Le feuilleton sanglant des pantins continue
par Ramzy Baroud, 31/3/2014
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original: Mahmoud Abbas vs Mohammed Dahlan: The Showdown Begins
Murder, spies and alibis: Behind the rhetoric
Murder, spies and alibis: Behind the rhetoric
Les
deux plus pitoyables pantins de la scène palestinienne semblent s'être
lancés dans un bras de fer final. Enjeu : la place de Premier Pantin.
Ramzy Baroud récapitule les épisodes de cette zizanie qui contient tous
les ingrédients d'un feuilleton criminel, avec beaucoup de sang,
beaucoup d'argent et beaucoup de méchants.
Quand le défunt leader palestinien Yasser Arafat était confiné par
les soldats israéliens dans son QG de la Mouqataa à Ramallah, Mohammed
Dahlan régnait en maître. Celui qui était sans doute le membre le plus
puissant et efficace de la “Bande des Cinqˮ gérait les affaires du
Fatah "au pouvoir", assurait la coordination avec Israël sur les
questions de sécurité, grenouillait et magouillait dans tout ce qui
touchait aux affaires régionales et internationales.
On était alors entre mars et avril 2002, et c'était d'autres temps.
En ce temps-là, Dahlan - ancien ministre de l’Autorité palestinienne
(AP), ancien conseiller à la Sécurité nationale, ancien chef du Service
de sécurité préventive (SSP) à Gaza – faisait la pluie et le beau temps.
Tous ses rivaux avaient été comme par hasard écartés de la scène.
Arafat était alors emprisonné dans son bureau de la Mouqataa, et le plus
sérieux concurrent de Dahlan, Jibril Rajoub, chef du SSP en
Cisjordanie, avait été discrédité d’une manière très humiliante. Au
cours de la phase la plus violente de la répression de la deuxième
Intifada par Israël (2000 - 2005), Rajoub avait livré le QG du SSP -
avec tous les prisonniers politiques palestiniens, principalement du
Hamas et d'autres groupes opposés au Fatah, qui y étaient détenus - à
l’armée israélienne et était parti. Depuis cela, l’étoile de Rajoub
avait pâli, devenant un sombre chapitre de l’histoire palestinienne.
Mais pour Dahlan, c’était un nouveau départ.
Jibril Rajoub
Sombre histoire
Pour asseoir leur pouvoir nouvellement acquis, les milices du Fatah
loyales à Dahlan et à sa “Bande des Cinqˮ firent comprendre clairement
à tous les petits chefs ambitieux du Fatah que le mouvement avait une
nouvelle direction. La Bande des Cinq avait “mis au rencart la faction
de Jibril Rajoub en Cisjordanie », rapportait l'agence UPI, “et les
hommes de Dahlan ont même malmené des équipes de gros bras de Rajoub ».
La Bande des Cinq était composée de Dahlan, du ministre des ONG Hassan
Asfour, du négociateur en chef Saëb Erakat, de Mohamed Rachid et de
Nabil Sha’ath. Asfour et Rachid ont récemment refait surface avec des
accusations de corruption et d’implication dans des meurtres. Tous les
cinq faisaient de l'agitprop en faveur d'un retour aux négociations
directes avec Israël, appelaient à mettre fin à l’Intifada, en
particulier son volet armé, et ils voulaient restructurer les services
de sécurité de l’AP en une organisation unifiée et dirigée par Dahlan,
avec le soutien de la CIA et des agences de renseignements de l’Égypte,
de la Jordanie et de l’Arabie Saoudite.
De g. à dr. Mohamed Rachid, Hassan Asfour et Mohamed Dahlan, en 2002...
..et Mohamed Rachid, alias Khalid Salam, plus récemment. Ce Kurde d'Irak a participé comme membre d'un groupuscule communiste à la guerre civile libanaise puis s'est infiltré dans l'entourage d'Arafat, qui l'avait surnommé "al-Jasus" (L'Espion). Condamné par contumace par un tribunal palestinien pour avoir détourné 34 millions de dollars, il est réfugié au Canada, dont il a obtenu la citoyenneté en 2003.
Ce n’est pas une histoire dont la direction du Fatah, y compris
Dahlan, aime qu'on la lui rappelle. Cette histoire est trop dangereuse :
elle met en lumière la réalité dans laquelle était engluée la couche
dirigeante de l’AP à Ramallah, et qui continue de la façonner, avec des
retombées sur tous les aspects de la vie des Palestiniens. L’AP a mis à
l’écart l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), autrefois
prépondérante et le Conseil national palestinien (CNP). Malgré ses
lacunes et ses blocages, le CNP avait fait office de parlement pour les
Palestiniens de partout. Beaucoup de Palestiniens ont été accablés en
constatant qu’un seul parti, le Fatah - ou plus exactement un petit
groupe dans un mouvement autrefois révolutionnaire -, exerçait une
domination totale sur les prises de décisions politiques palestiniennes,
la redistribution économique et le reste.
Nabil Sha’ath Saeb Erakat
La deuxième Intifada, qui commença en septembre 2000, à la
différence de la première Intifada de 1987, fit beaucoup de dégâts. Elle
semblait manquer d’objectif commun, était plus militarisée, et permit à
Israël de reformater la scène politique post-Intifada et post-Arafat en
privilégiant ses alliés dignes de confiance dans le camp palestinien.
Dahlan et l’actuel président de l’AP, Mahmoud Abbas, élu en 2005 pour un
mandat de cinq ans, furent épargnés par les purges israéliennes. Hamas
perdit plusieurs strates de dirigeants, tout comme le Djihad islamique
et le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) qui, comme
d’autres groupes de gauche, souffrit de mesures répressives et
d’assassinats massifs. Même les militants du Fatah payèrent un prix
terrible en sang et en emprisonnements à cause du rôle dirigeant qu’ils
avaient joué dans l’Intifada. Mais pour Abbas et Dahlan, les choses
furent plus aisées. En fait, au moins pour un certain temps, l’Intifada
avait eu des retombées bénéfiques pour certains leaders palestiniens qui
avaient été relégués dans des rôles mineurs. Les manigances
israéliennes et la pression US ont aidé à les remettre sous les feux de
la rampe.
Dahlanistan
Douze ans plus tard, Abbas et Dahlan sont à nouveau au centre de
l’attention. Abbas, 79 ans, est le président vieillissant d’une autorité
qui a accès au tiroir-caisse mais sans souveraineté ni poids politique
(hormis ce que permet Israël). Dahlan, 52 ans, est en exil dans les
Émirats arabes unis après que ses partisans ont été chassés de Gaza par
le Hamas en 2007, puis de Cisjordanie par son propre parti en juin
2011. Cela s'est passé après qu’il eut été accusé de corruption et de
responsabilité dans l’empoisonnement d’Arafat pour le compte d’Israël.
Mais Dahlan, aidé par de puissants amis en Égypte et dans le Golfe, et
par ses vieux contacts barbouzards en Israël et aux USA, est en train de
comploter pour organiser son retour.
Abbas sait que son pouvoir approche d’une transition délicate, pas
seulement à cause de son âge. Si au 29 avril, date limite de la
médiation fixée par le secrétaire d’État US John Kerry, il n'y a pas de
résultats significatifs, comme ce sera vraisemblablement le cas, il ne
sera pas facile pour Abbas de garder le contrôle des différentes cliques
concurrentes du Fatah. Et comme Dahlan trouve et manipule avec
perspicacité les brèches dans lesquelles s'engouffrer pour retrouver
grâce aux yeux d'un milieu politique qui l’a plusieurs fois rejeté,
Abbas se lance dans la bagarre en prévision d’un bras de fer. Dahlan lui
rend la monnaie de sa pièce, en partie par les temps d'antenne qui lui
sont généreusement accordés par des médias égyptiens. Le Fatah est à
nouveau en crise, et vu sa prépondérance politique, toutes les
institutions politiques palestiniennes vont en souffrir.
Comment est-il possible que Dahlan, accusé de crimes abominables
pendant son règne à Gaza, reste présentable ? Il a été accusé de
torture, d’espionnage et d’assassinats pour le compte d' Israël. De
plus, d’après une enquête de Vanity Fair
d’avril 2008, il a tenté un coup d’État à Gaza contre le gouvernement
élu de Hamas, ce qui a conduit à une guerre civile, à la prise de
pouvoir par le Hamas à Gaza, et à approfondir la désunion qui accable
toujours les Palestiniens. Avant son expulsion par le Hamas, Dahlan
commandait une force sécuritaire de 20 000 hommes dans Gaza appauvri et
dirigeait une unité spéciale financée et entraînée par la CIA. La bande
de Gaza était appelée par certains, avec une ironie cruelle et parlante,
le Dahlanistan.
Même après qu'il eut été banni de Palestine à la fois par le Fatah
et Hamas, le nom de Dahlan a continué à être associé à des conflits
sanglants dans d’autres parties du Moyen-Orient. En avril 2011, le
Conseil national de transition de Libye l’a accusé d'être impliqué dans
une cache d’armes israéliennes que l’ancien leader libyen Mouammar
Kadhafi était censé avoir reçu. Les Libyens mentionnèrent aussi le nom
de Rachid. Le Fatah avait promis une enquête – vu notamment que Rachid
était membre du Comité central du Fatah, mais l’incident n’a été qu’un
nouvel élément dans la longue liste d’enquêtes sur les crimes attribués à
Dahlan.
Le Hamas, “dénominateur communˮ
Les choses ont empiré quand un leader du Hamas, Mahmoud al-Mabhouh,
a été assassiné à Dubaï en janvier 2011. Alors que le Hamas maintient
que le Mossad était derrière l’assassinat (comme le prouvent des
enregistrements vidéo), deux des suspects arrêtés à Dubaï pour leur
implication supposée et pour avoir fourni un soutien logistique à
l’équipe de tueurs du Mossad - Ahmed Hassanain et Anouar Shheibar –
travaillaient pour une entreprise de BTP de Dubaï appartenant à Dahlan.
Ils sont aussi liés à un escadron de la mort commandé par Dahlan à Gaza,
qui était chargé de liquider des dissidents palestiniens.
Hommage au martyre Mahmoud al-Mabhouh
La reprise de la chamaillerie entre Abbas et Dahlan confirme les
nombreux soupçons des détracteurs du Fatah sur le rôle joué par la
direction du mouvement dans la conspiration avec Israël pour détruire la
résistance. Mais bizarrement, Abbas et Dahlan continuent de se
présenter comme les sauveurs des Palestiniens, tout en s’accusant
mutuellement d'être des collabos d'Israël et des larbins des
US-Américains. La plupart des Palestiniens ne sont pas du tout amusés,
et même le dirigeant du Hamas Moussa Abou Marzouk a appelé Abbas et
Dahlan à “se retenir d’échanger des accusations qui ne servent que les
intérêts israéliensˮ. Il a ajouté : “Le Hamas prend ses distances avec
les querelles entre Abbas et Dahlan, même s'il [le Hamas] est un
dénominateur commun entre les deux partiesˮ.
Le commentaire d’Abou Marzouk sur le “dénominateur communˮ se
référait à la liste des accusations d’Abbas contre Dahlan, dont le rôle
supposé de ce dernier dans l'assassinat, en 2002, du leader du Hamas
Salah Shehadeh, de sa famille et de plusieurs de leurs voisins dans une
frappe aérienne israélienne. Abbas a aussi laissé entendre que Dahlan
avait joué un rôle dans l’empoisonnement d’Arafat en 2004. Le président
de l’AP évoquait “trois espionsˮ qui travaillaient pour Israël et
avaient commis des assassinats de Palestiniens de haut niveau. Outre
Dahlan, il citait Hassan Asfour, un autre membre de la “Bande des
Cinq ». Le Hamas a immédiatement demandé une enquête.
On est en droit de se poser une question : si Dahlan était impliqué
dans ces crimes au vu et au su des leaders du Fatah et des responsables
de l’AP, pourquoi ceux-ci ont-ils continué à confier à Dahlan des
responsabilités dans des domaines sensibles ? Le moment choisi par Abbas
pour passer à l'attaque n’est pas du au hasard. Abbas redoute de plus
en plus une tentative, impliquant les puissances régionales, de
réintroduire Dahlan dans la scène politique palestinienne. Pour
Ramallah, le séjour confortable de Dahlan aux Émirats, ses rencontres
fréquentes avec le gratin de l’armée égyptienne son accès à de grosses
sommes d’argent sont autant de sources d’inquiétude.
Accès aux médias
La plateforme médiatique choisie par Dahlan pour répondre à Abbas
le 16 mars est intéressante. Il a lancé son attaque sur la chaîne privée
de télévision Dream2 en Égypte. Durant une interview qui a duré des heures [exactement 2 heures et 27 minutes, Note de Tlaxcala],
Dahlan s'est vu offrir un espace incontesté pour exposer son agenda
politique. “Le peuple palestinien ne peut plus supporter une
catastrophe comme Mahmoud Abbasˮ, a dit Dahlan. “Depuis le jour où il a
pris le pouvoir, les tragédies ont frappé le peuple palestinien. Je
suis peut-être un de ceux qui sont à blâmer pour avoir infligé cette
catastrophe au peuple palestinien ˮ. (lire une transcription d'extraits en anglais)
Il n'est pas clair en quoi Dahlan est responsable d'avoir "porté"
Abbas au pouvoir, mais il est évident que le bras de fer entre les deux
hommes qui ont été autrefois alliés contre Arafat a atteint un nouveau
niveau. Dahlan a tenté de se donner une stature d'homme d'État, mais il
n'y a pas réussi. “Je ne veux pas m'éterniser sur ce discours ridicule
dans lequel Mahmoud Abbas s’est couvert de honteˮ, a dit l’ancien chef
de la sécurité. “Il se fiche de savoir si d’autres gens l’insultent ou
s’il se couvre de honte. Il est habitué à ce que les gens le traitent
avec mépris… Quand (le Fatah était) en Tunisie, ils l’appelaient le
président de l’Agence Juiveˮ.
Quand le Hamas a investi la maison de Dahlan à Gaza en 2007, ils
ont découvert un énorme stock d’armes non enregistrées et des milliers
de balles. Ils ont aussi trouvé des piles de photographies de lui avec
des hauts responsables militaires et du renseignement israéliens. Les
photos suggéraient des relations amicales entrent Dahlan et les leaders
israéliens responsables d’une violence considérable contre les
Palestiniens.
Mais les aventures de Dahlan, semble-t-il, ne se limitent pas à des
déclarations à l'emporte-pièce sur le président de l’OLP. Ses partisans
dans le désert du Sinaï sont soupçonnés d'y faire des ravages des
ravages et d’être fortement impliqués dans la violence dans la région.
Et sa femme a été accusée de distribuer de grosses sommes d’argent à des
Palestiniens sélectionnés dans les camps de réfugiés au Liban. La saga
de Dahlan va connaître des développements, et elle est inextricablement
liée au coup d’État en Égypte et au rôle des Émirats dans la région. Les
membres et sympathisants du Fatah qui ne sont loyaux ni envers Abbas ni
envers Dahlan pensent que leur mouvement doit récupérer son identité
révolutionnaire, la raison même de son existence.
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