par Pierre Barbancey, L'Humanité, 23/7/2012
Deutsch: Haytham Manna: „Bewaffnete Gruppen und die herrschenden Kräfte haben den zivilen Widerstand in Syrien vernichtet“English: Haytham Manna: "In Syria, armed groups and the state power have eradicated the civilian resistance"
Le
responsable à l'étranger du Comité de coordination pour le changement
démocratique, une des composantes laïque et progressiste de
l’opposition, plaide pour une reconstruction de la résistance civile
afin d’imposer une transition démocratique.
On
assiste à une offensive armée à Damas et à Alep contre le régime.
Comment cela est-il organisé ? Peut-on parler d’un commandement unifié
de ces groupes armés ?
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Haytham Manna : Il y a une dizaine de jours, le
régime a commencé à préparer le ramadan à sa façon, comme il l’a fait
l’année dernière : empêcher qu’il ne soit au service du mouvement
populaire. Pour cela, il a pris ses précautions dans plusieurs régions.
Dans le même temps, il a laissé entrer plusieurs groupes armés dans les
territoires où il pouvait contrôler ce qu’il se passait. Il y a eu des
mouvements d’attaque à Damas, mais rapidement encerclés. Ces groupes ont
reçu un soutien inattendu de forces venues du Sud, ce qui leur a permis
de rester un peu plus de temps. Mais on ne peut pas remporter Damas
avec 3 000 ou 5 000 personnes. C’est une ville multiconfessionnelle, une
ville où chaque fois qu’un groupe à caractère idéologique attaque, la
panique saisit la population. Il est très facile pour l’armée de
répliquer quand il y a une neutralité de la part de la société, au sens
large du terme. Notre problème, maintenant, est que les forces les plus
acharnées de ces groupes armés sont les forces islamistes les plus
radicales. Ce qui fait peur à l’ensemble de la société. C’est un coup de
poker de plusieurs groupes, agissant au niveau local, qui n’ont pas la
capacité de coordonner les actions à l’échelle nationale. Il n’y a pas
de stratégie nationale.
Le régime syrien est-il aussi uni qu’il y paraît ?
Je ne crois pas. Le caractère du régime syrien montre qu’il y a une
solidarité entre groupements d’intérêts militaires et qu’il n’y a pas
de défections. Mais, en réalité, chacun a l’ambition de prendre sa place
dans la Syrie de demain, donc c’est une solidarité de façade. Qui a frappé les ministres ?
On ne peut pas encore y répondre. Mais on peut dire que, pour la
première fois depuis le 18 mars 2011, il y a eu un attentat à la bombe
que personne n’a entendu, pour lequel on n’a vu aucune ambulance, et qui
a pourtant été annoncé par la télévision syrienne et celle du Hezbollah
libanais.
Est-ce
que le mouvement populaire, pacifique et démocratique, à l’origine de
la révolte qui a éclaté l’an dernier, ne se trouve pas dépossédé par ces
groupes armés et fortement islamisés ?
Les groupes armés et la solution militaire adoptée par le régime
ont éradiqué la résistance civile. Car, quels que soient la force et le
nombre de points des manifestations pacifiques aujourd’hui, elles ne
représentent pas un dixième de ce qu’on a connu il y a un an. Il y a un
recul net au niveau des initiatives pacifiques. Et aujourd’hui, si on
parle d’une petite manifestation dans un village, personne n’y prête
attention, comme si cela ne servait à rien. L’acte militaire a pris le
dessus sur un discours politique capable de regrouper et de créer une
solution pacifique à court terme en Syrie.
L’opposition
est divisée. Vous ne travaillez pas avec le Conseil national syrien
(CNS), lui-même dominé par les islamistes. Ne serait-ce pas un facteur
d’affaiblissement ?
L’idée selon laquelle il fallait construire quelque chose de
l’extérieur a affaibli ce qu’il se passait à l’intérieur du pays. On a
cru qu’une structure extérieure au peuple syrien pouvait être la
représentante auprès des instances internationales. Mais c’est une
structure qui n’est vraiment pas représentative de la société syrienne,
des forces politiques de l’intérieur et qui est, en plus, dépendante de
la volonté de trois États : la France, la Turquie et le Qatar. Le CNS,
malgré le soutien qu’il a obtenu aux niveaux financier, médiatique et
diplomatique, n’a pas atteint son objectif. Il y a maintenant recherche
d’une autre formule pour unifier l’opposition. Pendant ce temps, les
groupes armés ont avancé sur le terrain et se sont radicalisés. Parce
que l’argent qui est arrivé au départ provenait de groupes salafistes.
Cette « salafisation » d’une partie des groupes militaires nous a
plongés dans un conflit interne. Il y a, d’une part, la peur de tout ce
qui est extrémiste dans une société modérée où coexistent plus de
vingt-six groupes religieux, ethniques, confessionnels. L’intervention
étrangère, qu’elle soit officielle ou non, a favorisé une coloration
idéologique islamiste au détriment des forces démocratiques et laïques.
Elle a favorisé également des actes de vengeance, d’assassinats
politiques en fonction de l’appartenance confessionnelle. Ce sont des
actes manipulés et influencés par les courants djihadistes non syriens
qui commencent à avoir une place dans le pays et qui se coordonnent avec
les groupes islamistes armés. C’est un danger en cas de vide du
pouvoir, car la résistance civile est mal organisée, voire parfois
absente à cause de la présence des groupes armés. La solution politique
pour une période de transition n’est pas présente. Il n’y a pas de
calendrier établi par les différentes forces de l’opposition. Cette
absence de coordination donne l’avantage aux groupes islamistes les plus
extrémistes. Les laïques ont été assassinés par le pouvoir dès les
premiers mois, ce qui a ouvert la voie aux islamistes. Quand on
marginalise la solution politique, on marginalise les forces
démocratiques.
Dans
les solutions, il y a le plan Annan. Mais est-il encore d’actualité ?
Il y a l’évocation d’une transition, mais certains veulent d’abord le
départ de Bachar Al Assad. Que dites-vous ?
Les propositions d’Annan étaient une chance pour une transition
pacifique. Malheureusement, pratiquement depuis le début, le Qatar a
enterré ce plan et opté pour la poursuite de la militarisation de
l’opposition. Côté occidental, on a aussi pensé à un plan B. Or, sans
soutiens, régional et international, un tel plan ne peut pas réussir. On
laisse aux armes le soin de régler la question, que ce soit l’armée
loyaliste ou les groupes armés des dissidents ou des islamistes. On va
payer très cher cette absence de solution politique. Il y a des guerres à
l’échelle locale. C’est le terreau pour la guerre civile qui peut
aboutir à la formation de milices, mais certainement pas à la création
d’une armée capable de protéger la population pendant la période de
transition.
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