par Yorgos Mitralias Γιώργος Μητραλιάς , 3/5/2012
Soixante-sept
ans après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale et le procès de
Nuremberg, nous voici donc en pleine République de Weimar à la grecque…
Athènes, 3 mai 2012 - Dépourvue de traditions et des
pratiques antifascistes, la gauche grecque, pratiquement toutes
tendances confondues, assiste impuissante et désemparée à la répétition
dans son pays du drame de la République de Weimar non pas comme une
farce mais très probablement comme une tragédie annonciatrice de grands
malheurs européens. Les faits récents en témoignent : après avoir
investi, pendant ces derniers mois, ses espoirs dans cette gauche se
situant à la gauche de la social-démocratie néolibérale (PASOK), la
petite bourgeoisie grecque ruinée et aux abois s’en détourne en un temps
record et est maintenant en train de chercher a l’autre extrémité de
l’échiquier politique les solutions radicales à ses problèmes
historiques et cataclysmiques…
En effet, il a suffit que les formations de la gauche plus ou moins
radicale (KKE, Syriza, Antarsya, Gauche Démocratique…) se montrent
incapables d’exploiter le fait qu’elles monopolisaient de fait
l’opposition au gouvernement dit d’Union Nationale du banquier Loucas
Papadimos, pour que des pans entiers de la société grecque lui tournent,
en quelques semaines, le dos et s’orientent vers des formations se
situant aux antipodes de la gauche radicale, à l’extrême-droite même
néonazie ! C’est ainsi que ces partis et coalitions à la gauche du
PASOK, voient non seulement se réduire plus que drastiquement ces
50%-54% des préférences qu’elles recueillaient toutes ensemble durant
cet hiver, mais aussi que cette réduction se fait en partie au profit
d’une extrême-droite violente, raciste et pogromiste, qui veut en
découdre avec tout ce qui est rouge ou même rose. Et tout ça en
quelques semaines, pratiquement d’un jour à l’autre!..
.
"La Grèce appartient aux Grecs" (manifestation du PASOK)
"La Grèce appartient aux Grecs" (manifestation du PASOK)
"La Grèce aux Grecs" (Manifestation d'Aube dorée)
En réalité, tout ce qui se passe depuis des mois en Grèce illustre
d’une manière saisissante l’énorme poids de la petite et moyenne
bourgeoisie dans la société grecque et l’influence déterminante qu’elle
est appelée à exercer sur les événements à venir. Mais attention, il ne
s’agit plus seulement de ça. L’extrême paupérisation de cette « société
de boutiquiers » à laquelle a conduit l’application de plans d’austérité
successives, radicalise à l’extrême cette petite et moyenne
bourgeoisie grecque désormais en haillons, la pousse loin de ses
représentants politiques traditionnels, la transforme en auditoire
bienveillant de tous ceux qui professent des solutions radicales à sa
déchéance sociale. En somme, déracinée et désespérée, ruinée et aux
abois, cette petite-bourgeoisie grecque en colère est désormais
disponible pour soutenir activement tout projet politique qui lui
semblerait offrir des solutions radicales à son problème existentiel. Et
c’est pourquoi elle suit de plus en plus régulièrement un mouvement de
pendule, se tournant d’un extrême politique à l’autre en des laps de
temps de plus en plus courts…
Tout ça peut paraitre évident et même « élémentaire » mais pas en
Grèce, car c’est, malheureusement, un fait que les classes moyennes
grecques ont toujours été et restent totalement absentes en tant que telles
des analyses, des projets et des pratiques de l’ensemble des formations
politiques de gauche de ce pays ! Cependant, cette tare qui pourrait
passer presque inaperçue en « temps normal », devient à cette heure de
la vérité qu’est l’actuel moment historique, un handicap colossal
pouvant conduire au désastre non seulement le mouvement ouvrier mais
aussi des générations entières des salariés et des citoyens grecs.
Les conséquences de cette « spécificité » de la gauche grecque sont
déjà visibles et dramatiques. Faisant coïncider le marais
petit-bourgeois grec avec le « peuple » mythique et fourre-tout de ses
origines (staliniennes) idéologiques, qui est –nécessairement- toujours
du bon coté, la gauche grecque se découvre maintenant totalement démunie
de moyens de compréhension de ce qui est en train d’arriver à la base
de la société grecque. C’est ainsi qu’elle prend, depuis quelques mois,
des vessies pour des lanternes en identifiant comme étant nécessairement
de « gauche » les manifestations de la colère petite-bourgeoise
dont la couleur politique n’est absolument pas donnée d’avance
puisqu’elle est –par excellence- le plus critique des enjeux de
l’affrontement entre le capital et le monde du travail.
Les résultats de cette « incompréhension » pavent déjà le chemin de
cette inversion de tendance (aux dépens de la gauche et au profit de
l’extrême-droite) mentionnée au début de ce texte. Confondant par
exemple toute critique virulente (ou même violente) du parlementarisme
bourgeois avec une opposition radicale de gauche au régime bourgeois, la
gauche grecque a abdiqué d’avance de son devoir historique de se battre
jour après jour pour gagner à son projet politique ces couches
petites-bourgeoises, qui aiment promettre la potence aux 300
« traitres » du Parlement grec. Et c’est ainsi qu’elle n’a ni reconnu
ni vu venir des concurrents politiquement diamétralement opposés à elle,
qui, eux, se battent très consciemment et méthodiquement pour gagner à
leur cause cette petite-bourgeoisie aux abois….
Cette situation déjà très inquiétante devient pourtant plus
qu’alarmante du moment que la force qui monte en flèche parmi ces
« concurrents politiquement diamétralement opposés » est un
ex-groupuscule ultra-violent de tueurs néonazis, appelé « Aube Dorée »
(Chryssi Avghi) ! Force est d’avouer que sauf rares exceptions
héroïques à l’intérieur de SYRIZA et d’ANTARSYA, la gauche grecque
semble totalement désarmée devant ce péril néonazi qui constitue une
nouveauté absolue dans l’histoire de la Grèce moderne. En effet, tant
dans le subconscient collectif que dans la tradition de la gauche
grecque, le « fasciste » n’a rien à voir avec le membre de l’Aube Dorée.
C’est plutôt l’eternel « mouchard du quartier » légué à l’histoire du
pays par tant de dictatures militaires et autres régimes policiers de
vainqueurs de guerres civiles.
Cependant, le flic ou le mouchard qui n’est en dernière analyse
qu’un fonctionnaire d’Etat, ne peut en aucune manière être assimilé ni a
un fasciste ni a un néonazi. Et à plus forte raison à un mouvement et
un parti néonazi. Alors, habituée comme elle est à appeler « fascistes »
ceux qui n’étaient que des simples serviteurs subalternes des régimes
forts, la gauche grecque semble maintenant totalement impréparée et sans
défenses devant un mouvement politique néonazi qui prétend avoir les
mêmes ennemis qu’elle (les plans d’austérité, les gouvernements des
partis néolibéraux, la Troïka, les bureaucrates de Bruxelles,…) et qui
en plus leur attribue souvent les mêmes noms (Ploutocratie,
impérialisme, capitalisme cosmopolite, traitres de la patrie,…). Le
résultat de cette « impréparation » est déjà tragique. Cette gauche
grecque semble incapable non seulement de contrecarrer mais même
d’expliquer la montée en flèche de l’Aube Dorée (en 3-4 mois, elle est
passée de 1% a 6,5% des préférences des Grecs) et tout laisse,
malheureusement, présager son développement encore plus foudroyant dans
les mois à venir.
"Contre tous" (manifestation d'Aube dorée)
Mais, encore plus alarmant que l’essor électoral est déjà le
développement organisationnel et surtout l’extension de l’influence
sociale et politique des néonazis grecs. Voici donc un événement récent
qui en dit long sur cette « impréparation » de la gauche grecque et qui
illustre parfaitement la dramaticité de la situation. Voulant répondre
aux remous qu’avait provoqué le bon accueil réservé à une forte
délégation de l’Aube Dorée par les ouvriers grévistes des Aciéries, qui
mènent une lutte exemplaire depuis bientôt 5 mois sous la direction
exclusive des syndicalistes du KKE, le BP de ce parti a sorti une
déclaration fustigeant …« les pseudo-révolutionnaires de l’Aube Dorée et
de SYRIZA » !
Comme on pouvait s’attendre, cette déclaration a provoqué maintes
protestations car, selon la vieille habitude du KKE, elle mettait dans
le même panier les néonazis et les militants de la Coalition de la
Gauche Radicale (SYRIZA). Mais, encore une fois est passé pratiquement
inaperçu le fait que pour la direction du PC grec, les néonazis ne sont
finalement que des… « pseudo-révolutionnaires » ! C’est à dire, presque
inoffensifs et non pas une bande armée et violente servant les intérêts
a long terme du capital et ayant pour objectif principal d’atomiser la
classe ouvrière en détruisant pour longtemps ses organisations
syndicales ainsi que les partis politiques de gauche.
Une telle méconnaissance de la nature des organisations fascistes
de la part de la gauche grecque est surement annonciatrice de grands
malheurs à venir. Et le pire c’est que ces malheurs ne se limiteront au
niveau électoral. En effet, après avoir fait des immigrés le cible
prioritaire de leurs expéditions militaires meurtrières, et encouragés
par l’impunité scandaleuse dont ils jouissent, les néonazis grecs
étendent désormais leur « champ d’action » à tout ce qui bouge à
gauche et même au-delà (PASOK inclus), sans faire de distinction entre
radicaux et réformistes. Leur projet est clair : se poser en alternative
jusqu’au-boutiste au « système » et terroriser les foules usant une
violence inouïe. Et tout ça sans jamais cacher leurs références
hitlériennes. Même s’il est provisoire, le bilan de leur stratégie
crève les yeux : Ça marche ! Ils attirent du monde et ils ont le vent
en poupe…
Le pourquoi de ce succès cauchemardesque n’est pas dû seulement à
la crise et au manque de traditions et de culture antifascistes dans la
société et la gauche grecque. Ce succès est aussi explicable par le
fait que l’extrême-droite grecque profite des traditions racistes,
chauvines, obscurantistes et réactionnaires cultivées et soigneusement
entretenues depuis des décennies par l’idéologie et surtout la pratique
« officielle », celle de l’Etat grec et de ses partis dominants. Ce
n’est pas seulement que l’Etat grec est le seul en Europe (et au-delà) à
ne pas être encore séparée de l’église (ultraconservatrice) ! C’est
aussi que les SS grecs du temps de l’occupation nazie, sont toujours
reconnus comme…résistants et touchent régulièrement leur pension pour
les services rendus à la patrie reconnaissante. C’est que des cadres
des partis au gouvernement se permettent de déclarer publiquement qu’on
devrait faire des immigrés basanés du « schampoing colorant » (allusion
modernisée aux « juifs transformés en savon » à Auschwitz) et que des
personnalités d’un parti de gauche proposent, sans provoquer des
réactions, de résoudre la question de l’immigration, en parquant les
immigrés sans nourriture sur « des rochers de la mer Egée » ! Si on
ajoute à tout ça, que, voulant contrecarrer l’influence grandissante de
l’extrême-droite raciste, les gouvernants jouent de plus en plus aux
apprentis sorciers, lançant quotidiennement des véritables pogroms
contre les immigrés et parlant d’eux à la TV comme s’ils étaient moins
que des bêtes sauvages à exterminer, on peut comprendre tant la
banalisation en cours des néonazis que leur succès auprès des foules
désorientées et ruinées à la recherche d’ alternatives radicales et
surtout vengeresses.
Alors, doit-on conclure que la Grèce est condamnée d’avance à
devenir la proie facile de l’extrême-droite et à subir la
« normalisation » de sa société encore rebelle aux diktats de la
Troïka ? La réponse est Non. Rien, absolument rien n’est décidé
d’avance, tout reste encore possible et aucun fatalisme n’est permis.
Mais, à deux conditions fondamentales: que la gauche grecque a) dépasse
rapidement sa fragmentation et son sectarisme viscéral et apprenne
d’urgence à unir ses forces devant l’ennemi de classe commun, et b)
forme un front unique de lutte antifasciste avant qu’il ne soit trop
tard.
Cependant, le temps presse désespérément, la société grecque –et la
classe ouvrière- se désagrège rapidement et c’est archi-faux de penser
que l’approfondissement de la crise conduira fatalement à
l’effondrement du régime et peut être du système lui-même. D’ailleurs,
tant que l’actuelle situation clairement prérévolutionnaire ne se
transforme pas en situation révolutionnaire (par les soins de la gauche
radicale) alors oui, c’est presque fatal qu’elle vire à la
contre-révolution, qu’elle devienne contre-révolutionnaire ! Et les
signes de ces dernières semaines sont inquiétants : les deux grands
partis gouvernementaux et néolibéraux voient leur chute libre arrêtée et
reprennent confiance, tandis qu’à droite apparaissent de nouvelles
formations politiques qui disputent aux partis de gauche le monopole de
l’opposition aux mesures d’austérité. C’est vrai que pour l’instant, on
n’est qu’au début de cette inversion de tendance et que la gauche
grecque dispose encore d’un certain capital de confiance populaire.
Cependant, attention : on assiste déjà en Grèce à une accélération
exceptionnelle du cours de l’histoire et les renversements de situations
se font désormais en l’espace de quelques semaines. Ceux qui ne
comprennent pas cette caractéristique fondamentale des périodes
« anormales » de l’histoire, comme celle qu’on traverse actuellement en
Grèce, sont condamnées non seulement à ne pas comprendre ce qui se passe
aux tréfonds de la société mais aussi à être pris en permanence au
dépourvu par les événements sociaux et politiques « imprévus ». En
somme, à être défaits avant même de livrer bataille…
Nous voici donc devant une autre grande faiblesse de la gauche
grecque : pour elle, le temps politique et social reste toujours le
même, inchangé et immobile, c’est un temps plat ou tout accélération de
l’histoire est inconcevable et exclue d’avance ! C’est alors parce que
le moment historique actuel ne diffère pas de n’importe quel autre que
la direction du KKE (comme d’ailleurs celle trop réformiste de la Gauche
Démocratique) présente comme unique solution à la crise le renforcement
graduel de ce parti, feignant ainsi d’ignorer que tout (y inclus le
sort du KKE lui-même) se joue non pas dans un futur indéfini mais
aujourd’hui, dans les mois à venir. De même, la coalition
d’extrême-gauche ANTARSYA, bien que moins aveugle et sectaire que le
KKE, ne voit pas comment elle pourrait s’allier maintenant à d’autres
formations de gauche car trop faible pour l’instant pour faire le poids
face par exemple à SYRIZA. Elle conseille donc…patience, feignant
d’ignorer que l’histoire ne fait pas patience et nous promet des
lendemains désastreux si on remet pour demain ce qu’on doit faire
aujourd’hui. Enfin, la Coalition de la Gauche Radicale (SYRIZA), bien
que la plus unitaire de tous, se contente avec ses successives
propositions d’alliances électorales, plutôt de mettre au pied du mur
les autres formations de gauche que d’œuvrer concrètement pour la
création d’un front unique de gauche qui regroupe, organise et
coordonne, en vue de les rendre efficaces, les résistances partout à la
base de la société grecque, dont on a tant besoin aujourd’hui et pas
demain…
Le fait est donc que remettre à demain les décisions et les choix
que l’urgence sociale et politique nous impose de prendre et de faire
aujourd’hui c’est faire preuve d’une irresponsabilité criminelle envers
la gauche grecque et internationale, les travailleurs grecs et
européens. Car c’est maintenant et pas « plus tard », dans les combats
d’aujourd’hui et pas d’un demain qui peut être n’existera plus, que va
se jouer le sort pas seulement de nous-mêmes mais des générations à
venir. Pas seulement de telle ou telle conquête des salariés mais de
l’existence même des organisations du monde du travail dans son
ensemble, de l’existence de la classe ouvrière en tant que telle ! Ne
pas comprendre tout ça, les vrais enjeux de l’affrontement en cours,
c’est alors ne pas avoir une idée claire, ne pas comprendre la
profondeur et l’intensité exceptionnelle, les dimensions véritablement
historiques de l’actuelle offensive du capital contre les travailleurs
et les travailleuses, contre l’immense majorité de « ceux d’en bas » de
nos sociétés. En somme, ne pas comprendre que c’est parfaitement
concevable et réaliste la perspective d’un demain qui verrait notre sort
déjà réglé, d’un demain qui ne nous laisserait plus aucune chance de
nous battre pour les décennies à venir…
Notre conclusion est donc catégorique : pour être à la hauteur des
enjeux historiques de la guerre lancée par la bourgeoisie grecque et
internationale contre elle et le monde du travail, la gauche grecque
doit s’éloigner de sa routine et de ses habitudes, de son mode
traditionnel de faire de la politique, de penser et d’agir. En
conséquence, elle doit tout d’abord prendre conscience que
l’affrontement actuel n’est pas une simple répétition des précédents,
mais quelque chose de nouveau qualitativement différent, qu’il est ici
pour rester, qu’il aura une grande durée, et surtout qu’il est un combat
global s’étendant sur toute la sphère des activités humaines. Si elle
prend conscience de tout ça, de cette réalité absolument nouvelle, alors
elle saura rendre son combat non seulement unitaire et radical au
maximum mais aussi enraciné aux profondeurs de la société dans un
mouvement organisé de longue haleine et autour d’un projet alternatif
pour une Europe des peuples et des travailleurs qui reste toujours à
inventer.
Mais attention : Camarades, le temps presse et ce qui est encore possible aujourd’hui ne le sera probablement pas demain…
Aube dorée rêve d'un score à la Marine Le Pen aux élections de dimanche prochain
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire