par
Pedro da Nóbrega, 17/4/2014
Je
dois dire que je reste pour le moins perplexe lorsque je vois, venant
de différents médias de sensibilité communiste ou au moins
anti-libérale, la promotion sans le moindre recul critique qui est faite
d’un personnage aussi controversé que Mario Soares, ancien Premier
Secrétaire du PS portugais, ancien Premier ministre et Président de la
République, par ailleurs membre éminent de l’Internationale Socialiste*.
Mario Soares vu par Augusto Cid en 1997
D’autant plus que dans son tout nouveau regard critique, il
est loin de brûler ce qu’il vénérait il n’y a pas si longtemps et
surtout de porter une analyse autocritique sur propre son rôle
historique.
Car, au moment où nous nous apprêtons à commémorer le 40ème
anniversaire de la Révolution des Œillets, il n’est pas inutile de
revenir sur le rôle décisif qui a été le sien pour faire échouer cette
révolution inédite en Europe et ne pas le laisser réécrire l’histoire à
sa guise, toujours en essayant de se donner le beau rôle. Car si ses
talents de girouette sont depuis bien longtemps notoires au Portugal, il
semble qu’il arrive encore à faire illusion dans d’autres contrées en
tenant des discours à géométrie variable en fonction de son auditoire.
Zé (diminutif de José), déjà très détendu : "Voyons voir ce que tu nous rapportes de Paris".
Sur les valises de Mário Soares: "vêtements" et "programmes". Dessin de
João Abel Manta datant d'après le retour d'exil de Soares le 1er mai 1974, quelques jours après la Révolution des œillets.
Dans une entrevue accordée
au I-Jornal du 17 avril dernier, il n’hésite pas à présenter le Général
Spínola, premier chef de la Junte de Salut National - mise en place le
25 avril 1974 pour remplacer le pouvoir fasciste - comme un grand chef
militaire opposé au dernier Président du Conseil fasciste, Marcelo
Caetano, le successeur de Salazar, et comme un homme du 25 avril.
Or Spínola, hobereau haut gradé, membre par le passé de la « Division
Azul » ayant combattu aux côtés des nazis sur le front soviétique,
ancien Commandant du corps expéditionnaire de l’armée coloniale
portugaise en Guinée, n’a jamais été lié au Mouvement des Capitaines, le
MFA, ni un opposant aux guerres coloniales. Il avait acquis un certain
prestige pour avoir publié pendant la dictature un livre « Le Portugal et son avenir »,
où il osait critiquer la gestion du conflit colonial par le pouvoir
fasciste. Non pas qu’il y professât un quelconque droit à l’indépendance
des colonies, mais, féru des méthodes de « guerre psychologique »
auxquelles il s’était familiarisé auprès des armées françaises qui les
avaient développées en Indochine et en Algérie mais aussi US avec le
conflit au Vietnam, il critiquait les méthodes « archaïques », selon
lui, du pouvoir fasciste portugais pour mener les conflits coloniaux.
Nous voilà donc bien loin d’un anti-colonialiste !D’ailleurs, s’il est devenu chef de la Junte de Salut National, c’est par le biais d’un compromis entre le Mouvement des Forces Armées, auteur du mouvement militaire ayant mis fin au fascisme et les dirigeants de la dictature qui refusaient de négocier avec des officiers « subalternes » pour ne pas que le « pouvoir soit à la rue », Spínola ayant intrigué pour se présenter comme le seul recours, alors que les capitaines du MFA lui préféraient le Général Costa Gomes. Mais ils ont accepté pour éviter un bain de sang dans une ville de Lisbonne où des milliers de Portugais se pressaient dans les rues, contrairement là encore à ce qu’affirme Soares dans cette interview.
Quand le journaliste lui rappelle néanmoins les liens de Spínola avec l’extrême-droite et ses tentatives de coup d’État contre la Révolution des Œillets, notamment le 11 mars 1975, Soares a le culot de répondre « qu’il ne sait pas s’il a tenté ou non un coup d’État et encore moins s’il avait des relations avec l’extrême-droite », alors que ces faits sont avérés et ne prêtent même pas à contestation.
Tactique identique lorsque le journaliste l’interroge sur ses liens privilégiés avec Frank Carlucci, ambassadeur des USA nommé à Lisbonne juste après le 25 avril 1974 et qui deviendra directeur adjoint de la CIA en 1978. Soares répond qu’il n’en sait rien et que cela ne l’intéresse pas et pourtant cela ne l’a pas empêché de réaliser de juteuses affaires avec le dit ambassadeur, qu’il ne dément même pas.
Lisbonne, 1975: rencontre entre Mario Soares et Frank Carlucci pour mettre au point la mise à l'écart du MFA et du PCP
Lisbonne,
9 juin 2011 : retrouvailles au même endroit - une mansarde - des deux
vieux complices. Soares :"On se réunissait une fois par semaine. Ici, on
était sûr qu'il n'y avait pas de micros du KGB"
Mais il n’hésite pas pourtant à justifier ses excellentes relations avec Carlucci par l’accusation aussi grotesque que ridicule de la volonté d'Alvaro Cunhal, l’historique Secrétaire Général du Parti Communiste Portugais, de faire du Portugal un « Cuba de l’Occident » (sic). Quiconque a vécu cette période sait combien cette fable est inepte et n’a rien à voir avec ce qu’a été la Révolution des Œillets.
Mais l’immodestie du personnage est telle qu’il va dans ce même
entretien jusqu’à se vanter des excellentes relations qu’il entretenait
avec Manuel Fraga Iribarne, franquiste notoire, allant même
attribuer au dictateur Franco le mérite de s’être prétendument opposé au
passage de troupes de marines US pour aller attaquer le Portugal de la
Révolution des Œillets ! C’est dire le crédit à accorder aux
déclarations de ce monsieur.
Lequel se loue aussi des très cordiales relations qu’il avait avec
Adolfo Suárez, autre néo-franquiste notoire, et Soares ose même
s’attribuer en passant un rôle essentiel dans la « transition »
espagnole, excusez du peu.
Pour en revenir à l’Union Européenne, face au journaliste qui lui
rappelle qu’il a été le maître d’œuvre de l’entrée du Portugal dans
l’Union Européenne et lui demande quel regard il porte sur cette Union
Européenne dont les politiques d’austérité empêchent la mise en œuvre de
toute politique sociale, il nous livre cette analyse de « haute
volée » :
“La crise est un facteur dynamique et populiste dans toute l’Europe. La solidarité européenne, élément fondamental de l’Union, a disparu. Les deux partis politiques qui ont construit l’Europe ont été les sociaux-démocrates, socialistes et travaillistes ainsi que les démocrates-chrétiens. Aujourd’hui il ne reste plus que des populistes. Même s’ils se proclament sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens. Le populisme a gagné, détruisant les États au profit des marchés.”
Fermez le ban !
Pas un mot sur la soumission des forces politiques qu’il a conduit,
avec d’autres, aux logiques de marché du capital, pas un mot sur la
responsabilité des dirigeants politiques, dont lui-même, dans cet
asservissement, il a déniche l’épouvantail idéal pour faire peur dans
les chaumières de la bien-pensance et de la bonne conscience, le
populisme, ce vilain avatar qui nous rappelle que le peuple est toujours
quelque chose de « peu recommandable » et de « suspect ».
Et cerise sur le gâteau, lorsqu’il est interrogé sur la situation
en France, la lourde défaite électorale du PS aux municipales et la
montée de l’extrême-droite, il nous gratifie de ce diagnostic
« lumineux » :
“La situation en France est très difficile et a été créée par Sarkozy. La défaite de Hollande est grave. Mais je crois qu’il en a tiré la leçon et je fonde quelque espoir sur le nouveau gouvernement de Manuel Valls. »
Tant de « clairvoyance » a de quoi en « éblouir » plus d’un assurément !
Alors STOP ou ENCORE !
Je ne comprends vraiment pas comment on peut continuer à faire la
promotion d’un personnage de cet acabit en le présentant comme le
nouveau « Robin des Bois » anti-libéral ou le nouvel « indigné » du
moment. Il y a des limites à la confusion idéologique et historique.
*Voir notamment Mario Soares : « Le néolibéralisme est une tragédie », Denis Sieffert, Politis, 21/11/2013; "L'austérité conduit l'Europe à la dictature", Grand entretien avec l'ancien président portugais Mario Soares, L'Humanité-Dimanche, 30/1/2014
Mario Soares Roi, terre cuite peinte à l'acrylique dans le style traditionnel de Caldas da Rainha
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