Les
Yéménites se sont étonnés des déclarations de l’ambassadeur US en poste
à Sanaa, Gérald Feierstein, selon lequel « l’Iran n’a pas à s’ingérer
dans les affaires intérieures du Yémen ». A cela, un observateur
rétorque: « Et que fait cet ambassadeur américain dans le pays alors ?
S’entraîne-t-il à la course dans les rues de Sanaa ou s’occupe-t-il de
la sélection des jeunes footballeurs yéménites, qui, il y a quelques
jours se sont qualifiés aux demi-finales de la Coupe arabe de
football ? ». Un autre observateur affirme pour sa part : « Cet
ambassadeur fourre son nez partout, dans les petites affaires du Yémen,
comme dans les grandes. C’est lui qui gouverne ce pays ».
Son
Excellence, l’ambassadeur d’Amérique, Gérald Feierstein, entre dans la
résidence de l’ambassadeur d’Italie à Sanaa, à l’occasion de la fête
nationale italienne, marchant, les sourcils froncés, ignorant les autres
invités. Il s’installe dans un coin reculé du jardin, un verre de vin
rouge à la main. Quelques instants plus tard, les plus hauts
responsables du gouvernement yéménite se précipitent vers lui, chacun
tentant de lui soumettre un problème qu’il a rencontré dans
l’administration du département
qu’il dirige. Cette scène n’est qu’une reproduction du Yémen tel qu’il
est devenu sous la gouvernance imposée au pays, après un compromis qui a
mené au départ de l’ancien président Ali Abdallah Saleh, selon les
termes de l’Initiative du Golfe, qui a mis fin à la révolte des jeunes
Yéménites.
D’autre part, l’ambassadeur apparait sur les chaînes télé officielles affirmant : « Nous ne permettrons en
aucun cas que la libération du journaliste Abdelilah Haidar Shaeh. Il
représente un danger pour la sécurité nationale américaine, il a des
liens avec Al Qaïda». Une fois encore, il a passé outre l’amnistie
présidentielle qu’avait émis auparavant l’ancien président Ali Abdallah
Saleh, avant le déclenchement de la révolte des jeunes, en faveur du
journaliste qui s’est vu condamné à cinq ans d’emprisonnement. L’année
passée, un simple coup de fil au président Barack Obama suffisait pour
faire lever l’amnistie en faveur d’Abdelilah Haidar Shaeh et le garder
en prison.
Dessin de Kamal Charaf : « Libérez le journaliste Abdallah Haidar Shaeh ! »
L’ambassadeur
US et toute son équipe ne s’arrêtent pas là et persistent. Lorsque la
marche protestataire des journalistes yéménites s’est dirigée vers
l’ambassade US à Sanaa, pour dénoncer les propos de l’ambassadeur
Feierstein à l’égard de leur confrère Shaeh, ils ont vu des véhicules de
transport de prisonniers passer par l’entrée de l’ambassade. On a
appris plus tard qu’il s’agissait de prisonniers yéménites de la prison
centrale, amenés à l’ambassade afin d’être interrogés sur des affaires
de terrorisme. On en sait davantage sur cette intervention grâce à des
publications de sites web et de journalistes locaux montrant des photos
et des lettres de l’ambassadeur US s’adressant
au ministre de l’Intérieur yéménite, Abdulkader Qahtan, le sommant
d’exécuter certains « changements au niveau du personnel de la sécurité,
afin de garantir la paix au sein du pays ».
Il
n’y a pas l’ombre d’un doute sur le fait que Feierstein exerce un
certain pouvoir au sein du gouvernement yéménite, visant un certain “progrès“,
mais seulement à la manière que lui seul conçoit appropriée. Il ne
s’oppose de plus, évidemment en aucun cas à la politique US au Yémen.
La semaine dernière, l’ambassadeur US n’a pas hésité à se rendre dans la province d’Abyan, accompagné du président de l’Agence US pour le développement international (USAID)
pour évaluer l’état de la ville après que les forces armées yéménites
eurent réussi à expulser le groupe « Ansar al Shariah », groupe lié au
mouvement Al Qaïda qui a contrôlé la région une année entière, durant
laquelle il a appliqué la charia et ses peines. Cette visite non
diplomatique a soulevé des contestations parmi certains groupes
politiques mais ils n’ont pas été jusqu’à la dénoncer ouvertement.
Personne ne conteste. Toute la classe politique se contente de voir les
ingérences de Feierstein comme un fait et le Yémen est incontestablement
sous nouvelle dictature.
Dans
un dialogue avec le quotidien « Al Akhbar », le chercheur Ahmad Qaderi a
affirmé que le Yémen se trouvait sous autoritarisme américain et a
déploré l’Initiative du Golfe qui a mené le Yémen à sa situation
actuelle. « C’est une bien triste image que l’on a aujourd’hui du Yémen.
Qui aurait pensé que la révolte saine des jeunes allait finir
ainsi ? », ajoute-t-il.
De
son côté, l’ambassadeur US multiplie les déclarations. Il apparaît
constamment dans les médias s’exprimant, expliquant et décrivant les
affaires de la vie courante au Yémen, comme s’il était « le Président »,
pas encore déclaré. Lors d’une apparition récente, il déclare : « Nous
sommes actuellement à la deuxième étape de l’Initiative du Golfe… J’ai
rencontré hier le président. Nous sommes d’avis que tout le monde
participe au dialogue national… Le Président Obama a publié une
ordonnance administrative qui nous permet la répression des individus ou
groupes qui entravent la mise en application de la convention
(l’Initiative du Golfe)… Nous œuvrons à la restructuration de l’armée et
de la Sécurité… Nous sommes satisfaits de ce qui a été réalisé
jusqu’ici. Nous sommes sur la bonne voie ».
« Lorsque
l’ambassadeur US à Sanaa s’exprime au sujet du Yémen à la première
personne », explique Muhammad Ayesh, directeur de la rédaction du
journal indépendant « Al Oula », « il ne parait pas seulement comme
celui qui gouverne, mais aussi comme « le Président », propulsé par la
révolte à la première place du gouvernement yéménite ». Ayesh ajoute :
« les classes politique et militaire ont laissé toutes les affaires du
Yémen aux puissances internationales pour ne se préoccuper que de leurs
rivalités internes ». Il met également l’accent sur le fait que sans
l’ambassadeur US, « les Yéménites ne seraient pas capables d’arriver à
un accord sur l’évacuation des barricades et des forces armées des
villes principales ».
De
son côté, le journaliste et analyste politique, Mansour Hael, estime
que c’est la fragilité de la situation interne du pays et des classes
politiques qui a contribué à placer l’ambassadeur US à la tête des opérations politiques et militaires et à faire parvenir entre ses mains les dossiers des affaires du Yémen.
Enfin,
le rédacteur en chef du journal « Al Tajamou’ », dans un dialogue avec
le journal « Al Akhbar », a, pour sa part, affirmé que les Yéménites
« sont gouvernés désormais par un état de division, aussi bien verticale
qu’horizontale, de division au niveau des accords gouvernementaux et de
division entre les ONG et les partis politiques : c’est ce qui a permis
à l’ambassadeur US de pouvoir tenir toutes les ficelles du jeu
politique au Yémen ».
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