jeudi 30 août 2012

Colombie : Accord général pour mettre un terme au conflit et construire une paix stable et durable



 
Voici le texte de l'accord initial conclu entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et les FARC-EP, qui conclut la phase exploratoire et établit les bases du dialogue et de la négociation d'un règlement.

Les délégués du gouvernement de la République de Colombie (gouvernement national) et des Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée populaire (FARC-EP):
Suite à la réunion exploratoire qui s'est tenue à La Havane, Cuba, du 23 Février 2012 au (xxx), avec la participation du gouvernement de la République de Cuba et du gouvernement de la Norvège en tant que garants, et avec le soutien du gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela comme facilitateur logistique et accompagnateur :
 
Avec la décision commune de mettre fin au conflit comme condition essentielle pour la construction d'une paix stable et durable; attentifs à la revendication de paix de la population, et reconnaissant que:
Construire la paix est une affaire de la société tout entière qui nécessite la participation de tous, sans discrimination ; le respect des droits de l'homme sur toute l’étendue du territoire national est un but de l’État qui doit être promu ; le développement économique avec justice sociale et en harmonie avec l'environnement est une garantie de paix et de progrès.
Un développement social équitable et de bien-être, incluant les grandes majorités, permet de se développer comme pays ; une Colombie pacifiée jouera un rôle actif et souverain dans la paix et le développement régional et mondial ; il est important d'élargir la démocratie comme condition pour asseoir la paix sur des bases solides ; le gouvernement national et les FARC-EP sont totalement disposés à parvenir à un accord, et invitent l'ensemble de la société colombienne, ainsi que les organismes d'intégration régionale et la communauté internationale, à accompagner ce processus;
 
Ont convenu:
I. D’engager des pourparlers directs et ininterrompus sur les points de l’ordre du jour établi ici, afin de parvenir à un accord définitif pour mettre un terme au conflit, qui contribue à la construction d'une paix stable et durable.
 
II. D’établir une table de conversations qui sera installée publiquement (un mois après l'annonce publique) à Oslo, en Norvège, et dont le siège principal sera à La Havane, Cuba. La table pourra tenir des réunions dans d'autres pays.
 
III. D’assurer l'efficacité du processus et d’achever les travaux sur l'ordre du jour avec célérité et dans les plus brefs délais, afin de répondre aux attentes de la société sur un accord rapide. En tout état de cause, la durée sera soumise à des évaluations régulières des progrès.
 
IV. De développer des pourparlers avec le soutien des gouvernements de Cuba et de Norvège comme garants et les gouvernements du Venezuela et du Chili comme accompagnateurs. Selon les besoins du processus, d'autres partenaires pourront être invités d’un commun accord.
 
V. L'ordre du jour suivant:
1. Politique de développement agricole intégral
- Le développement agricole intégral est essentiel pour promouvoir l'intégration des régions et le développement social  et économique équitable du pays.
- Accès et usage des terres. Terres improductives. Formalisation de la propriété. Frontalières agricoles et protection des réserves.
- Programmes de développement avec une approche territoriale.
- Infrastructure et adéquation des terres.
- Développement social: santé, éducation, logement, éradication de la pauvreté.
- Encouragement de la production agro-pastorale et de l'économie solidaire et coopérative. Assistance technique. Subventions. Crédit. Génération de revenus. Marketing. Formalisation du travail [= sortie du secteur informel, NdT].
- Système de sécurité alimentaire.
2. Participation politique
- Droits et garanties pour l'exercice de l'opposition politique en général et en particulier pour les nouveaux mouvements surgis  après la signature de l'accord final. Accès des médias.
- Mécanismes démocratique de participation des citoyens, y compris y compris directe , aux différents niveaux et sur différents sujets.
- Entrée en vigueur de mesures visant à promouvoir une plus grande participation à la vie politique nationale, régionale et locale de tous les secteurs, y compris la population la plus vulnérable, à conditions égales et avec des garanties de sécurité.
 
3. Fin du conflit
Processus global et simultané impliquant:
- Cessez-le-feu et des hostilités bilatéral et définitif.
- Déposition des armes. Réintégration des FARC-EP dans la vie civile - économique, sociale et politique - en fonction de leurs intérêts.
- Le gouvernement national coordonnera l'examen de la situation des personnes privées, poursuivies ou condamnées pour appartenance ou collaboration avec les FARC-EP.
- Parallèlement le gouvernement national intensifiera la lutte pour éliminer les organisations criminelles et leurs réseaux d’appui, ce qui incluera la lutte contre la corruption et l'impunité, en particulier contre toute organisation responsable de meurtres et de massacres, ou qui attente à des défenseurs des droits humains, des mouvements sociaux ou des mouvements politiques.
- Le gouvernement passera en revue et fera les  réformes et ajustements institutionnels nécessaires pour faire face aux défis de la consolidation de la paix.
- Garanties de sécurité .
- En vertu des dispositions de l'article 5 (victimes) de cet accord sera clarifié, entre autres, le phénomène paramilitaire.
- La signature de l'accord définitif initie ce processus, qui devrait se développer dans un délai raisonnable convenu par les parties.
 
4. Solution au problème des drogues illicites
- Programmes de substitution des cultures illicites. Plans de développement globaux avec la participation des communautés dans la conception, la mise en œuvre et l'évaluation des programmes de substitution et remise en état environnementale des zones affectées par les cultures illicites.
- Programmes de prévention de la consommation et de santé publique.
- Résoudre la question de production de la consommation et de la santé publique.
 
5. Victimes
- L’indemnisation des victimes est au centre de l'accord gouvernement national - FARC-EP. En ce sens seront traités:
- les droits humains des victimes.
- La vérité.
 
6. Mise en œuvre, vérification et approbation
La signature de l'accord final donne le signal de l’application de tous les points convenus.
- Mécanismes de mise en œuvre et de vérification:
a. Système de mise en œuvre, en accordant une importance particulière aux régions.
b. Commissions de suivi et de vérification.
c. Mécanismes de règlement des différends.
Ces mécanismes auront une capacité et un pouvoir exécutifs seront confirmés par des représentants des parties et de la société, le cas échéant.
- Accompagnement international.
- Calendrier.
- Budget.
- Outils de diffusion et de communication.
- Mécanisme d’approbation des accords.

Les règles de fonctionnement suivantes:
1. Lors des réunions de la table de négociations participeront jusqu'à 10 personnes par délégation, dont un maximum de 5 plénipotentiaires qui seront porte-parole respectifs. Chaque délégation sera composée de 30 représentants.
 
2. Pour aider à développer le processus on pourra consulter des experts sur les thèmes de l'ordre du jour, une fois accomplies les formalités nécessaires.
 
3. Pour assurer la transparence du processus, la table réalisera des rapports réguliers.
 
4. Un mécanisme visant à faire connaître les progrès de la négociation sera établi. Les discussions ne seront pas rendues publiques.
 
5. Une stratégie de diffusion efficace sera mise en place.
 
6. Pour assurer la participation la plus large possible, un mécanisme sera mis en place pour la réception de propositions sur les points de l'ordre du jour de la part de citoyens et d’organisations, par des moyens physiques ou électroniques. D’un commun accord et à un moment donné, la table pourra procéder à des consultations directes et recevoir des propositions sur ces points, ou déléguer à une tierce partie l'organisation d’espaces de participation.
 
7. Le gouvernement national assurera les ressources nécessaires pour le fonctionnement de la table, qui seront gérés de manière efficace et transparente.
 
8. La table disposera de la technologie nécessaire au déroulement du processus.
 
9. Les discussions commenceront par le point Politique de développement agricole global et se poursuivront dans l’ordre convenu par les participants.
10. Les pourparlers suivront le principe que rien n'est convenu tant que tout n'est pas convenu.

Des petites entreprises qui ne connaissent pas la crise : les mafias

par Roberto Saviano, 27/8/2012. Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original
: 
Mafie, i padroni della crisi-Perché i boss non fanno crac 

La crise est un business planétaire pour les mafias. Les clans criminels utilisent avec l’arrogance de l’impunité les banques US pour recycler des millions de dollars. En Grèce ils profitent de la corruption pour faire des affaires avec les carburants. En Espagne, ils s’infiltrent dans le marché immobilier et misent sur des profits colossaux avec des projets comme Eurovegas. Une économie sale qui se camoufle dans les sanctuaires de la grande finance.
Les capitaux mafieux sont en train de tirer profit de la crise économique européenne et, plus généralement, de la crise économique en Occident, pour infiltrer de manière capillaire l’économie légale. Pourtant les capitaux mafieux ne sont pas seulement l’effet de la crise mondiale, mais ils en sont aussi et surtout la cause, vu qu’ils sont présents dans les flux économiques depuis les origines de cette crise. En décembre, le responsable de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Antonio Maria Costa révéla avoir les preuves que les gains des organisations criminelles avaient été l’unique capital liquide d’investissement dont certaines banques avaient pu disposer pendant al crise de 2008 pour éviter une débâcle.

Un manifestant met à sécher des faux billets de banque devant une agence de la banque HSBC à Mexico. Photo Alfredo Estrella/Agence France-Presse — Getty Images
Selon les estimations du FMI, entre janvier 2007 et septembre 2009 les banques US et européennes ont perdu un billion (1 million de millions, soit mille milliards) de dollars en titres toxiques et prêts inexigibles et plus de 200 prêteurs hypothécaires ont fait faillite. Beaucoup d’établissements de crédit ont fait faillite, ont été secourus ou mis sous tutelle par le gouvernement. Il est donc possible d’identifier le moment exact où les organisations criminelles italiennes, russes, balkaniques, japonaises, africaines et indiennes sont devenues déterminantes pour l’économie internationale. Cela est arrivé durant la seconde moitié de 2008, quand le problème principal du système bancaire était devenu celui des liquidités. Le système était pratiquement paralysé à cause de la réticence des banques à accorder des prêts et seules les organisations criminelles semblaient disposer d’énormes quantités d’argent comptant à investir, à recycler.

Un enquête récente de deux économistes colombiens, Alejandro Gaviria et Daniel Mejiia de l’Université di Bogotá, a révélé que 97,4% des recettes provenant du trafic de stupéfiants en Colombie sont immédiatement recyclés par des circuits bancaires des USA et d’Europe à travers diverses opérations financières. C’est de centaines de milliards de dollars qu’il s’agit. Le recyclage se produits à travers un système de paquets d’actions, un mécanisme de boîtes chinoises par lequel l’argent comptant est transformé en titres électroniques, qui passent d’un pays à l’autre, et, une fois arrivés dans un autre continent, ils sont presque propres et, surtout, intraçables. C’est ainsi que les prêts entre banques ont commencé à être systématiquement financés avec de l’argent provenant du trafic de drogue et d’autres activités illicites. Quelques banques n’ont du leur sauvetage qu’à cet argent-là. Une grande partie des 352 milliards de dollars provenant du trafic de drogue ont été absorbés par le système économique légal, parfaitement recyclés. Cela ne démontre pas seulement qu’en temps de crise les défenses immunitaires des banques connaissent une chute dangereuse, mais aussi qu’en temps de reprise économique, ce seront les capitaux criminels qui détermineront les politiques financières des banques devant leur sauvetage aux capitaux criminels. Cette dynamique amène à s’interroger sur le poids qu’ont els organisations criminelles sur le système économique en temps de crise et à estimer nécessaire un plus grand contrôle du secteur bancaire.


Et si l’argent de la drogue est si utile aux banques et aux pays qui le recyclent, cela permet de comprendre comment il se fait que la lutte contre la drogue, dans beaucoup de pays occidentaux, soit menée « avec le frein à main », surtout dans des périodes de crise où la disponibilité de liquidités monétaires est perçue comme une oasis dans le désert. On cible seulement la phase productive et les activités des cartels criminels, et on néglige la phase de recyclage des recettes. En fin de compte, c’est la microéconomie de la drogue que l’on combat, et pas la macroéconomie. Il suffit de penser que si en Colombie, des mesures hautement restrictives empêchent l’injection dans les banques d’immenses quantités d’argent, aux USA, la loi sur la vie privée et le secret bancaire permet de créer un fond bancaire à l’origine inconnue. On peut donc soupçonner que les institutions US et européennes en savent beaucoup plus qu’elles ne disent et qu’il n’est pas facile pour les gouvernements d’attaquer les grands groupes financiers.

Les capitaux criminels sont en train de revenir dans les banques. Dans ce contexte, les moments les plus critiques ont été la crise financière en Russie – dont les causes furent aussi attribuées à l’expansion de la mafia russe – et les cries mondiales de 2003 et 2007-2008. Le secteur financier s’est alors retrouvé à court de liquidités, les banques se sont donc ouvertes aux cartels criminels qui avaient de l’argent à investir. « Les banques aux USA sont utilisées pour accueillir des grandes quantités de capitaux illicites cachés dans les milliards de dollars qui sont transférés entre banques chaque jour », a déclaré Jennifer Shasky Calvery, chef de la Section recyclage du Département de la Justice US, en février 2012, lors d’une audition au Congrès sur le crime organisé. New York et Londres seraient devenues les deux plus grandes blanchisseries d’argent sale du monde. Ce ne sont plus les paradis fiscaux comme les Iles Cayman ou l’Ile de Man, mais la City et Wall Street. Pendant les  crises, les banques deviennent plus commodes et surtout plus sûres per le recyclage. Quand il se réunit, el G20 devrait avoir pour seule priorité d’élaborer des nouvelles règles pour faire face à l’économie criminelle, qui est une force autrement plus puissante que le terrorisme pour miner la démocratie et éroder les droits, compromettre les marchés et permettre des richesses apparentes.

La Grèce vit depuis des années une agression criminelle que l’Europe et les gouvernements grecs ont sous-évaluée. Cette agression est certainement un des éléments qui ont provoqué le désastre économique et la fragilité des institutions. L’indice de corruption 2011  élaboré par Transparency International met la Grèce au même niveau que la Colombie. La corruption en Grèce a coûté environ 860 millions d’euros en 2009 et environ 590 en 2010. Parmi les institutions les plus corrompues du pays il y aurait les hôpitaux et le Trésor public. Ces données disent clairement que la Grèce est une terre d’investissements mafieux depuis des décennies. Ce n’est pas par hasard que le plus grand sommet de la mafia russe se serait tenu en décembre 2012, justement en Grèce, dans un restaurant de Salonique.  Les représentants d’une soixantaine de familles mafieuses y auraient pris part, pour mettre fin à une guerre sanglante déclenchée en 2008 et qui a impliqué aussi la Grèce, où, en mai 2010, Lavrenty Chokladis, représentant pour l’Europe du parrain de 73 ans Aslan Usoyan, dit « Papy Hassan », était mort à l’improviste. Maintenant, à cause de la crise, les Grecs ont du puiser dans leur épargne : environ 50 milliards d’euros ont été prélevés dans les banques grecques de 2009 à 2011. Les canaux de prêt officiels venant à manquer, toujours plus de gens recourent aux emprunts illégaux, se tournant vers des usuriers.

Selon certaines données, le marché noir des prêts illégaux en Grèce aurait un chiffre d’affaires d’environ 5 milliards d’euros par an ; mais d’après le gouvernement, il s’élèverait carrément au double, soit 10 milliards. Il semble que cette activité ait quadruplé depuis le début de la crise en 2009. De cette somme, plus de la moitié reste dans les poches des usuriers, qui pratiques des taux d’intérêt à partir de 60% par an. A Salonique, deuxième ville du pays, en janvier dernier, une organisation criminelle a été démantelée : elle prêtait de l’argent à des taux d’intérêt de 5 à 15% par semaine. Et pour ceux qui ne payaient pas, des punitions étaient prévues. Le groupe était actif à Salonique depuis 15 ans et il était composé de 53  extorqueurs, dont deux avocats, un médecin et un employé d’une équipe de football. Le nombre de victimes établi est entre 1500 et 2000, pour un gain total d’environ 1 milliard d’euros. Le nom qui émerge dans l’organisation est celui de Marcos Karamberis, un propriétaire de restaurant qui avait été candidat au poste de vice-gouverneur de l’Imathie, une région de la Grèce du Nord. Les frères Konstantinos et Marios Meletis, accusés dans le passé de trafic de drogue, jouaient un rôle de premier plan. Parmi les accusés il y a aussi Dimitrios Lambakis, un entrepreneur de 54 ans, propriétaire d’une usine de pâte feuilletée à Halkidiki. D’après les enquêteurs, l’usine avait été récupérée par les usuriers parce que le précédent propriétaire n’était pas parvenu à payer ses dettes. Selon des sources du ministère des Finances grec, beaucoup d’opérations d’usure en Grèce sont liées aux bandes duc rime organisé des Balkans et d’Europe de l’Est. Quand la Roumanie et la Bulgarie ont rejoint l’Union européenne en 2007, les bandes criminelles ont eu un accès facile à la Grèce. Leurs activités principales sont le trafic de femmes et d’héroïne, l’usure n’est qu’une activité secondaire.

Mais le marché noir qui présente les chiffres les plus importants dans la contrebande en Grèce est celui du pétrole. La contrebande de gasoil illégal procure jusqu’à 3 milliards d’euros par an (chiffres de 2008). Les lois grecques fixent le prix du gasoil pour usage naval/maritime – l’industrie navale est le fleuron de l’économie grecque – à un tiers du prix du gasoil pour véhicules ou pour le chauffage domestique. Mais il arrive que les trafiquants transforment le carburant naval économique en coûteux carburant pour maisons et automobiles. C’est une pratique qui exige une vaste infrastructure criminelle, y compris des dépôts illégaux près de sports et des grandes villes pour stocker le carburant naval, qui est adultéré et revendu pour d’autres usages. On estime que 20% de l’essence vendue en Grèce provient du marché illégal : à ce que l’on dit, les stations-essence vendent une essence qui serait un mélange de carburant acheté légalement et de carburant acheté au marché noir, ce qui permet aux revendeurs de gagner plus et d’éviter les taxes. En outre, la Grèce importe 99% de son carburant, et pourtant, selon des chiffres officiels, elle parviendrait à exporter vers les pays voisins plus qu’elle importe. Le politologue grec Panos Kostakos rappelle que "la Grèce est le lieu de naissance de la démocratie, mais malheureusement l’actuel système politique est une mafiacratie parlementaire. Il ne faut pas le perdre de vue quand on discute de lois, d’ordre et de justice".

Depuis longtemps, la Grèce est, avec l’Espagne, la porte des routes de la cocaïne en Europe. En décembre 2011, une enquête de l’antimafia de Milan a conduit à l’arrestation de 11 personnes, à la saisie de 117 kilos de cocaïne, 48 de haschich et divers véhicules utilisés pour un trafic de drogue d’Amérique du Sud vers l’Italie via la Grèce. Derrière la crise en Espagne il y a aussi des années de pouvoir des capitaux criminels, d’absence de règles, de combat seulement contre les secteurs militaires des organisations. Aujourd’hui l’Espagne est colonisée par des groupes criminels autochtones (galiciens, basques et andalous) et par des organisations étrangères (italiennes, russes, colombiennes et mexicaines). Historiquement, elle a toujours été un refuge pour les criminels italiens en fuite, bien que les choses aient changé avec l’entre en vigueur du mandat d’arrêt européen. La législation antimafia espagnole a aussi été améliorée, mais le pays continue à offrir des grandes opportunités de recyclage, qui sont devenues encore plus grandes avec l’actuelle crise européenne. Le boom immobilier que le pays a connu de 1997 à 2007 a sûrement été une manne pour ces organisations, qui ont investi leurs gains sales dans la brique ibérique.

Zakhar Kalashov et Taniel Oniani, arrêtés respectivement en 2006 et 2011, sont des représentants de l’organisation appelée "Voleurs dans la loi", active en Russie et en Géorgie ; ils réinvestissaient les recettes de leurs trafics dans le marché immobilier espagnol. Puis l’Espagne a été pendant de nombreuses années un point d’arrivée privilégié en Europe pour les trafiquants de cocaïne : c’est là que débarquaient les cargaisons provenant de Colombie à travers l’Atlantique, avant que les mesures antimafia européennes ne contraignent les organisations à dévier leurs parcours vers l’Afrique. Nunzio De Falco , le boss du clan des Casalais [Casalesi : confédération de clans camorristes originaires  de Casal di Principe, entre Naples et salerne, NdT] résidait à Grenade, où officiellement il gérait un restaurant, mais en réalité il trafiquait de la drogue. Les "Espagnols de Scampia" [quartier de Naples, théâtre d’une guerre sanglante de gans en 2004-2005, NdT] – comme Raffaele Amato, arrêté à Marbella en 2009 – vivaient à Madrid, Barcelone et sur la Costa del Sol, investissant dans le marché immobilier et financier. Roberto Pannunzi et son fils Alessandro, courtiers en stups liés à diverses 'ndrine [unités de base de la 'Ndrangheta calabraise, NdT] utilisaient l’Espagne comme base opérationnelle pour leurs trafics. Bien que la "route africaine" ait modifié les parcours de la poudre blanche et l’implantation des organisations, la route atlantique n’a pas été abandonnée, elle a seulement été redimensionnée. L’Espagne représente donc encore un nœud stratégique pour le trafic de cocaïne vers les pays européens. Dans une telle situation, la proposition du magnat US Sheldon Adelson [par ailleurs grand sponsor de Mitt Romney et de Benyamin Netanyahou, NdT] d’investir 35 milliards de dollars dans Eurovegas, un complexe de casinos, d’attractions et structures touristiques sur le modèle de Las Vegas, à réaliser en Catalogne ou près de Madrid, risque de transformer ce lieu en centre de recyclage mafieux de l’Occident.
Cartoon: Merchant Banker (medium) by r8r tagged money,cash,gold,skeleton,death,banker,bankster,dollar,euro,finance,wall,street,bourse,stock,market
En 2006 la Banque centrale d’Espagne lança une enquête pour comprendre les raisons de la présence sur le territoire national d’une incroyable quantité de billets de 500 euros, surnommés "Ben Laden", parce qu’on en parle beaucoup mais on les voit très peu, comme le chef taliban. Les billets de 500 euros sont utilisés très fréquemment par les organisations criminelles parce qu’ils occupent peu de place pour le transport et le stockage : dans un coffre de 45 cm, on peut mettre jusqu’à 10 millions d’euros en billets de 500. En 2010, les agents de change anglais ont cessé de les convertir après avoir découvert que 9% des transactions étaient liées à des phénomènes  criminels comme le trafic de stups et le recyclage. Pourtant, les billets de 500 euros représentaient encore en 2011 71,4% de la valeur de tous les billets de banque présents en Espagne.

L’Italie ne fait hélas pas exception. La mafia italienne peut compter chaque année (selon un rapport SOS impresa) sur des liquidités de 65 milliards avec un bénéfice dépassant d’environ 25 milliards la dernière manœuvre financière italienne. Les organisations mafieuses ont une incidence directe sur le monde de l’entreprise de 100 milliards, soit 7% du PIB national. Tout cet argent, l’Etat et les citoyens honnêtes en sont privés, et il finit dans les poches des mafieux. "Nous provoquerons la défaite de la mafia d’ici la fin de la législature", avait déclaré le Premier ministre Berlusconi en 2009. "En trois ans, nous écraserons la mafia, la camorra et la 'ndrangheta", avait-il répété en 2010. Une autre des nombreuses promesses non tenues. Le Premier ministre italien Mario Monti a déclaré que l’Italie se trouve en difficulté surtout à cause de l’évasion fiscale, qui doit être combattue avec des instruments forts : mais il faut des instruments encore plus forts pour combattre l’économie immergée créée par les mafias, qui tue l’économie propre. Les mafias sont désormais des organisations internationales, mondialisées, qui agissent partout.

Elles parlent diverses langues, elles établissent des alliances avec des groupes outre-mer, elles travaillent en joint ventures et investissent comme n’importe quelle multinationale légale : on ne peut plus répondre à des colosses multinationaux par des mesures locales. Il faut que chaque pays y mette du sien, parce que personne n’est immunisé. Il faut frapper les capitaux, leur moteur économique, qui reste trop souvent intact, car plus difficile à retracer, et parce que, nous l’avons vu, il en fait baver d’envie beaucoup en périodes de crise, à commencer par les banques.

mercredi 29 août 2012

Déclaration de Maître Hussein Abu Hussein sur le verdict dans le procès pour l’homicide délictuel de Rachel Corrie

Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala.

Original : Attorney Hussein Abu Hussein’s statement on verdict in Corrie wrongful death lawsuit
Traductions disponibles : Español 


(Haifa, Israël - 28 août 2012) - Même s'il n'est pas surprenant, ce verdict est un nouvel exemple oùl'impunité a prévalu sur la responsabilité et l'équité. Rachel Corrie a été tuée alors qu’elle protestait de manière non-violente contre des démolitions de maisons et l'injustice à  Gaza, et aujourd'hui, ce tribunal a donné son aval aux pratiques douteuses et illégales qui ont échoué à protéger la vie de civils. À cet égard, le verdict rejette la faute sur la victime en se fondant sur une distorsion des faits et il aurait pu être écrit directement par les procureurs.
Nous savions dès le début que nous avons eu une dure bataille pour obtenir des réponses véridiques et de la justice, mais nous sommes convaincus que ce verdict déforme les preuves convaincantes présentées au tribunal, et est en contradiction avec les principes fondamentaux du droit international en matière de protection des défenseurs des droits humains.
En déniant la justice sur le meurtre de Rachel Corrie, ce verdict témoigne de l'échec systémique à tenir l'armée israélienne pour responsable de la persistance de violations des droits humains fondamentaux.
Nous tenons à remercier tous ceux qui ont soutenu la famille et l'équipe juridique, y compris les militants, les ONG, les observateurs juridiques, responsables de l'ambassade US, les interprètes, les journalistes qui ont couvert le procès, et nous sommes impatients de vous rencontrer à la conférence de presse.
Lire Un tribunal israélien blanchit les meurtriers de Rachel Corrie

mardi 28 août 2012

Le volet agressif du dispositif militaire US d’intervention en Afrique sera basé à Vicence, en Italie

par Antonio Mazzeo , 27/8/2012. Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original Il nuovo volto aggressivo di US Army Africa Vicenza

Vicence en Italie sera une étape-clé dans le processus de modernisation stratégique de l’armée US. Dans le but de disposer de troupes de plus en plus polyvalentes, flexibles, rapides et efficaces, le Commandement central de l'armée US a annoncé qu’en mars 2013, une brigade de trois mille hommes sera activée pour opérer en Afrique dans le cadre d'un programme pilote baptisé regional alignment concept.
Ce sera un premier test du nouveau modèle structuré sur des bases rotatoires, ce qui - selon le Pentagone – permettra de disposer à l’avance d’un nombre adéquat de soldats prêts à intervenir pour des "missions de courte durée visant principalement la formation et l'entraînement militaire". La "rotation" de la nouvelle brigade régionale alignée sera dirigée par US Army Africa, la composante terrestre du commandement US pour les opérations en Afrique (Africom), stationnée à Vicence. Comme l’a précisé le porte-parole d’Africom à Stuttgart, au printemps prochain, les militaires de la nouvelle force d’intervention  seront engagés dans plusieurs "tours" en Afrique "pour former les troupes locales au soutien." Chaque intervention durera "de quelques semaines à quelques mois" et "comprendra de multiples missions dans divers endroits." Le concept stratégique des  regionally aligned forces sera ensuite étendu au Moyen-Orient et au Pacifique.
La 2e brigade d'infanterie de combat, appeléDagger Brigade ("Brigade poignard") sera la principale unité utilisée pour les missions "pilote" d’U. S. Army Africa. "Les hommes de la brigade 2/1ID Dagger resteront  à Fort Riley, Kansas, pour une bonne partie du temps où ils seront assignés à Africom",  a déclaré Andrew Dennis, un colonel britannique qui travaille pour l'armée US en tant que chef de division pour la "politique de défense et coopération." "Les équipes qui iront en Afrique pourraient être très petites, à un niveau de compagnies, par exemple. Elles pourraient être impliquées dans des missions de bas niveau ou avec une organisation plus structurée, et participer également à des manœuvres proprement dites. "
 
La nouvelle vision opérationnelle et stratégique de l'armée US a été commentée par Lesley Anne Warner, analyste des affaires africaines du Center for Strategic Studies à Washington. "Pour la première fois depuis qu’a été mis en place le commandement unifié pour l'Afrique en octobre 2008, des forces de combat seront affectées à Africom par rotation, qui seront transférées à partir de bases sur le continent nord-américain vers des sites choisis en  Afrique", écrit Warner. «La mise en œuvre de la Regionally Aligned Brigade  indique que les militaires ont reconnu la nécessité de développer un système plus efficace de gestion de la force et d’expérimenter un concept opérationnel plus réduit et plus léger. Ce faisant, ils tenteront de maintenir une présence mondiale pour faire face aux menaces transnationales, en gardant à l'esprit les leçons tirées du travail avec les forces de sécurité locales en Irak et en Afghanistan au cours de la dernière décennie. "
 
Le concept de la nouvelle brigade régionale permettra également au commandement Africom d'élargir les petites missions en cours, tout d'abord, celles qui sont dirigées par le Commandement des Forces Spéciales - Afrique (SOCAFRICA) et par les Forces de la Marine US - Afrique (MARFORAF). "Un exemple de ces opérations est le déploiement d'une centaine d'hommes des forces spéciales pour la formation et le conseil du groupe d’intervention constitué par  quatre pays, l'Ouganda, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo et le Sud-Soudan, qui opère pour capturer le chef de l' Armée de résistance du Seigneur, Joseph Kony ", a ajouté l'analyste au Center for Strategic Studies. "L'autre exemple est la Marine Corps Special Purpose - Air Ground Task Force, la composante spécialisée aérienne et terrestre du corps des Marines, composée d'un peu plus de 200 hommes organisés en petites unités, qui est engagée sur la base de Sigonella, en Italie, dans la conduite d’ opérations de coopération de sécurité et de développement de capacités de riposte pour des crises limitées. "
 
L'activation de la nouvelle brigade US est accompagnée par le renforcement de la capacité d'intervention d'urgence et de projection des  unités de l’U.S. Army Africa stationnées à Vicence. Il y a quelques mois, dans la petite ville de Vénétie  a été activée une petite unité, le Headquarters and Headquarters Battalion, pour fournir des services de soutien logistique à tous les militaires engagés dans le continent africain. Au cours de la première semaine de juin, à Vicence sur la base aérienne d'Aviano, a été testé pour la première fois l’emploi du  Contingency Command Post (Poste de Commandement d’urgence) de la US Army Africa (CCP), le commandement mobile destiné à diriger les futurs instruments de coordination et de communication pour  assurer "des réponses flexibles et variées" aux demandes de «déplacement des détachements, d’assistance humanitaire ou d'évacuation des non-combattants." "Les versions du CCP peuvent être configurées aussi bien en équipe de liaison d’une douzaine de personnes qu’en une véritable task force de commandement conjoint en soutien à plus d'une centaine de personnes pour une opération d’US Africom", a déclaré le sergent-major David Brasher, chef du CCP. "L'exercice mené à Vicence et Aviano a certifié la capacité du Contingency Command de l’ U.S. Army Africa à déployer un commandement avancé avec l’équipement appropriés grâce à l'utilisation d'un avion-cargo C-17. Le CCP est prêt à opérer partout où c'est nécessaire, sur tout le continent africain. Il nous faudra ensuite certifier la bonne combinaison aérienne pour embarquer nos approvisionnements en vue de planifier et d'effectuer de nouvelles missions avec la plus grande efficacité. "
 
photoExercice de déploiement d'un Poste de commandement d'urgence sur la base d'Aviano, juin 2012
(Cliquer sur la photo)

 
Le renforcement opérationnel d’ U.S. Army Africa a été souligné par le général David R. Hogg, chef des forces terrestres stationnées à Vicence jusqu'en août dernier : "Avec toujours plus de soldats, US Army Africa continuera à renforcer ses liens avec l'armée et les gouvernements de la région, enseignant des tactiques de guerre, dispensant de la formation dans le domaine de la logistique et de la santé, et combattant la faim, la maladie et le terrorisme", a dit Hogg. "L'armée US permet actuellement à ses soldats de n’intervenir que dans 46 des 54 États africains en raison des dangers pour leur sécurité. Lors de récentes manœuvres, l'armée US a formé les forces armées ougandaises à ravitailler par voie aérienne les commandos qui dans les forêts donnent la chasse aux rebelles de l'Armée de résistance du Seigneur, une milice accusée d'avoir commis des atrocités en Afrique centrale. Aujourd'hui, avec l'autorisation du gouvernement de l'Ouganda, une centaine  de militaires et civils US, dont deux équipe  de combat, contrôle, communication et logistique, fournissent  informations, conseils et assistance aux forces armées partenaires qui luttent sur le terrain contre Joseph Kony " .
 
Grâce à un financement du Département d'Etat, les militaires d’U.S. Army Africa sont également en train d’assurer la formation des troupes des pays africains destinées aux missions controversés de maintien de la paix en Somalie et à la "protection des convois" et à "la prévention de dispositifs explosifs improvisés"  dans Corne de l'Afrique. Dans un avenir proche, selon le général Hogg, l'armée US "devra participer à des cours militaires en Afrique, à l'école française de survie dans le désert de Djibouti, et dans la jungle au Ghana et au Gabon."
 
De Stuttgart les commandants  d’AFRICOM précisent cependant ne pas avoir l'intention, à moyen terme, d'établir des "bases permanentes" sur le continent. Aujourd'hui, les USA possèdent en Afrique, un Forward Operating Site «semi-permanent» au Camp Lemonnier (Djibouti), où ont été déployés plus de 2.000 hommes de la Combined Joint Task Force-Horn of Africa (CJTF-HOA). L'infrastructure est utilisée pour les opérations militaires US dans la Corne de l'Afrique, dans le golfe d'Aden et au Yémen et a été louée par le gouvernement local jusqu'en 2015 avec la possibilité d'une prolongation jusqu'en 2020. Une autre base d'opérations avancée d'AFRICOM est l'île d'Ascension, possession britannique dans l'Atlantique Sud. Parmi ses installations et de soutien,  le commandement de Stuttgart énumère ensuite les bases aéronavales de Rota (Espagne) et Sigonella (Sicile), Aruba (Antilles néerlandaises), Souda Bay (Grèce) et Ramstein (Allemagne).
 
Les forces armées US ont également un accès libre à un nombre indéterminé de bases aériennes et de ports en Afrique et ont mis en place une série d'installations prêtes à être utilisées en cas de besoin et habituellement gérées par les armées locales. Appelées par le département de la DéfenseCooperative Security Locations (CSL), elles se trouvent en Algérie, au Botswana, au Gabon, au Ghana, au Kenya, au Mali, en Namibie, à Sao Tomé-et-Principe, en Sierra Leone, en Tunisie, en Ouganda et en Zambie. Africom a également des bureaux de représentation et de liaison aux QG de l'Union africaine en Ethiopie, d’ECOWAS au Nigeria, du Kofi Annan International Peacekeeping Training Center au Ghana et de l’International Peace Support Training Center au Kenya. Selon une étude exhaustive publiée récemment par le Washington Post, l'armée US disposerait en Afrique aussi de quelques bases aériennes pour le décollage d’avions- espions avec ou sans pilote. Le centre qui coordonne le système de renseignement serait au Burkina Faso sous le couvert d'un programme de surveillance secrète au nom de code Creek Sand, une douzaine de militaires et d’agents de sous-traitance US opèreraient de manière stable dans la zone militaire de l’Aéroport International de Ouagadougou. Les avions espions décolleraient aussi du Mali, de Mauritanie, d’Ethiopie, de Djibouti, du Kenya, d'Ouganda et de  l'archipel des Seychelles (océan Indien). Une autre base top secrète devrait être bientôt activée aussi au Sud-Soudan.
L'excellence guerrière d’U.S. Army Africa Vicence est confirmée par le profil du nouveau commandant nommé il y a moins d'un mois. C'est le général Patrick J. Donahue, venant du Training and Doctrine Command de Langley-Eustis, en Virginie. L'officier supérieur a dirigé de nombreuses unités d'assaut aéroportées et d'infanterie mécanisée, il a été membre de l'équipe qui a planifié les opérations militaires en Irak et, après avoir quitté Bagdad en mai 2003, il a pris le commandement de la 1ère Brigade de la 82ème Division aéroportée à Kandahar, en Afghanistan, en appui à l'opération Enduring Freedom. Après une nouvelle mission en Irak en 2004, en 2005-2006 général Donahue a servi en tant que commandant de la région orientale de la force multinationale en Afghanistan, dirigeant de sanglantes opérations de "contre-insurrection" dans la province de Khost. Maintenant, pour ce militaire, est arrivé le moment d'intervenir sur le "chaud" continent africain.

dimanche 26 août 2012

Cinecittà okkupata

Non, ce n'est pas un film de Fellini, mais la réalité crue. Depuis le 4 juillet, les studios légendaires de Cinecittà à Rome sont occupés par les travailleurs, qui veulent empêcher la liquidation des studios, censés être transformés en parc à thèmes, Cinecittà World.
Photos Alfredo Falcone – LaPresse

Espagne : un sauvetage bancaire, mais à quel prix ?

par  Jérôme Duval, CADTM, 24/8/2012

Face à une dette privée des institutions financières (banques principalement) devenue dangereuse car reposant sur une accumulation de crédits hypothécaires à risques, c’est-à-dire avec une forte probabilité de non paiement, le royaume d’Espagne, sur le conseil de sociétés privées, a décidé de transférer ce risque aux institutions publiques. Mais qui sont ces sociétés privées, et quels intérêts servent-elles ?

"Sauvetage de l'Espagne" :
- Papa, de quoi vont-ils nous sauver ?
- D'eux-mêmes
Dessin d' Erlich pour El País

L’Etat paie 2 millions d’euros des entreprises privées au bilan douteux pour le conseiller
Le 21 juin 2012, les cabinets d’audit Olivier Wyman et Rloand Berger, engagés par le gouvernement Rajoy, livrent leurs rapports tant attendus et confirment ce que tout le monde savait : le secteur bancaire espagnol a besoin d’être assaini. Ils précisent toutefois que le montant nécessaire pourrait aller jusqu’à 62 milliards d’euros. Ces sociétés privées ont empoché la bagatelle de quelque 2 millions d’euros aux frais du contribuable pour ce travail « d’expertise ». Mais qui sont ces cabinets d’audit censés livrer le bon conseil ? Et à qui profite-t-il ?

Oliver Wyman est une société conseil qui emploie 2 900 consultants répartis dans 25 pays du monde. Elle appartient à 100% au courtier d’assurance états-unien Marsh.
En 2006, Oliver Wyman classe l’Anglo Irish Bank « meilleure banque du monde », trois ans avant que celle-ci révèle des pertes pour 17,6 milliards d’euros et soit secourue par l’Etat irlandais. La suite a été catastrophique pour l’Irlande, tombée dans la nasse de la troïka (Union européenne, FMI et BCE) qui lui injecte des fonds avec intérêts sous d’austères conditions. C’est le Financial Times qui a publié en 2011 ce classement mondial des banques établi par la société de conseil, le rapport décernant cette distinction fatidique ayant mystérieusement disparu du site de Oliver Wyman. |1|
Mais ce n’est pas tout. Les consultants de Oliver Wyman ont conseillé à Citigroup d’acheter des produits douteux, à l’origine de la crise des « subprime ». Résultat, ces investissements ont occasionné des pertes de quelque 50 milliards de dollars (37 milliards d’euros) |2|, entraînant la première banque nord-américaine dans sa chute. Citigroup recevra par la suite près de 2 500 milliards de dollars de la FED, la banque centrale des Etats-Unis (2 500 000 000 000 dollars). |3|
On ne peut guère espérer mieux de la part de la seconde entreprise privée appelée à dresser le diagnostic du secteur bancaire espagnol.
Spécialisée dans le conseil auprès des multinationales, dans le secteur financier et non financier, et auprès de gouvernements et d’institutions, Roland Berger Strategy Consultants est créée en Allemagne par l’universitaire Roland Berger en 1967. À 75 ans, l’influent Roland Berger, confident des grands patrons allemands, conseille la chancelière Angela Merkel et le président portugais Aníbal Cavaco Silva. Avec ses 2 000 consultants répartis dans 24 pays (Europe, Asie et Amérique), le groupe est devenu un des principaux cabinets de conseil en stratégie et projette la création d’une agence de notation européenne.
En octobre 2011, Roland Berger Strategy Consultants et son président directeur, Martin Wittig, conseillent Angela Merkel pour résoudre le surendettement de la Grèce. Le plan, baptisé « Eureca », est calqué sur le système mis en place en Allemagne au moment de la réunification en 1990 pour restructurer et privatiser près de huit mille cinq cents entreprises de l’ex-RDA |4|. Il vise à regrouper un ensemble d’actifs publics évalués à 125 milliards d’euros (autoroutes, aéroports, ports, banques, immobilier, téléphonie...) dans une structure commune achetée par une institution européenne et « financée par les Etats, dont le siège pourrait être situé au Luxembourg » afin de piloter la cession de ces actifs, avec une échéance fixée à 2025. Les frais de gestion incombent donc aux Etats. Les 125 milliards récoltés devraient servir à la Grèce pour se désendetter en rachetant ses obligations à la BCE et au FESF. En clair, les Etats européens prennent en charge la vente à bon prix pour le privé de ce qu’il reste de public en Grèce, l’argent de la vente ne reste pas dans les caisses de l’Etat mais repart directement à la BCE sous prétexte d’effacer des créances pourtant censées sauver la Grèce. Enfin, selon les auteurs, ce plan permettrait à Athènes, qui n’arrive plus à se financer (autrement dit s’endetter en vendant des bons ou obligations à long terme), de revenir sur les marchés (c’est-à-dire s’endetter en vendant ces fameux bons à 10 ans par exemple). |5|
S’endetter pour payer d’anciennes dettes avec la prétention de résoudre le problème, tout cela a un air de déjà vu : les pays du Sud ont déjà maintes fois payé la dette qu’ils devaient au moment de la crise de la dette des années 80 mais continuent à s’endetter pour rembourser… Avec le jeu des intérêts, le cercle vicieux de l’endettement s’est refermé sur eux et les créanciers disposent du dernier mot pour tout changement politique d’importance. En somme, un véritable cadeau empoisonné pour les Grecs et, au-delà, pour les populations européennes.
Dans une tribune du journal Le Monde |6|, Bernard de Montferrand, membre du cabinet Roland Berger Strategy Consultants et ancien ambassadeur de France à Berlin se lamente que le plan n’ait pas été retenu et suggère une privatisation à l’échelle continentale : « Mais une nouvelle forme d’Eureca européen d’abord destiné aux pays du sud de l’Europe qui sont asphyxiés par leur endettement et par la réduction accélérée de leurs déficits aurait un effet de démultiplication et ouvrirait une perspective politique sans équivalent et surtout plus rapide. »

Par ailleurs, le projet d’une agence de notation européenne n’est pas mort comme annoncé par la presse mi-avril 2012. Markus Krall, le père du concept, a démissionné de ses fonctions auprès de Roland Berger début mai 2012 pour devenir le PDG de la fondation chargée d’une telle agence de notation. |7| Sachant que les agences de notation ont accéléré et aggravé la crise alors qu’elles auraient dû l’anticiper, on a toutes les raisons d’être sceptique.
Après avoir déboursé près de 2 millions d’euros pour s’offrir les services de Oliver Wyman et Roland Berger, chargées des tests de stress sur les banques, l’Etat paye la société Alvarez & Marsal plus de 2 millions d’euros pour son travail de gestion de la « bad bank », l’entité qui agglutinera tous les actifs toxiques des banques nationalisées. Voilà déjà près de 4 millions d’euros dépensés en peu de temps par l’Etat pour 3 sociétés privées censées œuvrer pour le bien public. Si seulement l’Etat savait se montrer si prodigue quand il s’agit de financer la protection sociale et les services publics…
Notes
|3| Lire Maria Lucia Fattorelli, L’audit, un outil essentiel pour révéler les origines et les causes des actuelles crises de la ’dette’ aux Etats-Unis et en Europe. http://cadtm.org/L-audit-un-outil-essentiel-pour
|4| La Treuhand est l’organisme créé en 1990 pour mener à bien les privatisations et les restructurations industrielles de l’ex-RDA. Il disparaît le 31 décembre 1994, laissant une dette importante à la charge de l’Etat allemand. « La Treuhand a accompli une œuvre fantastique : privatiser un pays de 17 millions d’habitants en quatre ans », s’extasie Henri Monod, son ancien délégué général en France. http://www.liberation.fr/economie/0101130585-mission-accomplie-la-treuhand-s-autodetruit
Eureca, le ’plan secret’ pour venir en aide à la Grèce, Le Monde, 28.09.2011, http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/09/28/eureca-le-plan-secret-pour-venir-en-aide-a-la-grece_1579219_3234.html
|6| « Oui, la croissance est possible en Europe ! Pour un Eureca européen », Le Monde, 14 mai 2012, http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/05/14/oui-la-croissance-est-possible-en-europe-pour-un-eureca-europeen_1699791_3232.html
|7| Lire l’audition de MM. Bernard de Montferrand et Markus Krall sur le projet de Roland Berger de création d’une agence de notation européenne, 2 mai 2012, http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20120430/mci_agences.html


"Oublie le feu, l'important, c'est qu'on ne voie pas la fumée"
Dessin d'El Roto pour El País, 12/6/2012


Mon témoignage devant la justice colombienne dans l’affaire Joaquín Pérez Becerra

par Jens Holm , 24/8/2012. Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
OriginalMitt vittnesmål i colombiansk domstol i fallet Joaquín Pérez Becerra
EspañolMi testimonio ante la justicia colombiana en el caso Joaquín Pérez Becerra
Jens Holm est député du Parti de gauche (Vänsterpartiet) pour la ville de Stockholm au parlement suédois. Eurodéputé de 2006 à 2009.

 
Hier, j'ai témoigné au consulat colombien de Stockholm dans l’affaire Joaquín Pérez Becerra. Joaquín est accusé par le gouvernement colombien de terrorisme et d'être un combattant des FARC. Joaquín - qui est un citoyen suédois, vivant à Stockholm depuis 1994 - est le rédacteur en chef d’Anncol, l’Agence de presse Nouvelle Colombie. J'ai participé à sa création vers 1996. Joaquín a ensuite pris le relais en tant que rédacteur. J’ai donc été appelé comme témoin par l'avocat de la défense. Ceux qui veulent en savoir plus sur cette affaire peuventt lire par exemple cet article sur Aftonbladet kultur.
J'ai témoigné via Skype depuis le bureau du consul à l'ambassade colombienne de Stockholm à Östermalm. Il est difficile de témoigner à travers un interprète anglais-espagnol via un écran d'ordinateur. Mais ça va. Mon témoignage a pris 3 heures et demie. Après ça, j'étais tout à fait épuisé, mais content. J’ai commencé en jurant de dire la vérité et rien que la vérité. Le juge m'a informé que dire des mensonges ou ne pas dire la vérité devant un tribunal colombien peut conduire à des poursuites pénales et en fin de compte en prison. J’ai trouvé que c’était tout à fait OK.
L’avocat de la défense Rodolfo Rios Lozanoa commencé par poser des questions sur moi, la personnalité de Joaquín et Anncol. J’ai dit qu’Anncol était un site d’information que moi-même, Joaquín et Dick Emanuelsson avions créée vers 1996 dans le but de diffuser une information alternative sur la Colombie. Anncol a toujours été un projet de base, sans grandes ressources financières. J'ai également dit que Joaquín a travaillé pendant son séjour en Suède. J’ai présenté son certificat de travail de la municipalité de Täby. J’ai expliqué qu’il est tout à fait normal pour des réfugiés politiques ayant obtenu l'asile en Suède de poursuivre leurs activités politiques dans des organisations d'exilés, des radios communautaires, des sites web etc.
J’ai eu ensuite droit à une longue philippique de la procureure Nancy Esperanza Pardo. Elle m’a interrogé pendant au moins deux heures. Elle a fait tout ce qu'elle pouvait pour dépeindre Anncol comme le bras de guérilla en Suède / Europe. Comment Anncol était-elle financée ? Qui décidait sur son contenu? Pourquoi a-t-elle été fondée ? Et ainsi de suite. Beaucoup de questions sont revenues plusieurs fois, mais sous des angles légèrement différents. Il est assez évident que le procureur et peut-être une grande partie des Colombiens ont une autre image d’Anncol. Ils semblent voir Anncol comme une agence de presse professionnelle avec de gros moyens financiers. Cela n'a jamais été le cas de mon temps et ce n'est pas non plus le cas aujourd’hui. Je lui ai dit que le budget de mon temps était de l'ordre de 300 à 400 dollars, argent que nous avons collecté ou apporté de nos propres poches.


Joaquín Pérez Becerra
J'ai aussi dit que Joaquín n’a jamais eu affaire à la police en Suède et qu'il n'a jamais été soupçonné de quoi que ce soit. J'ai également exprimé ma grande surprise devant le fait que le gouvernement colombien a tenté de fermer Anncol et qu'il a exhorté le gouvernement suédois à le faire. J'ai fait remarquer que c'était quelque chose que le gouvernement suédois n'a évidemment pas fait puisque Anncol fonctionne entièrement dans le cadre de la loi. Maintenant, si Joaquín était vraiment le tristement célèbre terroriste que la procureure tente de dépeindre, pourquoi n'ont-ils pas tout simplement contacté le ministère suédois des Affaires étrangères et demandé son extradition vers la Colombie? Une telle demande n’est de fait jamais venue de Colombie, d'après les informations que j'ai eu du ministère suédois des Affaires étrangères.
Le juge a conclu en me posant des questions pendant environ 30 minutes. Il voulait en savoir plus sur le travail de Joaquín à Täby, la liste de l’Union européenne sur les "organisations terroristes" et il voulait savoir ce que je pensais des FARC. J'ai de nouveau montré le certificat d'emploi de Joaquín. En ce qui concerne la liste terroriste de l'UE (où figurent entre autres les FARC) j’ai déclaré que j'étais opposé à l'idée d'avoir une liste d’ organisations à stigmatiser. C’est fermer d’avance la porte à des pourparlers de paix et des négociations. Ce fut aussi la ligne du gouvernement suédois lors de la discussion sur les listes de terroristes dans le sillage du 11 Septembre 2001. En ce qui concerne les FARC, j’ai répondu que je condamne leurs actes de violence, qu’ils étaient inacceptables et que les FARC devraient mettre fin à leur lutte armée.
Ma conclusion est que je pense que les choses se présentent bien pour Joaquín Pérez. La procureure  a fait tout son possible pour essayer de dépeindre Anncol comme faisant partie des FARC, qui l’auraient financée et décidé de ses contenus. C’est bien sûr tout à fait faux, d'après ce que j’en sais. Si elle n’a rien d’autre à proposer que ce qu'elle a présenté au tribunal hier, il est impossible que Joaquín puisse être condamné pour terrorisme. Cela suppose que la justice colombienne fonctionne comme il se doit. Et on ne peut que l’espérer… Je suis surpris que la procureure ait consacré tant de temps à poser des questions sur le contenu d'Anncol. C'est une chose d'exprimer son opinion, c'en est une autre de participer activement à des activités illégales et violentes. Cette distinction ne semble pas très claire aux yeux de la procureure.
Le procès de Joaquín concerne le droit d'exprimer son opinion, de s'organiser librement en associations et le droit des réfugiés à poursuivre leur engagement politique une fois qu'ils sont arrivés en Suède. C'est exactement ce que Joaquín Pérez a fait. Le gouvernement colombien peut ne pas aimer les textes publiés sur le site Anncol, mais c’est comme ça que ça fonctionne dans une démocratie. On peut penser différemment. Pour citer Voltaire: je ne partage pas vos opinions, mais je me battrai bec et ongles pour votre droit à les exprimer. C'est l’essence de la liberté d'expression.
Mais ce procès, c'est aussi celui du père d'une fillette de douze ans, fiancé à sa compagne, citoyen suédois et employé communal de Täby qui a été kidnappé et emmené dans le pays qu'il a fui. Il est temps pour le père, le fiancé, le Suédois et l’agent de santé de retourner dans son pays. Il est temps pour Joaquín Pérez Becerra de revenir en Suède!

Manifestation devant l'ambassade de Colombie à Stockholm :

"Joaquín Pérez Becerra est un journaliste suédois, pas un terroriste
Colombie, lib
ère-le maintenant !
"

vendredi 24 août 2012

Le royaume d’Espagne saigne sa population pour sauver ses banques privées

par Jérôme Duval, CADTM, 21/8/2012Traduction disponible : Español
Bankia, un cas emblématique de la crise bancaire espagnole
Le sauvetage de BFA-Bankia, via la nationalisation de ses pertes et actifs toxiques, suivie d’une demande d’aide publique historique de 19 milliards d’euros (23,5 milliards en tout avec les aides déjà reçues), a précipité l’Espagne dans une hystérie politique rythmée par un pouls sous l’hypertension financière des échéances fixées par les créanciers. L’annonce le 9 juin 2012 par le gouvernement Rajoy – qui s’y était pourtant refusé – d’un plan de sauvetage pouvant atteindre 100 milliards d’euros (environ 10% du PIB) destiné à assainir l’ensemble du secteur financier espagnol met les marchés et les institutions financières internationales sous tension. Les réunions de l’euro groupe, du G20 ou les visioconférences se succèdent depuis Rome, Washington, Paris ou Bruxelles sans pour autant calmer la fureur des spéculateurs qui se déchaînent sur le marché de la dette. Pendant ce temps, la population pâtit de nouvelles mesures antisociales la plongeant dans une précarité d’une sévérité toujours plus extrême.


"Toutes ces coupes budgétaires nous ont laissés à poil"
Bankia se crée sur la montagne d’actifs immobiliers des caisses d’épargne
Au cœur de cette crise, BFA-Bankia, quatrième banque du pays en termes de capitalisation boursière avec ses plus de 10 millions de clients et ses quelque 380 000 actionnaires. Elle représente 10% du système financier espagnol. Sans doute la plus exposée aux crédits immobiliers à risque, elle est considérée comme une banque ’systémique’ : sa faillite serait susceptible d’entraîner l’ensemble du secteur bancaire à sa perte et, au-delà, l’économie tout entière du pays. Bankia, ou plus exactement BFA-Bankia, né fin 2010, est le fruit d’un savant mélange qui permet d’isoler les actifs immobiliers problématiques des sept caisses d’épargne regroupées au sein de la maison mère BFA (Banco Financiero y de Ahorros). Celle-ci, aidée par l’Etat, opère comme la « bad bank » de Bankia. L’Etat se porte garant de la montagne d’actifs immobiliers douteux au sein de BFA pendant que sa filiale Bankia, débarrassée de ces actifs encombrants, tente d’attirer le capital des petits investisseurs par sa sortie en bourse. L’objectif est clair : transférer les risques, issus de la bulle immobilière, du secteur privé au public. Les contribuables, clients lésés et petits actionnaires fortement incités à le devenir par les recommandations irresponsables de la banque, seront directement touchés ; mais plus largement, la population espagnole dans son ensemble subira une nouvelle fois le fardeau d’une dette privée devenue publique. Il s’agit à nouveau d’une belle opportunité laissée aux banquiers, pourtant responsables d’investissements à haut risque débouchant sur des pertes astronomiques, de sauver leurs mises indécentes. Les gouvernements successifs de Zapatero (PSOE, gauche libérale) puis Rajoy (PP, droite libérale créée par le franquiste Manuel Fraga) choisissent de leur porter secours en les débarrassant du risque insoutenable découlant de la bulle immobilière et en injectant de l’argent ponctionné directement sur le budget de l’Etat, au détriment des secteurs vitaux tels la protection sociale, l’éducation, la santé ou encore la lutte contre les incendies. Puisque l’Etat s’endette pour assainir la banque, les coupes budgétaires qui affectent l’Etat providence sont décrétées incontournables pour combler le déficit occasionné. Voilà le piège de la dette que nous voulons dénoncer.
BFA-Bankia, par ailleurs, critiqué pour avoir d’anciens membres actifs du Parti Populaire dans ses organes de direction |1|, notamment depuis l’ancienne Caja Madrid maintenant engloutie dans BFA, représente un cas d’école qui mêle politiciens et banquiers au service de la finance.
"...c'est pourquoi nous exigeons la collaboration de tous les Espagnols..."(allusion parodique aux conférences de presse des clandestins d'ETA)
BFA, la bad bank de Bankia
Dans la foulée de l’éclatement de la bulle immobilière, la restructuration du secteur bancaire a fait passer le nombre de caisses d’épargne de 45 à une quinzaine début 2011. En conséquence, outre des fermetures de succursales et des licenciements, le capital s’est concentré entre les mains d’énormes entités se voulant « too big to fail » (« trop grandes pour tomber »). Seules deux petites caisses échappent à la fusion : Caixa Ontinyent et Caixa Pollença.
BFA (Banco Financiero y de Ahorros) naît le 3 décembre 2010 et commence à opérer en janvier 2011. Cette nouvelle entité est le fruit de la fusion de sept caisses d’épargne régionales minées par une bulle immobilière qui n’en finit pas de dévoiler la profondeur de la crise : il s’agit de Caja Madrid et Bancaja qui détiennent la majorité de l’actionnariat (pour 52,06% et 37,70% respectivement), auxquelles se sont jointes La Caja de Canarias (2,45%), Caja de Ávila (2,33%), Caixa Laietana (2,11%), Caja Segovia (2,01%) et Caja Rioja (1,34%). Au-delà de la Banque d’Espagne et des hauts responsables de Bankia, le gouvernement social-libéral de Zapatero porte la responsabilité d’avoir autorisé et encouragé une telle fusion. Fin 2010, le FROB (Fondo de Reestructuración Ordenaria Bancaria) |2|, le Fonds public espagnol d’aide au secteur, octroie un prêt de 4,4 milliards d’euros (4 465 millions) à BFA, la maison mère de Bankia, et ouvre ainsi la voie à la nationalisation de la banque. Cette opération avait pour objectif d’assainir les comptes des caisses d’épargne regroupées au sein de la nouvelle entité. Cela se révélera insuffisant.
Signalons par ailleurs que BFA détient des participations dans Concesiones Aeroportuarias (7,86%), Deoleo (9,63%), Desarrollos de Palma (10,38%), Ejido Desarrollos Urbanos (7,34%) Grupo Inmobiliario Ferrocarril (10,17%), Haciendas Marqués de la Concordia (8,47%), IAG (12%) Mercavalor, Sociedad de Valores y Bolsa (10,48%), NH Hoteles (9,22%), Numzaan (7,41%), Mapfre (15%) et Iberdrola (5,27%). |3|
L’exposition des créanciers, principalement dans le secteur bancaire espagnol, accumulaient fin 2011, selon les dires de la Banque d’Espagne, entre 176 et 184 milliards d’euros d’actifs immobiliers problématiques. BFA, qui, à en juger par ses propres comptes, est la plus exposée au secteur immobilier, à hauteur de 37,5 milliards d’euros fin 2011, dont plus de 31 milliards (31 798 millions d’euros) d’actifs immobiliers problématiques (crédits risquant de ne pas être remboursés), clôture sa première année d’exercice avec les plus grosses pertes de l’histoire de la banque espagnole. Après avoir déclaré dégager des bénéfices de 309 millions d’euros en 2011 sous la gestion Rodrigo Rato, BFA a annoncé un solde négatif de 439 millions, avant de finalement reconnaître, une fois l’ex dirigeant du FMI parti, avoir cumulé 3,3 milliards d’euros de pertes en 2011 (3 318 millions). Si l’on ajoute les pertes occasionnées par la dépréciation du titre en bourse, cette somme dépasserait les 7 milliards d’euros (7 263 millions). |4| Le choc est d’autant plus important que Zapatero et la Banque d’Espagne avaient vivement incité de nombreuses entreprises de l’Ibex 35 à acheter ses actions pour près de 3 milliards d’investissement. |5|
Cette gestion désastreuse de la banque n’empêcha pas son président directeur, Rodrigo Rato, d’empocher 2,34 millions d’euros de salaire fixe, ni à Francisco Verdú, son conseiller délégué, d’être rémunéré 1,57 millions en 2011 |6| (arrivé en cours d’année, il ne percevra pas la totalité de sa rétribution annuelle de 2,26 millions). Jose Luis Olivas, vice-président de Bankia avant de démissionner, et toujours président de Bancaja, a perçu 1,62 millions d’euros en 2011. Enfin, José Manuel Fernández Noriella, qui a remplacé Olivas, a quant à lui touché 725 000 euros cette même année 2011. Ce ne sont là que les rémunérations fixes, qui ne tiennent donc pas compte d’éventuelles rémunérations variables ou de celles perçues en tant qu’administrateurs d’autres entreprises.
Des sommes colossales ont donc été distribuées avant que la banque ne demande des fonds publics pour se remettre à flot. En février 2012, une nouvelle loi |7| plafonne les salaires des cadres dirigeants d’entités ayant reçu de l’argent de l’Etat à 600 000 euros de rémunération fixe. Une mesure insuffisante et bien trop tardive si l’on considère que les membres du conseil d’administration de BFA, qui a reçu 4 465 millions d’aides publiques à travers le FROB, se sont réparti, entre janvier et novembre 2011, plus de 9 millions d’euros |8|. Il faut d’urgence privatiser les pertes en faisant payer les responsables qui en ont bien profité et non les socialiser comme le fait le gouvernement ; il est, en effet, plus que temps de replacer le secteur bancaire sous contrôle public sans pour autant que l’Etat ne prenne en charge le coût de l’opération. Ce sont les grands actionnaires qui doivent en assumer les frais et les dirigeants doivent être poursuivis en justice afin de déterminer leurs responsabilités dans la débâcle.
Rodrigo Rato s’offre un parachute doré avant le krach de Bankia
Bankia sort en bourse le 20 juillet 2011. L’ex-ministre de l’économie et vice-président économique de José María Aznar lorsqu’il œuvrait au gonflement de la bulle immobilière, ancien directeur du FMI et président de Bankia, Rodrigo Rato, sonne alors fièrement la cloche à l’ouverture de la bourse de Madrid pour l’occasion. L’action vaut 3,75 euros et tout va pour le mieux dans le monde de la finance dérégulée qui jouit d’un nouveau produit sur lequel parier. Le 7 mai 2012, l’action s’échange à 2,37 euros (soit un plongeon de 37% en 10 mois) et, comme au FMI en 2007, Rodrigo Rato présente sa démission avant la fin de son mandat. Il sera remplacé deux jours plus tard (le 9 mai) par José Ignacio Goirigolzarri sur les conseils de Rato lui-même, qui le signale comme « la meilleure personne en ce moment pour diriger ce projet ». Arturo Fernández, vice-président de la CEOE (équivalent du MEDEF français) et conseiller de Bankia, affirmait alors que « le travail de Rodrigo Rato a été exemplaire » |9|.

"Bankia a piqué ma bourse !"
Le scandale Goirigolzarri
Avant de reprendre le contrôle de Bankia, José Ignacio Goirigolzarri a, entre autres, occupé le poste de vice-président de Repsol (avril 2002-avril 2003) et Telefónica (avril 2000 - avril 2003) où il siégeait au conseil d’administration jusqu’en 2003, tout en poursuivant sa longue carrière (30 ans) au sein de la deuxième banque espagnole BBVA, où il percevait près de 4,6 millions d’euros par an (salaire fixe et rémunération variable). Il a aussi été conseiller de BBVA-Bancomer (Mexique), Citic Bank (Chine) et de CIFH (Hong Kong) durant cette période. En septembre 2009, en plein débat international sur la limitation des salaires et bonus, il quitte son poste auprès de BBVA avec une retraite anticipée de près de 3 millions d’euros bruts par an. Alors que la crise se répandait violemment en Europe, il encaissait d’un coup 68,7 millions d’euros ! |10| Malgré le scandale occasionné, rien ne change au sein de la banque : deux ans plus tard, en 2011, Francisco González, président de BBVA, et Ángel Cano, conseiller délégué, ont perçu une rémunération totale de 4,9 millions d’euros et 3,6 millions respectivement. Cette année-là, le comité de direction a reçu au total, 9,35 millions d’euros de rémunération fixe et 14,2 millions de rémunération variable. |11|

Hôpital
Crise financière - Pauvreté mondiale - Changement climatique
- J'en ai plus besoin que vous
 
Nationalisation de la bad bank
A peine aux commandes de Bankia, Goirigolzarri propose la prise de contrôle de BFA par l’Etat. Le gouvernement répond aussitôt qu’il apportera le capital nécessaire à l’assainissement et contrôlera 100% de BFA. Cette entité détenant alors plus de 45% de participation dans Bankia, l’Etat en devient son actionnaire majoritaire et, par la même occasion, entre au capital des sociétés dont BFA est aussi actionnaire.
Ainsi, quelques jours après la démission de Rodrigo Rato, le FROB décide de transformer les 4,4 milliards d’euros injectés fin 2010 sous forme d’actions préférentielles convertibles à 5 ans (« participaciones preferentes convertibles ») en simples actions. En effet, comme nous explique Mikel Barba : « Ces actions préférentielles sont soumises à un intérêt et doivent être rachetées par [BFA] sur une période de cinq ans. Dans le cas où l’entité n’est pas en mesure de rendre l’argent apporté sur cinq ans, les actions préférentielles se transforment en actions, l’Etat devenant alors propriétaire de tout ou partie de la société. (...) Le FROB reconnaît qu’il ne récupérera pas les sommes placées dans BFA sous forme d’actions préférentielles convertibles sous cinq ans, et décide par conséquent de les convertir en capital. De créancier, il devient propriétaire de l’entreprise. » |12|
Le 25 mai, après que l’agence de notation Standard & Poor’s a annoncé la dégradation de la note de Bankia et de quatre autres banques espagnoles au rang d’investissement spéculatif, la cotation des titres de Bankia est suspendue alors que son conseil d’administration tente de déterminer le montant de la nouvelle aide nécessaire. BFA-Bankia, qui avait déjà reçu 4,4 milliards d’argent public du FROB, demande finalement 19 milliards d’euros supplémentaires à l’Etat. Cela marque de fait la plus grande opération de sauvetage du secteur financier de l’histoire espagnole. La nationalisation de la banque au bord de la faillite vient ainsi s’ajouter à la longue liste de celles déjà réalisées depuis le début de la crise, tant en Espagne (Catalunya Caixa, NovaGalicia, Banco de Valencia, sans compter les autres entités ayant perçu des injections d’argent telles Caja Castilla La Mancha, Cajasur, ou la CAM) qu’ailleurs. À titre d’exemple, la franco-belgo- luxembourgeoise Dexia a été sauvée de la faillite à deux reprises et l’opération a déjà coûté 18 milliards d’euros aux contribuables |13|.
Mariano Rajoy a assuré que le sauvetage de Bankia n’aurait ’aucun impact’ sur le déficit public du pays, qu’il s’était engagé à réduire de 8,9 % à 5,3 % du PIB cette année 2012 |14|. Pourtant rien n’est moins sûr et durant les 5 premiers mois de l’année 2012 (janvier à mai), le déficit de l’Etat a déjà atteint 3,4 %, en augmentation de 30,6% par rapport à la même période de l’année antérieure.


Joan Tardà, député de la Gauche républicaine en Catalogne : "Bankia, remboursez les dépôts d'épargne"
Pendant ce temps, la chute du titre Bankia se poursuit. Le 20 juin 2012, le cours s’est effondré à près de 80 centimes d’euros, soit une perte de 80% depuis sa sortie en bourse. Même l’annonce par l’Euro groupe le 9 juin 2012 de l’injection pouvant aller jusqu’à 100 milliards d’euros - bien au-delà des 37 milliards d’euros estimés nécessaires par le FMI |15| et des 62 milliards des consultants Oliver Wyman et Roland Berger - n’a pas bénéficié à Bankia qui est la seule entité financière de l’Ibex 35 à avoir enregistré une chute de sa capitalisation boursière depuis cette date jusqu’au 30 juin. Le titre a perdu 9,80% durant cette courte période, alors que toutes les autres banques enregistraient des gains suite à l’euphorie provoquée par l’annonce du sauvetage. |16| Le 17 juillet, le titre tombait à 0,59 euros, son minimum, avant de remonter en août à l’approche d’une injection imminente de capital européen, dont Bankia serait le premier bénéficiaire. La sortie en bourse est un fiasco supporté par les petits investisseurs qui voient leurs placements réduits à néant – les plus gros, informés, ayant fuit la débâcle.
Dans un texte écrit en 2010 |17|, David Hall affirmait que la crise financière et économique est le résultat de prêts insoutenables et de la création de formes complexes de dettes par les banques. Depuis l’effondrement en septembre 2008 de Lehman Brothers, les Etats-Unis et d’autres gouvernements ont décidé, après des décennies de privatisation, de sauver les banques en les nationalisant ou en injectant du capital pour les rendre solvables. Qu’on ne s’y méprenne, l’Etat reste, en général, en dehors de la gestion, qui reste aux mains des banquiers. Il ne s’agit pas d’une faiblesse du capitalisme, mais au contraire d’une manœuvre pour le renforcer en socialisant les pertes, avant de privatiser de nouveau l’établissement dès que l’assainissement l’aura rendu viable. Le FMI décrit cela comme « un transfert de risque sans précédent du privé au secteur public ». |18|
Notes
|2| La constitution du FROB, approuvée par le Parlement le 8 juin 2009 et concrétisée par le décret royal du 26 juin de la même année (Real decreto-ley 9/2009), vise à venir en aide aux banques fragilisées par leur exposition au secteur immobilier et sinistrées depuis l’explosion de la bulle en 2008. Le Fonds public d’aide au secteur financier (FROB) contrôle aujourd’hui NovaGalicia, CatalunyaCaixa, Banco de Valencia et Bankia. Son capital de 9 milliards d’euros provenant du budget de l’Etat s’épuise fin 2011, d’où l’intérêt suscité par le « sauvetage » européen face à l’ampleur des sommes nécessaires.
|5| “Bankia y el fiasco de la política”, El País, 1er juillet 2012.
|7| Real Decreto-ley 2/2012, de 3 de febrero, de saneamiento del sector financiero. Titulo IV,http://www.boe.es/boe/dias/2012/02/04/pdfs/BOE-A-2012-1674.pdf
|9| « el trabajo de Rodrigo Rato ha sido ejemplar »
Dans « La situación de Bankia no es tan desesperada », ABC Punto Radio, 08/05/2012,http://www.abc.es/20120507/economia/abci-bankia-situacion-desesperada-201205072233.html
|10| “Goirigolzarri, el ejecutivo de la pensión millonaria en el BBVA”, El País, 7 mai 2012,http://economia.elpais.com/economia/2012/05/07/actualidad/1336396158_000163.html ;http://elpais.com/diario/2009/10/01/economia/1254348005_850215.html
|12| Lire Mikel Barba, El caso Bankia o las cinco maniobras de una gran estafa,http://www.rebelion.org/noticia.php?id=149845
|13| Le CADTM Belgique et ATTAC ont introduit le 23 décembre 2011 un recours devant le Conseil d’État belge afin d’annuler l’arrêté royal du 18 octobre 2011 octroyant une garantie d’État de 54,45 milliards d’euros à certains emprunts de Dexia, soit l’équivalent de 15% du Produit Intérieur Brut (PIB) de la Belgique. Lire : http://cadtm.org/Resume-du-recours-Dexia-intente
|14| Ceci avant que Bruxelles, voyant cet objectif irréalisable, n’accorde une année de répit portant à 2014 au lieu de 2013 l’objectif d’un déficit sous les 3% du PIB. Reuters, 7 juillet 2012.
|15| « Le FMI appelle à un filet de sécurité crédible pour les banques espagnoles  », Les Echos, 9 juin 2012.
|16| “Todas las entidades financieras que cotizan en el Ibex 35, salvo Bankia, han registrado importantes ganancias en Bolsa desde que el pasado 9 de junio el Eurogrupo brindó a España hasta 100.000 millones para sanear el sector. (…) Bankia ha sido la única entidad que cotiza en el Ibex 35 que ha registrado pérdidas en este periodo, al caer un 9,80%.” Bankia, incapaz de sumarse a la euforia del rescate financiero, 30 juin 2012,http://www.intereconomia.com/noticias-negocios/claves/bankia-incapaz-sumarse-euforia-rescate-financiero-20120630
|17| David Hall, PSIRU, University of Greenwich, p.11, Why we need public spending, octobre 2010.
|18| Ibidem et FMI, Global Financial Stability Report, juillet 2009, http://www.imf.org/external/pubs/ft/fmu/eng/2009/02/index.htm