Nous allons tous être invités à l’enterrement de la solution à deux Etats si et lorsque l’Assemblée générale de l’Onu annoncera l’admission de la Palestine comme Etat membre.
Le soutien de l’immense majorité des membres de cette organisation ne ferait que compléter un cycle initié en 1967 qui a valu à la calamiteuse « solution à deux États » le soutien de tous les acteurs, puissants comme moins puissants, des arènes tant internationale que régionales.
La Palestine enterrera-t-elle une bonne fois pour toutes la « solution à deux Etats », à l’Onu ?
Photo Mohamad Torokman/MaanImages
Même en Israël, ce soutien a fini par englober la droite, à l’instar de la gauche et du centre de l’éventail politique sioniste. Et pourtant, en dépit de ce soutien passé et à venir, tout le monde (en Palestine comme en dehors de la Palestine) semble reconnaître que l’occupation se poursuivra et que, même dans le meilleur des scénarios possibles, il y aura un grand Israël raciste à côté d’un bantoustan morcelé et inutile.Photo Mohamad Torokman/MaanImages
L’incertitude prendra fin en septembre ou en octobre, quand l’Autorité Palestinienne soumettra, comme elle prévoit de le faire, sa demande d’admission en qualité de membre à part entière de l’Onu et, cela, de deux manières.
Soit cela douloureux et violent, si Israël continue à jouir de l’impunité internationale et s’il continue à être autorisé à parachever par la pure force brutale son remodelage de la Palestine post-Oslo, soit cela se terminera d’une manière révolutionnaire et beaucoup plus pacifique par le remplacement des vieilles usines à gaz par de nouvelles réalités solides concernant la paix et la réconciliation en Palestine. Mais le premier scénario est peut-être une condition préalable malheureuse du second ? L’avenir nous le dira.
Un dictionnaire alternatif pour le sionisme
Autrefois, on enterrait les morts avec des (voire avec les) objets qu’ils aimaient. Les funérailles annoncées observeront probablement ce rituel. La chose la plus importante destinée à être mise en terre, ce sera le dictionnaire des illusions et des tromperies avec ses célèbres rubriques comme les soi-disant « processus de paix », « seule démocratie au Moyen-Orient », « pays amoureux de la paix », « parité et réciprocité » et autre « solution humaine au problème des réfugiés ».
Le dictionnaire de remplacement est en cours de rédaction depuis bien des années, il décrit le sionisme comme du colonialisme, Israël comme un pays d’apartheid et la Nakba comme une opération d’épuration ethnique. Il sera bien plus facile de faire en sorte que tout le monde s’en serve, après le mois de septembre.
Les cartes de la « solution » mort-née seront elles aussi pieusement déposées auprès du corps de la « solution à deux Etats » arrachée à notre affection (J). La cartographie qui a réduit la Palestine à un dixième de sa superficie historique et qui nous avait été présentée comme une carte pour la paix sera, espérons-le, oubliée à jamais.
Inutile de préparer une carte de remplacement : depuis 1967, la géographie du conflit n’a jamais changé, en réalité, tandis qu’elle ne cessait de se transformer en paroles verbales dans le discours des politiciens, des journalistes et des universitaires sionistes (qui continuent à jouir encore aujourd’hui d’un très large soutien international).
La Palestine a toujours été ce pays qui s’étend entre le Jourdain et la Méditerranée. C’est toujours le cas. Ses fortunes fluctuantes au cours du XIXème siècle expliquent qu’aujourd’hui une moitié de la population contrôle l’autre moitié au travers d’une matrice d’idéologies racistes et de politique d’apartheid.
La paix, ça n’est ni changement dans la démographie ni un remodelage de cartes ; c’est l’élimination de ces idéologies et de cette politique. Qui sait ? Cela sera peut-être plus facile à réaliser que cela n’avait encore jamais été le cas par le passé ?
La mise à nu du mouvement de protestation en Israël
L’enterrement mettra à nu le caractère fallacieux du mouvement actuel de protestation populaire en Israël, tout en soulignant ses potentialités positives. Depuis sept semaines, des juifs israéliens appartenant pour la plupart aux classes moyennes manifestent en masse contre la politique économique et sociale de leur gouvernement. Afin de conserver à ces manifestations de protestation toute leur ampleur, leurs leaders et leurs coordonnateurs n’osent faire mention de l’occupation, de la colonisation ou de l’apartheid. La source de tous les maux, clament-ils, serait la politique capitaliste brutale du gouvernement israélien.
Sur un certain plan, ils n’ont pas tort. Ces politiques ont fini par empêcher la race des seigneurs d’Israël de jouir pleinement et également des fruits de la colonisation et de la confiscation de la Palestine. Mais un partage plus équitable du butin ne garantirait en rien une vie normale ni pour les juifs ni pour les Palestiniens : seule la fin de la mise à sac et du pillage sera en mesure de le faire.
Toutefois, ces manifestants ont aussi montré leur scepticisme et leur incrédulité face à ce que leurs disent leurs médias et leurs hommes politiques au sujet de la réalité socio-économique. Cela pourrait ouvrir la voie vers une meilleure compréhension des mensonges dont ils ont été gavés depuis tant d’années au sujet du « conflit » et de leur « sécurité nationale ».
L’enterrement devrait nous redonner de l’énergie pour conserver la même répartition des tâches qu’auparavant : les Palestiniens doivent résoudre de toute urgence la question de leur représentation et les forces juives progressistes, dans le monde entier, doivent être recrutées plus intensivement pour la campagne BDS (boycott, désinvestissement et sanctions) et pour les autres campagnes de solidarité avec les Palestiniens.
L’Intifada s’invite aux Proms *
Récemment, l’interruption du concert donné par l’Israel Philharmonic Orchestra dans le cadre des prestigieux Proms de la BBC à Londres a choqué les gentils Israéliens bien plus que n’importe lequel des génocides dont leur propre histoire n’est pas avare.
Mais ce qui les a le plus estomaqués, comme en ont fait état les grands ténors du journalisme israélien qui étaient présents, c’est la présence de très nombreux juifs parmi les protestataires interrupteurs. Oui, vous avez bien lu : ces mêmes journalistes qui ne cessaient par le passé de qualifier les militants de la campagne de solidarité avec la Palestine et les militants de la campagne BDS de groupes terroristes et extrémistes de la pire espèce. Ce qui est terrible, c’est qu’ils croyaient ce qu’ils écrivaient ; alors mettons au crédit de la mini-Intifada du Royal Albert Hall le fait qu’elle les a au moins amenés à se poser des questions…
Faire entrer la solution à un seul Etat dans l’action politique
En Palestine-même, le temps est venu de faire entrer le discours sur l’Etat unique dans l’action politique, et sans doute, aussi, d’adopter le nouveau dico. La dépossession est partout, par conséquent, la repossession et la réconciliation devront se produire partout aussi.
Si la relation entre les juifs et les Palestiniens doit être reformulée sur une base juste et démocratique, personne ne peut accepter ni la vieille carte inhumée de la (soi-disant) « solution à deux Etats » ni sa logique de partition. Cela signifie aussi que la distinction sacrée qui était faite entre les colonies juives autour de Haïfa et les colonies juives autour de Naplouse doit être enterrée elle aussi.
La distinction à opérer doit être faite entre les juifs disposés à débattre d’une reformulation de cette relation, d’un changement de régime et d’un statut égalitaire et ceux qui ne sont pas disposés à le faire, sans aucune considération pour l’endroit où ils vivent actuellement. Un phénomène surprenant à signaler, à cet égard : si l’on étudie bien le tissu humain et politique de la Palestine historique en 2011, gouvernée comme elle l’est par le régime israélien, l’on constate une volonté de dialogue qui est parfois plus évidente au-delà de la frontière de 1967 qu’en-deçà.
Le dialogue, de l’intérieur, pour un changement de régime, la question de la représentation (des Palestiniens, ndt) et le mouvement BDS font tous partie intégrante d’un même effort visant à amener la justice et la paix en Palestine.
Ce que nous enterrerons – croisons les doigts – au mois de septembre était un des obstacles majeurs sur la voie de la réalisation de cette vision (politique).
* il s’agit des « concerts-promenades » créés par le chef d’orchestre Henry Wood et organisés, à Londres, par la BBC.
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