décès ou de viols, elle demande néanmoins aux autorités policières et judiciaires de recueillir les plaintes en ce sens provenant de certains témoins et de menr une enquête diligente, s’agissant de faits que le Code pénal qualifie de crimes? Le professionnalisme tant vanté par Souhayr Belhassen et Amina Bouayach n’aurait-il pas imposé plus de modestie à cet égard, de la part d’ONG ne disposant pas des pouvoirs d’enquête de l’Etat marocain?
Et ceci vaut tout particulièrement pour les accusations de viol. Si l’absence de cadavre peut permettre de conclure qu’il n’y a pas eu de mort (et encore - on a vu au Maroc que des cadavres peuvent être enterrés dans des fosses communes, en dehors de toute procédure légale), en matière de viol, c’est beaucoup plus délicat d’être catégorique. C’est tout d’abord un crime qui, même dans des endroits avec une toute autre vision de la sexualité, a tendance à être sous-déclaré, les victimes répugnant à revivre leur calvaire auprès de la police et des tribunaux, ou ayant honte de leur sort. On peut donc imaginer que ces considérations pèsent d’un poids tout particulier à Ifni, d’autant que les violeurs présumés sont des membres des forces de l’ordre. Un peu de prudence dans les déclarations, surtout de la part d’une organisation de défense des droits de l’homme, n’aurait pas été de trop. Encore une fois, l’OMDH aurait pu se contenter de déclarer qu’elle n’avait recueilli de preuve formelle de l’existence de viols (mais quelle serait cette preuve formelle - un film sur YouTube?), et demander aux autorités de diligenter une enquête sur les cas allégués.
On peut hélas se poser des questions sur une étrange coïncidence, avec deux polémiques liées à la répression des émeutes d’Ifni. Je viens d’évoquer la surprenante attitude de l’OMDH, catégorique dans un sens qui arrange parfaitement les autorités, et au-delà de ce que les faits lui permettent d’affirmer. Mais s’agissant de la procédure judiciaire contre Hassan Rachidi, directeur du bureau marocain d’Al Jazira, condamné ce vendredi 11 juillet à 50.000 dirhams d’amende pour diffusion de fausses nouvelles, Younes Moujahid, président du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM), n’a rien trouvé de mieux à déclarer que “Al Jazeera n’est pas une chaîne sacrée“. Je ne sais pas si c’est une coïncidence, et je suis heureusement loin des querelles byzantines de l’USFP, mais il me semble que ces deux ONG, OMDH et SNPM, ou du moins leurs leaders, sont réputés proches de l’USFP. Je ne dis pas que ce sont des satellites de l’USFP, loin de là, mais il est intéressant de noter cette coïncidence - pour rappel, l’USFP siège au gouvernement et détient, nominalement du moins, le portefeuille de la justice.
Pour clore sur l’approche critiquable de l’OMDH, plus agressive contre le CMDH, dont le leader local, Brahim Sbaalil, a écopé de six mois de prison ferme pour avoir annoncé viols et décès, voici un extrait du rapport d’ATTAC Maroc, très actif dans les manifestations populaires d’Ifni, et qui me semble exemplaire par son approche prudente, adaptée aux incertitudes de la situation - bien que cette ONG ne soit pas une ONG de défense des droits de l’homme, sur ce cas-là, elle a eu une approche, comment dire, plus “professionnelle“, pour utiliser un terme cher à l’OMDH et la FIDH. Jugez-en:
La question des morts parmi les manifestants
Certains journaux et chaînes de télévision ont annoncéAffinité subjective oblige, je donnerai le dernier mot à l’AMDH (c’est extrait de l’article précité de Narjis Rerhaye dans Libération):
l’information qu’il y avait entre 4 et 8 ou 12 morts. Cette information n’a pu
être confirmée mais la sauvagerie et l’état d’esprit des forces de répression
lors de leur offensive permet d’imaginer cela. Le témoignage de trois personnes
va dans ce sens :
Le premier a dit avoir été arrêté et torturé au
commissariat et avoir vu en passant devant un bureau 6 corps entassés les uns
sur les autres. Même s’ils n’étaient qu’évanouis, les corps jetés en dessous
avaient toutes les chances de mourir étouffés avec le temps sous le poids des
autres corps.
Le deuxième a vu deux corps inertes dans la rue ramassés par
une voiture de police et au moment de son arrestation, 5 corps ont été amenés au
commissariat. Les policiers les ont arrosés d’eau froide. 3 d’entre eux ont
bougé, mais les deux autres n’ont pas réagi même après un deuxième arrosage et
les corps ont été introduits dans un bureau.
Le troisième témoin était au
port et a vu arriver des zodiacs pour réprimer les gens qui tenaient le piquet.
Pendant la charge de police, il a vu un gradé des CMI donner l’ordre de jeter 3
corps inanimés dans la mer, ce qui a été fait et qu’il a vu de ses propres yeux,
puis ils sont revenus pour continuer la répression du mouvement. 20 minutes plus
tard, le même gradé a donné l’ordre de récupérer les 3 corps jetés dans l’eau,
et ils ont transportés dans leurs voitures. Il est difficile d’imaginer qu’ils
aient pu rester vivants après tout ce temps passé dans l’eau, si toutefois ils
n’étaient pas morts auparavant
Nous avons écouté de nombreux autres
témoignages, mais ces trois étaient les plus fiables et nous les avons
recueillis directement et non en 2e main.
Le problème de la confirmation des
morts réside dans :-le fait que de nombreuses familles sont sans nouvelles de
leurs enfants, mais ne savent pas s’ils sont dans les montagnes, ou en état de
détention ou morts.-le fait que la répression n’a pas touché que les acteurs
direct du mouvement mais aussi des SDF qui ont aussi subi durement les effets de
la répression. S’il y a des morts parmi eux, ils sera difficile de le confirmer
car ils n’étaient pas de la région et on ne les connaissait pas.
De façon
générale Attac Maroc ne peut donner pour certaine l’information selon laquelle
des gens sont morts ou pas jusqu’à ce que des preuves concrètes soient
apportées, de leur existence ou non existence. Pour cela, il convient de
multiplier les efforts pour faire surgir la vérité aujourd’hui sans attendre
demain. Nous ne sommes pas disposés à attendre 20 ans ou plus pour savoir ce qui
s’est passé, comme cela a été le cas à Nador dernièrement.
Amine Abdelhamid, l’ancien président de l’AMDH, est catégorique: la crédibilité
exige d’abord d’être aux côtés des victimes de violations. “On ne peut pas dire
que tout le monde est responsable, les manifestants et les forces de l’ordre. On
ne peut pas ménager la chèvre et le chou. A Sidi Ifni, on a assisté à des
expéditions punitives, à des violations de domicile de personnes qui ne
faisaient pas partie des manifestants. Une association de défense des droits
humains doit, à mon sens, se trouver aux côtés des victimes d’autant que le
combat pour les droits de l’homme consiste pour une ONG à s’attaquer aux
violations, les dénoncer, à militer pour que réparation soit faite aux victimes
et à revendiquer le changement des lois pour qu’elles soient conformes avec les
conventions internationales relatives aux droits de l’homme“.
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