samedi 17 septembre 2011

Les ouvriers palestiniens de la carrière Sal'it écrivent l'histoire

Une grève ouvrière a éclaté le 22 juin dernier dans les territoires occupés depuis 1967.
Au moment où je traduis (partiellement) le long article ci-après, la grève continue.
L'absence de couverture médiatique est effarante. Seuls des blogs et des sites web de solidarité ouvrière ont appelé à la solidarité internationale avec ces travailleurs. A ma connaissance, aucun en langue castillane.
Les familles de ces ouvriers tiennent le coup pour l'instant grâce à la solidarité de quelques organisations syndicales, surtout européennes.-Rolando  Gómez.

Les notes indiquées dans le corps du texte par NdTes sont du traducteur en espagnol

Des patrons israéliens, des ouvriers palestiniens et un syndicat judéo-arabe. Les travailleurs de la carrière Sal'it revendiquent des conditions de travail décentes, répondant aux normes élémentaires. Les patrons pensent que ces revendications sont infantiles. Ces jours-ci, la première lutte organisée d'ouvriers en Judée et Samarie [nom officiel donné par les Israéliens à la Cisjordanie depuis l'occupation de 1967. Note de Tlaxcala] atteint son point culminant. S'agit-il d'une aventure idéologique ou d'un précédent révolutionnaire ? L'histoire le dira.

Les chauffeurs des camions chargés de pierre qui se sont présentés cette semaine à la carrière Sal'it, proche de (l'implantation de colons juifs) Ma'aleh Adoumim, ont été reçus chaleureusement. Chaque fois qu'un camion arrive, quelques ouvriers s'alignent contre lui et implorent le chauffeur en arabe: "Ne passe pas ! Aide-nous ! Nous sommes en grève ! Nous travaillons ici depuis vingt ans sans les conditions les plus élémentaires !"

En général, les camions ne vont pas plus loin. - "Nous les comprenons", dit l'un des chauffeurs, ému. - "Mais si nous cessons le travail, les patrons prendront d'autres chauffeurs à notre place".

-"Jazi (le directeur de la carrière) m'a promis un salaire de 3 000 shekels", dit un autre chauffeur en souriant. -« Même un plaisantin peut prendre conscience!", crie l'un des ouvriers.





Les camions venus de l'extérieur font partie des mesures de sauvegarde prises par Sal'it. En règle générale, l'entreprise extrait la matière première des collines voisines, mais à cause de la grève des ouvriers, qui a démarré jeudi dernier (le 22 juin 2011), la carrière travaille les pierres amenées de l'extérieur. Les énormes pierres que les camions charrient seront broyées dans les concasseurs géants et seront transformées en granulat. Le matériau broyé sera envoyé par camion à la cimenterie de Givat Shaul [à l'intérieur des frontières israéliennes de 1967. NdTes] et de là aux chantiers de construction de tout le pays.


La plupart des ouvriers sont assis sous des tentes. Jazi, le directeur, a réussi à convaincre quelques chauffeurs de casser la grève et il fait tourner les machines à un rythme réduit. Les ouvriers ne sont pas inquiets. Ils pensent que dans quelques jours vont survenir les défaillances habituelles et que l'entreprise aura à nouveau besoin de leur savoir-faire.




Les travailleurs en lutte


Nijaz Kadada - connu sous le surnom d'“Abou Mahmoud” - père de quatre enfants, ingénieur et membre du secrétariat du syndicat, est assis sous la tente. - "Nous ne voulons pas causer de tort à la carrière ; nous ne voulons pas cette grève", nous explique-t-il. - "mais avec leur comportement et leur manque de sensibilité les patrons nous ont obligés à déclencher la grève. Ce que nous voulons, c'est ce qui nous revient légalement : le paiement du salaire dans les délais ; la retraite ; des bulletins de paie ; des droits sociaux". Un autre ouvrier - Mousbah El-Bahyid - demande de façon rhétorique : "Quel est l'objectif des patrons ? Pousser les ouvriers dans une situation de désorganisation, de méconnaissance de leurs droits et où chacun s'occupe seulement de ses propres intérêts. Nous avons droit à atteindre enfin le XXIe siècle en matière de conditions de travail".

Les ouvriers convaincus retournent sous la tente. La toile noire qui leur fait de l'ombre est l'unique refuge contre le soleil brûlant. Sous la tente sont rassemblés une trentaine d'hommes, tous autour des 50 ans, de simples ouvriers avec la peau brûlée et toute tachée, résultat de trois décennies de travail dans le désert. Le fils de l'un des travailleurs, qui vit dans le groupe de maisons précaires des alentours, apporte une bouteille d'eau ; un autre ouvrier partage une pastèque ; quelqu'un découpe du pain fait maison.

Bien qu'ils n'aient pas réussi à empêcher que les camions passent, il y a un bon moral sous la tente. Peut-être parce qu'ils se sentent soudainement libérés d'un travail si difficile, ou peut-être à cause d'une sensation de respect vis-à-vis d'une lutte des travailleurs pour leurs droits, mais ils ont aussi une autre raison. Le groupe, ses membres en sont conscients, fait partie de l'histoire en marche : c'est la première lutte organisée d'ouvriers palestiniens contre des patrons israéliens dans les territoires occupés et sous la direction d'une organisation syndicale israélienne.


Comme pour tout conflit du travail en Israël, cette lutte se fait également dans le cadre des lois du ministère du Travail israélien et sous la protection d'une juridiction du travail israélienne. Cette description est complexe mais elle reflète très bien la nature de Ma’an, l'organisation syndicale qui dirige cette grève.

 [La traduction littérale du mot hébreu ma’an est "adresse" (postale) ; des données sur le lieu où l'on envoie une correspondance. Le nom complet de l'organisation syndicale est "Ma’an, Centre d’assistance aux travailleurs". Site web (en hébreu, en arabe ou en anglais) : www.wac-maan.org.il. NdTes.Ajoutons que ma’an en arabe signifie "ensemble". Note de Tlaxcala]




Respect mutuel

Ce reportage aurait dû commencer différemment : ces dernières semaines le reporter a enquêté sur les démarches de la section syndicale de Sal'it en vue de la signature du premier accord d'entreprise dans les territoires occupés de Judée et de Samarie. On supposait que ce long processus allait s'achever par un dénouement satisfaisant.

Après plus de deux ans de dures négociations, qui ont donné lieu à une confrontation des forces en présence, avec le non versement des salaires et d'interminables débats entre les avocats des deux parties, une dernière réunion allait avoir lieu jeudi dernier, le 16 juin. Le mardi précédent, la section syndicale a reçu un appel des représentants des patrons : « la réunion est annulée », ont-ils dit sans explication. La section syndicale a décidé de rompre les négociations. Et le travail a été interrompu.

Les problèmes à la carrière Sal'it n'ont pas commencé hier. La carrière a été créée par un certain Uzi Kalev au début des années quatre-vingt. C'est l'"Administration Civile" [l'autorité à la fois civile et militaire d'occupation coloniale dans les territoires palestiniens. NdTes] qui lui a donné l'autorisation d'extraction des rochers. Autour de la carrière se trouvent les baraques en tôle des Bédouins de la tribu des Jahalin. Les ouvriers racontent qu'un accord avait été passé entre Kalev et les membres de la tribu : les Bédouins lui permettaient d'installer la carrière et en échange ils bénéficieraient de postes de travail.

La poussière épaisse qui se lève de la carrière n'aurait pas pu être acceptée facilement par la plupart des localités (juives) d'Israël, mais la carrière aurait bien pu faire partie d'une zone industrielle des villages jahalin. La carrière devait, par l'intermédiaire d'impôts, financer l'ouverture d'une école et la création d'infrastructures. En réalité, les impôts - tout comme la matière première produite par la carrière - s'en vont en Israël. Les Bédouins ont dû se contenter des emplois.

Il y a actuellement, dans les territoires de la zone "C" (les territoires palestiniens restés sous le contrôle exclusif d'Israël, sans aucune intervention de l'Autorité Palestinienne, conformément aux accords d'Oslo de 1994. NdTes), 11 carrières en activité ; elles appartiennent à des sociétés israéliennes et sont régies par des autorisations de l'"Administration Civile". Sal'it est une entreprise privée et par conséquent les données la concernant ne sont pas accessibles au public. Un rapport commandé en 2008 par le ministère de l'Intérieur à un cabinet privé d'architectes atteste de l'extension des intérêts économiques sur le marché de l'exploitation des minéraux : Sal'it fabrique du granulat qui est utilisé comme agrégat pour renforcer le béton, qui est le produit le plus demandé dans l'industrie de la construction et représente plus de 70 % du marché de l'exploitation minière et des carrières en Israël.

A quel point l'industrie des carrières dans les territoires occupés est-elle stratégique pour l'industrie israélienne de la construction ? En 2007, le marché israélien a utilisé 48 millions de tonnes d'agrégat provenant de carrières de la "zone C". Chaque année sont envoyés en Israël quelque neuf millions de tonnes d'agrégat, sur un total de 12 millions de tonnes produites dans le secteur.

Le rapport montre qu'Israël est dépendant de son approvisionnement auprès des carrières de Cisjordanie et qu'il n'a aucun intérêt à y renoncer dans le futur : "ces réserves, au niveau de productivité actuel", dit le rapport, "fourniront (Israël) pour trente ans environ, s'il n'y a pas de changement politique sur les frontières de la zone C". Il est difficile de dire avec certitude quelle est la situation financière de Sal'it mais il semble que ses profits aient augmenté avec l'essor du secteur des biens fonds  de l'économie israélienne. Les ouvriers de Sal'it font remarquer que la carrière vient d'acheter quelques camions Mercedes Benz.

Depuis l'ouverture de la carrière, le groupe d'ouvriers de Sal'it s'est diversifié : quelques uns viennent toujours du village de maisons précaires voisin ; d'autres viennent de Ramallah et du secteur d'Hébron. Abou Mahmoud, par exemple, est un ingénieur qui a travaillé dans les puits de pétrole du Koweït et qui est revenu à sa terre après la première guerre du Golfe. Ses enfants sont étudiants dans les universités de Cisjordanie et ils ne suivront pas les pas de leur père dans les carrières. Dès que la situation au Koweït s'est stabilisée, il a reçu une proposition pour revenir dans le Golfe, mais à ce moment-là l'optimisme des accords d'Oslo s'était fait jour. Malgré la situation, il ne se plaint pas d'être revenu à la carrière.  "Ma maison est ici", dit-il.


Les ouvriers de la carrière remplissent diverses tâches : mécanicien de véhicules, chauffeur et forgeron. Les pierres sont broyées par un gigantesque concasseur informatisé, mais les dysfonctionnements abondent et seuls des ouvriers qualifiés savent les résoudre.

Au fil des ans, les ouvriers voyaient la carrière comme un lieu de travail, rude mais respectable. Ils n'ont jamais reçu une simple fiche de paie et ils n'ont jamais pointé. Tout se passait à la bonne franquette. Le patron traitait généralement les gens de façon juste et agréable. Si quelqu'un était malade, il prenait soin de lui rendre visite et de s'enquérir de sa santé. - "On pouvait lui faire confiance", disent les ouvriers. Vers la fin des années quatre-vingt-dix, Kalev mourut et l'usine revint à ses enfants et ceux-ci cessèrent dès lors de s'investir dans sa gestion. Sous les commandes nouvelles d'un gérant très dur, l'affaire commença à être dirigée dans l'anarchie. Les ouvriers commencèrent à subir des affronts et des abus (notre tentative de parler avec le gérant afin de lui demander sa version des faits a reçu pour seule réponse: "tirez-vous de là").

Alors que toutes ces humiliations s'accumulaient, les salaires ont commencé à rétrécir. Les travailleurs ont alors cherché des solutions légales et se sont adressés à un avocat de Jérusalem. Les ouvriers palestiniens, dans leur situation, ont peur d'affronter les patrons, mais ils savaient qu'ils avaient pour eux quelques atouts. En premier lieu, le niveau de spécialisation demandé à un ouvrier de carrière est relativement élevé, et de ce fait les patrons n'ont pas envisagé de les licencier.

Cela étant, l'un des ouvriers montre l'usine et dit : "ici, il n'y a pas de mur" [allusion au mur de séparation des territoires occupés. NdTes]. Les coûteuses structures d'acier, d'une valeur de plusieurs millions de shekels, sont installées en terrain ouvert. "L'accord le prévoyait ainsi", nous dit-il. "Nous le respectons et il nous respecte."

Pendant de nombreuses années et deux intifadas, dans l'un des secteurs les plus pauvres du pays, assailli de vols et bien pourvu en trafiquants de métaux, la carrière a continué à travailler sans être dérangée. Les gérants juifs ont continué à venir ici, et même sans surveillance. "Rien que pour la surveillance et la protection des propriétaires, ils devraient sortir des centaines de milliers de shekels par an", dit Assaf Adiv, le secrétaire général de Ma’an.

Année après année, les avocats israéliens ont défendu une solution aux problèmes des travailleurs par la voie strictement judiciaire, mais ils n'y sont pas parvenus. L’ Histadrout [Confédération officielle de travailleurs d'Israël, NdTes] n’était pas dans le coup. Les ouvriers ont pris contact verbalement avec ll’antenne de Ma’an à Jérusalem et ont organisé une réunion pour faire connaissance. Les choses ont commencé à bouger : ils ont recueilli des signatures, ils ont élu la section syndicale et ils ont entrepris les négociations avec les patrons. La conquête la plus importante jusqu'à présent est la remise de bulletins de paie, pour la première fois, à partir de 2008.

« Comme les Philippins »

Pour expliquer pourquoi le contact a eu lieu précisément avec Ma’an, et non avec la Histadrout, il faut revenir quelques jours en arrière, aux circonstances du démarrage de la grève, lors de l'assemblée annuelle de Ma’an à Tel Aviv.

Sous le souffle des révolutions dans le monde arabe, l'ambiance était à l'optimisme. Une centaine de représentants de sections syndicales se sont rendus à cette assemblée. C'était un mélange éclectique de travailleurs qui ne se seraient rencontrés en aucune autre circonstance : des ouvrières agricoles arabes de Galilée et du Triangle [zone d'Israël dans les frontières de 1967, à l'est des plaines de Sharon, où se concentre une grande partie de la population arabe de citoyenneté israélienne. NdTes], des professeurs de disciplines artistiques de l'école de théâtre frontal et de l'école judéo-palestinienne d'art “Mousrara” de Jérusalem, une serveuse dans un restaurant hyper-sélect de Tel Aviv, des travailleuses sociales en lutte, et les Palestiniens de la carrière Sal'it, à qui l'on avait octroyé un permis à usage unique pour entrer en Israël.


Abou Mahmoud fit un discours au nom des ouvriers et il décrivit Ma’an en langage poétique comme « la barque du désert qui nous amènera sur les plages de nos aspirations ». L'organisation a acquis il y a quelques mois des écouteurs pour les traductions simultanées. Les membres de la direction de Ma’an – des hommes (juifs) d'origine ashkénaze et misrahi [respectivement d'origine européenne et séfarade. NdTes] et des femmes arabes - maîtrisent aisément l’hébreu et l’arabe, au point que les traductrices perdent le fil et ne savent plus, parfois, dans quelle langue il faut traduire.




Assaf Adiv, le directeur de Ma'an. Photo Noam Frankfurter, Maariv.


L'organisation Ma’an a surgi au milieu des années quatre-vingt-dix, à partir d'un groupe de vétérans militants de gauche.

(…)

La stratégie de Ma’an est de rentrer dans tous les vides que laisse l’Histadrout. -« L’Histadrout joue un rôle économique important en faveur des travailleurs », dit Adiv. « Je ne conteste pas sa position. Mais l’Histadrout se retire parfois du combat. Elle est simplement impuissante comme force de combat. Et spécialement par rapport aux ouvriers faibles, aux exploités, aux arabes. Cela parce qu'elle est idéologiquement conçue en fonction d'objectifs nationalistes ».

L’Histadrout, estime Adiv, ne s'est pas contentée d'abandonner les ouvriers arabes mais aussi tous ceux dont l'éducation est légèrement moindre. Il peut s'agir des Éthiopiens, des personnes âgés ou encore de ceux qui vivent à Yeruham » [localité du sud d'Israël composée en majorité de juifs séfarades pauvres. Ndtes], dit Adiv. « L’Histadrout ne les défend pas. Il y a 25 ans elle réunissait sous son organisation 85 % des travailleurs israéliens, pourcentage le plus élevé des pays occidentaux. Aujourd'hui, à peine 26 % de la force de travail est organisée. Cela veut dire simplement que plus de la moitié de ceux qui participent à la force de travail sont laissés de côté. A côté de cela, il y a trente mille travailleurs palestiniens dans les implantations (dans les colonies) qui ne sont pas organisés. »


Il définit les travailleurs palestiniens dans les usines israéliennes comme « moins mal en point que les travailleurs migrants africains, à peine un peu mieux que les Thaïlandais ; un peu en-dessous des Éthiopiens, à peu près au même niveau que les Philippins. Les citoyens arabes d'Israël sont à peine au-dessus de tous ceux-là. Le pays est comme ça. Alors nous irons là où se trouvent les faibles et nous deviendrons leur guide. »


L’Histadrout n'a pas de raison de se préoccuper de la position de Ma’an mais ce mouvement peut fournir à ses responsables matière à réflexion : au cours des dix dernières années, environ 8 000 ouvriers au total sont passés par Ma’an. L'organisation compte aujourd'hui un millier d'adhérents qui versent une cotisation moyenne de 35 shekels par mois et qui se répartissent dans neuf sections syndicales. L'organisation emploie à ce jour 14 salariés permanents. En accord avec la décision de l'organisation elle-même, chacun d'eux reçoit un salaire minimum. La majorité des ouvriers qu'Adiv représente gagnent plus qu'eux.


Chaque jour des représentants du syndicat, venant de tous les coins du pays, arrivent à la petite tente dressée à l'entrée de la carrière pour soutenir les ouvriers. Tous restent à la tente chaque jour jusqu'à 16 heures. « La grève, c'est aussi du travail », explique Abou Mahmoud et il montre la liste des personnes présentes. Dans le syndicat, on définit la grève comme une « grève jusqu'au bout ».


Les ouvriers ont déjà fait grève pendant quatre jours il y a environ un an et cette grève s'est terminée par le début des négociations pour un contrat collectif. Leur revendication minimale, pour les salaires, est ce que la loi établit. « Et pas moins ; ils doivent nous traiter avec respect », dit Mousbah El-Bahyid. Le mécanisme qui va garantir le respect, et qui fait partie de la proposition de contrat collectif, est une commission ouvriers-patrons avec réunion mensuelle pour discuter des divers problèmes.

Jusqu'à la semaine dernière, la direction n'a pas bougé. Mais le rabbin Nathan Netanson, président du directoire de Sal'it, a déclaré à un journaliste de Jérusalem qu'ils (les ouvriers) « ne sont pas de petits enfants et pourtant ils ne comprennent rien aux mécanismes de communication entre les ouvriers et l'entreprise. Tous ces droits et toutes ces jolies choses sont des explications de Ma’an qui enlèvent aux ouvriers le peu de sens du travail qu'ils avaient. Depuis que Ma’an est ici, nous souffrons de leur présence, qui entraîne moins de sérieux et moins de motivation. Je ne pense pas qu'ils se comportent de façon intelligente, y compris pour eux-mêmes. »

Adiv explique que « le salaire des ouvriers de Sal'it est bas. Si je dis aux patrons de Sal'it que je veux voir doubler le salaire, cela reviendrait à déclarer la guerre mondiale. Nous réclamons des conquêtes de base. Il faut arriver à quelque chose de raisonnable et de logique ».


 
Aide financière aux travailleurs
S'il vous plaît envoyez une copie à roni[at]hanitzoz[dot]org[dot]il
Dons:
Ma’an n'a pas de caisse de grève. Nous ne savons pas combien de temps durera la grève mais nous aimerions avoir quelques fonds de secours pour donner aux travailleurs si la grève se prolonge plus d'une semaine. Si l'argent arrive après la grève, il sera placé sur une caisse de grève spéciale pour les luttes futures.
Notre compte bancaire :
Nom de la banque : Banque Leumi
Agence : 801
Nom du titulaire du compte : Workers Advice Center – Ma'an
Compte : 101-537704
Adresse : Jerusalem boulevard # 1, Jaffa
(Tel. : 972-3-5120333)
Code Bic : LUMIILITTLV
IBAN : IL030108010000001537704
Mention: for Salit strike
 

Dans l'esprit des révolutions

Pour les deux parties en conflit, le temps est un facteur fondamental. La carrière doit fournir des matières premières à ses clients et les ouvriers vont finir par manquer d'argent. La majorité d'entre eux gagne environ 5 000 shekels par mois, 200 par jour. Un jour sans travail est un jour sans salaire. Ma’an, qui est un petit syndicat, n'a pas de caisse de grève.

Quelques centaines d'usines israéliennes emploient des milliers d'ouvriers palestiniens dans le secteur de Ma’aleh Adoumim, en particulier dans la zone industrielle de Mishor Adoumim. Des grèves éclatent souvent, surtout dans les carrières. En général il s'agit de phénomènes spontanés. Chaque partie (patrons et ouvriers) montre ses muscles et puis soit on assiste à une vague de licenciements massifs, soit le patron israélien augmente les salaires de quelques centaines de shekels pour maintenir le calme.

Mais une grève organisée comme celle-là, en Judée et Samarie, c'est semble-t-il la première du genre.

Comment est-il possible que des travailleurs palestiniens déclarent une grève sous les lois du travail israéliennes ? « Israël n'a pas annexé les territoires palestiniens en profondeur mais il a inclus insensiblement des lois israéliennes en Cisjordanie », explique le Dr. Mair Paz-Fox, de la Faculté de Droit de l'Institut Académique Ono de Jérusalem. Certains législateurs appellent cela une « annexion législative ». Par exemple, la loi électorale pour les élections au Parlement, ou la loi d'association, qui s'étend aux territoires, s'appliquent seulement aux colons (juifs). L'État d'Israël veut annexer les territoires et en même temps échapper à la colère du monde entier. Alors, les juges ont résolu ce dilemme : quand l'État parle des Israéliens, il dit qu'il faut les considérer comme si la loi d'Israël s'appliquait à eux tous. Mais là où l'affaire se complique, c'est quand les patrons sont israéliens et que les ouvriers sont palestiniens. Et c'est alors qu'apparaît la « cour suprême » : l'organisation « Kav la oved » [littéralement : « ligne pour les travailleurs ».C'est un syndicat d'organisation et de solidarité ouvrière avec personnalité juridique en Israël qui regroupe sans distinction des ouvriers juifs, palestiniens et des travailleurs étrangers non-juifs. Site web (en hébreu, arabe et anglais) : www.kavlaoved.org.il NdTes].

Kav la oved est le groupe qui a déclenché une révolution dans les définitions juridiques confuses des usines israéliennes de la « zone C ». Cela s'est produit au début des années 2000. Dans une requête au tribunal du travail faite au nom d'ouvriers palestiniens de la municipalité de Givat Zeev, un ouvrier a réclamé que ses conditions de travail (retraite, indemnisations, heures supplémentaires) soient alignées sur celles des ouvriers israéliens. La municipalité a refusé, sous le prétexte que la loi qui doit être appliquée à cet ouvrier est la loi jordanienne. L'ouvrier a gagné le procès au tribunal local, mais la municipalité a fait appel et a gagné au tribunal national. Kav la oved a fait à son tour appel auprès de la Cour Suprême et l'a emporté en fin de compte.

A Sal'it, le rabbin Netanson s'entête sur sa position qui est celle-ci : « La grève est tout à fait autorisée. Qui veut faire grève, qu'il la fasse. L'État lui permet de cesser le travail et il peut profiter de ce droit. Ce contrat collectif ne devait pas aboutir à une signature ce mois-ci. Ces revendications infantiles ne sont pas dignes de personnes adultes. » « Nous ne sommes pas d'accord avec les changements. Nous avions besoin de préparer certains dossiers. Nous voulions actualiser le contrat. Au lieu de cela, Ma’an crée ces désordres politiques. »

Mais le fait est que la grève suscite l'intérêt. De nombreuses automobiles passent sur la route qui conduit à Ramallah, avec des Palestiniens à bord. Nombre d'entre eux actionnent parfois l'avertisseur, en solidarité. « Les gens entendent dire qu'il y a ici une grève et ils veulent savoir ce qui se passe », dit El-Bahyid.


Une grève organisée par un syndicat israélien peut-elle changer la réalité des choses en Cisjordanie ? Le Dr. Gai Davidov, spécialiste en droit du travail à l'Université Hébraïque de Jérusalem, dit que les chances de succès de la grève sont faibles. « Pour triompher, ils ont besoin d'une force de négociation et je ne sais pas s'ils l'ont ». « Même s'ils sont protégés par la loi, ils échoueront en fin de compte si la carrière s'obstine sur sa position. S'ils échouent, d'autres ne se presseront pas pour revendiquer. S'ils gagnent, peut-être qu'alors d'autres oseront à leur tour. La question est de savoir jusqu'à quel point la carrière peut résister. Par exemple, les ouvriers n'ont pas de caisse de grève et par conséquent ils ne peuvent pas tenir au-delà d'un mois. Dans une telle situation, ils peuvent échouer, malgré leur combativité. D'un autre côté, il est possible que la carrière lâche du lest, en comprenant qu'il est important que les ouvriers obtiennent satisfaction ».

Assaf Adiv a été interviewé par un journaliste de Jérusalem comme étant l'un des seuls Israéliens qui ont réussi à voir la révolution égyptienne en direct. En ce qui concerne Israël, il préfère être réaliste :

« Nous pensons que la moindre amélioration aide à construire de l'estime de soi, une sensation de force et le sentiment que le changement est possible. C'est pourquoi Ma’an se bat pour que les ouvriers reçoivent mille shekels de plus, un point supplémentaire de retraite. Cela ne rend pas les ouvriers conservateurs mais tout au contraire cela les rend sûrs d'eux et forts. »

Abou Mahmoud, qui s'assied avec ses camarades sous la tente, n'hésite pas à établir la relation entre sa lutte organisée et les révolutions arabes :

« La révolte en Égypte a été provoquée par la corruption et les abus du gouvernement », explique-t-il. « Ici, nos revendications face aux patrons sont similaires : nous voulons la justice et le respect ».




Tel Aviv, 6 août 2011 : En arabe, « Erhel » (traduction de « Dégage », slogan des révolutions arabes, initialement crié par les Tunisiens à Ben Ali, qui rappelle le « Que se vayan todos ! » (« Qu'ils s'en aillent tous ! ») du soulèvement argentin du 19 décembre 2001). En hébreu : « L'Égypte, c'est ici ».


Actualisation

Une nouvelle étape dans la lutte des ouvriers de la carrière Sal'it

Par Assaf Adiv, lundi 29 août 2011


Aujourd'hui a eu lieu, au Tribunal Régional de Jérusalem, une audience, présidée par le Juge David Mintz, sur une demande de gel des actions en justice contre l'entreprise Sal'it. La demande, faite par celle-ci, vise à la protéger des banques et des organismes de substitution, qui la menacent de liquidation à la suite du rejet de ses chèques. Ce dernier est la conséquence d'une nette impasse de gestion, après l'échec de la direction de Sal'it à trouver un accord avec les travailleurs depuis deux mois et demi.

Cette requête fait suite à la désignation de l'avocat Ami Folman comme fondé de pouvoir de Sal'it. C'est lui qui, dorénavant, va décider de ce qui doit se passer dans l'entreprise. L'espoir c'est que, avec le changement de propriétaires de l'entreprise, devrait entrer comme l'un des associés un entrepreneur, I.D. Brazni, qui investirait de l'argent et qui a des relations et ainsi "l'eau surgirait" à Sal'it.

Avant cette audience, nous avons tenu une assemblée des travailleurs de Sal'it pour qui aujourd'hui est un jour férié, à l'occasion de l'Aïd El Fitr, la fête de la rupture du jeûne du Ramadan. A l'ouverture de l'assemblée, nous avons réparti entre les travailleurs les contributions solidaires obtenues de syndicats de divers coins du monde et de multiples contributeurs privés d'Israël et du monde entier. Il est toujours possible de contribuer : pour cela, allez sur le site web de Ma’an. Chaque ouvrier a reçu 850 shekels (= 165 € , 202 CHF , 228 CAD, 108 CFA) pour la fête.



Les ouvriers ont demandé qu'avant de les distribuer nous parlions de la nouvelle situation parce que c'est plus important, ce qui dénote de leur sérieux dans le combat et de leur profonde compréhension du sens de cette lutte.

J'ai expliqué en détail tout ce que j'ai appris hier au cours de conversations avec plusieurs personnalités et j'ai lu un document sur le gel des actions en justice. Les travailleurs ont écouté avec beaucoup d'attention.

Les ouvriers restent très forts. Il y avait une atmosphère de fête et de victoire, bien que je leur aie expliqué que nous faisons face à des difficultés de taille. Il y avait une vigoureuse sensation de force et le sentiment que les patrons ont besoin de nous et que nous pourrons leur imposer les conditions.

Comme je l'ai dit, il y a eu ensuite une audience au tribunal au cours de laquelle il a été décidé de nommer le fondé de pouvoir de l'entreprise. Nous sommes encore face à un défi complexe.

Toutefois, il est évident que la grève se trouve dans une étape décisive. Elle ne s'arrêtera pas tant que nous n'aurons pas obtenu la signature d'un accord d'entreprise qui nous permette d'assurer les droits des travailleurs.

Dimanche prochain a lieu un événement de solidarité avec Sal'it au Parc de la Cité à Jérusalem.

Maintenant plus que jamais il faut soutenir les ouvriers de Sal'it.

Cette semaine, à cause du jour férié, la tente de la grève, face à la carrière, sera vide.


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