mercredi 17 février 2010

IRAK : Qui menace le tombeau d'Ezéchiel ?

Propagande israélienne autour du tombeau d’Ezéchiel
par Gilles Munier,
France-Irak-Actualité, 15/2/2010
 
   Une campagne de propagande menée par Shlomo Alfassa, directeur de l’association étatsunienne « Justice pour les Juifs des pays arabes », relayée par la presse israélienne et le site du Crif (Conseil des représentatif des institutions juives de France), affirme que le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki a l’intention de transformer le tombeau d’Ezéchiel en mosquée «et d’en effacer toutes les marques de judaïsme »… sous la pression d’intégristes sunnites.
   Ce prophète biblique, déporté du royaume de Juda en Babylonie en 597 av. JC par Nabuchodonosor II, enterré à Kiffle près de Nadjaf, est connu pour ses visions apocalyptiques et ses prêches appelant les Juifs à retourner à Jérusalem, tout en reconnaissant qu’ils ne le méritaient pas. La « grosse nuée » qu’il aperçut dans les cieux, répandant « de tous côtés une lumière éclatante, au centre de laquelle brillait comme de l'airain poli », fait également de lui le premier homme ayant vu une soucoupe volante !
   Les prophéties d’Ezéchiel inspirent encore les extrémistes israéliens et les chrétiens sionistes étatsuniens. Celle dite de Gog et Magog - particulièrement obscure (1) – a été utilisée, sous Ronald Reagan, pour mobiliser les évangélistes contre l’Union soviétique et le communisme. Sous W. Bush, la même prophétie justifiait la guerre contre l’Axe du Mal et l’invasion de l’Irak. Début 2003, le président américain l’avait citée à Jacques Chirac pour le convaincre de partir en guerre combattre l’Antéchrist !
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Le tombeau d’Ezéchiel , 1932 © Library of Congress (Les Arabes sur la photo sont des Juifs)

Le calife Ali s’y est recueilli
   J’ai visité le tombeau d’Ezéchiel à trois reprises, entre 1998 et 2002 (2). J’avais eu du mal à savoir où il se trouvait, jusqu’à ce qu’un ami me dise de demander où est enterré Dhou-l-Kiffle, le nom qui lui est donné dans le Coran.  Le lendemain, j’étais en route pour Kiffle, gros village situé entre Babylone et Nadjaf. La coupole du tombeau, de style bouyide, est visible de loin. J’ai traversé un magnifique souk, charpenté en bois, dont les échoppes étaient jadis occupées par des commerçants juifs. Il appartenait à la richissime famille Sassoun, que les Irakiens comparent aux Rothschild d’Europe (3). Les Juifs de Kiffle – comme la majorité des 120 000 vivant en Irak - ont quitté le pays après la création d’Israël, sous la monarchie pro britannique, appâtés par les promesses d’une vie meilleure, inquiets de la tournure prise par certaines manifestations pro palestiniennes, mais surtout terrorisés par les attentats organisés par le Mossad pour les pousser à immigrer dans le cadre de l’Opération Ezra et Néhémie. La preuve en a été apportée depuis.
   J’ai pénétré ensuite sur une esplanade en partie recouverte par les ruines d’une mosquée abbasside. Un magnifique minaret s’y élève toujours, décoré de briques sculptées et de calligraphies en style coufique. A l’époque, il était déjà question de tout reconstruire. Près de la porte du tombeau d’Ezéchiel, l’entrée d’un souterrain sur lequel courent des légendes extraordinaires, est condamnée. Le sanctuaire comprend trois salles attenantes. La première est une ancienne synagogue aux murs peints, par endroits, d’extraits en hébreu de la Thora. La seconde est réservée au monument funéraire érigé pour le prophète, devant lequel le calife Ali, gendre du Prophète Muhammad, qui résidait non loin à Koufa, se serait recueilli. Le dôme du tombeau est recouvert de motifs floraux. Avant d’entrer dans la dernière pièce, un espace est aménagé pour la prière. Le gardien de l’époque me dit qu’Al-Khidr - l’imam Vert - personnage symbolique mentionné dans le Coran, y est apparu. Passé la porte, il me montre cinq tombes alignées, recouvertes de draps verts. Ce sont, me dit-il, celles de disciples d’Ezéchiel, emprisonnés avec lui en 597 av. JC, après le second Exode. Le mausolée aurait été construit sur l’emplacement de leur prison.

 
La réhabilitation en question
   Beaucoup de musulmans ne font pas le lien entre le Dhou-l-Kiffle du Coran, et Ezéchiel. Ibn Kathir, exégète du Livre saint, affirmait au 14ème siècle que le tombeau de Kifle était celui du fils du prophète Ayoub (Job). Selon d’autres, Ezéchiel aurait été enseveli près de Bagdad aux côtés de Sem (fils de Noé) et Arphaxad (fils de Sem) et font remarquer qu’un autre tombeau d’Ezéchiel existe à Dezfoul, au sud de l’Iran (Arabistan).
   A part les wahhabites hostiles à l’érection de monuments religieux, personne en Irak n’a l’intention de raser le tombeau d’Ezéchiel, pas plus que ceux des autres prophètes juifs enterrés dans le pays : Ezra, Nahoum, Jonas et Daniel. Leurs sanctuaires seront réhabilités. Le seul problème, c’est qu’en Irak réhabilitation rime avec béton. Plusieurs mosquées – y compris celles de Compagnons du Prophète - des églises, et même la maison d’Ali à Koufa, ont fait les frais de cette technique d’embellissement, pourtant bien intentionnée.
   Les Israéliens qui font campagne pour "sauvegarder le tombeau d’Ezéchiel" étant connus pour être de grands destructeurs des vestiges antiques  et islamiques dérangeant leurs convictions idéologiques, sont mal placés pour donner des leçons de protection du patrimoine de l'humanité.
 
Notes :
 (1) Pour info :
 (2) Source : Guide de l’Irak, par Gilles Munier (Ed. Picollec – 2000)
 (3) Sassoun Ezéchiel, premier ministre des Finances du premier gouvernement irakien, sous le roi Fayçal 1er, est enterré avec son épouse près du tombeau d’Ezéchiel, dans une maison aujourd’hui en ruine.

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