vendredi 5 février 2010

Un porte-avions appelé Haïti-La IVème Flotte en action

par Raúl ZIBECHI, 1/2/2010. Traduit par  Gérard Jugant, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original :
Un portaaviones llamado Haití
La réaction des USA, consistant à militariser la partie haïtienne de l’île à la suite du dévastateur tremblement de terre du 12 janvier, doit être replacée dans le contexte de la crise financière et économique et de l’arrivée de Barack Obama à la présidence. Les tendances de fond étaient déjà présentes mais la crise les a accélérées de façon qu’elles ont gagné en visibilité. Il s’agit de la première intervention d’envergure de la IVème Flotte, rétablie peu de temps auparavant.
Avec la crise haïtienne, la militarisation des rapports entre les USA et l’Amérique latine avance d’un pas de plus, comme partie intégrante de la militarisation de toute la politique extérieure de Washington. De cette manière, la superpuissance en déclin tente de retarder le processus qui la transformerait en une puissance parmi six ou sept dans le monde. L’intervention est si éhontée que le très officiel Quotidien du Peuple chinois (21 janvier) se demande si les USA ont l’intention incorporer Haïti comme un État de plus de l’Union.

 Le quotidien chinois reprend une analyse du prestigieux magazine Time, où il est assuré qu’“Haïti est devenu le 51ème État des USA, et quand bien même il ne le serait pas, c’est pour le moins son arrière-cour”. En effet, en à peine une semaine, le Pentagone avait dépêché vers l’île un porte-avions, 33 avions de secours et de nombreux navires de guerre en plus de 11.000 soldats. La MINUSTAH, mission de l’ONU pour la stabilisation d’Haïti, a à peine 7.000 soldats. Selon la Folha de Sao Paulo (20 janvier) les USA ont détrôné le Brésil de son rôle dirigeant dans l’intervention militaire dans l’île, étant donné qu’en peu de semaines ils auront “douze fois plus de militaires que le Brésil en Haïti”, atteignant les 16.000 militaires.
Le même Quotidien du Peuple, dans un article sur l’ “effet  US” dans les Caraïbes, assure que l’intervention militaire de ce pays en Haïti aura une influence sur sa stratégie dans les Caraïbes et en Amérique latine où il maintient une importante confrontation avec Cuba et le Venezuela. Cette région est, dans la lecture de Pékin, “la porte de son arrière-cour”, qu’elle cherche à “contrôler étroitement” pour “continuer à augmenter le rayon de son influence vers le sud”.
Tout cela n’est pas vraiment nouveau. L’important est que cela s’inscrit dans une escalade qui a commencé avec le coup d’État militaire au Honduras et avec les accords avec la Colombie pour l'utilisation de sept bases dans ce pays. Si on ajoute à cela l’usage des quatre bases que le président de Panama Ricardo Martinelli céda à Washington en octobre, et celles qui existent déjà à Aruba et Curaçao (îles proches du Venezuela, colonies néerlandaises), il existe un total de treize bases encerclant le processus bolivarien. Voilà qu’en plus, il y a maintenant un énorme porte-avions au milieu des Caraïbes.
 
Intervention...flottante , par Chispa, Cuba :
- Et qu'est-ce qu'elle fait, cette IVème Flotte, dans les Caraïbes ?
- Elle cherche des "armes de destruction massive"

 Selon Ignacio Ramonet, dans Le Monde Diplomatique de janvier, “tout annonce une agression imminente”. Cela ne paraît pas bien sûr le scénario le plus probable, bien qu’on puisse en tirer deux conclusions : que les USA optent pour le militarisme afin de pallier leur déclin et qu’il ont besoin du pétrole de Colombie, d’Équateur et surtout du Venezuela pour consolider leur situation hégémonique ou, pour le moins, ralentir leur déclin. Mais les choses ne sont pas si simples.

Pour le mensuel français, “la clef est à Caracas”. Oui et non. Oui parce que, en effet, 15% des importations de pétrole des USA proviennent de Colombie, du Venezuela et d’Équateur, pourcentage qui égale la quantité importée du Moyen-Orient. De plus, le Venezuela est sur le point de se transformer en la plus grande réserve de brut de la planète si les réserves de la Bande de l’Orénoque découvertes récemment se confirment. Selon le Service Géologique des USA, elles seraient le double de celles d’Arabie Saoudite. Cela serait suffisant pour que Washington souhaite remplacer, comme c’est le cas, Hugo Chávez à la tête du processus bolivarien.

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Selon moi, le problème central pour l’hégémonie usaméricaine dans l’ “arrière-cour” est le Brésil. Le pétrole sous terre est une richesse importante. Mais il faut l’extraire et le transporter, ce qui exige des investissements et la stabilité politique. Le Brésil est maintenant une puissance mondiale, le second des pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) en importance derrière la Chine. Sur les dix plus grandes banques du monde, trois sont brésiliennes (et cinq chinoises), mais aucune des USA ou de l’Angleterre. Le Brésil a les sixièmes réserves d’uranium du monde (alors que seulement 25% de son territoire a été exploré) et sera parmi les cinq plus grandes réserves de pétrole quand se terminera la prospection dans le bassin de Santos. Les multinationales brésiliennes figurent parmi les principales du monde: Vale do Rio Doce est la seconde entreprise minière au monde et la première en minerai de fer; Petrobras est la quatrième pétrolière du monde et la cinquième entreprise mondiale pour sa valeur de marché; Embraer est la troisième entreprise aéronautique derrière Boeing et Airbus; JBS Friboi est la première entreprise frigorifique de viande bovine du monde; Braskem est la huitième entreprise pétrochimique de la planète. Et on pourrait continuer cette liste.
A la différence de la Chine, le Brésil est auto-suffisant en matière d’énergie et sera un grand exportateur. Sa principale vulnérabilité, militaire, est en voie d’être surmontée grâce à son association stratégique avec la France: dans la décennie qui commence, le Brésil fabriquera des avions de chasse de dernière génération, des hélicoptères de combat et des sous-marins puisque la France lui transférera les technologies nécessaires. Vers 2020, sinon plus tôt, le Brésil sera la cinquième économie de la planète. Et tout cela se passe sous le nez des USA.
Le Brésil contrôle déjà une bonne partie du Produit Intérieur Brut de Bolivie, du Paraguay et de l’Uruguay, a une présence très forte en Argentine, dont il est un allié stratégique, ainsi qu’en Équateur et au Pérou, qui lui facilitent l’accès au Pacifique. Là est l’os le plus dur pour la IVème Flotte. Il s’avère que le Pentagone a conçu pour le Brésil la même stratégie qu’il applique à la Chine: provoquer des conflits à ses frontières pour l’empêcher de décoller. La Corée du Nord, l’Afghanistan et le Pakistan, en plus de la déstabilisation de la province à majorité musulmane du Xinjang.
En Amérique du Sud, un chapelet d’installations militaires du Commandement Sud entoure le Brésil par la région andine et le sud. Les tenailles se ferment avec le conflit Colombie-Venezuela et Colombie-Équateur. Maintenant il faudra compter avec le porte-avions haïtien, déplaçant de cette île l’importante présence brésilienne à la tête de la MINUSTAH. C’est une stratégie de fer, froidement calculée et rapidement exécutée.
Le problème qu’affrontent les nations et les peuples de la région, est que les catastrophes naturelles seront la monnaie courante dans les prochaines décennies. Ceci n’est que le commencement. La IVème Flotte sera la partie militaire la plus expérimentée et la mieux préparée pour des interventions “humanitaires” dans des situations d’urgence. Haïti ne sera pas l’exception mais le premier chapitre d’une nouvelle série entraînée par le positionnement militaire dans toute la région. Autrement dit : nous autres Latino-Américains sommes en sérieux danger, et il est temps que nous ouvrions l’œil.

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