par Vinicius MANSUR, Brasil de Fato-, 21/1/2010. Traduit par Pedro da Nَbrega, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
La vaste légitimité donnée par les Boliviens au gouvernement du MAS-IPSP lors de l' élection présidentielle du 6 décembre 2009 a constitué une confirmation formelle de la suprématie du mouvement dirigé par Evo Morales dans le pays, marquant la fin de la dure polarisation imposée par la droite durant ces quatre dernières années. Se pose dès lors la question de la capacité de ce processus politique à consolider son projet pour le pays. Face à une tâche de telle ampleur, quel est le travail de formation politique qui se développe ?
La liste des défis pour ceux qui luttent pour la décolonisation de l’Etat, une révolution démocratique et culturelle avec aussi l’obligation de mettre en place une nouvelle Constitution – qui définit l’Etat comme plurinational et prévoit la coexistence des économies publique, privée et communautaire –, n’est pas mince. Les réflexions du Directeur-général de la Gestion Publique du Ministère de l’Economie et des Finances, membre du groupe d’intellectuels Comuna, Raul Prada peuvent aider à donner un aperçu de sa dimension : “Nous avons hérité de la colonie un ةtat, qui s’est certes modernisé, mais qui reste encore le grand colonisateur. Cependant, la Constitution nous demande de fonder une deuxième République. Comment dès lors assumer cette transition afin qu’elle soit transformatrice et non restauratrice ? Qu’entendons-nous par nations ? Comment sortirons-nous du multiculturalisme libéral ? Nous défendons un modèle social communautaire, mais comment y parvenir dans le contexte de l’économie mondiale capitaliste et avec un programme de gouvernement axé sur le développement, une restauration nostalgique des projets d’industrialisation des années 50 ?”
Pour Prada, le défi historique de l’actuel processus bolivien réside dans sa capacité à mêler le changement d’élite politique au changement de modèle d’ةtat, mais aussi à s’affranchir du pragmatisme politique dans lequel, tout au long de l’histoire, les gouvernements révolutionnaires de gauche se sont retrouvés enfermlés, ce qui a amoindri leurs visées transformatrices. C’est pourquoi il caractérise la situation actuelle comme préoccupante, dans la mesure où elle combine une “excessive centralité accordée au Pouvoir Executif” avec des carences en matière d“analyse des expériences, de compréhension théorique du processus pour le conduire et le diriger”.
La vaste légitimité donnée par les Boliviens au gouvernement du MAS-IPSP lors de l' élection présidentielle du 6 décembre 2009 a constitué une confirmation formelle de la suprématie du mouvement dirigé par Evo Morales dans le pays, marquant la fin de la dure polarisation imposée par la droite durant ces quatre dernières années. Se pose dès lors la question de la capacité de ce processus politique à consolider son projet pour le pays. Face à une tâche de telle ampleur, quel est le travail de formation politique qui se développe ?
La liste des défis pour ceux qui luttent pour la décolonisation de l’Etat, une révolution démocratique et culturelle avec aussi l’obligation de mettre en place une nouvelle Constitution – qui définit l’Etat comme plurinational et prévoit la coexistence des économies publique, privée et communautaire –, n’est pas mince. Les réflexions du Directeur-général de la Gestion Publique du Ministère de l’Economie et des Finances, membre du groupe d’intellectuels Comuna, Raul Prada peuvent aider à donner un aperçu de sa dimension : “Nous avons hérité de la colonie un ةtat, qui s’est certes modernisé, mais qui reste encore le grand colonisateur. Cependant, la Constitution nous demande de fonder une deuxième République. Comment dès lors assumer cette transition afin qu’elle soit transformatrice et non restauratrice ? Qu’entendons-nous par nations ? Comment sortirons-nous du multiculturalisme libéral ? Nous défendons un modèle social communautaire, mais comment y parvenir dans le contexte de l’économie mondiale capitaliste et avec un programme de gouvernement axé sur le développement, une restauration nostalgique des projets d’industrialisation des années 50 ?”
Pour Prada, le défi historique de l’actuel processus bolivien réside dans sa capacité à mêler le changement d’élite politique au changement de modèle d’ةtat, mais aussi à s’affranchir du pragmatisme politique dans lequel, tout au long de l’histoire, les gouvernements révolutionnaires de gauche se sont retrouvés enfermlés, ce qui a amoindri leurs visées transformatrices. C’est pourquoi il caractérise la situation actuelle comme préoccupante, dans la mesure où elle combine une “excessive centralité accordée au Pouvoir Executif” avec des carences en matière d“analyse des expériences, de compréhension théorique du processus pour le conduire et le diriger”.
Hétérogénéité
L’analyste politique Hugo Moldiz considère que le cabinet de Morales regroupe une bonne part “de ce qu’il y a de meilleur dans ce pays”, mais il attribue ce manque de clarté politique évoqué par Prada à l’hétérogénéité de sa composition. “Cela va de démocrates radicaux jusqu’à des dirigeants de sensibilité marxiste, en passant par toute une gamme de conceptions indigénistes, qu’il est raisonnablement possible de séparer en deux courants : l’un qui s’identifie avec la cosmovision andino-amazonienne et l’autre plus communautaire. Les éléments unificateurs sur lesquels tous se retrouvent sont l’anti-impérialisme et le nationalisme populaire-indigène. Mais il y a divers degrés d’anti-impérialisme. De ceux qui estiment que lutter contre l’impérialisme c’est lutter contre le capitalisme à ceux qui ne souhaitent qu’une plus grande autonomie face à l’ingérence des USA.”
Selon Moldiz, un des aspects positifs du scénario créé par l' élection du 6 décembre réside précisément dans la possibilité de voir ces contradictions dépasser les cercles gouvernants et alimenter un riche débat à l’intérieur des mouvements sociaux et dans l’ensemble de la société sur l’avenir de ce processus. “Néanmoins seule la formation politique peut contribuer à résoudre cette question et cela n’a pas constitué une préoccupation centrale jusqu’à maintenant”, précise-t-il.
L’analyste politique Hugo Moldiz considère que le cabinet de Morales regroupe une bonne part “de ce qu’il y a de meilleur dans ce pays”, mais il attribue ce manque de clarté politique évoqué par Prada à l’hétérogénéité de sa composition. “Cela va de démocrates radicaux jusqu’à des dirigeants de sensibilité marxiste, en passant par toute une gamme de conceptions indigénistes, qu’il est raisonnablement possible de séparer en deux courants : l’un qui s’identifie avec la cosmovision andino-amazonienne et l’autre plus communautaire. Les éléments unificateurs sur lesquels tous se retrouvent sont l’anti-impérialisme et le nationalisme populaire-indigène. Mais il y a divers degrés d’anti-impérialisme. De ceux qui estiment que lutter contre l’impérialisme c’est lutter contre le capitalisme à ceux qui ne souhaitent qu’une plus grande autonomie face à l’ingérence des USA.”
Selon Moldiz, un des aspects positifs du scénario créé par l' élection du 6 décembre réside précisément dans la possibilité de voir ces contradictions dépasser les cercles gouvernants et alimenter un riche débat à l’intérieur des mouvements sociaux et dans l’ensemble de la société sur l’avenir de ce processus. “Néanmoins seule la formation politique peut contribuer à résoudre cette question et cela n’a pas constitué une préoccupation centrale jusqu’à maintenant”, précise-t-il.
La formation politique
Rafael Puente, responsable depuis trois ans de l’école de formation politique du parti MAS-IPSP reconnaît les faiblesses en matière de formation. Selon lui, au sein des bases d’appui de ce processus – qui se caractérise par une forte capacité de mobilisation populaire –, “se trouvent assez de détermination politique, de sentiment, d’instinct politique, enfin de tout ce dont on a besoin pour savoir ce que l’on ne veut pas. Mais il manque de la conscience politique pour définir ce que l’on veut effectivement c’est-à-dire pour déterminer une stratégie de pouvoir”.
Pour Puente, ce déficit dans la formation politique est l’illustration des séquelles culturelles issues de l'histoire de l’ةtat patrimonial bolivien, où prédominait l’idée que “si l’on entrait dans l’appareil d’ةtat, ce n’était pas pour le changer, mais pour y prélever sa part d’héritage”. Cependant, ce militant du MAS-IPSP pointe aussi les responsabilités des dirigeants du parti qui, une fois élus, “n’éprouvent plus la nécessité de se former” et ne s’approchent plus des écoles que “pour y prononcer des discours d’inauguration”.
Moldiz attribue, lui, les difficultés dans l’institutionnalisation de la formation au sein du MAS dans une bonne mesure au fait qu'il est né de la “forme mouvement”, où la préparation politique a moins de tradition si elle est comparée à la “forme parti”.
D’après Puente, si le sentiment que la formation doit constituer une priorité grandit, il n’existe pas de politique claire en sa faveur, ni même de budget spécifique. L’école du MAS est itinérante et ne dispose pas d’infrastructures physiques propres. Elle peut compter sur une liste de 90 professeurs, tous volontaires, dont 30 sont déjà intervenus. En deux ans et demi, neuf sessions de deux jours pleins se sont réalisées, avec des effectifs d’environ 35 jeunes à chaque fois. Tous ces cours se sont déroulés dans les zones urbaines de La Paz, Santa Cruz, Cochabamba, Sucre et Tarija. “Ils étudient des thèmes qui portent sur la réalité nationale, l’économie, l’histoire du pays, la nouvelle Constitution, le système des partis, selon une présentation qui n’est pas vraiment systématisée”, précise Puente. Ce mois-ci, les classes entament une deuxième phase dans ce cursus.
Rafael Puente, responsable depuis trois ans de l’école de formation politique du parti MAS-IPSP reconnaît les faiblesses en matière de formation. Selon lui, au sein des bases d’appui de ce processus – qui se caractérise par une forte capacité de mobilisation populaire –, “se trouvent assez de détermination politique, de sentiment, d’instinct politique, enfin de tout ce dont on a besoin pour savoir ce que l’on ne veut pas. Mais il manque de la conscience politique pour définir ce que l’on veut effectivement c’est-à-dire pour déterminer une stratégie de pouvoir”.
Pour Puente, ce déficit dans la formation politique est l’illustration des séquelles culturelles issues de l'histoire de l’ةtat patrimonial bolivien, où prédominait l’idée que “si l’on entrait dans l’appareil d’ةtat, ce n’était pas pour le changer, mais pour y prélever sa part d’héritage”. Cependant, ce militant du MAS-IPSP pointe aussi les responsabilités des dirigeants du parti qui, une fois élus, “n’éprouvent plus la nécessité de se former” et ne s’approchent plus des écoles que “pour y prononcer des discours d’inauguration”.
Moldiz attribue, lui, les difficultés dans l’institutionnalisation de la formation au sein du MAS dans une bonne mesure au fait qu'il est né de la “forme mouvement”, où la préparation politique a moins de tradition si elle est comparée à la “forme parti”.
D’après Puente, si le sentiment que la formation doit constituer une priorité grandit, il n’existe pas de politique claire en sa faveur, ni même de budget spécifique. L’école du MAS est itinérante et ne dispose pas d’infrastructures physiques propres. Elle peut compter sur une liste de 90 professeurs, tous volontaires, dont 30 sont déjà intervenus. En deux ans et demi, neuf sessions de deux jours pleins se sont réalisées, avec des effectifs d’environ 35 jeunes à chaque fois. Tous ces cours se sont déroulés dans les zones urbaines de La Paz, Santa Cruz, Cochabamba, Sucre et Tarija. “Ils étudient des thèmes qui portent sur la réalité nationale, l’économie, l’histoire du pays, la nouvelle Constitution, le système des partis, selon une présentation qui n’est pas vraiment systématisée”, précise Puente. Ce mois-ci, les classes entament une deuxième phase dans ce cursus.
Un cours de l'école itinérante du MAS
Quelle éducation ?
La formation de dirigeants – “une invention des gringos qui nous aura causé bien du tort” – et de gestionnaires publics ne doit pas constituer la priorité d’une politique de formation, estime le Directeur de l’école du MAS. Le profil des militants qui doivent être formés correspond selon Puente à “des personnes dotées d’esprit critique, solidaires et au fait de leur réalité et c’est parmi ceux-là que se dégageront des dirigeants reconnus comme tels par les masses”.
Moldiz et Prada sont plus exigeants et défendent une école qui définit clairement “où commence et où finit la formation de véritables cadres”, dans le style “bolchevik”. “Il faut savoir s’inspirer des plus riches expériences de la gauche historique, pas forcément de tout son parcours, mais de l’ambition de disposer de processus de formation de militants qui intègrent des parcours systématiques d’études”, précise Prada. Moldiz cite un autre exemple dans ce sens : “Si des camarades émergent et sont identifiés comme des cadres potentiels de l’administration publique, et qui, plus qu’être des bureaucrates, sont perçus comme des cadres politiques, la décision la plus responsable par rapport à l’avenir consiste peut-être à mettre ces cadres en disponibilité pendant quelques mois, un an, afin qu’ils puissent se consacrer à des cours de formation politique intensive pour reprendre ensuite leurs postes”.
Outre des cadres disposant d’un haut niveau de préparation, cet analyste politique souligne qu'un deuxième axe doit exister dans la politique de formation, avec des initiatives de masse, notamment des instituts de formation et des séminaires, permettant une plus grande démocratisation des diverses influences présentes dans la base d’appui du gouvernement : le marxisme et ses divers courants, l’indigénisme communautaire et andin, etc.
Moldiz et Prada sont plus exigeants et défendent une école qui définit clairement “où commence et où finit la formation de véritables cadres”, dans le style “bolchevik”. “Il faut savoir s’inspirer des plus riches expériences de la gauche historique, pas forcément de tout son parcours, mais de l’ambition de disposer de processus de formation de militants qui intègrent des parcours systématiques d’études”, précise Prada. Moldiz cite un autre exemple dans ce sens : “Si des camarades émergent et sont identifiés comme des cadres potentiels de l’administration publique, et qui, plus qu’être des bureaucrates, sont perçus comme des cadres politiques, la décision la plus responsable par rapport à l’avenir consiste peut-être à mettre ces cadres en disponibilité pendant quelques mois, un an, afin qu’ils puissent se consacrer à des cours de formation politique intensive pour reprendre ensuite leurs postes”.
Outre des cadres disposant d’un haut niveau de préparation, cet analyste politique souligne qu'un deuxième axe doit exister dans la politique de formation, avec des initiatives de masse, notamment des instituts de formation et des séminaires, permettant une plus grande démocratisation des diverses influences présentes dans la base d’appui du gouvernement : le marxisme et ses divers courants, l’indigénisme communautaire et andin, etc.
Une nouvelle intellectualité
Au-delà de l’hégémonie électorale conquise, Moldiz considère “qu’une nouvelle suprématie politique ne pourra se construire que par le biais de changements profonds dans l’éducation formelle, informelle et par de nouveaux outils idéologiques”. “Nous pourrons ainsi réécrire notre histoire, mais nous avons besoin pour cela d’une nouvelle intellectualité. Le niveau académique et intellectuel doit passer d’une attitude romantique à une posture beaucoup plus active. ةcrire certes sur le processus, mais en se fondant autant sur ses zones d’ombre que de lumière, c’est-à-dire avec un esprit critique. Si nous disposons déjà d’une intellectualité émergente, indigène, paysanne, populaire et aussi des classes moyennes, elle souffre d’une faible visibilité. Même les médias publics continuent à interviewer toujours les habituels interlocuteurs”, dénonce-t-il.
Prada estime quant à lui que la création d’avant-gardes intellectuelles, issues des propositions des mouvements sociaux et qui y soient liées, doit se situer au cœur de la dimension historique du processus bolivien car il est indispensable de remplir le vide laissé par les avant-gardes de gauche qui sont entrées en crise suite à la chute du Mur de Berlin.
Au-delà de l’hégémonie électorale conquise, Moldiz considère “qu’une nouvelle suprématie politique ne pourra se construire que par le biais de changements profonds dans l’éducation formelle, informelle et par de nouveaux outils idéologiques”. “Nous pourrons ainsi réécrire notre histoire, mais nous avons besoin pour cela d’une nouvelle intellectualité. Le niveau académique et intellectuel doit passer d’une attitude romantique à une posture beaucoup plus active. ةcrire certes sur le processus, mais en se fondant autant sur ses zones d’ombre que de lumière, c’est-à-dire avec un esprit critique. Si nous disposons déjà d’une intellectualité émergente, indigène, paysanne, populaire et aussi des classes moyennes, elle souffre d’une faible visibilité. Même les médias publics continuent à interviewer toujours les habituels interlocuteurs”, dénonce-t-il.
Prada estime quant à lui que la création d’avant-gardes intellectuelles, issues des propositions des mouvements sociaux et qui y soient liées, doit se situer au cœur de la dimension historique du processus bolivien car il est indispensable de remplir le vide laissé par les avant-gardes de gauche qui sont entrées en crise suite à la chute du Mur de Berlin.
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